Sidekicks

« Je parlais tout à l’heure de respect de l’auditeur, ce que fait DJ Duke en est un super exemple. Tu as un bel objet, superbement illustré par Gumo, et une vraie démarche artistique avec. » Voilà ce que disait Nikkfurie à L’Abcdr il y a quelques mois. Il était le dernier en date à avoir collaboré à la superbe série de maxi deux titres du DJ d’Assassin. Pour lui succéder en ce début de printemps, ce n’est personne d’autre qu’Oxmo Puccino qui se présente. Si le premier titre de l’objet, « Papaëlla », est du Oxmo tout craché pour ses jeux de mots et sa façon de manier la réalité de l’absence, c’est la seconde piste du disque qui est une véritable claque. Avec ses samples de dialogues issus du film Fresh, déjà exploités par d’autres rappeurs français, « La Rue du crime » est du très grand Black Popeye. Sur une production magnifique au piano cristallin, Ox’ crée de véritables visions sur la fascination des auditeurs pour les conséquences du désœuvrement. « Notre malédiction est donc leur divertissement » dit-il dans ce décor narratif qui a pourtant de redoutables allures de non-fiction. Quant à Fresh, le film avait été nominé à la quinzaine des réalisateurs en 1994. Nul doute qu’en 2020, dans les bilans de rap français, Oxmo et Duke y auront aussi leur place.

Quand au début de l’année E.One sort son second album en solo, il y prend soin de se définir, lui et les endroits qu’il affectionne. Sorte de frère jumeau de son prédécesseur William Blake, Datura Statera aurait cependant grandi plus loin de la ville que son aîné. Les grands espaces et la soif de voyage ne sont plus seulement intérieurs. Il y a un élargissement des perspectives dans ce disque où le rappeur de Première Ligne manie avec brio un entrelacement de références et de périodes, comme si le voyage dans le temps et l’espace se vivaient tel un kaleïdoscope. Honoré par un tissu boom bap de haute facture, de magnifiques samples pitchés, Datura Statera a des allures de concoction soulfull qui favorisent la quête personnelle et la remise en cause. Il suffit d’écouter le magnifique et tantrique « Équilibre » pour s’en convaincre. Quelques titres font néanmoins figure d’exception dans cette tracklist aux interludes végétales et animistes. Parmi eux ? « Les pharaons. » Produit par Ossama, mettant en scène les nouvelles divinités de la mondialisation pendant que « Zeus et Issa sont nassés comme de vulgaires canassons », E.One y interroge l’ordre mondial. C’est fait sans théorie du complot, sans triangle. Juste une cinglante mise en musique de l’impunité dont certains s’auréolent. « Ils ont tué les dieux, ils ne leur servaient plus à rien » dit le rappeur blanc-menislois désormais installé en Bretagne. Les marchands du temple sont observés, les sarcophages sont prêts, et c’est mis en image par Slob.

Ce ne sera pas la première fois, mais l’Abcdr aime faire des déclarations d’amour à Evidence. Après l’excellent – et même vital – Weather or not sorti début 2018, l’ancien Dilated People remet le couvert. Ça dure moins de trois minutes, ça n’annonce aucun « projet », et c’est du Mr Slow Flow pur jus tant c’est un condensé de ce qu’Ev’ fait de mieux. 174 secondes durant, il laisse couler ses pensées sur un instru qui évoque un état de demi sommeil. À contre-jour, il y défend une philosophie de vie dans un mélange d’aisance et d’humilité rare. Dans une sorte de rêverie consciente, Michael Peretta écrit ses propres mantras, déconstruit et désapprend tout doucement les certitudes qui peuplent l’extérieur, en appelle aux Freestyle Fellowships, et laisse les mots fleurir en slow-motion. Ça s’appelle « Unlearning » et c’est un morceau refuge.

Parmi les petits moments de grâce de 2019 que l’Abcdr a passé sous silence, il y a Haunted Gardens, le dernier album de Sadistik. Le rappeur de Seattle y dévoilait un concentré de romantisme vénéneux, de rap vaporeux et scarifié. Un disque dans la lignée d’une discographie régulière depuis 2008, et notamment à la hauteur de l’EP Phantom Limbs, forcément excellent puisque produit par Kno. De cet univers cicatriciel, parfois mystique et souvent très bien rappé, Sadistik extrait un nouveau morceau, « The Plague. » S’il est inutile de commenter la résonance particulière de ce mot en cette période, « the plague » se traduisant littéralement par « la peste », il est nécessaire de s’attarder sur ces trois minutes trente de rap. Lugubre, gothique et presque gothamesque tant ses mises en scène n’auraient pas dépareillé dans la plus sinistre des adaptations des bas-fonds d’un Batman, « The Plague » incarne tous les mantras de Sadistik. L’univers cinématographique et horrifique, lui qui dit être passionné par les films de David Fincher, Dario Argento ou encore Gaspard Noé. Le besoin de secouer textuellement et visuellement les gens, contrebalançant méchanceté, doutes et rancœur par des versets oniriques . Et enfin, il y a cette versatilité musicale, entre les incantations murmurées, à la limite de la psalmodie, et les envolées trap nerveuses. Cette capacité à mélanger un tissu musical ouaté à des lignes dures et sans complaisance, c’est probablement la meilleure raison de reparcourir les jardins hantés de l’œuvre du torturé de Seattle, avant la sortie de son EP Delirium, dont les extraits continuent à tomber au moment où ces lignes sont écrites.

Resté dans les mémoires pour une patte inimitable, soyeuse, et foutrement boom-bap avec Triptik, Drixxxé a été discret ces dernières années. Bien sûr, il y a eu quelques traces laissées par le producteur, parfois essentielles, comme ce mix de 2014 dédié au rap français et désormais retiré des plateformes. Évidemment, il y a aussi eu des remixes, les mixtapes Drixxxé is not a DJ, quelques rares productions placées à droite ou à gauche, et même McLUVIN, un groupe fondé avec une vieille connaissance de route des auteurs de Microphonorama : Gystere de Frer200. Un essai orienté un peu plus pop, mais toujours avec une grande soif des sons chauds, des rythmes qui tapent fort et d’escapades vers d’autres genres musicaux. N’est-ce pas de toute façon l’acolyte de Dabaaz et Black’boul qui disait en 2003 dans son home-studio : « la meilleure façon faire des bons morceaux, c’est d’écouter des vieux disques » ? Une chose qu’il confirme en 2020, avec NSFW. Sur ce premier album véritablement en solo – quoi que, certains invités y tiennent une place majeure, notamment de Dorothée is The Rodeo, Drixxxé crée une véritable bande originale. D’une durée de 35 grosses minutes, elle condense les influences de Drixxxé, qui navigue entre touche moderne et clins d’œil à des oldies. Avec une intro et une outro composée façon Alain Goraguer – le souvenir des Sextapes ne sont pas loin, des envolées qui touchent aussi bien à de l’électro dancefloor et des inspirations planantes dignes des frères Godfrey, l’ancien beatmaker de Triptik met en musique le bruit du cœur. Celui qui navigue des soirées surpeuplées à la solitude de son propre appartement, des regards enflammés trouvés en club aux désillusions à regarder droit dans les yeux le matin dans le miroir. Une mélancolie tissée dans une soie musicale dont Drixxxé a le secret. Elle transporte aussi bien d’une pointe d’érotisme que les frissons des descentes en solitaire. Les nuits ne sont jamais trop longues, les albums de Drixxxé non plus.

Il a toujours un peu fait ce qu’il voulait. Que ce soit pour sortir un album de rupture amoureuse, réaliser une prod’ avec une sirène de flics en boucle (et quelle prod’) ou sortir un morceau avec Katerine et MC Circulaire en honneur du club vendéen des Herbiers, Myth Syzer fait partie de ces producteurs du paysage rap français qui ne cessent de tenter pour ne pas se répéter. Et si possible, innover : c’est sans doute cette volonté qui explique la naissance de Try To Live, premier label du producteur originaire de La Roche Sur Yon. Dédié à pousser des jeunes artistes et des producteurs en devenir comme Syzer l’expliquait récemment, Try To Live se veut un tremplin pour une scène à la fois expérimentale et accessible dans le rap français. C’est exactement la sensation que l’on a avec « Bulletproof », première sortie du label et nouveau morceau du rappeur Khali. Composé par le producteur M4tick (lui aussi membre du label) et Myth Syzer, « Bulletproof » entrecroise le flow nonchalant de Loveni et la voix pincée du jeune bordelais, sur une production doucement synthétique et aérienne. Précis dans son exécution et à la fois accessible, le morceau s’écarte du piège du générique à l’écoute de la voix bien à part et des flows singuliers de Khali tandis que Loveni continue d’être lui même dans sa musique : parfaitement cool et distingué. Try To Live vient de naitre, longue vie à eux.

« J’me rappelle j’avais rien, j’traînais tous les jours dans l’bât 7 » : cette phrase introductive du morceau « Train de vie » de Koba LaD, additionnée à sa voix et aux images du clip, a rendu célèbre un simple bâtiment de la ville d’Évry (91). À l’image de l’entrée 113 de la cité Camille Groult à Vitry-sur-Seine, le bâtiment 7 du Parc-aux-Lièvres a cette particularité d’avoir vu grandir des rappeurs qui lui rendent constamment hommage dans leurs lyrics. Cette tour de béton construite sur une dalle au milieu de ses semblables est le sujet du nouveau documentaire réalisé par le média Streetpress. Après les répressions étatiques subies par les gilets jaunes, les journalistes s’attaquent à un sujet plus social qu’il n’y paraît. Le bât 7 n’est pas simplement un lieu qui a vu exploser plusieurs rappeurs en peu de temps – ce qui est en soi inédit –, il est devenu un symbole par tout ce qu’il représente aux yeux de ses habitants. Espace de vie, de partage, de souvenirs, mais aussi expérience architecturale, sociale et politique. Le lien qui unit les artistes à leur bâtiment ne laisse personne indifférent car il rappelle à chacun un attachement local. La future destruction de la dalle du Parc-aux-Lièvres racontée par ses résidents nous éclaire sur l’influence qu’elle a pu avoir dans leurs vies. Shotas, Famas, Bolemvan ou encore Kodes, ils ont tous mis un peu du bât 7 dans leur musique, créant ainsi un rap particulier et propre à leur zone de béton gris : « J’suis toujours au même endroit, le bâtiment 7 c’est la base / On change pas un empire qui graille, c’est grâce à eux si j’ai du cash. » Bolemvn.

« Abracadabra, j’réapparais ». L’entrée en matière de DixXxon (anciennement Dixon, mais un jeune chanteur a fait une OPA sur le nom) sur « Abracadabra » n’est pas un effet de manche poussif pour commencer un egotrip. Son premier morceau depuis quatre ans sorti sans annonce grandiloquente, « Abracadabra » est en effet un retour inattendu du rappeur de Seine-Saint-Denis, qui avait totalement disparu, comme par enchantement – sauf sur Instagram, mais les stories de musculations et les memes marrants, ça compte pas. Revenons à l’essentiel : sur « Abracadabra », DixXon est toujours aussi narquois, irrévérencieux, puéril (« Mes couilles sont les seules conceptions du couple que je concède aux filles »), parfois absurde. Quitte à revenir en n’étant plus vraiment attendu, DixXxon a décidé d’être la version la plus lui-même possible, à l’image des derniers morceaux qu’il avait lancés avant de disparaître. L’ambiance légèrement insensée du morceau doit aussi beaucoup à la production désaccordée signée Hits Alive, toujours amateurs de basses poisseuses et de synthés semblant sortir d’un immonde navet d’épouvante vintage ; c’est généralement le signe d’une prod réussie chez eux. La description de la vidéo indique : « extrait du projet à venir Symptôme Volume 2 ». Grande illusion ou boniment ? DixXxon l’assure sur Twitter : « Jvais essayer de pas revenir dans 6 mois ». En magie comme en musique, tout repose sur la crédulité ou non du public.

Cela faisait quelques temps que Godfather Don ne s’était plus illustré dans le rap. Figure incontournable de l’underground new-yorkais dans les années 1990, le MC/producteur avait en effet retrouver son nom civil, Rodney Chapman, pour bifurquer du côté du free jazz et officier en tant que saxophoniste soprano dans le groupe The Open Mind. C’est donc avec une certaine joie que l’on a appris son retour au micro, d’autant que celui-ci se fait dans le cadre d’une sortie commune avec le beatmaker français Parental. Le Parisien, coutumier des collaborations transatlantiques, avait signé l’an dernier l’agréable Supa Vill’n avec un autre vétéran new-yorkais, Horror City. Godfather Don et lui partagent l’amour des ambiances à la fois jazzy et crépusculaire. Leur rencontre fait donc indubitablement sens, tout comme le titre de leur projet (Osmosis). Les neufs pistes du disque offrent ce qui pouvait être attendu d’un tel duo : des egotrips pleins de maîtrise sur des productions chaleureuses et plaisantes. Mais on appréciera également la volonté d’aller vers des zones moins confortables pour les protagonistes, comme sur « Watchin’ You », morceau au tempo enlevé et au refrain chantonné par GFD. Osmosis est disponible en écoute sur YouTube (voir ci-dessous) et sur différentes plateformes, mais aussi en vinyle chez HHV.

En cette morne période, voici quelques suggestions de vidéos en accès libre à voir ou à revoir, dans différents registres (documentaires, interviews, concerts, etc.) et sur des thématiques larges, allant du rap français du début des années 1990 à la foisonnante scène marocaine actuelle, en passant par le deejaying et la trap.

 


The Making Of Netflix & Deal

Fin 2019, 03Greedo sortait par surprise l’un des meilleurs albums de l’année du rap américain (présent dans notre bilan annuel) en compagnie du producteur Kenny Beats. Détail important : au moment de la sortie du disque, Greedo était depuis un an et demi en prison, pour possession d’armes et de drogue. Comment créer en courant après le temps ? C’est exactement ce que raconte The Making Of Netflix & Deal, mini documentaire sur la conception de l’album quelques mois avant l’incarcération de Greedo, suivi de la finalisation du projet par Kenny Beats seul avec les invités en featurings. Durant les mois précédant son incarcération, Greedo a ainsi passé des nuits entières à enregistrer des morceaux (3 000 selon ses dires) pour continuer à sortir de la musique durant ses années derrière les barreaux. The Making Of Netflix & Deal raconte ce marathon musical : réalisé par l’équipe créative de Kenny Beats, le documentaire utilise des images enregistrées au caméscope en studio, ainsi que des appels téléphoniques avec Greedo depuis sa prison, pour revenir sur un disque réalisé dans des conditions inhabituelles. Avec, en toile de fond, un discours politique : celui qui pointe l’absurdité du système judiciaire américain, notamment à l’égard des populations les plus démunies comme l’évoque Greedo en fin de documentaire. Un témoignage autant musical que politique. – Brice


Paris 8, la fac hip-hop

Parmi les lieux légendaires de la genèse du hip-hop en France, il y en a un, jusqu’alors inconnu et insoupçonné : la très gauchiste Université Paris 8. De 1989 à 1992, avant même les États-Unis, elle fut le théâtre d’une expérimentation hors norme et devint rien de moins que la première faculté au monde à introduire le hip-hop dans une enceinte universitaire. Sous l’impulsion de quelques professeurs soixante-huitards – pour certains maoïstes – DJs, breakers, b-boys, graffeurs, rappeurs et rappeuses avaient la possibilité d’exercer leur art au sein de l’université, et pour certains même d’y enseigner, sans même avoir le bac. Sous conseil de Cristina Lopez, directrice artistique du café culturel de Saint-Denis, Pascal Tessaud sauve de la destruction un dernier carton d’archives vidéos du service audiovisuel. En les entrecroisant avec des interviews actuelles des acteurs de l’époque (le rappeur M’Widi, l’enseignant Jacky Lafortune, les Ladies Night, Driver, Sear), il documente, en dix épisodes de huit minutes, trois ans de parenthèse – loin d’être uniformément enchantée. La force du résultat est qu’il laisse percevoir toutes les tensions, les espoirs et les contradictions portés par une telle initiative. Le documentaire ne cède jamais à la nostalgie hagiographique : il aide à interroger encore aujourd’hui le statut des cultures populaires en France, leur enseignement, la démocratisation du savoir. Et laisse entrevoir la possibilité d’une tout autre université que celle qui se profile. – Manue


Comment Kanye est devenu une star du rap ?

Avant que Kanye West ne devienne un monstre de musique et de médias dont chaque parole est disséquée, il a été un gamin passionné, un étudiant dilettante puis un homme de l’ombre persévérant. Ce documentaire minutieux retraçant son ascension regorge de pépites. Même si vous êtes fan du bonhomme, il y a fort à parier que vous découvrirez des images et des extraits d’interviews ressortis des fonds d’Internet. Avec un travail de fourmi, cette vidéo de Majiim se penche sur les débuts de Kanye, entre les occasions manquées, les premiers placements d’instrus et les rencontres cruciales. En somme, ça pourrait être l’illustration du monologue à la fin de « Last Call », le morceau fleuve qui clôt The College Dropout, ce qui devrait suffire à vous donner envie de regarder. – David


Lost in Traplanta

Moitié du binôme Gasface – qui avait déjà réalisé un documentaire remarquable et à regarder sur le compositeur Galt MacDermot -, Mathieu Rochet en solo a réalisé une mini-série fictionnelle intitulée Lost in Traplanta. L’histoire est simple. Larry, jeune garçon bien intentionné, se fait larguer par sa copine. Pour la retrouver, il doit, à la demande de la jeune fille, reformer le duo le plus iconique d’Atlanta : OutKast. Dans sa quête quasi insurmontable, Larry se retrouve baladé dans l’esprit, la verve, la ferveur d’une ville bouillonnante et rythmée par les battements par minute de la trap musique. De scène en scène, Larry nous traîne dans les locaux de la Dungeon Family, revisite les fantômes de la crunk music, se frotte à l’énergie juvénile de la métropole sans oublier de faire un coucou à DJ Toomp, producteur de l’incroyable titre « U Don’t Know Me » du rappeur T.I.. Lost in Traplanta est un portrait drôle, touchant et respectueux d’une ville trop souvent mal comprise. – ShawnPucc


Get Busy : Solo, B-boy Madness

Ça commence par des réponses lapidaires et des silences un peu gênants de Solo après l’introduction de Muzul. Là, on se dit que les cinquante minutes d’émission peuvent être longues et qu’il va falloir tout l’esprit et le sens de la vanne acerbe de Sear et de son collègue pour donner de la vie à tout ça. Mais Solo, certes pas vraiment en proie à l’incontinence verbale, se détend au fur et à mesure et revient avec précision et humilité sur son CV très fourni : la danse dans H.I.P. H.O.P., le terrain vague de La Chapelle, le mannequinat, Assassin, La Haine, NTM, le jujitsu brésilien… Des éléments connus séparément mais qui, mis bout à bout, dessinent une trajectoire exceptionnelle. Et révèlent par la même une mentalité assez rare dans le milieu : plutôt que de jouer des coudes pour trouver une place sur le devant de la scène et capitaliser ensuite sur cette position, Solo a préféré vivre différentes expériences au gré de ses envies, quitte à souvent œuvrer dans l’ombre. Mettre ce parcours en lumière était nécessaire, merci à Get Busy de l’avoir fait. Mais ça ne s’arrête pas là : Solo annonce notamment un livre retraçant ses presque quarante années passées dans la culture hip-hop. Pour finir : il s’agit ici de Solo, mais nous aurions très bien pu vous parler des émissions de Get Busy avec MC Jean Gab’1, Stomy et Passi, David Dufresne ou Angelo Gopée. Tout ce que Sear et son équipe font vaut assurément le coup d’œil et d’oreille. – Kiko


Scratch

Si le documentaire sorti en 2001 s’intitule Scratch, il balaie en réalité un spectre beaucoup plus large et touche toutes les branches du deejaying. Certaines scènes sont devenues mythiques pour les turntablistes, qu’il s’agisse du monologue perché du patron du label Asphodel, ou encore DJ Shadow entouré de milliers de disques à la recherche de la perle rare. Scratch, c’est aussi l’occasion de revoir des grandes légendes de cette discipline, tel que le regretté Roc Raida d’X-Men, homme de battles et poseur de scratches sur des disques d’anthologie. Mais la vrai star de ce documentaire reste Grand Mixer DST pour son apparition sur « Rock It » d’Herbie Hancock, qui semble avoir été l’élément déclencheur pour nombre de DJs. Avec Scratch, Doug Pray a rendu hommage aux grandes figures du deejaying, mais a surtout souhaité raconter une histoire qui était alors en plein mouvement. En 2001, les tutntablistes étaient encore des stars. C’était juste avant que tout ceci ne devienne une niche pour connaisseurs : les dernières heures de l’apogée. – Bachir


Vince Staples Gets Real & Uncensored

Vince Staples est-il actuellement le meilleur rappeur américain en interview ? Cet entretien de 2017, réalisé dans le cadre de la promotion de son second album Big Fish Theory dans les studios de Hot 97 peut laisser penser que oui. Complètement décomplexée, la discussion entre le rappeur de Long Beach et la bande d’Ebro Darden (qui porte un hoodie du label parisien Don Dada Records, c’est à noter) dérive très vite du cadre de la promo pour parler de l’état du rap américain, du sens à donner à sa vie et de l’impact de la ségrégation sur les artistes afro-américains. Vince Staples y parle de manière libérée, drôle et piquante, classant cet entretien parmi les meilleurs de sa carrière. Une discussion libre et intelligente, à l’image de toutes les prises de parole de Staples, sur Twitter ou en interview. – Brice


Je rap donc je suis

À vrai dire, il est un peu difficile de comprendre où Philippe Roizès a voulu nous emmener avec Je rap donc je suis, diffusé en 1999 sur Arte. Il n’y a pas vraiment de fil rouge ou de continuité claire entre les différents segments. Mais il s’agit peut-être là d’une vision a posteriori, à une époque où les documentaires sur le rap foisonnent. Au tournant des siècles, c’était très certainement déjà une fin en soi de donner la parole à de jeunes artistes qui vendaient beaucoup de disques mais n’avaient que peu d’exposition médiatique. Et, une fois ces questionnements sur la finalité de tout ça laissés de côté, c’est un grand plaisir d’entendre ces témoignages d’époque de La Rumeur, de la Fonky Family, d’Imhotep et d’autres. Mais aussi de voir les premiers faits d’armes de Keny Arkana dans des ateliers d’écriture ou d’écouter des acteurs alors importants du rap français qui ont un peu disparu depuis, tels Yazid, le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), Mystik ou Namor. Voilà une pièce d’archive précieuse : merci à la personne qui l’a mise en ligne. – Kiko


I Was in The Black Eyed Peas. Then I Quit.

Avant que le groupe The Black Eyed Peas ne devienne un tsunami, un raz-de-marée, une tornade de niveau 5 avec deux touches de piano bien senties par David Guetta à la fin des années 2000 – et aussi beaucoup de travail et de persévérance -, l’équipe était à son origine composée de quatre membres : will.i.am, apl.de.ap, Taboo et Kim Hill. À l’époque, la demoiselle n’est personne, simplement une jeune femme pleine de vie, d’envie, qui sur un coup de tête achète un billet direction Los Angeles afin de poursuivre le rêve américain. Débrouillarde, elle monte dans le bus chaque jour à quatre heures du matin dans l’espoir de nouvelles opportunités. Elle s’essaye à des séances photos, décroche des apparitions furtives dans des séries télévisées pour cinquante dollars… Mais tous les soirs même constat : son assiette est vide. Un jour, par pur hasard, sa route croise celle de will.i.am. Les planètes s’alignent et Kim Hill vient compléter le cercle pour former le groupe The Black Eyed Peas. Les quatre lurons se mettent toute la scène indé de Los Angeles dans la poche. Toute l’industrie commence à s’intéresser au phénomène mais au moment où tout s’apprête à décoller, Kim Hill disparaît. Dans ce documentaire haletant du New York Times  avec une construction narrative adroite, Kim Hill est restée aux portes du succès mais son parcours méritait quelques éclaircissements. Modeste, honnête et sincère, avant Fergie, il y eut Kim Hill. Un bout d’histoire passionnant. – ShawnPucc


Why Zaytoven’s Legacy Will Live Forever

À lui tout seul, il représente une grande partie de la trap d’Atlanta : Zaytoven et ses pianos sont devenus en une dizaine d’années une référence dans la construction sonore du son rap des années 2010, aux côtés de Southside et de MetroBoomin quelques années plus tard. Une bonne occasion de se pencher sur le parcours atypique de ce fils de prêtre, qui a d’abord fait ses armes au piano le dimanche à l’église. Avant de faire une rencontre décisive qui va changer sa vie : alors qu’il est encore coiffeur dans la banlieue d’Atlanta, il fait la connaissance de Gucci Mane. Xavier Lamar Dotson va alors tout lâcher pour changer le son rap de l’époque. Toute une histoire que raconte Noisey, dans ce documentaire retraçant les origines de Zaytoven et son influence sur le rap américain. – Brice


Grünt Tour #1 : Casablanca & le rap marocain

Mise en lumière ces dernières années à l’international notamment grâce à des featurings avec des rappeurs hexagonaux – le collectif NAAR ayant grandement participé à cette exposition –, la scène rap du Maroc n’a dévoilé qu’une infime partie de ses talents. C’est au cœur de la capitale économique du Royaume que l’équipe de Grünt est allée à la rencontre de ces nouvelles voix, plus ou moins connues, mais tout aussi porteuses. Tagne, Shobee, SnowFlake, Damost, El Grande Toto et les autres, chacun de leur parcours est guidé par la passion et construit par la débrouille. Car si les millions de vues accumulées sur les chaînes YouTube de ces artistes marocains peuvent laisser croire à une industrie bien établie, il n’en est rien. C’est avec persévérance, structuration et originalité que les rappeurs casaouis ont réussi à faire reconnaître la richesse musicale de leur scène, imposant ainsi le darija (littéralement « usage courant ») comme une langue de rîmes et de flows, à l’instar de l’anglais et du français. À voir également : c’est avec la même curiosité et bienveillance que Jean Morel continue sa tournée à Bamako puis à Abidjan. – Ouafa


Jurassic 5 au Cabaret Vert

Rien ne paraît plus éloigné du contexte actuel qu’un moshpit dans une fosse surchauffée. La période est néanmoins propice à se construire une connaissance plus large du rap côté scène, d’autant que ce maudit COVID-19 risque également d’impacter la sacro-sainte période des festivals. Arte Concert a fait un sacré boulot au fil des années, diffusant des shows d’artistes très divers. Certains sont accessibles sur sa chaîne, d’autres non. Parmi les captations trouvables ailleurs, il y a celle de Jurassic 5 au festival Cabaret Vert en 2015. Les Californiens sont de véritables références en matière de performances live, à défaut de l’être sur disque diront les mauvaises langues. Leurs prestations scéniques révèlent un gros travail en amont et sont de formidables propositions quant à ce qu’un concert de rap peut être : l’enchaînement des morceaux est optimal, les interactions avec le public sont toujours dans le bon ton, les chorégraphies et les jeux autour des timbres de voix des MCs parfaits. Et puis il y a cet incroyable interlude mettant en scène les deux pointures que sont les DJs du groupe, Cut Chemist et Nu-Mark : une expérience en soi. Un véritable de shoot de bonne humeur. – Kiko