Sidekicks

Avec son premier EP New DNA, le girls band japonais XG puisait largement dans le rap US en vogue. Désormais sur l’autouroute du succès, le groupe peut sortir des clous et affirmer un style plus prononcé. Sorti le 8 novembre, leur « come-back » (selon l’expression consacrée par l’industrie K-Pop pour désigner une nouvelle « ère » dans la carrière d’un artiste ou d’un groupe) AWE assume enfin l’identité musicale est-asiatique et japonaise de la formation. En témoigne le remix de leur single « Woke Up », morceau de pur rap à la production inquiétante, garanti sans refrain sucré : leur producteur Simon Jakops y convie une équipe de huit vengeurs du rap japonais et coréen, pour un posse-cut interculturel de 6 minutes rappé en trois langues. En dehors de OZworld, rappeur d’Okinawa de 26 ans, tous sont des OG approchants ou dépassants la quarantaine, de la star américaine d’origine coréenne Jay Park à la rappeuse japonaise de 37 ans Awich, longtemps restée dans l’ombre avant d’exploser en 2022 avec son album Queendom.

Sur ce remix on retrouve également Verbal, MC du duo m-flo, groupe dont le son mélangeant J-Pop, hip-hop et EDM a marqué durablement la pop culture japonaise des années 2000. Sur « IYKYK », autre single de l’EP AWE, c’est d’ailleurs un sample du morceau « prism » de m-flo qui sert de structure à ce tube rap-pop coloré. Appuyant l’hommage, l’une des chanteuses évoque sur le deuxième couplet l’interprétation nonchalante et irrésistiblement « cool » de Verbal, 23 ans après le morceau d’origine. Une célébration inattendue de l’héritage du rap japonais, qu’on imagine ces vétérans du genre contempler avec un sourire en coin, fiers des travaux accomplis.

Invité par le média Grice TV, Aelpéacha s’est expliqué sur sa récente décision de retirer, avec méthode, ses œuvres des plate-formes de streaming. L’occasion fût propice pour redéfinir les coulisses de Spotify, Deezer, Apple Music et consorts mais aussi les contours de plus en plus flous du terme « rap ». Un point de vue technique, avec le regard d’un artiste qui roule en indépendant depuis la moitié des années 90, bienvenue tant cette musique est devenue polymorphe ces dernières années et que le mot est devenu un fourre-tout. Durant une heure trente d’interview passionnante, Aelpéacha revient également sur l’histoire de Supa John, pionnier du reggae en France, sur quelques techniques de production musicale, son parcours, ses influences musicales puisées, entre autres, dans la West Coast et la Bay Area. Une piqûre de rappel essentielle.

Au début de l’année, la rappeuse franco-canadienne Mandyspie racontait longuement son parcours et sa musique dans les colonnes de l’Abcdr du Son. Parmi les étapes importantes de son parcours, elle citait alors Remastered : à la fois média, collectif, mais aussi structure à la réalisation de clips ou à la mise en relation entre producteurs et rappeurs, cette plateforme oeuvre depuis de nombreuses années à Montréal pour mettre en lumière la scène rap de la ville, notamment underground. 

Une mission déjà remarquée sur deux compilations, Gotham City Vol.1 et 2 en 2021 et 2022, qui prendra une nouvelle dimension le 14 novembre avec Symbiose, nouvelle compilation de collaborations entre des artistes français (8ruki, ThaHomey, Kay The Prodigy, Baby Neelou…) et montréalais (Mike Shab, Woody, LucioWav, Young Rose…). Une initiative née après deux années de travail et trois passages à Paris dans le but de rapprocher ces deux scènes, qui se dévoilait fin octobre avec “A.D.N”. 

Première collaboration entre Mandyspie et le rappeur montréalais HALO, le morceau voit le duo poser sur une production gorgée de synthés et de basses synthétiques signée hellyess!, avant de terminer sur une outro tendance drum’n’bass. Un titre planant et mélancolique qui permet aux deux artistes d’évoquer leurs tourments sous une vague de chant autotuné qui fonctionne, tant les deux voix de Mandyspie et HALO se complètent. Premier extrait de la compilation à venir, “A.D.N” montre finalement un bel aperçu des connexions entre Français et Montréalais que promet Symbiose. Ne reste plus qu’à attendre le 14 novembre pour découvrir la suite.

Depuis 2022, l’Abcdr du Son s’entretient avec des rappeurs et rappeuses françaises sur toute leur discographie dans un podcast nommé Trajectoire. Sur les cinq premiers épisodes, des artistes comme Médine, Caballero & JeanJass, Grems, Ärsenik ou plus récemment Chilla, ont ainsi pu raconter toute leur évolution musicale le temps d’épisodes enregistrés parfois en studio, d’autres fois en public. 

Pour son sixième épisode, l’Abcdr du Son se déplacera le mardi 12 novembre à Lille dans la salle du Flow pour rencontrer une nouvelle figure locale : Bekar. Révélé au début des années 2020, le jeune rappeur Roubaisien a fini par s’imposer au fil des années, notamment avec son premier album Plus Fort Que L’Orage – un de nos albums de 2023 – récemment certifié disque d’or et qu’il présentera aussi dans deux Olympia complets quelques jours avant notre événement. 

Pour clôturer ce chapitre, le rappeur viendra donc discuter avec l’Abcdr du Son de tout son début de carrière le temps d’une heure à Lille, au troisième étage du Flow. L’entrée est gratuite, sur billetterie.

Billets

En avril dernier, Luzi & Dar, épiciers sonores de leur état, mettaient en rayon le deuxième volume d’une série d’EPs, GrandBazaar. Le duo de beatmakers genevois, appuyé par le label Colors Records, donnait ainsi une suite au remarquable coup d’essai que fut GrandBazaar(01) en 2023. Une suite certes, mais pas un simple prolongement, car aux beats crasseux et au rap brut du premier EP ont succédé des instrus moquettés et des flows nonchalants. C’était l’ambition des esthètes helvètes, dessiner touche par touche, sortie par sortie, un tableau des raps qu’ils aiment. Ce deuxième volet incarne alors l’efortless rap, cher aux rues d’Harlem. Mais qui pour l’assumer ?

Luzi & Dar ont sollicité huit rappeurs pour poser sur GrandBazaar(02). Certains noms (Jungle Jack, Joe Lucazz) apparaissent comme des évidences au vu du registre choisi, d’autres moins. Ainsi, il est possible d’entendre Ol Kainry rapper sur une « belle loop [qu’il] plie en deux » et Nikkfurie de La Caution glisser sur un instrumental Harry Fraudesque. Et puis, piste six, il y a ce nom, celui de la légende québécoise, du MTL Goat : Connaisseur Ticaso.

Le morceau de Ticaso s’intitule « Empty Hell » et vient d’être clippé, à la suite de ceux d’Okis, Jungle Jack et Ol Kainry. À n’entendre que son instru et la voix pitchée qui le rythme, on aurait vite fait d’imaginer un morceau délicat et apaisant mais, et c’est là que réside l’alchimie entre le rappeur et les beatmakers, l’ambiance est contrastée. En sa qualité d’OG, le Montréalais raconte comme à son habitude la réalité des rues de sa ville et les enjeux de sa vie. Passé fréquemment par les cours de justice, longuement par la prison, et à côté d’une grande carrière, Connaisseur connaît son sujet, « que du crime sur [son] CV ».  Poursuivi par un vécu auquel il tente d’échapper encore en 2024, l’Original Chilleur l’utilise au moins pour alimenter ses textes, dont cet « Empty Hell » et ceux de son nouvel album, Rap life.

Si les plus assidus connaissaient déjà AKISSI pour ses morceaux chantés et mélancoliques, c’est sans doute depuis le mois dernier que le rap français a vraiment commencé à entendre parler de la jeune rappeuse. Le 6 septembre, La Fève revient par surprise avec une mixtape nommée BIGLAF. Sur X, le sujet du jour prend évidemment beaucoup de place. Au milieu des débats autour de cette sortie, un tweet sur un autre sujet va pourtant émerger. En plein brouhaha entre fans et haters s’écharpant sur la mixtape (L’Abcdr du Son en reparle bientôt dans son podcast) une certaine @akissignature poste alors une vidéo accompagnée d’un statut : “Maintenant qu’on a tous écouté La fève j’peux ouuuu ?”. Le contenu de la vidéo : “PQ TU QUÉMANDES??”, 30 secondes de rap nonchalamment délivrées, sur une production aussi détachée que son autrice, avec ses synthés plaqués et sa basse rebondissante. Cible touchée : la vidéo va comptabiliser plus de 100 000 vues. 

Comme si elle avait entièrement repensé sa musique, AKISSI semble avoir pris le temps de changer sa formule ces derniers mois pour mieux revenir avec deux morceaux. Ici, plus de chant, mais du rap pur et dur. Le tout sur des productions à la fois percutantes et tranquilles, comme pour sous-entendre que tout est facile pour elle. Une impression de détachement qui se ressent encore plus sur son dernier morceau “BROKE ASS BOY” dévoilé vendredi dernier. Largement sous influence californienne, le titre voit la Fontenaisienne repousser ses prétendants au fur et à mesure des rimes, qui surfent en toute tranquillité sur une production perfusée à la West Coast signée Jungle333. Dans la lignée d’artistes américains comme Veeze ou Anycia de l’autre côté de l’Atlantique, AKISSI réussit avec ce reboot musical et ces deux nouveaux (très bons) morceaux à aujourd’hui donner l’impression que tout ce qu’elle fait est réalisé sans forcer, en tout décontraction et avec insolence. Une performance de style et d’attitude qui donne envie d’écouter la suite. Surtout quand on sait que cette nouvelle formule a été trouvée en moins d’un an seulement.

Ce vendredi à la Machine du Moulin Rouge, il fera son grand retour : après une Cigale complète au printemps 8ruki reviendra distiller sa philosophie CAB dans la capitale avec un concert à la Machine du Moulin Rouge, en tête d’affiche d’une soirée organisée par Newtone dans le cadre du MaMa Festival. Spécialisé dans les talents émergents, le média invitera aussi d’autres pépites à suivre, à l’image de Jeune Lion et sa trap venue de Côte d’Ivoire, ou 34murphy, nouveau rookie aux sonorités drill et jersey constamment masqué. Une soirée dédiée à la nouvelle scène que L’Abcdr du Son vous incite à aller voir en vous faisant gagner 2 places sur nos réseaux sociaux. Il suffit juste de commenter notre post dédié à la soirée sur Instagram/Facebook, ou de le reposter sur X.

« Ces quelques tracks faut que tu les prenne comme un petit caprice, une pommade sur tes cicatrices ». Pour clôturer son nouvel EP, Primero résume ce qu’il sait faire de mieux depuis son envol en solo en 2020 : une introspection qui accorde de l’importance au son et aux mots. Il faut dire que depuis quatre ans, le rappeur de L’Or Du Commun enchaîne les sorties de qualité, pleines d’assurances dans leurs choix musicaux, mais aussi de fragilités dans leurs mots, comme il le détaillait dans une longue conversation avec l’Abcdr du Son l’an dernier

Après plusieurs mois de silence total en 2024, l’annonce du retour de Primero avait alors de quoi intriguer. Pensé comme une capsule de pensées entièrement rappée (le chant est présent seulement sur le dernier morceau) Plaine des Asphodèles voit Primero observer avec succès ce qui l’anime de l’intérieur, tout en jetant un œil vers l’extérieur. Un changement constant de point de vue qui fait la force de cet EP, autant porté sur les émotions du Belge (“J’suis dehors un peu khabat, dans une tire avec les sièges qu’on peut rabattre. Qui pourra aider mon cœur à battre ?”) que sur le monde qui l’entoure (“On a transformé des terres libres en drapeau. Tue, ils te diront bravo”, “C’est pas juste avec mes chansons ou celles de Zaho de Sagazan que l’on reconstruira Gaza”) sur des productions instrumentales pleines de pianos, guitares, violons, comme pour appuyer sur le côté humain et intime de sa musique.

En observant le monde mais aussi ses émotions avec la même sensibilité que sur Fragments, Primero rappelle finalement avec Plaine des Asphodèles qu’il sait aussi bien rapper que se raconter, tout en évoluant artistiquement. Une musique encore plus précise et personnelle, qui remplit finalement sa mission première : réconforter celui qui l’écoute, le temps d’un trajet plein de réflexions. 

Le weekend prochain, le 21 et le 22 septembre, aura lieu à La Rochelle la troisième édition du festival Ladies in the West. Le collectif  Lord, s’illustrant dans le graffiti, est à l’origine de l’événement et entend profiter de cette fenêtre annuelle pour donner davantage de visibilité aux femmes dans les arts urbains et le mouvement hip-hop. Les arts plastiques (graffiti, peinture, collage, photo) sont largement à l’honneur. Mais Ladies in the West en propose pour tous les goûts : sont également prévus des sets de DJs, des conférences, des tables rondes, différents ateliers d’initiation, des représentations chorégraphiques, etc. Ambre Foulquier, que nous avons récemment interviewée, participera en tant que marraine et peintre. Elle reviendra également lors d’une conférence sur son parcours et son vécu en tant que femme dans le milieu du rap français dans les années 1990 et 2000.

Pendant dix années, il a dessiné les visages de tous ceux qui font le rap français, avant de leur remettre leurs portraits en main propre. C’est la mission que s’est donnée Sébastien Le Gall, designer graphique et typographe actif depuis 2017 dans la scène rap français (HJeuneCrack, Isha et Limsa d’Aulnay, Saïan Supa Crew) et aussi membre de notre rédaction depuis le début d’année (les nouveaux visuels de nos podcasts, c’est lui). 

À force de tirer le portrait de toute cette scène musicale avec son style caractéristique, où les mots qui composent leurs noms de scène forment des visages, Sébastien Le Gall a alors commencé à avoir une autre idée : faire un livre. Le résultat s’appelle Visages Lettrés, et réunit sur 428 pages 500 portraits d’artistes rap français, pour raconter visuellement l’évolution de ce genre musical. Un livre visuel mais aussi textuel, puisque la préface est signée par un membre de notre rédaction, Raphaël Da Cruz, tandis que la genèse du projet est aussi racontée en compagnie de Ismaël Mereghetti, le tout relu par une autre personne de notre équipe en la personne de Ouafae Mameche. 

Un projet proche de l’Abcdr du Son donc, qui est actuellement en pleine campagne de financement sur le site KissKissBankBank. Si vous êtes intéressé(e), vous pouvez soutenir le projet et vous offrir un livre à l’adresse ci-dessous, d’ici le 7 octobre.  

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