Sidekicks

Voilà bientôt un mois que l’été a commencé mais c’est un été Tchernobyl, qui a visiblement interdiction de passer les frontières françaises. Peu de soleil dans le ciel, peu de soleil dans les cœurs, les grandes vacances ont des allures de mise à l’épreuve en 2021. Ainsi soit-il. À chacun de ruser pour s’évader, se créer des paysages et inventer l’eau dans laquelle plonger pour ne pas se laisser noyer par une actualité morose et des perspectives toujours plus effrayantes. Abi2Spee et ConanLeGrosBarbare ont élaboré ensemble la bande originale de ce voyage imaginaire, elle s’appelle WavySummer à la plage et se compose de treize titres.

« Je lâche tout et je fais un tour, j’ai besoin de me créer des images ; je vous laisse tous ces bails de fou, putain cette ville c’est un village ; on m’a dit tu réussiras tout, mais moi j’veux pas du même final ; je veux être à Ouagadougou en train de manger du riz gras… » C’est ainsi que s’ouvre l’album, qui se veut une invitation au voyage, même immobile. Plus spontané que Roi des rats et moins brouillon que les mixtapes antérieures d’Abi2Spee, WavySummer à la plage est une franche réussite, dans la continuité de WavyFunkySummerDays au quartier sortie il y a deux ans.  Avec beaucoup d’humour, une ouverture d’esprit précieuse et des collaborateurs brillamment choisis, notamment pour ce qui est des chœurs et des instruments, le rappeur (« auteur, compositeur, chansons-écriveur, tout pour être le parfait disquetteur comme Dick Rivers ») livre un projet puissant et très personnel en compagnie de son beatmaker fétiche. Il a muri, la fougue qu’on lui connaissait il y a quelques années est quelque peu canalisée, et désormais profiter de la vie est un acte conscient, une philosophie et non pas un état de fait.

Cette production commune à Conan et Abi fait la part belle aux balades près du lac, aux barbecues dans le parc, aux vagues dans les verres, aux vols en ville et aux cartes postales qu’on n’enverra jamais. « J’fais l’tour d’la ville parce que j’peux pas faire l’tour d’la terre, y-a-pas un bar où j’suis pas rentré boire une bière ! » C’est une fois de plus une ode à la wave, qu’importe qu’elle vienne de Genève, de Marseille, de l’autre bout du monde ou de l’aquarium chez le docteur, elle vogue à l’âme.

Pour un producteur, se réapproprier des a capelas de Nipsey est déjà un sacré défi. Les associer à des extraits d’interview de Kobe Bryant prend des allures d’alley-oop. Mais alors poser le résultat sur des productions maisons réalisées au bras-roulé, c’est un fabuleux pari. Et c’est celui que tiennent Verbal King & Schlas, beatmakers haut-normands (de Cléon plus précisément) qui ont décidé de rendre hommage aux deux légendes que sont Nipsey et Kobe. Ils le font avec Over Time Greatness, un EP de sept titres dont transpire avant-tout un amour inconditionnel pour cette musique qu’est le rap. Les références et les clins d’œil y sont assumés et maîtrisés sans pour autant être excluants. La maîtrise du patchwork musical y est impressionnante et permet d’écouter ces 25 minutes comme un quart-temps constellés trois points. Ici, c’est au titre « Overtime » qu’une mention spéciale sera accordée, lui qui conclut cet EP avec son joli sample de Jean Ferrat. Bousillés de rap US et notamment californien, les deux producteurs perpétuent cette longue tradition qui allie rap et  basket. Et la bonne nouvelle, c’est qu’ils ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin puisqu’ils se sont déjà attelés à leur prochain EP, à venir cet automne. Probablement un nouveau buzz beater.

Voici plusieurs années qu’à son rythme de croisière sur les eaux du Styx, le rappeur le plus enfiellé de France sort régulièrement des EP qui, comme les poings, fracassent les mâchoires d’à peu près la terre entière. Probablement inspiré par le climat atroce de l’année demie passée, il a publié à intervalles réguliers sur Bandcamp #Hashtag, 1994, OVNI, Upgrade, poignées de titres tous plus venimeux les uns que les autres. En guise de rapide présentation, le dernier en date, Dementia (la folie), s’ouvre sur un sample non pas du film du même nom mais de Harold et Maude. Le synopsis ? Une histoire d’amour entre une octogénaire et un jeune homme de 18 ans dont le divertissement principal consiste à se rendre à des funérailles. Voilà pour l’ambiance. La recette musicale ne change pas d’un EP à l’autre. Boom-bap lugubre, samples de films malsains, batteries lourdes faites pour asséner la haine et surtout : déflagration nihiliste à chaque phase. Une bile qui n’épargne personne. Et c’est d’ailleurs cette table rase de l’hypocrisie sociale sans exception qui fait que LTA se positionne par-delà bien et mal. Chaque simagrée mondaine a droit a son passage au lance-flamme. La représentation de la fameuse « diversité » n’est que le signe annonciateur d’une grosse douille (« je trouve ça bizarre tous ces Noirs sur les affiches / ça présage rien de bon / quoiqu’ils cachent ils rotteca t’façons / que je sache depuis quand ils aiment les marrons ? ») Le rough sex, comme on dit dans les podcasts – pas mal d’histoires de sodomie, d’étranglements, et même fists de féministes égrènent la prose du renégat – révèle juste l’essence véritable des rapports hommes/femmes sous le patriarcat. Tout le monde y passe : des rappeurs troubadours aux blanches qui dansent mal et même – et oui – son public : « tous ces geeks m’écoutent se branlent sur mes doutes sur ma douleur. »

Ceci dit, pas besoin de branlette pour constater que LTA s’affiche comme un porteur de vérité (au risque de l’embarras ou de la violence.) Il le dit même sous forme d’egotrip dont il a le secret : il « met d’accord comme le racisme anti-asiat. » Non sans l’angoisse qui va avec : « un dixième de [s]a lucidité et tu te serais déjà suicidé. » Pas faux. Bref : alors qu’un vent d’enthousiasme souffle à la fois sur des avatars contemporains du boom-bap (version Benjamin Epps ou plus sulfureuse/despo-ruttienne à la Souffrance) et sur des artistes dont la (prétendue) subversion revient souvent à étaler des théories du complot (« si tu pues la merde c’est pas la faute aux sociétés secrètes » lâchera-t-il d’ailleurs sur Upgrade) c’est peut-être l’occasion de jeter une oreille à LTA. En évitant quand même de le faire percer au grand jour, histoire de lui éviter de probables épuisantes polémiques, quand on voit qu’il suffit d’un Youssoupha pour les provoquer.

« Franchement, le rap ça me manque grave » disait Dabaaz il y a tout juste un an dans nos colonnes. Pourtant, cela fait un moment que retrouver son nom au détour d’une tracklist relève de l’exploit, retour en trio avec Blackboul’ et Drixxxé mis à part. Il faut dire que depuis dix ans, les galères se sont enchaînées pour l’ancien rappeur de Triptik : fêtes qui dérapent, Poyz & Pirlz – sa marque de fringue – qui tangue, ruptures personnelles, le chemin a été dur pour Dabaaz. « J’ai parlé plusieurs fois dans mes morceaux de dettes, d’huissiers, et ça confirme que c’est un peu l’histoire de ma vie. Je me dis d’un côté que c’est tout à mon honneur de tenter des trucs, mais passer par des épisodes où ça ne va pas, c’est de plus en plus dur, surtout en vieillissant. » Voilà pourquoi Dabaaz a été porté perdu de vue, lui qui vit avec la crainte de la perdre puisqu’une sale maladie s’est en plus logée dans ses yeux. Alors plutôt que tout recommencer à zéro par le rap, il a d’abord choisi de se venger avec une passion pour la photographie. Œil esthète qui a préféré se cacher derrière un appareil photo sur Instagram plutôt que devant un micro de rappeur prêt à s’enterrer vivant dans le cimetière des éléphants du rap français. Sauf que finalement, celui qui avait déjà proclamé en 2010 que « Ça faisait un bail » est de retour en ce printemps 2021. C’est avec un EP à la couverture qui en dit long, entre objectif vintage posé solidement sur trépied et silhouette évanescente. En 4 titres, le DA revient en toute modestie sur les années de merde qu’il a traversées. Lucide mais déterminé, vulnérable mais résilient, il semble sortir avec force d’un nuage brumeux, d’un flou fragile qu’il laisse derrière lui. Une image nette se révèle à chaque titre. Celle d’une reconstruction, d’un retour aux fondamentaux et de quelques leçons d’existence prises avec autant de franchise que de pudeur. Avec son grain de voix toujours aussi caractéristique, le rappeur s’avère habile pour reléguer à l’arrière plan tout pathos qui pointe le bout de son nez. Il y préfère la mise au point sur des moments de vie, et fait apparaître au gré des minutes des instantanés de ses années passées dans le mutisme. La pellicule avance et ça ne sonne pourtant jamais au bout du rouleau, c’est plein de grain, ni avec la surexposition d’un born-again ayant trouvé la lumière, ni avec la sous-exposition d’un artiste dépité par le temps qui passe. Quatre titres pour quatre clichés de vie forts rappés sur des productions du vétéran DJ Sek, de l’inévitable orfèvre Drixxxé et de 8Sho du gang français Eddie Hyde. Ça plaira autant aux backpackerz de la première heure (« En toute fausse modestie », « Blind ») qu’aux amateurs de sons plus intimistes qui ne jureraient pas dans une grande B.O du cinéma français des années soixante-dix (« Viens » et « Ivresse »). Bref, finies les expérimentations et tendances de son seul et unique album solo. « Un truc sans fioritures, une boucle, un beat, même pas de back, je pense que c’est ce que je suis en vrai » disait le DA en évoquant son dernier morceau solitaire sorti il y a un bail. Il ne lui aura pourtant fallu que treize petites minutes sonores pour le confirmer et exaucer le vœu qu’il avait prononcé ici-même en plein premier confinement : « J’aimerais bien faire des morceaux qui défoncent, les défendre à petite échelle. » Avant d’ajouter : « Et que ceux qui prennent la peine de les écouter me le disent«  . C’est le moment de lui dire que ça défonce, sans aucun doute !

S’il n’est pas toujours facile de suivre Sango, il faut reconnaître que le voyage est rarement décevant. Que ce soit dans sa musique en solo, ses collaborations extérieures, ou son remix (incroyable) pour Frank Ocean, le DJ et producteur phare de l’écurie Soulection ne cesse de sortir depuis plusieurs années de la musique à la qualité très souvent relevée. Preuve encore avec « About You », un morceau qui sonne comme un retour vers son Seattle natal en compagnie de deux autres artistes de la ville. Composé pour le rappeur Sol (remarqué au début des années 2010 avec son album Yours Truly) et le chanteur Ben Zaidi, « About You » est une parenthèse de douceur 100% Seattle, romantique et lancinante, que le producteur issu de la scène Soundcloud sublime en arrière plan. Entre ses voix samplées et ses accords de claviers aériens, la musique composée par Sango ici est simple mais imparable. Elle enveloppe l’auditeur, comme une couette dans laquelle on s’emmitoufle pour les soirs de blues, et donne envie de ne jamais en sortir à l’écoute du rap romantique de Sol. En attendant les nouvelles aventures du producteur basé dans le Michigan (un nouveau projet avec le rappeur Waldo est en route, le court premier extrait dévoilé fait envie) on prend donc un malin plaisir à écouter ce « About You » les yeux rivés vers le ciel, et le coeur bien noué.

Dans ce deuxième printemps enfermé, de nombreux jardiniers confirmés ont fait pousser de jolies fleurs. C’est le cas de Snoop Dogg qui laisse éclore un From tha Streets to Tha Suites efficace aux couleurs de la Bay Area. C’est aussi le cas de Khrysis qui livre un album de quatorze titres boom-bap aux petits oignons. The Hour of Khrysis convie une flopée de rappeurs aux racines communes : De La Soul, Evidence, Busta Rhymes, Rapsody ou encore Del Tha Funkee Homosapien pour vous donner une idée de la lignée. Dans le Queens, c’est Havoc qui s’associe avec Nyce Da Future le temps de huit titres sur Future Of The Streets. Dans ce bouquet déjà bien coloré, Slim Thug va jouer au meilleur fleuriste avec un EP neuf titres charnel, chaud et sirupeux. À l’image de cette cover où il apparaît élégant au pied d’une voiture rétro garée sous des palmiers sur lesquels semble régner un crépuscule tranquille. SDS Vibes dure tout juste une demi-heure et prolonge son épisode de 2019 : Suga Daddy Slim : On Da Prowl. Produit en grande majorité par DJ Young Samm, avec des samples creusés comme un Kanye West de 2004, SDS Vibes est un album concept tournant clairement autour de la chair. Il n’y a qu’à jeter un œil au tracklisting, ou au clip de « Knockin On My Door », pour s’en rendre compte. La voix épaisse de Slim Thug n’a pas bougé, elle combine avec celle quasi-jumelle de Z-Ro sur « Me & You » et celle de Lenora sur « Get You home ». Ce dernier  ressuscitant un tube R&B de 1984 à la rythmique irrésistible où Slim Thug transporte l’auditeur instantanément dans les eaux claires du Golfe du Mexique. À défaut de voyager, on se rattrape comme on peut. Et le deuxième couplet du patron de Hogg Life fait parfaitement l’affaire.

Comme Arm avec lequel il a déjà rappé, Hatrize est de ces artistes qui parlent du monde en le faisant tanguer, en l’observant depuis le chaos des éléments, en visant le ciel, bref en recherchant des cassures de vie reflétées par des cristaux de miroirs flottant dans l’air tel des nuages. Quand l’un affirme “Je n’écris pas à l’envers, c’est le monde qui l’est”, l’autre y fait écho en calligraphiant des phrases comme “Renverse le monde, il pourrait que tu y trouves du sens.” “Distence”, nouvelle production du second, prouve qu’il est de ceux qui n’écrivent jamais mieux que lorsque la ville penche et qu’elle est observée à distance. Entre détachement urbain, isolationnisme cyberpunk et onirisme digitalisé, l’auteur du trop méconnu EP Nulle Part où le silence (dont la chronique est à retrouver au pied de cet article) sublime l’usage de l’autotune avec une écriture cryptique dont les haïkus sont autant de cristaux à ramasser comme des pierres de sagesse transportées par des tempêtes de sables. “Réminiscence sombre aux couleurs d’améthyste” aurait dit Sako : à l’heure où les grains du désert du Sahara subliment le ciel crépusculaire de l’Europe, Hatrize se souvient que les absents sont bavards uniquement dans les rêves. Et illumine une nouvelle fois le monde en soliloquant à des milliers de kilomètres de “Distence” de préoccupations au ras du sol. Une leçon de distanciation sociale.

Histoire de préparer le terrain pour son troisième album (parution le 4 juin), le nationaliste font-vérien a sorti deux titres évocateurs. En avril, « Zumba Cafew », une réponse en quatre couplets sans refrain autour du thème de l’absence de concessions, à ceux qui ont voulu le réduire au gimmick de « Bande organisée ». Le mois suivant, « DLB 13 », suite (et sommet?) de sa série de freestyles « Dans le block », si caractéristique de la patte manessienne, sur une prod de Stef Becker et 71 Beats. Les deux titres annoncent la couleur, plus proche de la noirceur de Rescapé que des aplats vifs de Mistral. Soso Maness semble décidé à montrer qu’il n’est pas un rigolo, encore moins un mytho, et, pour rien au monde : un rappeur à buzz. Il a travaillé, avec un acharnement perceptible dans l’affinage de la formule « DLB ». Elle est plus rôdée, jubilatoire, son style se perfectionne, entre ancrage local et extraits infusés de flows américains. Au point qu’il devient impossible d’affirmer qu’il est un mauvais rappeur, même pour ceux fatigués d’entendre parler de TP – à ces gens, il faut signaler par ailleurs qu’il reste une foule d’autres artistes et genres musicaux qui n’évoquent jamais la vie de rue, lui préfèrent des centaines de variations sur le fait de se faire larguer, et donc qu’il est toujours possible d’aller donner son avis de ce côté, personne ne leur en voudra.

Alors, qui l’a titillé au point qu’il réponde par la rafale de titres 100% rap, réaffirmations véhémentes de son authenticité ? Des adolescents derrière leur ordinateur prétendant qu’il n’avait pas assez planté de gens (ou bu de lean) pour pouvoir poser sur des « grosses 808 » ? Peu probable. Des individus qui l’ont traité de menteur ? La cinq-centième occurrence d’un « oh Soso, tu nous fais zumba cafew », alors qu’on est l’auteur de « Minuit c’est loin », « Je rentre tôt » et qu’on a posé avec la Mafia K’1 Fry à 12 ans ? Quoiqu’il en soit, les deux titres promettent un troisième album pas pris à la légère, où le style Soso, déjà l’enjeu de son premier long format, semble de plus en plus solidifié.

Que soit mise de côté l’amusante assonance – presque une anagramme ! – de son nom de rappeur avec celui de son confrère francophone qui défraie actuellement la chronique autant par ses (excellentes) qualités que son (décomplexé) art de la décalcomanie. Car El Pep’s ne vise pas le trône, lui. Il ne vise même pas grand chose, si ce n’est ces mêmes influences que Benjamin Epps, celles qui ravissent les fans de rue et qui ont trouvé leur bonheur chez des écuries situées outre-atlantique telles que Griselda. D’ailleurs, El Pep’s ne s’en cache pas. Les adlibs à la Westside Gunn pleuvent sur son album. Mais il y a chez lui un côté rap de rue purement estampillé des zones urbaines qui bordent les autoroutes partant de Paris pour s’évanouir dans le nord de l’Europe. El Pep’s est aux confluences, à Liège, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière qui sépare la Belgique du royaume batave. Et si d’entrée, 2.4 Kg est un album qui dit porter son nom en référence à la quantité de résine et d’herbe qu’il aura fallu pour le financer, il est aussi un disque de type beats. Après recherche – puisqu’ils sont dûment crédités sur la playlist Youtube du disque – ces derniers correspondent essentiellement à deux hashtag : #JoeyBada$$ et #Griselda. Tout juste faudrait-il en rajouter un troisième : #InterludeDJMuggs. C’est là-dessus qu’El Pep’s pose son rap de blocs. Il y a du Kool Shen dans le côté rap de rue qui ne cherche pas à s’élever au-delà des réalités du sol. Il y a du Lacraps dans l’attitude et la façon de réduire et étendre les rimes au sein du même couplet. Il y a même du James Deano dans certaines interprétations (le côté décalé en moins) et du Scylla dans les chimères évoquées à plusieurs reprises. Et sûrement encore d’autres rappeurs et influences, digérées en pagaille, qui devraient être citées comme El Pep’s cite Rocca, et recrachées comme un monstre à de nombreuses têtes sur un disque poisseux, à mi-chemin entre la culture de rue brut de décoffrage des grands ensembles européens et celle d’un rap en plein revival boom-bap affreux, sale, et d’abord torturé avant de devenir méchant. L’album avançant, El Pep’s le mâtine d’ailleurs d’une teinte horrorcore. Et finit par emprunter un champ lexical sanguinolent qu’il relie à une idée toute simple, quasiment éculée : que le rap mérite une bonne mise à mort. Pas tant basée sur des storytellings sordides, mais plutôt sur un bonne dose de hardcore déterminé. 2.4 Kg se transforme finalement en 2.4 litres. De quoi ? D’hémoglobine sonore.

“Here to steal the game and save the day” proclamait Evidence durant la phase de lancement de son dernier album. C’était en 2018 sur le redoutable « Jim Dean », produit par Nottz. Une tournée plus tard – dont un concert plein de ferveur à Paris -, Evidence était revenu avec “Unlearning”, une chanson tombée en plein confinement, et qui avait réussi à donner à celui des allures de doux refuge pendant 177 secondes. “It’s a present gift” y disait Ev en contre-jour, durant l’un de ces après-midis suspendus du printemps 2020. Quasiment treize mois plus tard, c’est le retour de l’heure des cadeaux, de ceux qui annoncent qu’il est à nouveau temps de voler le game pour mieux sauver la journée : le Weatherman annonce son nouvel album. Comme un prolongement, il sera intitulé Unlearning Vol. 1 et sortira le 25 juin avec une clique d’invités qui n’auraient pas dépareillé sur un disque d’Alchemist. Et si c’est d’ailleurs ce dernier qui produit le single “Better You”, il ne sera pas le seul à réaliser des titres pour cette livraison 2021 d’Evidence. L’indispensable Nottz, la petite Suisse de Brooklyn que représente Sebb Bash, ou encore Daringer l’âme sonore de Griselda planteront le décor de ce nouveau bulletin météo du Weatherman. Cette fois, il est lancé dans un clip en noir et blanc à l’esthétique qui n’est pas sans rappeler un film d’animation français : Renaissance. Tout ça pour dire qu’il y a des artistes pour lesquels la même chose pourrait être écrite à chaque brève sans que cela pose problème, tant ils maintiennent un cap singulier, un sillon unique, tout en semblant toucher de nouvelles terres à chaque fois. Evidence – qui annonce également la naissance de son label – est de ceux-là.

Erratum : « Jim Dean » est évidemment produit par Nottz et non DJ Premier. Merci à K1000, vigilant lecteur.