Sidekicks

Zikxo est de l’école de ceux qui kickent sans compter, rappent au kilomètre sans être essoufflé, tombent pile sur la caisse claire, de la première seconde à la onzième minute. Après un album, Temps, et une courte pause, il reprend sa série de freestyle entamée il y a deux ans et demi. Le trente-deuxième s’ouvre sur une voix de documentaire animalier, en écho à son surnom et au titre d’un EP (« Zykyenne »), non sans rappeler l’outro de « Tallac » (tirée du dessin-animé préféré de MC Jean Gab’1) : les hyènes victorieuses veulent « être les seules à pénétrer le territoire des Hommes » – là où dans l’intro de Panthéon, l’ours solitaire préfère « s’exiler dans un endroit où les Hommes ne vont jamais ». Zikxo a le flow des meutes conquérantes. Rythmiques sèches, boucle qui aurait pu être tirée d’un titre de Hugo TSR, il se distingue toujours de la scène actuelle par son imprégnation aux classiques et oubliés du rap français – « nique la concu, les cainris ». Pour celles et ceux qui auraient zappé ses débuts, c’est l’occasion d’écouter, entre autres, son remix de #JeSuisPasséChezSo épisode 10  (« c’est pour les frérots, c’est pour les Théo, qui au comico rêveraient d’inverser les rôles ») et sa démonstration technique, pleine d’intonations rohffiennes, sur une face B d’Obie Trice .

Depuis ses débuts en 2016, MadeinTYO porte le costume d’espoir du rap US dont on a du mal à évaluer la trajectoire. D’abord révélé par le tube « Uber Everywhere » (qui l’a emmené jusque sur la couv’ des XXL Freshmen de 2017) Malcolm Jamaal Davis avait jusque ici quelques difficultés à se détacher de son étiquette de one hit wonder, presque submergé par l’emballement immédiat autour des trois minutes de son premier morceau. Quatre années plus tard, le natif d’Atlanta semble finalement prêt à montrer qu’il vaut plus que des millions de vues sur YouTube : ces derniers mois, on l’a d’abord vu réaliser une apparition de haute volée sur l’abrasif « Move Ya Hips » en compagnie de A$AP Ferg et Nicki Minaj, avant de dévoiler ce vendredi Never Forgotten. Et là où son dernier album manquait de consistance (Sincerely Tokyo, 2018) ce nouvel essai est lui une (très) bonne surprise : tout au long de Never Forgotten, MadeinTYO garde le charme initial de sa musique, un rap synthétique et rebondissant, proche de ce que peuvent faire un Playboi Carti ou un Lil Uzi Vert, tout en lui donnant une véritable épaisseur. Fun et à la fois riche musicalement, le gameboy rap de TYO croise ainsi des invités de divers horizons (Cam’ron, J Balvin, Chance The Rapper, Young Nudy…) tandis que sa musique s’essaye à des influences électroniques (« Money Up » avec Toro Y Moi) soul (« Coogi Shorts For The Summer » avec BJ The Chicago Kid) ou même pop (« All I Need ») le tout passés à la moulinette Soundcloud rap. Le résultat d’une collaboration approfondie avec son producteur attitré, K Swisher, qui se révèle ici en tant que producteur aux multiples idées. Si on attendait honnêtement peu de choses de MadeinTYO jusqu’ici, force est de constater qu’il va falloir retourner nos vestes : Never Forgotten est sans doute la belle surprise de cette fin d’année.

Un an après la sortie de L’Obsession Rap, l’Abcdr du Son décline son livre en un jeu de société : 800 questions et 90 défis voilà ce qui attend les passionnés de rap français, des plus novices aux plus pointilleux.

D’avantage encore que son aîné sorti l’an dernier, L’Obsession Rap (le jeu!) est conçu autant avec une volonté encyclopédique qu’une volonté de voyager dans le temps. Trois types de parties sont proposées, afin de balayer plus de trente années de rap français. Parcourir ses connaissances de 1990 à 2020 ? S’affronter entre générations ? Mettre les jeunes au défi de connaître le rap d’hier, et les vieux celui d’aujourd’hui ? L’Obsession Rap donnera toute sa légitimité aux éternelles battles entre puristes attachés au bon vieux temps et jeunes fans pour qui l’année 2009 est déjà la préhistoire. L’Abcdr peut-il réconcilier enfin les générations du rap français ? Pas sûr, mais ça vaut le coup d’essayer. Car après tout garçon, old school ou new school, là n’est pas la question.

Ludique mais exigeant, L’Obsession Rap permet d’explorer, encore et toujours, les petites et grandes histoires du rap français, comme l’Abcdr du Son le fait chaque semaine depuis 20 ans. Le jeu sera disponible ce mercredi 4 novembre. Et comme ce sera vraisemblablement la seule chose qui aura le droit de sortir ce jour-là, voici l’occasion parfaite de passer un bon moment à la maison – ou sur Zoom – pour tester, parfaire, et peut-être même étaler votre culture rap français.

L’Obsession Rap, le jeu, en magasin :

2020 est une année particulière pour C.Sen, puisqu’elle correspond aux 10 ans de son premier disque solo. En 2010, Correspondances avait été une belle claque de 18 titres, qui singularisaient les acquis de l’aventure 75018 BeatStreet. Errances nocturnes, humeurs vaporeuses, regard aussi acéré que faussement désabusé sur le monde, le C.Sen balançait son premier parpaing. Depuis, deux albums et une valeureuse mixtape (Kick’nRun) ont suivi. Le dernier en date, Vertiges, concentrait une nouvelle fois des associations d’idées noires, des heures de déambulation et des soliloques avertis. L’idée de transformer le sale en beau était au cœur de ce disque, faussement doux, d’une hauteur détachée qui n’empêchait pas une gravité palpable. Et alors que son auteur prépare de nouveaux titres, s’offre de belles escapades improvisées avec le guitariste Toni Rizzotti et le producteur Rémo, un clip jusque-là non diffusé de Vertiges a refait surface des dernières semaines. C’est celui de « Vivre », un plan séquence d’une simplicité efficace, qui rend hommage à ce que Pierre Cesseine fait de mieux depuis 2010 : « Ressembler à personne, en ayant l’air de tout le monde ». En attendant la suite !

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Bientôt un nouveau projet avec un producteur mythique. En attendant voici une vidéo réalisée par @rolag quand on sortait l album précédent on ne l'a jamais diffusée parce qu'on ne trouvait pas sa place par rapport à la série avec ma tête dans toutes les matières et j en avais marre de me voir faire des playbacks du coup elle était restée dans un disque dur et oubliée. Merci à mon frérot. Dar.c de m'avoir rappelé son existence. Bonne journée. #vertiges #monstersintheclosets le son est de Keno et @dax comme tout cet album. ps du coup on a pas corrigé quelques fautes comme "oubliées" sorry... #hiphop #rap #clip #monstersintheclosets #beatstreet #75018 #graffiti #culture

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Photographie de une : @HarfeVisual

Il y a des rappeurs qui proposent des disques sans surprises, mais d’une efficacité remarquable. Andy Cooper est de ceux-là. Inutile d’imaginer l’ancien MC d’Ugly Duckling pencher vers la trap, le cloud-rap, ou rechercher une quelconque crédibilité de rue. Depuis près de 25 ans, Andy est tourné vers le rap positif, fun et funk, celui de ceux qui ont biberonné à Grand Master Flash, The Furious Five, ou encore De La Soul et Digital Underground. Apôtre de valeurs hip-hop qui peuvent sembler désuèttes aujourd’hui, amateur d’un second degré aussi moqueur que rempli d’autodérision, le MC originaire de la face joyeuse et cocasse de Long Beach propose aujourd’hui L.I.S.T.E.N. Et comme prévu, ce troisième disque solo n’étonnera aucun de ceux qui connaissent déjà Andy. Quant aux autres, ils découvriront cette étonnante aptitude à faire un son frais avec des codes musicaux vieux comme Afrika Bambaataa. Basses rondelettes et vibrionantes, alternance de samples piochés tantôt en guise d’hommages, tantôt dans un puits sans fond approuvé par Cut Chemist, et flows avec option turbo intégrée peuplent cet album pompeusement nommé (L.I.S.T.E.N étant l’acronyme pour Lyrical Innovation Supplying The Ear’s Need) mais diablement mené. Entre voyage dans le temps et intemporalité hip-hop, Andy Cat est tout sauf dans l’air du moment, mais bel et bien dans l’héritage. Comme un (grand) gamin qui met un joyeux bordel chez le notaire.

Il y a parfois une magie à préparer certaines interviews : par rebond, elles font renouer le contact avec des carrières qui semblaient pourtant appartenir à un autre temps. C’est ainsi qu’en travaillant sur l’entretien – dont la parution devrait avoir lieu en novembre – d’un DJ européen habitué à la perfide Albion, il est apparu qu’une des légendes du rap d’outre-manche avait repris du service. Après la faillite totale de sa structure de production et des dettes jusqu’au cou mettant en danger sa vie personnelle, Blade s’était retiré du circuit. Puis il y avait eu un second coup de grâce, encore plus cruel : la mort de l’un de ses plus précieux producteurs, Mark B, un jour de nouvelle année. Mais voilà, Blade est de ces rappeurs teigneux et tenaces, symboles d’un activisme déterminé et d’un sens aiguisé de la survie. Avec le label Boot Record et l’aide de son proche ami DJ Jazz T, l’underdog du rap anglais a d’abord exhumé deux inédits fin 2019. « Dark Friends » et « Make it Connect » sont de véritables archives, revisitées avec brio puisque « Make it Connect » n’existait par exemple plus que sur une seule K7 aux bandes fatiguées, dupliquée dans un studio en 1997. Toujours avec ce sens d’un boom-bap sombre, rugueux et débrouillard, l’auteur de plans bien préparés et exécutés a quelques mois plus tard publié un nouveau titre, histoire de bien sceller son retour. Intitulé humoristiquement « Fuck the fans » en hommage à son parcours et à la capacité de son public à lui garder la tête hors de l’eau, Blade excelle sur une production de Seek the Northerner. C’est à l’image de ses grandes heures en compagnie de Mark B et de prestigieux DJ anglais (et parfois belges !) puisque ces trois minutes sont complétées par des scratches de DJ Woody. De cette rencontre entre Blade, le vétéran, et la relève, incarnée par Seek the Northerner, il y a une sorte de célébration de l’underground anglais qui se dégage, ne serait-ce qu’en abordant les hauts et les bas de l’un de ses plus anciens et prestigieux MCs. À l’heure où la drill UK est dans toutes les bouches, ce petit morceau d’histoire et de rencontre générationnelle est précieux pour compléter le puzzle rap d’un pays qui a tout de même inventé ce son si particulier qu’est le britcore. Ça tombe bien, Blade en était l’un des plus farouches fers de lance.

Si toutes les lumières sont braquées sur Marseille et sa Bande Organisée, il y a dans la capitale un « Underdog » qui brille dans l’ombre et agit (presque) en solo. Présent depuis quelques années maintenant, coupable notamment du très bon Fusion ultime en 2018 avec Dr. Kimble, Ockney vient de sortir Best Kept Secret. Treize titres d’une bonne trentaine de minutes conçus entre 2019 et 2020, et où le slow flow façon Evidence du Parisien est réglé au millimètre sur des productions donnant dans le son crade new-yorkais bouillonnant actuellement. L’influence Griselda se fait sentir sur l’ossature de la tracklist, bien accompagnée par Just Music Beats, Didaï (derrière un impressionnant « Colis piégé »), Spezial Beats, Get Large, Jerrican Beats et Kluzz. Ockney reste en famille aussi avec les featurings : Ron Brice, Dr. Kimble, Freez, Double Zulu et Hemo Hemess. Samples de The Wire, rap jusqu’à l’amour (« J’m’inspire du rap outre-atlantique/ mais j’ai toujours fait passer l’amour avant le fric »), piques aux haters et aux « zumbas », Ockney monte encore son niveau d’un cran, jouant sur le même parquet que d’autres as du slow flow français comme Perso, auteur de l’excellent Chambre noire en début d’année (avec Just Music Beats à la production), ou Veust, invité flamboyant d’Akhenaton ce dernier printemps sur « O’Straniere ». D’ailleurs, pour eux aussi, c’était avec la participation de Just Music Beats.

Il règne une atmosphère de résurrections joyeuses à Marseille en ce mois d’octobre. La cause ? La poussette de Jul, 13 organisé, sortie vendredi dernier, dont l’un des effets quasi-magique fut de redonner voix à plusieurs tauliers du rap de la ville. Alors que, le mois des vingt ans de Mode de vie… béton style, le Rat Luciano régale le pays de 16 la chair à vif, dans la lignée des pépites livrées pour « #MarseilleAllStar Episode 3 » (YL) ou « Roule avec nous » (Numbers) en 2016-2017 et que L’Algérino rappelle qu’il était bien plus Brooklyn que cabaret au début des années 2000, on retrouve aussi Stone Black, l’un des MC’s du groupe Carré Rouge, poser sur « L’étoile sur le maillot » et « Tout a changé ».

Et ce dernier, dans une interview donnée au journaliste de La Marseillaise Philippe Amsellem, annonce que Jazzy Jazz, Manolo et lui-même travaillent sur un nouvel album. La ligne directrice ? Peaufiner « un style Carré rouge, avec l’identité Carré Rouge et les sonorités actuelles ». Connu pour ses paroles réalistes et engagées, sa patte new-yorkaise à l’ancienne, le groupe suscite une certaine curiosité en affirmant se confronter aux « sonorités actuelles »… Pone de la Fonky Family a déclaré hier sur son fil Facebook, dans une critique personnelle et apaisante de 13 organisé, que des anciens auraient « (re)goûté aux paillettes » à cette occasion, promettant « quelques surprises »… Le retour de Carré Rouge est peut-être la première d’entre elles. En attendant, il est possible d’entendre Stone Black, tout de Stone Island vêtu, sur une prod convenant aux petits comme aux grands, asséner avec classe : « respecte-moi il y a des chances que ta daronne c’était ma groupie », dans le deuxième clip de la compilation.

Il y a 18 ans sortait Phantazmagorea du DJ Californien D-Styles. Membre des collectifs légendaires que sont les Beat Junkies et les Invisbl Skratch Piklz, D-Styles avait en 2002 traumatisé la scène de la scratch music. L’album, entièrement conçu à base de scratches, frappe encore aujourd’hui pour deux choses : la maîtrise technique de Dave Cuasito et la noirceur de sa tracklist. Devenu objet culte, le disque sorti sur le label des Beat Junkies n’était désormais trouvable qu’en échange d’un bon billet. Le label italien Aldebaran Records, s’est chargé de corriger cette anomalie en proposant une réédition de luxe composée de trois LPs (là où la version originale n’en comportait que deux). Remasterisé et gratifié d’un bonus qui n’est autre que la banque de son utilisée par D Styles lors de sa tournée, voici le contenu de ce troisième disque qui est la quintessence du « breusson » version scratch. De quoi accompagner à merveille les nuits d’insomnie, voire même les plus esthétiques cauchemars, comme le prouve le clip du mythique titre « Clifford’s Mustache », sorti 18 ans après sa parution. Tout juste majeur, et c’était bien le minimum vu les images.

Qui y’a-t-il derrière le « nous » du rap français ? Pour répondre – entre autre – à cette question, le sociologue Karim Hammou, auteur d’une Histoire du rap en France, parle d’une « esthétique des visages ».  Du « monde de demain » de NTM à la « Mauvaise journée » de Jul, en passant par « A chaque jour suffit sa peine » (Nessbeal), les clips de rap affectionnent cette technique filmique qui consiste à faire se succéder non pas le seul visage du rappeur, mais une multitude de traits, irréductiblement singuliers, vieux, femmes, enfants… Les paroles résonnent au-delà des lèvres qui les ont prononcées, elles sont celles de tout le monde : le voisin, la fille croisée dans le bus, le fervent supporter du virage nord, le partenaire de five sur le citystade, la mère fatiguée… S’il y a bien un rappeur qui incarne cette idée dans sa musique, ses paroles et ses clips, c’est le rappeur du 13e arrondissement de Marseille, Relo, à l’image de son émouvant remix de « Demain c’est loin » (Face B, 2019). Ou encore, de son « Marseille en vrai » dont une version remixée a été mise à l’honneur par des tauliers tels R.E.D.K, Keny Arkana, Kalash l’Afro et Dibson en 2018. Ces dernières années, il est rarement le protagoniste principal de ses clips. Relo « représente », c’est tout. Sa ville et surtout ses habitant.es, dont on devine, au détour d’une rime ou d’un plan, les trajectoires banalement mouvementées. Sa loyauté va au réel, sans fantasme ni complaisance, ne sortant ni les kalashs ni les parasols. Rien d’étonnant à ce que quelqu’un comme Soso Maness l’invite à son Planète Rap et apparaisse dans plusieurs de ses clips. Très prolifique, l’égérie du rap sous-terrain de la cité phocéenne, a décidé d’accélérer le rythme de ses sorties après son solide et sérieux Plume 13. Et comme pour montrer que ses œuvres ne sont jamais qu’à lui, mais faites pour être appropriées par tous, il lance ce mardi treize vignettes d’une minute où à chaque fois, un acteur de la scène marseillaise commente une de ses punchlines. Celles-ci seront publiées depuis la page facebook de nos confrères de 90bpm et sur celle de l’artiste, à raison d’une par jour, du 6 au 19 octobre. A ces vignettes, Napo ajoute une foule d’autres surprises : clips, mixtapes à venir tout au long de l’automne. A suivre de près, pour tous les amoureux de rap, de Marseille, ou des deux.