Sidekicks

C’est une évidence qui a été maintes fois répétée : la scène bucco-rhodanienne a redoré son blason en 2020. Principalement grâce à Jul et sa Bande organisée qui a réuni quatre générations de rappeurs phocéens autour de lui. Ils le diront même en interview, les absents de la compilation ont eux aussi profité du coup de projecteur. Si le public attend prochainement les livraisons de Keny Arkana et de Carré Rouge, il peut d’ores et déjà ronger son frein avec ce petit EP sorti de nulle part : Cristalline noire de Bigash. Apparu sur SoundCloud toute fin 2020, Cristalline noire est hivernal et les placements du rappeur ont plus à voir avec l’école du dix-huitième arrondissement Parisien (un s/o à Befa bienvenue sur « Cheville ouvrière ») qu’avec l’argot du Sud. À en croire la fin de « Perdant magnifique », il aurait même presque une dent contre la scène et le public local, avant de contraster ses propos en scratchant Sameer Ahmad et La Fonky Family.

Bigash surprend par un rap propre et une écriture pointilleuse. Si le flow du rappeur de 24 ans est monocorde, il sied parfaitement à l’ambiance pluvieuse et aux productions tristes et riches de son partenaire Avak. Que ce soit sur le piano classique de « Cours élémentaire » ou sur les nappes brumeuses de « Cheville ouvrière ». Le spleen qui émane des six titres fait penser à du Psykick Lyrikah de 2002 et sur « Soleil gris », le duo s’envole tout doucement derrière un chant murmuré où l’espoir se fait mince, côtoyant les meilleurs blues d’un autre duo, Essonnien cette-fois ci.  Une distance certaine avec la tendance, une technique maîtrisée au service de textes complexes, une atmosphère de saison singulière, Cristalline noire est un très bon premier jet d’une originalité vivifiante qui demande plusieurs écoutes pour en saisir toute l’essence. Il inscrit en plus les noms de Bigash et Avak dans la liste des artistes à surveiller.

S’il fallait déterminer le dernier morceau un tant soit peu marquant de 50 Cent, les chiffres répondraient « I’m The Man », le cœur rétorquerait « Funeral », la raison quant à elle trancherait avec « Big Rich Town ». Le générique de la série Power est à l’image de celle-ci : une formule assez téléphonée, un univers vu et revu mais un côté plaisir coupable difficile à ignorer. C’est que l’ancienne mégastar du début des années 2000 semble prendre désormais tout son plaisir dans ses aventures télévisuelles bien plus que dans la musique. Rien d’étonnant alors que les rares morceaux sortis ces derniers temps jouent à fond la carte nostalgique, s’appliquant à récréer avec un brin de modernité le son des grandes années G-Unit ou plutôt le souvenir que les auditeurs en chérissent. « Part Of The Game », appelé à devenir le générique du spin-off de Power situé au début des années 1990, s’inscrit en plein dans cette démarche : un sample grillé de Keni Burke, des intonations au refrain qu’on jurerait sorties de The Massacre et un couplet de NLE Choppa pour la jeunesse. Et si l’effet rétro fonctionne aussi bien c’est que Curtis Jackson s’était déjà frotté à la mélodie de « Risin To The Top » en 2008 dans une mixtape qui le voyait rapper sur des classiques du R&B des années 1980. Alors s’il est trop tôt pour définir l’ampleur que prendra ce titre, il impose de découvrir ou redécouvrir Sincerely Yours, Southside. Car si certains pans de la carrière de 50 ont mal vieilli, l’entendre backer Rick James sur « Moon Man » n’est certainement pas de ceux-là .

« J’ai ma liste de gens qui sont vrais et sincères dans ce milieu et Preemo, Dee Nasty, Jimmy Jay, Imhotep et Akhenaton sont en haut. De belles personnes. » Quand nous l’avons rencontré en 2018, DJ Scribe nous disait à quel point il tenait IAM et Akhenaton en haute estime, ainsi que l’importance que les Marseillais avaient eue dans son parcours d’auditeur et d’artiste. Alors que 2020 marque le vingt-cinquième anniversaire de Métèque et Mat, le Mulhousien a souhaité rendre hommage à Chill et à son grandiose premier album. En mettant les petits plats dans les grands, comme à son habitude, Scribe a réalisé Mixtèpe et Mat : il y revisite son album préféré de A à Z en repartant des acapellas, conviant du beau monde pour l’épauler. Et comme un calendrier de l’Avent version audio, le mix livre surprise après surprise à mesure que le temps s’écoule : là, Cut Killer donne des anecdotes sur les séances d’enregistrement avec AKH ; plus loin, ce sont Solo, Napoleon Da Legend, Faf Larage ou Sako qui reprennent des couplets de l’album ; ailleurs, Olivier Cachin assure un interlude en remettant ses lancements de Rapline au goût du jour ; sont également donner à savourer plein de remixes inédits, assurés par (entre autres) Madizm, Logilo ou Scribe lui-même ; et puis il y a des faces B, des morceaux rares, des jeux autour des samples et même des classiques du rap US ayant des origines communes avec les titres de Métèque et Mat. Et pour animer ce bouillonnement créatif plein de bonne humeur, qui de mieux placé qu’Akhenaton lui-même ? Un voyage dans l’univers de Métèque et Mat organisé par des passionnés, pour des passionnés, et permettant de voir le monument sous d’autres angles, aussi plaisants qu’inattendus.

Il y a en France des gens qui derrière le micro sortent des disques durant des années de carrière, comme s’ils ne pouvaient jamais être à cour d’énergie. Au-delà de leur constance, ce qui est bluffant chez ces rappeurs, c’est leur aptitude à être hermétique aux courants du moment : ils sont solidement ancrés dans la réalité mais ne craignent pas d’être face aux vents contraires. Leur boulimie de productivité est la transposition d’une conviction chevillée au corps. Parmi ces rappeurs, il serait possible de citer Lucio Bukowski, Donkishot (oui, il sort encore des disques !), Alpha 5.20 dans ses grandes années, mais ici, il s’agit de Skalpel. Comme tous les rappeurs précités, il ne dévie jamais de sa ligne – qu’il se fait un devoir de mettre en première. Pour cette énième disque (généralement, pour ce genre de rappeurs, il y a un moment où toute personne raisonnable arrête de compter), il ne s’agit évidemment encore de convictions politiques et de portraits sociétaux, mais pas uniquement. Car si avec humour, Skalpel reconnaît faire du « Rap de vieux » – un peu à la manière dont la Scred dirait qu’elle n’est jamais dans la tendance, mais toujours dans la bonne direction -, il fait avant tout une déclaration d’amour au boom-bap de son enfance, celui des 90s. Pour ce faire, il s’est associé avec Raan. Le Finistérien ingénieur du son talentueux, producteur au sein du collectif Tamahagané Beats et complice régulier de Skalpel et de Première Ligne, est sur la même longueur d’ondes que le rappeur originaire de La Courneuve. Ensemble, ils ont donc réalisé un disque où les scratches, les phases, les refrains, les samples, et même le mix et les structures de chaque titre, portent toujours un clin d’œil passionné au rap qui bounce de la grosse pomme. Entre ambiances à la Necro et à la Group Home, Skalpel et Raan mélangent rap d’hier et préoccupations d’aujourd’hui. À ce titre, le salvateur « Sales gosses » vaut à lui seul l’écoute de ce disque. Comme l’aurait dit le C.Sen : « Ils comptent tous sur la police, chialent, puis chaque jour de nouvelles milices / Ils s’pissent dessus et s’enfuient devant des enfants, j’me demande dans le fond pourquoi ils en font. » Voilà un condensé de la pensée de Skalpel, dans ce disque qui mélange admirations musicales héritées de l’adolescence et vécu d’adulte désormais vétéran.

Le rap français a beau ne plus être adolescent, l’art de la reprise y reste rare. Si les références à des lignes sorties par le passé sont nombreuses, jusqu’ici peu de rappeurs se sont risqués à adapter un titre de leurs aînés. Les causes ? Elles ont notamment été explorées par notre cher Captain Nemo. Bien entendu, il y a la sacro-sainte autonomie dans l’écriture, même si en 2020 le concept de ghostwritter n’est plus vraiment un tabou. La volonté d’être original et soi-même, quoi que cette explication peut avoir un petit quelque chose de désuet à l’heure où la production est à nouveau standardisée, remplie de copycats et où les différences entre certains rappeurs se jouent sur une note de topline. Enfin, il y a peut-être le poids des anciens. Rien de cela n’a pourtant effrayé Hatrize. Le rappeur lyonnais, auteur d’un EP froidement prédictif en 2018, a décidé de reprendre des couplets de Salif, rien que ça. Ce sont ceux de « Tu veux nos vies », que Fon avait posés avec Exs. Hatrize y a mis la rancœur de Salif en apesanteur pour en sublimer le côté désillusionné. Dénué de beat, avec un refrain expiré dans un court souffle autotuné, « Tu Veux nos vies » version 2020 est comme un nuage de vapeur sortant d’une bouche au pied d’un immeuble de banlieue une nuit d’hiver. De la vie, Salif et Exs en avaient donné la copie à ceux qui la voulaient. Hatrize en a fait l’adaptation, et elle est glaçante de solitude.

Le rap n’a pas découvert les violences policières hier. Malheureusement, que ce soit en 1997 sous la bannière Cercle Rouge ou en 2020, le sujet résonne toujours autant avec l’actualité. Il y a d’ailleurs une fierté à voir le rap ne s’être jamais résigné sur ce sujet. Inlassablement, il met – et mettra – autant de fois que nécessaire sur la table une réalité que les gouvernements et leurs bras exécutifs s’efforcent plus que jamais de normaliser, entre culture du déni, arsenaux législatifs autoritaires, clientélistes, et déclarations visant à diviser leurs propres populations.

Devant l’inlassable spirale des violences systémiques, c’est une initiative venue de Belgique qui perpétue aujourd’hui la tradition de ces titres consacrés aux violences policières. Sobrement intitulé « 40 MCs contre la violence d’État », le morceau a spontanément vu plusieurs générations de rappeurs belges défiler au micro. De glorieux anciens comme Smimooz (De Puta Madre) ou Tar One (Dope ADN) côtoient la nouvelle génération, avec des rappeurs tels que Zwangere Guy (parenthèse : ne loupez pas ce morceau qu’il a signé l’an dernier), l’excellente Nephtys ou encore l’inévitable et talentueux Youssef Swat’s. Coordonné par Ypsos, ce morceau fleuve a un autre mérite : ne pas s’embarrasser de barrières linguistiques. Flamands et Wallons sont ensembles et montrent que le sujet est universel, pas seulement français ni même francophone. La genèse de cette initiative est d’ailleurs racontée dans l’excellent documentaire Les Cris restent, où comme le dit Coto de La Selecta : « Relever la tête pour voir ce qu’il se passe autour de moi, c’est un état d’urgence, et l’état d’urgence, ça fait trente ans que les MCs le crient ». À noter qu’une autre initiative, 13’12, est en cour d’atterrissage côté hexagonal. Ça sortira le 13 décembre, et ceux qui aiment déchiffrer les numéros en feront la parfaite conclusion à cet article.

Ces dernières années, de nombreux livres consacrés au rap – mais également aux musiques  qui l’ont nourri – sont apparus sur les rayonnages des libraires. L’Abcdr y a mis son grain de sel l’an dernier avec L’Obsession Rap, et plus récemment, la maison Faces Cachées vient de sortir une précieuse biographie de Manu Key, avec la trajectoire de la Mafia K’1 Fry en filigrane, évidemment. Mais s’il y a une maison d’édition qui a activement investi le champ des livres consacrés au rap, c’est Le Mot et le reste. À l’approche des fêtes, impossible de ne pas avoir un coup de cœur pour deux des ouvrages issus de leur catalogue. Le premier visite l’histoire du Suprême NTM, et est écrit par Pierre-Jean Cléraux et Vincent Piolet, ce dernier étant notamment l’auteur du remarqué Regarde ta jeunesse dans les yeux sorti l’an dernier. Le second est encore plus qu’un coup de cœur, c’est un coup de chapeau à un auteur qui a fourni et construit avec L’Abcdr du Son l’un des plus beaux reportages musical et social de l’année 2020 : Nicolas Rogès. Sa biographie de Kendrick Lamar est le point d’orgue de plusieurs années de travail, les mêmes que celles qui ont donné le reportage Une semaine à Compton, dévoilé dans nos colonnes il y a quelques semaines. L’ouvrage intitulé De Compton à la Maison Blanche a été unanimement salué tant il contribue à éclairer l’œuvre d’un artiste complexe, et à lever le mystère sur ses zones d’ombres tout en passant à la loupe un environnement californien parfois interprété à la va-vite depuis nos contrées hexagonales. Bref, deux livres immersifs, qui consolident fortement le travail entrepris par Le Mot et le reste et ses auteurs depuis plusieurs années maintenant. C’est pour cela que ce sont ces ouvrages que L’Abcdr propose de gagner dès maintenant sur ses réseaux sociaux. Quant à la maison d’édition spécialisée dans les livres sur la musique, elle propose elle de remporter des boîtes de notre jeu L’Obsession Rap. Parce que si s’instruire en lisant est essentiel, apprendre à mettre la pression aux fans de rap en jouant, ce n’est pas mal non plus. Alors rendez-vous également sur leur page Instagram et autres Twitter et Facebook !

Ceux qui sont familiers avec la musique d’Al’Tarba le confirmeront : tenter de retranscrire à la lettre ses inspirations, c’est déjà s’éloigner de la sève artistique du personnage. Le beatmaker toulousain n’est pas de ces artistes qu’on enferme dans une case, à qui l’on colle une étiquette pour mieux assimiler l’œuvre, qui par la nature des expérimentations névrosées, semble inlassablement résister aux raccourcis maladroits. Finalement, c’est sans doute, plus que la catégorie de « l’abstract rap » à laquelle on le renvoie souvent, une image qui le définit le mieux : celle du savant un brin chtarbé, isolé dans son laboratoire, sans cesse en quête de nouveaux ingrédients à incorporer à ses recettes secrètes. Un univers décloisonné et affranchi de frontières clairement établies dont les grandes courbes sont toutefois esquissées et retranscrites au compte-goutte depuis le 13 novembre, et ce via les morceaux inédits qui sont partagés chaque vendredi sur son compte YouTube. Le bien nommé Cabinet des Curiosités ouvre peu à peu ses portes au public, pour une durée qui reste indéterminée.

Sur ses étagères poussiéreuses, on y trouve un condensé de tout ce qui fait le sel de la patte sonore d’Al’Tarba. Des obsessions adolescentes pour les CDs de Mobb Deep, du Wu Tang et de Necro. Des pulsions démoniaques fusionnées au formol dans un savant mélange d’influences, de genres et d’esthétiques empruntant aussi bien aux films d’épouvantes des années 70 et 80, qu’à la musique électronique que le producteur toulousain apprécie tant. Et surtout, de nouveaux horizons  viennent déjà, comme sur « Le Jour » avec Mounika, renforcer la charpente de son laboratoire à ciel ouvert. Chaque semaine est ainsi prétexte à une nouvelle collaboration, fruit d’un travail pas commun, et surtout hors des clous, avec des rappeur(se)s, chanteur(se)s, beatmakers voire même musicien(ne)s classiques, qui tenteront de contenir – ou dans certains cas, de prolonger – la folie destructrice du savant, reconverti pour l’occasion en chef d’orchestre. Ne cherchez pas ici de cohérence, il s’agit de tout le contraire. De Mounika et son lo-fi mélancolique à Yous MC en passant par le duo de beatmakers Structural Anolamy, le Cabinet des Curiosités d’Al’Tarba porte déjà bien son nom, et mènera tranquillement à l’extension de Musique Classique, son album commun avec Swift Guad, prévue pour dans quelques mois. Et puisque les bruits de couloir se répandent, il se dit même que le canadien Madchild se joindra à la collaboration déjà annoncée entre Al’Tarba et Conway the Machine…. Un programme chargé en perspective. Le Cabinet des Curiosités n’a pas fini de révéler ses secrets les mieux gardés.

Le DJ de la Fonky Family, identifiable à son chapeau vissé sur la tête, Djel, aka the Diamond Cutter, n’est jamais en reste pour animer les soirées marseillaises. Le Baou, un lieu festif en plein air situé vers les quartiers nord, est surplombé par les lettres « M.A.R.S.E.I.L.L.E » – parodiant, avec l’arrogance qui caractérise la ville, les collines d’Hollywood. Cet été, Faf la Rage et Don Choa y jouaient. Parmi les spectateurs, K-Rhyme le Roi dansait avec les gens, presque ni vu ni connu. Djel poursuivait alors la soirée en enchaînant classiques du rap local des années 1990 et titres plus récents. Avant de lancer « A7 », devant un public plus trentenaire qu’auditeur de rappeurs à trois lettres, il prévient au micro : « le rap marseillais, c’est aussi ça ». S’il a ses goûts à lui, Djel a l’amour des classiques de sa région, qu’ils soient passés ou présents. Qui mieux que lui alors pour sortir, ce 25 novembre, un mix célébrant les trente ans du rap de la cité phocéenne ?

Comme le titre l’indique, le mix suit un fil chronologique, après une intro pleine de scratchs et samples explosifs (le « Mar-seille ! » martial du feat Keny RPZ Kalash l’Afro, celui, iconique, de Soprano ouvrant « A la bien », etc.). Le « diamond cutter » commence donc avec le son IAM pré-1997 ; la transition se fait via « Métèque et mat », puis sur le même album, le featuring décisif « La Face B » avec son groupe, et évidemment, « Bad boys de Marseille ». Une deuxième vague est amenée par la transition de Soul Swing à « Né sous la même étoile », avec une belle exploitation de la voix éraillée de Faf la rage, également à l’honneur pour raconter le documentaire Marseille, capitale du rap. D’IAM à Jul.

L’une des forces du mix, c’est sa capacité à faire réécouter des classiques trop saignés, ceux que l’on passe aux premières secondes lorsqu’ils arrivent sur la lecture aléatoire parce que le cerveau les connaît trop, comme ceux tout aussi connus mais qu’il est impossible de se résoudre à passer. Mais aussi, il fait redécouvrir des groupes et des MC moins exposés à la lumière malgré leurs titres à succès – Def Bond, Puissance nord, etc. Au milieu des deux heures dix-huit, c’est Psy4 qui fait le pont entre deux, voire trois époques ; dès la deuxième moitié, Djel jongle entre un Algerino énervé ou marrant, la voix nasillarde de Kalif dans Black marché, Mino le fruit de son époque, Keny l’altermondialiste, les formules choc ou les jeux de mots douteux de R.E.D.K, la politique énergique de Révolution Urbaine, le Soprano de Street Skillz, l’Alonzo atteint du syndrome de la Tourette. Ce voyage sonore se clôture à l’image de la diversité de la scène actuelle, entre l’auto-tune et la mélancolie festive de Jul, Naps, la noirceur fine de l’écriture de SCH, la gouaille sortie d’Endoume via Muge Knight, les déboîteurs de freestyles tels que Mehdi YZ et YL… Bref : deux heures qui assurent que célébrer l’histoire n’implique pas un futur figé, bien au contraire.

Dans la lignée des trois projets qu’il avait déjà sortis depuis 2018, Chris des Ténèbres a récemment dévoilé un nouvel EP : Jeune CDT. En huit titres, le Genevois continue de dépeindre son environnement (« ça va du parc au parking, ils sont angoissants ces lieux ») et d’emmener l’auditeur à travers les rues de sa ville et ses préoccupations quotidiennes, qui il faut le dire tournent pas mal autour de l’argent. L’écriture de CDT conserve cette simplicité et ce côté très premier degré, sans trop d’effets de style au delà des comparaisons. À l’image de ses thèmes, les tournures de phrases et les rimes de Chris des Ténèbres ne cherchent pas la flamboyance. Efficace et direct quoique délicat, le style du rappeur se peaufine sur cet EP par un travail nouveau sur l’interprétation. Il varie davantage les flows, et se montre de plus en plus flegmatique, se laissant aller à quelques passages murmurés, presque marmonnés.

Jeune CDT n’est probablement pas le projet le plus facile d’accès de son auteur, et pour se familiariser avec son univers A.L.T.L.L est une meilleure porte d’entrée, mais c’est un nouveau pallier dans sa discographie. Et à en croire CDT lui-même, celle-ci devrait continuer à s’enrichir prochainement puisqu’il nous confiait en début d’année préparer deux projets collaboratifs en plus de cette sortie solo, et se préparer à un album futur.