Quoi qu’il en soit de l’appréciation de leur rap, s’il y a bien un groupe qui a excellé avant (presque) tous les autres dans l’art de retourner une scène, c’est Svinkels. «On avait compris que la scène était notre ADN. Ça on ne l’a jamais lâché, et on y construit notre rapport au public. (…) On considérait qu’on était le premier groupe de rap en France à autant tout exploser sur des grandes scènes, à faire des grands festivals. On aurait au moins aimé que les médias s’intéressent à nous en reconnaissant cela » disait d’ailleurs Gérard Baste en interview à l’Abcdr. Slip-Hop, cradecore, mais avant tout rap tout court, le Svink’ a fait de ses concerts un terrain de jeu pour une faune agitée. Le groupe avait d’ailleurs dressé le portrait de ses fans croisés au long cours de centaines de dates dans l’hilarant « (Mon Public ?) C’est des cons ». C’est donc avec un plaisir non dissimulé que Gérard Baste, Nikus Pokus, Xanax et DJ Pone ont dévoilé des images de leurs répétitions. Après un partenariat avec la brasserie qui a inspiré au groupe son nom, les Svinkels attend avec autant d’impatience la réouverture des salles qu’il attend celle des bars, chose pour laquelle Baste, Nikus, Xanax et DJ Pone sont évidemment fin prêts. Alors ils ont décidé de faire patienter le public avec quelques inédits de la grande époque. S’y retrouvent « Bons pour l’Asile », déjà connu des fans pour avoir illustré une vidéo de BMX au début des années 2000, et quatre autres titres aux noms prometteurs, entre insultes aux hippies, transposition de la préhistoire autour d’un briquet, et visions de malbouffe pleines de bactéries titrées en clin d’œil à la grande fusion française des années 1990. Mais ces morceaux réalisés au début des années 2000 ne sont pas que la déconne, comme souvent avec le Svink. Ils en disent parfois aussi beaucoup sur les préoccupations du groupe déjà prégnantes il y a vingt ans de cela. Ces excellentes vieilleries sont à retrouver sur les plateformes d’écoute modernes et à picorer comme les biscuits apéro qui annoncent le retour des hostilités. Car le nouvel album du Svink s’appellera Rechute. Chez eux c’est synonyme de retour, avec notamment une date d’ores et déjà programmée pour l’Élysée Montmartre.
Sidekicks
« J’en ai marre du rap c’est soit des violeurs soit des reprises de Bamboléo, j’écoute la Septième de Beethoven sur la 125eme dans un gamos rose… » Si Butter Bullets n’a jamais caché un certain détachement à l’égard du rap français, tirant parfois vers le mépris, le ténébreux duo se pose aujourd’hui plus que jamais à l’écart d’un milieu musical visiblement abhorré par Sidisid. Dela et lui reviennent deux ans après Noir Métal, leur dernier album en date, avec onze morceaux qui sortiront le 04 juin. L’ensemble s’intitulera Sans titre. De ce projet, deux extraits sont déjà disponibles : « Miles Davis » et « Peu importe », représentatifs de l’atmosphère globale du disque, sombre et teintée d’hommages au temps d’avant. L’amour du groupe pour le rap n’est absolument pas nouveau, sa transposition musicale l’est davantage. Il y a en effet dans ce cru 2021 des références appuyées à une époque que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Et alors qu’il avait tous les attributs du jeune con insolent il y a quelques albums de cela, Sidisid aka Prada Mane mute peu à peu en gardien du temple un peu aigri ( par son discours seulement, pas par la forme de sa musique ! ). Un peu aigri, mais pas totalement fermé cependant, puisque Limsa d’Aulnay et Double Zulu sont invités sur cet opus à venir. Rendez-vous dans quelques semaines !
Feeling blue. Dans la culture anglo-saxonne, c’est par une couleur que l’on définit le sentiment de tristesse. Une association d’idées aussi abstraite que poétique, qui sied à merveille à la mélancolie de Baby Keem. La preuve : son dernier single arbore une pochette aux différents tons de bleu. Il faut dire qu’à l’écoute de « no sense », dernier morceau du jeune rappeur de Los Angeles, un sentiment doux amer traverse le titre aux teintes nostalgiques. Nouveau protégé de Kendrick Lamar (dont il est d’ailleurs le cousin) et producteur pour plusieurs membres du label TDE, Hykeem Carter vole depuis trois années maintenant de ses propres ailes en solo. D’abord avec The Sound Of Bad Habit en 2018, et ensuite avec DIE FOR MY BITCH, disque révélation de l’année 2019, salué par Drake et une bonne partie du rap américain. Aujourd’hui pourtant, Baby Keem reste un secret encore bien gardé par ceux qui le suivent. Et par le Californien lui-même : discret sur les réseaux sociaux, Carter joue la carte de ceux qui veulent laisser parler la musique. « no sense » en est sans doute le plus bel exemple : puisant dans les affres et les déboires d’un amour naissant, Keem laisse voguer son spleen sur une mélodie lancinante co-composée par Jahaam Sweet (Drake, Post Malone, Lana Del Rey) pour mieux emporter sa peine. C’est beau et triste à la fois. Comme de la musique bleue, venue pour soigner son vague à l’âme.
À l’occasion de notre dernier podcast consacré au rap anglophone, nous nous sommes penchés sur la carrière de Harry Fraud, producteur new-yorkais qui fait un retour remarqué depuis l’an dernier. Pour mieux se plonger dans l’ambiance cinématographique du maître des vagues, nous avons concocté une playlist de nos morceaux favoris. À écouter en speed-boat au soleil couchant, sur une planche de surf ou en pédalo à la fraîche, comme vous le sentez.
« Cette fois Kaaris revient vraiment comme dans Or noir » : cette phrase, les auditeurs et auditrices l’ont entendu des centaines de fois ces dernières années. Or, malédiction du classique oblige, pas mal de déceptions ont marqué la trajectoire du Dozo – toujours moins que son partenaire de bagarre à Orly. Malgré quelques bons voire très bons titres, les dernières sorties du Sevranais n’ont pas conquis au point d’affirmer que le niveau d’Or Noir avait été retrouvé. La magie noire n’opère-t-elle plus ? Peut-être est-ce une illusion bien caractéristisée, celle qui fait penser qu’un jour son prince des ténèbres reviendra identique, que les sentiments seront les mêmes à la première écoute. En musique comme en amour, il faut savoir évoluer. Mais au seul son du tag de Therapy, collectif avec lequel il n’avait plus travaillé depuis 2016, les oreilles et les poils de l’avant-bras se dressent. Batteries cinglantes, sonorités à la fois grandiloquentes et menaçantes, associées à des jeux de contre-plongée dans le clip – notamment, sur un Kaaris affublé d’ailes noires : les retrouvailles font leur effet. « Château noir » – une image qui par ailleurs avait été utilisée pour teaser 2.7.0 – marque d’abord par la majesté glaciale et enveloppante de l’instru. Mais aucune phrase bien sentie ne laisse au sol ou ne fait éclater de rire, comme c’est le cas au détour de presque chaque couplet d’Or noir. On ne retient de « Château noir » qu’une pique à Jean Messiah – ça fait toujours plaisir – et le pré-refrain : quatre rimes suivies bien carrées, Ademo et « Nos » rimant avec « agressive et féroce », qui valaient bien que l’un des blazes des frères soit prononcé à sa manière. Peut-être faut-il faire le deuil de la finesse brutale et jubilatoire propre à l’écriture d’Or noir. Reste quand même une sacrée énergie, une noirceur ardente, portée surtout par l’adéquation entre l’instru et le style du rappeur, qui font que « Château noir » s’écoute avec un large sourire, les canines bien apparentes.
Il y a quelques jours nous rendions hommage à People Under The Stairs en retraçant la longue carrière du duo formé par Double K et Thes One. Après le temps des mots vient celui de la musique : voici une sélection de vingt-cinq morceaux piochés dans la foisonnante discographie de PUTS, entre célébrations de Los Angeles, hymnes à la fête et moments plus introspectifs. De quoi vous accompagner pour le retour des beaux jours et au-delà.
Après Confiserie, le b.boy – oui, le mot existe toujours – de Deuil-la-barre sort un nouvel EP, Monsieur Bourbier. Et c’est un bien bel ouvrage dans l’ensemble, de l’artwork rigolo aux productions signées du taulier Madizm, décidément pas en reste niveau démonstratif, et Flem sur « Imbécile bête ». Quelque chose marque plus que le reste : le fait que, libéré de beaucoup de contraintes, Aketo semble plus que jamais faire la musique qu’il aime. C’est-à-dire une musique de bousillé, aux deux sens du terme. Si les titres introspectifs où il dessine, mi-tendre mi-nerveux, le portrait d’une vraie galère sont touchants, la palme revient aux titres explosifs – l’introduction flambante sur sirènes saccadées et « Konar » en tête. « Konar », dans l’interprétation, c’est Aketo qui se défoule comme on aimerait que plus le fassent. Distorsions de voix, énergie, phases implacables, ad-libs dignes des djinns du Fianso 2017, tout convoque l’image d’un gars qui entre en studio « comme s’il avait vingt ans, avec vingt d’expérience ». C’est le signe qu’il n’y a pas que du négatif à voir sa musique devenir celle de tout le monde, cela implique aussi qu’il y a de la place pour autre chose que la standardisation. Passionné du rap autant que rappeur (comme il le rappelle dans l’un des rares podcasts qui ne rime pas avec sieste, Featuring, animé par le père castor du rap français, Driver), Aketo prouve qu’avec un pas de côté des projecteurs, il est possible de revenir aux fondamentaux : faire du rap pour s’éclater.
Et le game roule, roule, roule, pour le meilleur et pour le pire, mais il y a, au milieu de tout ce cirque, des rocs qui restent fidèles à eux-mêmes. L’avion du rap français pourrait s’écrouler, Nakk est de ceux qui résistent à l’immersion, l’incendie, l’attentat, les #metoo, les jeans slims, les remix de « Barbie Girl », les déchéances de roi et les ascensions de parvenus. Au pire, il regardera les hommes tomber. Avec « Boîte noire », un « apéritif avant les impératifs » selon ses termes, il livre sur des batteries enjouées un unique couplet, ravivant le souvenir ému de ses qualités de rappeur. Et c’est un plaisir, pour l’auditeur qui l’a connu dans les années 2000, de voir au moins un des maîtres de ses écoutes adolescentes ne pas décevoir. Pour les autres, c’est l’occasion de découvrir un artiste qui ne sonne ni daté ni jeuniste, drôle mais jamais gênant, punchlineur mais jamais creux. Le rap français a certainement vu naître et mourir des carrières entières sans qu’elles égalent jamais une seule phase de « Boîte noire ». Extraits choisis : « j’suis Kunta Kinte sans son pied gauche / j’suis Karl Marx dans un pays de gauchistes » (Nakk vient de Bobigny); « Le quartier est moche comme une paire de triple S / J’ai bien dit une paire de Triple S » (Nakk n’est pas votre petit); « Comme Macron ils fument le cul de la vieille » (Nakk a des valeurs, mais ne fait pas la morale). Efficacement subtil, il suffit d’un coup d’œil à son traitement des références au films de gangster ou aux séries pour constater qu’il survole, encore et toujours, tout le reste. Il n’y a pas à dire, le rap est son pays. Qu’il aime autant qu’il critique.
Les plateformes de streaming ont façonné notre manière d’écouter et de consommer la musique. Tout y est accessible en un clic, toute la discographie d’un artiste, tout un genre. Les algorithmes facilitent d’autant plus une exploration naviguant entre Daily Mix et Radar Des Sorties. Cependant malgré cet immense catalogue, certains disques sont encore absents de ces bibliothèques musicales et virtuelles. Jean Baptiste Vieille mentionnait déjà dans nos colonnes certaines pièces manquantes au puzzle et les raisons de ces absences.
Il y a quelques jours, c’est une pièce historique du rap marseillais, et français, qui refit surface. Souvent cité dans les crédits et remerciements de ses pairs, le groupe Uptown sortait en octobre 1994 une cassette qui restera pour toujours le quatrième album (un EP en l’occurrence) du rap marseillais. Après Ombre Est Lumière, Kartier De Fous allait devancer la sortie de Métèque Et Mat en 1995 et du Retour De L’Âme Soul en 1996. Moins mystique qu’IAM, Uptown proposait en édition très limité un rap plus aéré, plus laid-back entre le style d’un DITC poussiéreux de 1992 (« Dealers De Rimes ») et des inspirations Left Coast (« Pulsions – Remix 96 »), en poussant même vers de la balade funky (« Quand j’avais 16 ans »).
Kartier De Fous est entièrement produit par Mounir Belkhir qui produira également pour Les Nubians, Prodige Namor et également Assassin (deux titres sur l’album Touche D’Espoir). Namor qui apparait sur le possee-cut « Le Kartier Passe Avant Tout » où se retrouvent également Sista Micky, Toko Blaze et… Kery James. Le groupe de Saint Joseph (quartier Nord de la ville) composé de Mourad alias N°7, Stabe, Mounir et Funkystein a par la suite sorti un maxi Pulsions/Réalité en 1996 et un double CD Bootlegz (1991 – 1997) sorti en 2006, réunissant en plus de cet EP des inédits et featurings. Une belle surprise que vous pouvez retrouver sur Internet, en attendant une hypothétique réédition physique, qui sait.
Le featuring phare de D.E.L, sorti en décembre dernier, a son clip, et il s’ouvre sur une fête dans un lieu incongru – une prison, une idée à garder sous le coude au cas où la pandémie dure vraiment trop longtemps. C’est pas le 113 qui fout la merde cette fois, mais Zesau, Isha et le jeune marocain « en règle » Djalito. Sur quelques notes d’un instrument proche d’une cithare chinoise, une jeune femme en uniforme de matonne s’approche d’une cellule d’où s’élèvent des cris étouffés, avant d’ouvrir la porte et de laisser place à un beat agressif et à Zesau, lunettes noires et casquette Lacoste sur la tête, bien droit sur son terrain. Le montage convoque alors l’esthétique crapuleuse d’un clip game changer de l’histoire du rap français : la caméra bouge comme dans « Pour ceux » (avec des meufs, qui, ici, n’ont pas vraiment l’air de faire la vaisselle). Elle filme un juge malmené, des motos en Y, des combats de boxe illégaux dans des lieux interlopes… Isha, en sniper nonchalant, s’avère être le seul rappeur capable de refourguer un couplet à Zess mec de tess et au Planète rap de Lomepal. À l’entrée « charisme » d’une encyclopédie interactive, il y aurait certainement ces seize mesures du Bruxellois en guise d’illustration. Djalito lui serait à l’entrée « Je m’en balec » tant il arrive à cracher du feu en plein milieu d’un combat de boxe. Johnny et Mohammed Ali seraient fiers de lui – et d’eux. Bref, un « banger », un vrai.