Né à Washington de parents nicaraguayens, Gordo Diamanté Blackmon commence sa carrière de DJ et producteur sous l’alias « Carnage ». Si son univers musical est structuré autour de l’EDM à la mode dans les années 2010, il lui insuffle ses influences reggaeton et surtout rap, Rick Ross, Migos ou Lil Uzi Vert s’essayant à la tech-house ou au hardstyle sur son premier album Papi Gordo. Cette proposition aux airs de blockbuster pour festivals, proche de celle d’un DJ Snake en plus rap, ne rencontrera pourtant qu’un succès public et critique modéré. Plus aboutis musicalement, un EP en commun avec Young Thug et un second album préciseront les contours du « son Carnage », sans véritablement faire de vagues. En 2021, pris d’une petite crise de la trentaine, l’artiste abandonne son pseudonyme guerrier en même temps qu’il se détache des bpm à plus de 140 qui caractérisaient sa musique. Il est désormais simplement Gordo, producteur de deep-house, genre musical construit autour d’accords mineurs, de pads « atmosphériques » et d’un bpm situé autour de 125, soit le rythme idéal pour une musique à la fois exaltée et mélancolique, construite pour les longues sessions de danse en solitaire à l’opposée des poussées d’énergie parfois violentes de l’EDM. Le producteur ne renonce pas au rap pour autant, et trouve en la personne de Drake un allié musical de choix : Gordo sera ainsi l’un des architectes principaux de Honestly, Nevermind l’album « house » du canadien, avant de revenir pour deux morceaux de For All The Dogs, dont le tube « Rich Baby Daddy ».
DIAMANTE, son troisième album sorti au coeur de l’été, parachève cette évolution. Le producteur y livre une house accessible et aérée, flirtant par moment avec le easy-listening, et idéale pour accompagner le petit-déjeuner à Ibiza (à partir de 16h pour les plus courageux). Les rappeurs sont à nouveau de la partie, dont notamment son ami Drake with the melodies sur deux morceaux aux titres évocateurs (« Sideways » et « Healing »), qui semblent revenir de façon sibylline sur l’été compliqué du canadien. La voix filtrée et compressée à l’extrème, T-Pain serait presque méconnaissable si ses harmonies inimitables ne le trahissaient pas, conférant à « Target » une mélancolie particulière pour quiconque a grandi avec les refrains du roi du l’autotune. Sûrement la plus paresseuse des têtes d’affiche actuelles, Larry June défie les limites de la nonchalence sur « Lake Como » en livrant en guise d’interprétation un spoken-word suave aux airs d’audio volé, enregistré au fond du club. Enfin, le morceau le plus « rap » de DIAMANTE s’inscrit dans l’obsession morbide américaine à vouloir faire parler les disparus : sur « Kill For This Shit », interprétation « rave » de l’énergie triomphale et menacante du rap sudiste, Gordo utilise un passage iconique du premier couplet de « Talking to My Scale » de Young Dolph, tragiquement assassiné en 2021. « Fast money, fast cars, I live for this shit / My young n*, man, they gon’ kill for this shit » : ce qui sonnera peut-être comme de l’arrogance ordinaire pour l’auditeur non-averti confère au morceau une puissance macabre et existentielle singulière, entre hommage au King of Memphis et constat simple et implacable de la violence folle qui a conduit à son meurtre. Face au soleil couchant, DIAMANTE fait à sa manière un bilan nostalgique de l’air du temps rap, comme on penserait à son travail sur un transat, ou à la mort sur le dancefloor.