Sidekicks

Il a toujours un peu fait ce qu’il voulait. Que ce soit pour sortir un album de rupture amoureuse, réaliser une prod’ avec une sirène de flics en boucle (et quelle prod’) ou sortir un morceau avec Katerine et MC Circulaire en honneur du club vendéen des Herbiers, Myth Syzer fait partie de ces producteurs du paysage rap français qui ne cessent de tenter pour ne pas se répéter. Et si possible, innover : c’est sans doute cette volonté qui explique la naissance de Try To Live, premier label du producteur originaire de La Roche Sur Yon. Dédié à pousser des jeunes artistes et des producteurs en devenir comme Syzer l’expliquait récemment, Try To Live se veut un tremplin pour une scène à la fois expérimentale et accessible dans le rap français. C’est exactement la sensation que l’on a avec « Bulletproof », première sortie du label et nouveau morceau du rappeur Khali. Composé par le producteur M4tick (lui aussi membre du label) et Myth Syzer, « Bulletproof » entrecroise le flow nonchalant de Loveni et la voix pincée du jeune bordelais, sur une production doucement synthétique et aérienne. Précis dans son exécution et à la fois accessible, le morceau s’écarte du piège du générique à l’écoute de la voix bien à part et des flows singuliers de Khali tandis que Loveni continue d’être lui même dans sa musique : parfaitement cool et distingué. Try To Live vient de naitre, longue vie à eux.

« J’me rappelle j’avais rien, j’traînais tous les jours dans l’bât 7 » : cette phrase introductive du morceau « Train de vie » de Koba LaD, additionnée à sa voix et aux images du clip, a rendu célèbre un simple bâtiment de la ville d’Évry (91). À l’image de l’entrée 113 de la cité Camille Groult à Vitry-sur-Seine, le bâtiment 7 du Parc-aux-Lièvres a cette particularité d’avoir vu grandir des rappeurs qui lui rendent constamment hommage dans leurs lyrics. Cette tour de béton construite sur une dalle au milieu de ses semblables est le sujet du nouveau documentaire réalisé par le média Streetpress. Après les répressions étatiques subies par les gilets jaunes, les journalistes s’attaquent à un sujet plus social qu’il n’y paraît. Le bât 7 n’est pas simplement un lieu qui a vu exploser plusieurs rappeurs en peu de temps – ce qui est en soi inédit –, il est devenu un symbole par tout ce qu’il représente aux yeux de ses habitants. Espace de vie, de partage, de souvenirs, mais aussi expérience architecturale, sociale et politique. Le lien qui unit les artistes à leur bâtiment ne laisse personne indifférent car il rappelle à chacun un attachement local. La future destruction de la dalle du Parc-aux-Lièvres racontée par ses résidents nous éclaire sur l’influence qu’elle a pu avoir dans leurs vies. Shotas, Famas, Bolemvan ou encore Kodes, ils ont tous mis un peu du bât 7 dans leur musique, créant ainsi un rap particulier et propre à leur zone de béton gris : « J’suis toujours au même endroit, le bâtiment 7 c’est la base / On change pas un empire qui graille, c’est grâce à eux si j’ai du cash. » Bolemvn.

« Abracadabra, j’réapparais ». L’entrée en matière de DixXxon (anciennement Dixon, mais un jeune chanteur a fait une OPA sur le nom) sur « Abracadabra » n’est pas un effet de manche poussif pour commencer un egotrip. Son premier morceau depuis quatre ans sorti sans annonce grandiloquente, « Abracadabra » est en effet un retour inattendu du rappeur de Seine-Saint-Denis, qui avait totalement disparu, comme par enchantement – sauf sur Instagram, mais les stories de musculations et les memes marrants, ça compte pas. Revenons à l’essentiel : sur « Abracadabra », DixXon est toujours aussi narquois, irrévérencieux, puéril (« Mes couilles sont les seules conceptions du couple que je concède aux filles »), parfois absurde. Quitte à revenir en n’étant plus vraiment attendu, DixXxon a décidé d’être la version la plus lui-même possible, à l’image des derniers morceaux qu’il avait lancés avant de disparaître. L’ambiance légèrement insensée du morceau doit aussi beaucoup à la production désaccordée signée Hits Alive, toujours amateurs de basses poisseuses et de synthés semblant sortir d’un immonde navet d’épouvante vintage ; c’est généralement le signe d’une prod réussie chez eux. La description de la vidéo indique : « extrait du projet à venir Symptôme Volume 2 ». Grande illusion ou boniment ? DixXxon l’assure sur Twitter : « Jvais essayer de pas revenir dans 6 mois ». En magie comme en musique, tout repose sur la crédulité ou non du public.

Cela faisait quelques temps que Godfather Don ne s’était plus illustré dans le rap. Figure incontournable de l’underground new-yorkais dans les années 1990, le MC/producteur avait en effet retrouver son nom civil, Rodney Chapman, pour bifurquer du côté du free jazz et officier en tant que saxophoniste soprano dans le groupe The Open Mind. C’est donc avec une certaine joie que l’on a appris son retour au micro, d’autant que celui-ci se fait dans le cadre d’une sortie commune avec le beatmaker français Parental. Le Parisien, coutumier des collaborations transatlantiques, avait signé l’an dernier l’agréable Supa Vill’n avec un autre vétéran new-yorkais, Horror City. Godfather Don et lui partagent l’amour des ambiances à la fois jazzy et crépusculaire. Leur rencontre fait donc indubitablement sens, tout comme le titre de leur projet (Osmosis). Les neufs pistes du disque offrent ce qui pouvait être attendu d’un tel duo : des egotrips pleins de maîtrise sur des productions chaleureuses et plaisantes. Mais on appréciera également la volonté d’aller vers des zones moins confortables pour les protagonistes, comme sur « Watchin’ You », morceau au tempo enlevé et au refrain chantonné par GFD. Osmosis est disponible en écoute sur YouTube (voir ci-dessous) et sur différentes plateformes, mais aussi en vinyle chez HHV.

En cette morne période, voici quelques suggestions de vidéos en accès libre à voir ou à revoir, dans différents registres (documentaires, interviews, concerts, etc.) et sur des thématiques larges, allant du rap français du début des années 1990 à la foisonnante scène marocaine actuelle, en passant par le deejaying et la trap.

 


The Making Of Netflix & Deal

Fin 2019, 03Greedo sortait par surprise l’un des meilleurs albums de l’année du rap américain (présent dans notre bilan annuel) en compagnie du producteur Kenny Beats. Détail important : au moment de la sortie du disque, Greedo était depuis un an et demi en prison, pour possession d’armes et de drogue. Comment créer en courant après le temps ? C’est exactement ce que raconte The Making Of Netflix & Deal, mini documentaire sur la conception de l’album quelques mois avant l’incarcération de Greedo, suivi de la finalisation du projet par Kenny Beats seul avec les invités en featurings. Durant les mois précédant son incarcération, Greedo a ainsi passé des nuits entières à enregistrer des morceaux (3 000 selon ses dires) pour continuer à sortir de la musique durant ses années derrière les barreaux. The Making Of Netflix & Deal raconte ce marathon musical : réalisé par l’équipe créative de Kenny Beats, le documentaire utilise des images enregistrées au caméscope en studio, ainsi que des appels téléphoniques avec Greedo depuis sa prison, pour revenir sur un disque réalisé dans des conditions inhabituelles. Avec, en toile de fond, un discours politique : celui qui pointe l’absurdité du système judiciaire américain, notamment à l’égard des populations les plus démunies comme l’évoque Greedo en fin de documentaire. Un témoignage autant musical que politique. – Brice


Paris 8, la fac hip-hop

Parmi les lieux légendaires de la genèse du hip-hop en France, il y en a un, jusqu’alors inconnu et insoupçonné : la très gauchiste Université Paris 8. De 1989 à 1992, avant même les États-Unis, elle fut le théâtre d’une expérimentation hors norme et devint rien de moins que la première faculté au monde à introduire le hip-hop dans une enceinte universitaire. Sous l’impulsion de quelques professeurs soixante-huitards – pour certains maoïstes – DJs, breakers, b-boys, graffeurs, rappeurs et rappeuses avaient la possibilité d’exercer leur art au sein de l’université, et pour certains même d’y enseigner, sans même avoir le bac. Sous conseil de Cristina Lopez, directrice artistique du café culturel de Saint-Denis, Pascal Tessaud sauve de la destruction un dernier carton d’archives vidéos du service audiovisuel. En les entrecroisant avec des interviews actuelles des acteurs de l’époque (le rappeur M’Widi, l’enseignant Jacky Lafortune, les Ladies Night, Driver, Sear), il documente, en dix épisodes de huit minutes, trois ans de parenthèse – loin d’être uniformément enchantée. La force du résultat est qu’il laisse percevoir toutes les tensions, les espoirs et les contradictions portés par une telle initiative. Le documentaire ne cède jamais à la nostalgie hagiographique : il aide à interroger encore aujourd’hui le statut des cultures populaires en France, leur enseignement, la démocratisation du savoir. Et laisse entrevoir la possibilité d’une tout autre université que celle qui se profile. – Manue


Comment Kanye est devenu une star du rap ?

Avant que Kanye West ne devienne un monstre de musique et de médias dont chaque parole est disséquée, il a été un gamin passionné, un étudiant dilettante puis un homme de l’ombre persévérant. Ce documentaire minutieux retraçant son ascension regorge de pépites. Même si vous êtes fan du bonhomme, il y a fort à parier que vous découvrirez des images et des extraits d’interviews ressortis des fonds d’Internet. Avec un travail de fourmi, cette vidéo de Majiim se penche sur les débuts de Kanye, entre les occasions manquées, les premiers placements d’instrus et les rencontres cruciales. En somme, ça pourrait être l’illustration du monologue à la fin de « Last Call », le morceau fleuve qui clôt The College Dropout, ce qui devrait suffire à vous donner envie de regarder. – David


Lost in Traplanta

Moitié du binôme Gasface – qui avait déjà réalisé un documentaire remarquable et à regarder sur le compositeur Galt MacDermot -, Mathieu Rochet en solo a réalisé une mini-série fictionnelle intitulée Lost in Traplanta. L’histoire est simple. Larry, jeune garçon bien intentionné, se fait larguer par sa copine. Pour la retrouver, il doit, à la demande de la jeune fille, reformer le duo le plus iconique d’Atlanta : OutKast. Dans sa quête quasi insurmontable, Larry se retrouve baladé dans l’esprit, la verve, la ferveur d’une ville bouillonnante et rythmée par les battements par minute de la trap musique. De scène en scène, Larry nous traîne dans les locaux de la Dungeon Family, revisite les fantômes de la crunk music, se frotte à l’énergie juvénile de la métropole sans oublier de faire un coucou à DJ Toomp, producteur de l’incroyable titre « U Don’t Know Me » du rappeur T.I.. Lost in Traplanta est un portrait drôle, touchant et respectueux d’une ville trop souvent mal comprise. – ShawnPucc


Get Busy : Solo, B-boy Madness

Ça commence par des réponses lapidaires et des silences un peu gênants de Solo après l’introduction de Muzul. Là, on se dit que les cinquante minutes d’émission peuvent être longues et qu’il va falloir tout l’esprit et le sens de la vanne acerbe de Sear et de son collègue pour donner de la vie à tout ça. Mais Solo, certes pas vraiment en proie à l’incontinence verbale, se détend au fur et à mesure et revient avec précision et humilité sur son CV très fourni : la danse dans H.I.P. H.O.P., le terrain vague de La Chapelle, le mannequinat, Assassin, La Haine, NTM, le jujitsu brésilien… Des éléments connus séparément mais qui, mis bout à bout, dessinent une trajectoire exceptionnelle. Et révèlent par la même une mentalité assez rare dans le milieu : plutôt que de jouer des coudes pour trouver une place sur le devant de la scène et capitaliser ensuite sur cette position, Solo a préféré vivre différentes expériences au gré de ses envies, quitte à souvent œuvrer dans l’ombre. Mettre ce parcours en lumière était nécessaire, merci à Get Busy de l’avoir fait. Mais ça ne s’arrête pas là : Solo annonce notamment un livre retraçant ses presque quarante années passées dans la culture hip-hop. Pour finir : il s’agit ici de Solo, mais nous aurions très bien pu vous parler des émissions de Get Busy avec MC Jean Gab’1, Stomy et Passi, David Dufresne ou Angelo Gopée. Tout ce que Sear et son équipe font vaut assurément le coup d’œil et d’oreille. – Kiko


Scratch

Si le documentaire sorti en 2001 s’intitule Scratch, il balaie en réalité un spectre beaucoup plus large et touche toutes les branches du deejaying. Certaines scènes sont devenues mythiques pour les turntablistes, qu’il s’agisse du monologue perché du patron du label Asphodel, ou encore DJ Shadow entouré de milliers de disques à la recherche de la perle rare. Scratch, c’est aussi l’occasion de revoir des grandes légendes de cette discipline, tel que le regretté Roc Raida d’X-Men, homme de battles et poseur de scratches sur des disques d’anthologie. Mais la vrai star de ce documentaire reste Grand Mixer DST pour son apparition sur « Rock It » d’Herbie Hancock, qui semble avoir été l’élément déclencheur pour nombre de DJs. Avec Scratch, Doug Pray a rendu hommage aux grandes figures du deejaying, mais a surtout souhaité raconter une histoire qui était alors en plein mouvement. En 2001, les tutntablistes étaient encore des stars. C’était juste avant que tout ceci ne devienne une niche pour connaisseurs : les dernières heures de l’apogée. – Bachir


Vince Staples Gets Real & Uncensored

Vince Staples est-il actuellement le meilleur rappeur américain en interview ? Cet entretien de 2017, réalisé dans le cadre de la promotion de son second album Big Fish Theory dans les studios de Hot 97 peut laisser penser que oui. Complètement décomplexée, la discussion entre le rappeur de Long Beach et la bande d’Ebro Darden (qui porte un hoodie du label parisien Don Dada Records, c’est à noter) dérive très vite du cadre de la promo pour parler de l’état du rap américain, du sens à donner à sa vie et de l’impact de la ségrégation sur les artistes afro-américains. Vince Staples y parle de manière libérée, drôle et piquante, classant cet entretien parmi les meilleurs de sa carrière. Une discussion libre et intelligente, à l’image de toutes les prises de parole de Staples, sur Twitter ou en interview. – Brice


Je rap donc je suis

À vrai dire, il est un peu difficile de comprendre où Philippe Roizès a voulu nous emmener avec Je rap donc je suis, diffusé en 1999 sur Arte. Il n’y a pas vraiment de fil rouge ou de continuité claire entre les différents segments. Mais il s’agit peut-être là d’une vision a posteriori, à une époque où les documentaires sur le rap foisonnent. Au tournant des siècles, c’était très certainement déjà une fin en soi de donner la parole à de jeunes artistes qui vendaient beaucoup de disques mais n’avaient que peu d’exposition médiatique. Et, une fois ces questionnements sur la finalité de tout ça laissés de côté, c’est un grand plaisir d’entendre ces témoignages d’époque de La Rumeur, de la Fonky Family, d’Imhotep et d’autres. Mais aussi de voir les premiers faits d’armes de Keny Arkana dans des ateliers d’écriture ou d’écouter des acteurs alors importants du rap français qui ont un peu disparu depuis, tels Yazid, le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), Mystik ou Namor. Voilà une pièce d’archive précieuse : merci à la personne qui l’a mise en ligne. – Kiko


I Was in The Black Eyed Peas. Then I Quit.

Avant que le groupe The Black Eyed Peas ne devienne un tsunami, un raz-de-marée, une tornade de niveau 5 avec deux touches de piano bien senties par David Guetta à la fin des années 2000 – et aussi beaucoup de travail et de persévérance -, l’équipe était à son origine composée de quatre membres : will.i.am, apl.de.ap, Taboo et Kim Hill. À l’époque, la demoiselle n’est personne, simplement une jeune femme pleine de vie, d’envie, qui sur un coup de tête achète un billet direction Los Angeles afin de poursuivre le rêve américain. Débrouillarde, elle monte dans le bus chaque jour à quatre heures du matin dans l’espoir de nouvelles opportunités. Elle s’essaye à des séances photos, décroche des apparitions furtives dans des séries télévisées pour cinquante dollars… Mais tous les soirs même constat : son assiette est vide. Un jour, par pur hasard, sa route croise celle de will.i.am. Les planètes s’alignent et Kim Hill vient compléter le cercle pour former le groupe The Black Eyed Peas. Les quatre lurons se mettent toute la scène indé de Los Angeles dans la poche. Toute l’industrie commence à s’intéresser au phénomène mais au moment où tout s’apprête à décoller, Kim Hill disparaît. Dans ce documentaire haletant du New York Times  avec une construction narrative adroite, Kim Hill est restée aux portes du succès mais son parcours méritait quelques éclaircissements. Modeste, honnête et sincère, avant Fergie, il y eut Kim Hill. Un bout d’histoire passionnant. – ShawnPucc


Why Zaytoven’s Legacy Will Live Forever

À lui tout seul, il représente une grande partie de la trap d’Atlanta : Zaytoven et ses pianos sont devenus en une dizaine d’années une référence dans la construction sonore du son rap des années 2010, aux côtés de Southside et de MetroBoomin quelques années plus tard. Une bonne occasion de se pencher sur le parcours atypique de ce fils de prêtre, qui a d’abord fait ses armes au piano le dimanche à l’église. Avant de faire une rencontre décisive qui va changer sa vie : alors qu’il est encore coiffeur dans la banlieue d’Atlanta, il fait la connaissance de Gucci Mane. Xavier Lamar Dotson va alors tout lâcher pour changer le son rap de l’époque. Toute une histoire que raconte Noisey, dans ce documentaire retraçant les origines de Zaytoven et son influence sur le rap américain. – Brice


Grünt Tour #1 : Casablanca & le rap marocain

Mise en lumière ces dernières années à l’international notamment grâce à des featurings avec des rappeurs hexagonaux – le collectif NAAR ayant grandement participé à cette exposition –, la scène rap du Maroc n’a dévoilé qu’une infime partie de ses talents. C’est au cœur de la capitale économique du Royaume que l’équipe de Grünt est allée à la rencontre de ces nouvelles voix, plus ou moins connues, mais tout aussi porteuses. Tagne, Shobee, SnowFlake, Damost, El Grande Toto et les autres, chacun de leur parcours est guidé par la passion et construit par la débrouille. Car si les millions de vues accumulées sur les chaînes YouTube de ces artistes marocains peuvent laisser croire à une industrie bien établie, il n’en est rien. C’est avec persévérance, structuration et originalité que les rappeurs casaouis ont réussi à faire reconnaître la richesse musicale de leur scène, imposant ainsi le darija (littéralement « usage courant ») comme une langue de rîmes et de flows, à l’instar de l’anglais et du français. À voir également : c’est avec la même curiosité et bienveillance que Jean Morel continue sa tournée à Bamako puis à Abidjan. – Ouafa


Jurassic 5 au Cabaret Vert

Rien ne paraît plus éloigné du contexte actuel qu’un moshpit dans une fosse surchauffée. La période est néanmoins propice à se construire une connaissance plus large du rap côté scène, d’autant que ce maudit COVID-19 risque également d’impacter la sacro-sainte période des festivals. Arte Concert a fait un sacré boulot au fil des années, diffusant des shows d’artistes très divers. Certains sont accessibles sur sa chaîne, d’autres non. Parmi les captations trouvables ailleurs, il y a celle de Jurassic 5 au festival Cabaret Vert en 2015. Les Californiens sont de véritables références en matière de performances live, à défaut de l’être sur disque diront les mauvaises langues. Leurs prestations scéniques révèlent un gros travail en amont et sont de formidables propositions quant à ce qu’un concert de rap peut être : l’enchaînement des morceaux est optimal, les interactions avec le public sont toujours dans le bon ton, les chorégraphies et les jeux autour des timbres de voix des MCs parfaits. Et puis il y a cet incroyable interlude mettant en scène les deux pointures que sont les DJs du groupe, Cut Chemist et Nu-Mark : une expérience en soi. Un véritable de shoot de bonne humeur. – Kiko

Phénomène de mode ou tendance durable, la UK drill se fait sa petite place dans le rap français. Si peu de rappeurs grand public se sont pour l’instant risqués à poser sur les rythmiques syncopées du genre (Kalash Criminel vient de tenter le coup avec succès il y a quelques jours) de plus en plus de jeunes visages du rap francophone s’approprient la chose depuis quelques semaines. On pense à SKG en 2018 mais aussi à Cheu-B plus récemment avec “Encore Une Malette”, Josué et son très bon “Argent Propre” (produit par A2H) et, surtout, à 1PLIKÉ140. Originaire de Clamart, le jeune rappeur fait en effet chauffer YouTube depuis la fin de l’année dernière avec ses freestyles essentiellement réalisés dans le genre. Une tendance qui se confirme avec son nouveau morceau “MAPESSA” : juvénile et à la fois arrogant, le gamin du 92 semble parfaitement cerner la structure des flows de la UK drill tout en l’adaptant à son rap en français. En ressort ainsi un sentiment de mélange plutôt que de copie (comme on peut encore beaucoup le voir chez d’autres) que ce nouvel essai confirme. À l’aise et inventif, le gamin semble ainsi parfaitement s’approprier les codes du genre pour petit à petit essayer d’en faire autre chose. Si on ne sait pas encore comment la UK drill s’installera (ou pas) en France, il faut bien reconnaître une chose : 1PLIKÉ140 en est actuellement son meilleur nouveau représentant. “MAPESSA” ne vient que confirmer la chose.

Au-delà de la performance visuelle et du vent de fraîcheur qu’ils apportent, les morceaux de Lous and the Yakuza sont plus profonds qu’ils n’y paraissent. La jeune Belge aime distiller des souvenirs personnels, des sentiments intérieurs, des messages universels et des notions historiques. Le nouveau titre de Lous, « Solo », est à l’image du combat humaniste mais pas utopique de Lous : un condensé d’abnégation.

« C’est à mon retour en Belgique à l’âge de 15 ans que je me suis rendu compte de ma condition de Noire, on était trois Noirs dans l’école. Surtout qu’un Noir qui vient d’Afrique [Lous est née en République démocratique du Congo et a ensuite vécu au Rwanda, NDLR] c’est différent d’un Noir qui est né en Europe. Je n’avais aucun code, je criais haut et fort d’où je venais parce que j’en étais contente, je kiffe trop mes racines. C’est beaucoup d’ignorance au début, un problème d’instruction, et à force d’éducation, de répéter les choses en boucle, c’est finalement entré. J’ai tellement de peine pour les gens qui me blessent, je leur donne tout ce que j’ai à donner, comme ça ils ne paraîtront plus jamais comme des gens bêtes. J’ai eu le pire du racisme, on m’a traité de « nègre » en pleine face, on m’a dit « je te déteste sale noire » et je répondais « moi je t’aime ». Ils attendent des réactions violentes alors que je prône l’amour H24. Le voie du pardon est une voie très complexe, ça demande beaucoup d’humanité. Il faut vraiment aimer pour pardonner, il faut avoir beaucoup d’amour dans son coeur. Il faut pardonner pour soi. »

Propos recueillis le 27 septembre 2019.

Alors qu’il commence doucement à sortir de son dojo de muay-thaï pour sortir de nouveaux morceaux, Karlito, décidément toujours le secret le mieux gardé de la Mafia K’1 Fry, pourrait bien revenir frapper quelques coups dans le sac du rap français cette année, cinq ans après son deuxième album solo, Impact. L’auteur du classique Contenu sous pression – enfin disponible en streaming depuis quelques mois – vient d’annoncer sur sa chaîne YouTube la future sortie d’un nouveau morceau. Les images du court extrait sont signées Tcho, dans le cadre d’une nouvelle structure du nom de PANAGŌN. « Une boîte de prod et com’ hybride qui sera destinée à créer, produire, réaliser, distribuer du contenu musical, audiovisuel et culturel, de la musique au long métrage en passant bien sûr par le documentaire », précise le clippeur et graphiste. Et si le récit façon intro de Liquid Swords de GZA suivi du court extrait de Syl Johnson, artiste souvent samplé chez le Wu, donnait quelques indications sur la couleur de ces futures productions entre ces deux hommes discrets ? Réponse le mois prochain, avec le premier extrait « Adrenaline rush » qui devrait sortira en digital mais aussi en maxi vinyle 33t édition limité, avec une esthétique à l’ancienne white label et sticker.

Quand Big Red arrivait en 1999 avec son premier solo Big Red-emption, il y avait dans les crédits une mention qui allait attiser la curiosité, « Réalisés par RUDLION ». Sept pistes des dix-neuf étaient produites par ce nom mystérieux. Et pas les plus maladroites.

Un son très marqué par un sens du groove, de la mélodie et une influence West Coast présente en filigrane. Des claquements à la DJ Quik et des sirènes étirées sur « Red-Emption », du funk gras et hypnotique sur « Spliff », agressif sur « Respect or Die II » et « Sur la parole », festif sur « Deenastyle ». Puis un sample bossa-nova de Quincy Jones (« Manha de Carnaval ») sur l’hispanisant « El dia de los muertos » et enfin une brise douce-amère usant de xylophone et d’un air suave de flûte sur « Riz-La ». Tout était parfait et le producteur faisait mouche à chaque fois. La curiosité allait être piquée à vif quand, dans une interview réalisée par le magazine Radikal la même année, le lecteur apprenait la mort brutale dudit Rud Lion et que, selon les quelques mots de Big Red sur le sujet (les souvenirs se sont un peu ébréchés avec les années), le lascar avait vécu une vie sulfureuse. Le contenu de cet entretien donnait le sentiment que, tôt ou tard, cela devait arriver. En 2019, vingt années plus tard, le superbe livre Le Rugissant  revenait sur la trajectoire incandescente de Marc Gillas alias Rud Lion. La légende urbaine se dévoilait sous la plume documentée et fine de Raphaël Malkin.

Le parcours artistique du Boucan, surnom donné dans l’ouvrage, est autant fourni qu’impressionnant : il fut clavier de Tonton David le temps de la tournée suivant son premier album Le Blues des Racailles, fondateur du label Ghetto Youth Progresss, chef d’orchestre de la compilation du même nom qui verra les premiers pas d’Expression Direkt, de Big Red ou encore Doudou Masta et qui compte surtout les premiers morceaux de Rud Lion en tant qu’interprète. Il est aussi acteur principal des Sound Systems de Paris, au clavier du succès « Ma petite entreprise » pour Alain Bashung pour lequel il ne sera pas crédité, ou encore défricheur d’un collectif venu de l’axe Orly-Choisy-Vitry (son secteur d’origine) nommé Mafia K’1 Fry.

En fouillant sur le web, ses productions se révèlent à l’image de ce que l’on trouvait sur l’album de Big Red. Le son que l’on pouvait entendre dans cette scène californienne du début des années 1990 se retrouve chez Rud Lion. Ce n’est pas par hasard qu’il aborde un sweater The Chronic ornée d’une feuille de chanvre sur l’une des rares photos d’archive où il figure. Ainsi « Mon Attitude », premier morceau où il apparaît vocalement en compagnie de Doudou Masta et de Black Blada, puise son énergie dans les productions musclées et agressives à mi-chemin entre les sonorités de la fin de NWA et du premier solo de Dr Dre. Il garde un pied dans le reggae avec « Kolbok» dont le propos colle  à la musique des artistes précitées. Ses morceaux pour Expression Direkt tiennent la même trame sur une série sans faute de trois morceaux. Le premier est « Mon esprit par en c… », dont la version originale est produite par Weedy (et visiblement co-produite par Rud Lion ?) et dont les remixes semblent être produits par les deux (les crédits sont un peu obscurs à vrai dire). Le deuxième, « Dealer pour survivre », apparaît dans la compilation inspirée du film La Haine, quand la version OG de « Mon esprit part en c… » apparaît directement dans une scène du film. Le troisième « La Roue tourne » figure sur la compilation L 432. Moins agressif, son morceau pour Melaaz en 1995 « Le seul remède » lorgne un Quik’s groove plus doux, lumineux et mélodieux et utilise le même gimmick sonore que David Blake sur « Dollaz and Sense » sorti la même année.

Rud Lion étalera également son savoir-faire de producteur sur l’intégralité de Le Bout du monde. Le premier album d’Expression Direkt sortira en 1998 mais aurait dû arriver plus tôt, repoussé du fait de l’incarcération de Marc. On y trouvera le plus gros succès d’Express D : le morceau « 78 » en compagnie de Big Red, encore lui, mais aussi « C’est du rekdi » morceau à la production minimaliste où le groupe de Mantes-La-Jolie étale un ego-trip de présentation saillant et nerveux. Doudou Masta bénéficiera également du talent musical de Rud Lion par deux fois sur des productions plus calmes et sereines. La première sur « Trop loin » traitant de l’amour d’une enfant subissant une séparation parentale et la deuxième sur « Même les plus fous » où des accords de cordes font vibrer les sentiments amoureux d’un cœur de pierre. Même si Marc Gillas n’apparaît pas vocalement sur ces derniers titres, les propos semblent habités par son personnage. Comme sur ce « S’l’heure » d’Expression Direkt où c’est encore ce sens de la mélodie sur des nappes de cordes, une voix pitchée, et des percussions rythmées qui renforcera les paroles dures du groupe traitant de la ligne fine entre la vie et la mort. Pour vous familiariser avec le Boucan côté musique, voici donc un florilège de ses productions dans la playlist suivante.

Quasi cinq ans d’absence, puis deux titres lancés soudainement au mois de février, ainsi fonctionne La Gale. Après « Acrimonium« , qui sera le nom de son prochain album à paraître en ce mois de mars, la rappeuse suisse a dévoilé « Mon Ombre ». Musicalement, les deux titres ne se ressemblent pas. Leur auteure le confiait d’ailleurs à nos consœurs de Madame Rap : « Les productions n’ont pas été faites par une seule personne, du coup ça crée des ambiances qui passent d’un univers à un autre. (…) Je suis à un âge où on ne sait pas trop de quel côté se placer dans le rap et puis je me suis dit « pourquoi faire un choix ? » J’avais juste envie d’être au plus proche de ce que je sais faire et ce que j’aime faire. » Effectivement, que le tissu sonore soit dépouillé sur une rythmique trap, ou qu’il soit un kick-snare aux notes synthétiques finement saturées, La Gale garde cette attitude à la fois belliqueuse et underground. Trafiquer le son, évoluer dans l’ombre, pratiquer le hors-piste et habiter les décombres, telle est la constance de la rappeuse. Quels que soient le rythme et les couleurs sonores, La Gale a bel et bien quelques beaux crachats en réserve. L’acrimonie proférée avec le sourire en coin, c’est ce qu’elle sait et aime faire.