Un train en pleine gueule. En appuyant sur le bouton play de « 313-414 » de Lakeyah, mieux vaut être bien accroché à son siège. Certes, le morceau n’a rien de révolutionnaire, puisqu’il reproduit la formule du rap nerveux de Detroit ces dernières années, avec ses pianos à toute allure – qu’un Meek Mill ne renierait pas d’ailleurs – et sa rage à toute épreuve. Mais les morceaux les plus simples révèlent parfois leur magie par une simple énergie. Celle que transmettent ici la rappeuse Lakeyah, dernière signature du label Quality Control originaire de Milwaukee, et Tee Grizzley, venu amener une dose de Detroit à ce titre brutal et addictif. Porté par la voix de DJ Drama (qui supervise le projet à venir de la rappeuse sous l’étiquette Gangsta Grillz vendredi) « 313-414 » respire le rap simple et direct : une bonne bourrasque qui donne la rage au ventre en seulement 2 minutes et 30 petites secondes. Alors oui, ce n’est ni une révolution, ni un bouleversement dans la longue histoire des hits street rap du Midwest. Mais l’énergie communicative du duo sur ce court instant de rage a tout l’air d’un moment rap bas du front qui donne envie de mettre des torgnoles dans le vide. Parce que c’est parfois de ça dont on a besoin.
Sidekicks
Dans le cadre du festival Hip Opsession qui se tiendra du 1er au 9 octobre prochains à Nantes, Rocé proposera des écoutes et rencontres autour de deux albums de son répertoire : Top Départ, son premier disque qui fête ses vingt ans cette année, et Par les damné.e.s de la Terre, compilation de titres contestataires hérités de la décolonisation et pour laquelle on l’avait rencontré fin 2018. Rocé reviendra sur ces deux disques en compagnie de notre confrère Florian Perraudin-Houssard de BACKPACKERZ, et ces écoutes sont organisées par Sonorium, une société qui propose des écoutes d’albums immersives, avec du matériel audio haute-fidélité. Pour l’occasion, on vous fait gagner des places pour l’événement et des CDs dédicacés par Rocé lui-même. Ça se passe sur nos fils Facebook et Twitter.
Contrairement à RZA qui a perdu ses sessions dans plusieurs inondations dans les années 90, DJ Premier a su prendre soin de ses disquettes sur lesquelles ont été enregistrées les pistes de grands classiques qu’il a produit. Plutôt que de les laisser prendre la poussière, Primo a donc décidé de partager ses anecdotes dans une série de vidéos mises en ligne sur sa chaîne Youtube – on avait eu la même démarche avec lui en 2008. Lancée début août, So Wassup réunie entre autres des titres de Notorious B.I.G., D’Angelo, Jeru the Damaja et évidemment Gang Starr. Rappel utile aux producteurs d’aujourd’hui : sauvegardez bien tout sur des disques durs et gardez quelques clé USB cool sous la main. Peut-être qu’un jour vous pourrez vous aussi les présenter d’ici vingt ans dans les vidéos de vos futurs classiques.
Sortie le 10 septembre dernier, la réédition de l’album Pour de vrai d’Ichon devient Encore + pour de vrai. Et du « vrai », il en sera question le 29 septembre prochain au centre culturel La Place (Paris) qui accueille une écoute de l’album en présence d’Ichon lui-même, accompagnée par Narjes Bahhar, responsable éditoriale pour le rap chez Deezer (et passée, entre autres, par notre rédaction). L’événement est organisé par Sonorium, une société qui propose des écoutes d’albums immersives, avec du matériel audio haute-fidélité. Ainsi ont été précédemment présentés par Sonorium des albums de Dinos et Baloji, parmi tant d’autres. À l’occasion de la soirée autour de Encore + pour de vrai, l’Abcdr du Son propose de gagner des CDs de ce disque. Ça se passe sur nos comptes Facebook, Twitter et Instagram. La billeterie de cette soirée est d’ailleurs encore ouverte pour découvrir ou redécouvrir l’album d’Ichon dans des conditions d’écoute optimales.
Ce 25 août marquait les vingt ans de la disparition de la chanteuse dans un accident d’avion. Depuis ce jour fatidique, sa discographie menaçait de glisser peu à peu dans l’oubli. Ses disques n’ont jamais été repressés et sa musique n’a jusque-là jamais été disponible sur les plates-formes de streaming (à l’exception du premier album conduit par R. Kelly et d’une poignée de singles). Elle était virtuellement devenue inaccessible. Alors que rappeurs, chanteurs et producteurs ont continué de célébrer Aaliyah pendant deux décennies en la samplant et en la citant, son héritage semblait pourtant vouer à s’effacer peu à peu de la mémoire collective et à ne plus devenir qu’une référence obscure auprès des nouvelles générations. Le biopic sorti en 2014 était un naufrage, l’album posthume que devaient superviser Drake et 40 n’est jamais sorti et surtout les albums cultes One in a Million et Aaliyah paraissaient condamnés à ne jamais revoir le jour.
Cet enlisement est dû en premier lieu à l’effondrement de Blackground Records, le label fondé par l’oncle de la chanteuse : Barry Hankerson. Dévasté par la mort d’Aaliyah, cet homme mystérieux aux méthodes discutables, qui a introduit R. Kelly auprès de sa jeune nièce et a maintenu sa collaboration avec lui jusqu’en 2000 (bien après l’épisode de leur mariage illégal) s’est longtemps muré dans le silence. Les poursuites judiciaires ont plu sur Blackground Records au cours des deux dernières décennies, notamment de la part de ses propres artistes (comme Timbaland ou Toni Braxton) désireux d’obtenir leur dû et de quitter le navire. Les ponts avec la mère d’Aaliyah – la sœur d’Hankerson – sont coupés depuis longtemps. Ils ne s’adressent plus la parole. En coulisses, des négociations infructueuses semblent avoir eu lieu entre la famille et Blackground, d’après les communiqués publiés. Sorti de sa réserve cet été, Hankerson, seul détenteur des droits, justifie l’absence de la musique d’Aaliyah pendant tout ce temps par une défense floue et changeante : respecter la volonté de la mère de ne pas entendre la voix de sa fille ou encore la difficulté à établir un deal équitable avec les plates-formes de streaming.
Quoi qu’il en soit, dans ce nœud de culpabilité, de non-dits et de chagrin jamais apaisé qui mine cette famille, l’escamotage insensé de tout un héritage musical va prendre fin. One in a Million, l’album fondateur, fruit de la collaboration entre Aaliyah, Timbaland et Missy Elliott, est déjà disponible. Quant à Aaliyah, qui abrite les plus gros cartons de la chanteuse comme « We Need A Resolution » ou « More Than A Woman », il ressort ce vendredi 10 septembre. D’ici octobre, c’est l’intégralité du catalogue de Blackground Records qui devrait être mise en ligne. L’occasion également de redécouvrir le premier solo de Timbaland et ses albums avec Magoo (notamment Indecent Proposal et Under Construction, part II) où le producteur élaborait un son unique et osait des bizarreries qui étonnent encore aujourd’hui. Sur One in a Million, son usage avant-gardiste des percussions, l’écriture de Missy et la douceur fragile d’Aaliyah se marient pour atteindre un moment de grâce qui n’a pas pris une ride. Il était temps que le monde en profite à nouveau.
Lorsqu’en décembre dernier, il a été temps de jeter un regard passionné sur l’année écoulée, L’Abcdr avait pris garde de laisser visible dans le rétroviseur quelques excellents disques restés confidentiels. Parmi eux, il y avait le recueil de titres que Tar One avait publié tout au long des 365 jours précédents. Une œuvre pour perpétuer une passion et contenant autant le plaisir de kicker que celui d’observer le monde. Elle ne pouvait donc pas être mieux nommée : Juskomsa. 2021, rebelote avec un deuxième volume, sauf que cette fois, le rappeur n’avance pas en solo. Après avoir dévoilé une première piste avec Taipan, c’est en trio que la joue celui qui est désormais l’un des darons tranquilles du rap belge. À ses côtés ? Son compatriote le ‘vni Béhybé, ainsi que le virevoltant Moudjad qui officie dans un registre plus sombre que d’habitude. Et pour cause, même si Moudj’ ne prononce pas une seule fois le mot « enfoiré », lui, Béhy’ et son hôte démontent l’orgueil digitalisé du monde moderne. Ils le font sur une production aux maléfices planants portée par un beat assourdissant de Math Mayer. Du son envoûtant à la Hits Alive qui suit à la lettre la maxime prononcée par Moudjad : « Rappelle-toi qu’on voit tous les défauts quand il y a trop de lumière. » C’est dit juste comme ça et ce sera tout de même relayé sur les réseaux sociaux, quoi que ces rappeurs en pensent.
L’artwork peut faire penser au Hegelian Dialectic, ultime album de feu Prodigy. L’ambiance sonore proposée par Dead Monarchs, duo de producteurs australien composé de Donnie Tha Chief et Stricknine (du groupe Kings Konekted), colle également au QB de Pee, celui qui mêlait ésotérisme obscur et fierté de représenter le borough new-yorkais. Pas vraiment étonnant, vu que l’album Tabula Rasa, met à l’honneur un de ses soldats le plus prestigieux : Tragedy Khadafi, vétéran de la scène Queensbridge depuis Marley Marl et son Juice Crew. La liste d’invités confirme la direction artistique : KRS-One, M.O.P, Blaq Poet, Kool G Rap, A.G… Tragedy croise le fer avec un panthéon de MCs du New-York (mais pas que) crasseux des années 90. Le rappeur désormais cinquantenaire s’offre une cure de jouvence, son flow ressemblant de plus en plus -c’est à s’y méprendre sur certains morceaux- à celui de Nas. Fort de dix-huit titres et d’une cohérence impeccable, Tabula Rasa est une belle surprise, prolongeant l’ambiance amenée par les albums collaboratifs de DJ Muggs en début d’année. Il pourrait même prétendre au titre de meilleur album de Tragedy, depuis Intelligent Hoodlum en tout cas.
Le coeur bien serré pendant trois minutes, pour essayer d’un peu mieux aimer. En s’attaquant au sujet de l’amour, Disiz faisait son retour au début de l’été en usant de sa plus grande force : sa vulnérabilité. Et si depuis ses débuts le rappeur d’Evry n’hésite pas à ouvrir des portes sur ses doutes et ses peurs, la tendance semble maintenant encore plus forte depuis deux albums : que ce soit sur Pacifique (2016) et ses nombreux questionnements personnels, ou sur l’exploration de ses démons sur Disizilla (2018), Serigne M’Baye Gueye semble depuis quelques années rejeter les calculs pour ausculter ce qui l’anime. Une théorie qui se confirme encore un peu plus à l’écoute de « Casino », nouveau morceau pop chanté aux couleurs tristes et estivales. Composé en compagnie du producteur LucasV, le titre plonge la tête la première dans les vagues sentimentales d’un Disiz tiraillé : là où l’amour semblait jusque là l’animer, « Casino » parle des doutes qui peuvent (aussi) parfois s’inviter. Aussi langoureux que profondément sincère, tiraillé entre la peur de se tromper (« Qu’est-ce que je risque ? Est-ce que je l’aime ? Qu’est-ce que je perds si je la quitte ? ») et une tendresse persistante pour celui ou celle qu’on continue peut être d’aimer (« Je sais, tu as mal […] Viens dans mes bras, rapproche-toi, repose-toi sur moi ») « Casino » parle finalement de ces contradictions qui rendent autant humains qu’elles peuvent causer de la souffrance. C’est beau et triste, comme un dernier au revoir à quelqu’un qu’on a aimé, tout en étant aussi la preuve d’autre chose : à 43 ans, Disiz semble avoir encore beaucoup de choses à nous montrer.
Les rétrospectives, DJ K-tana s’y connait. Alors, quand le Toulousain propose de nous faire revisiter le premier semestre 2021 – six mois durant lesquels il s’est passé une pléthore de trucs dont la grosse majorité nous est passée sous le pif -, il n’est pas question de rechigner. 2021 Underground Hip-Hop, c’est cinquante-six morceaux sélectionnés et enchaînés avec maestria. Plus qu’un best of de cette première partie d’année, K-tana a voulu proposer une ambiance cohérente durant les quatre-vingt minutes que dure le mix. Durant ce plaisant voyage, on croise des habitués de nos colonnes (Evidence, DJ Muggs, Your Old Droog, Griselda), tout comme des artistes moins souvent cités par ici mais néanmoins hautement talentueux (M.A.V., Chris Crack, Jazz Spastiks). Un moment et une initiative franchement appréciables.
Ce titre aurait très bien pu être celui d’une compilation regroupant des morceaux d’artistes d’horizons divers comme on en connaît bien dans le rap. Et l’idée n’est pas très éloignée : un recueil de textes écrits par des rappeur.se.s, produit par une cheffe d’orchestre, Elena Copsidas.
Réunis autour de quatre thèmes (bleu, brut, mur et muse), les dix-sept artistes ont en choisi un et ont laissé libre cours à leur créativité pour imaginer un texte en rime ou en prose. Seule contrainte, logique sur papier, il n’y a évidemment pas de musique. Là où pour le rap la prod représente 50 % du résultat – et dans à une époque où les toplines prennent le dessus et arrivent en amont des paroles –, l’exercice peut être déroutant pour certains.
Le résultat est cependant concluant. Sans basses, sans flow et sans mélodies, les plumes des artistes donnent tout de même à entendre une rythmique, propre à chacune d’elle. Il y a les rappeurs qui jouent avec les allitérations, faisant rebondir les sons dans tous les sens. Ceux qui écrivent en respectant les temps et les mesures, vers par vers, deux par deux. Ces autres qui favorisent les rimes embrassées et les répétitions de strophe pour cadrer leurs propos. Les destructeurs de structures littéraires qui mélangent les genres et les styles. Les amoureux d’énigmes et casse-têtes qui nous font sourire et réfléchir.
En suivant attentivement les plumes de chaque auteur, c’est leur personnalité qui transparaît à travers leur narration et leurs champs lexicaux, tout comme leur expérience dans cet exercice de style.
Mais le pouvoir d’un écrit réside dans la réception que chacun en fait. C’est dans cette idée que chaque texte est accompagné d’une illustration pensée par un artiste graphique qui a laissé à son tour son crayon interpréter ce que les mots lui ont fait ressentir. Nul besoin de Genius pour expliquer quoi que ce soit dans ce livre, tout est une histoire de sensibilité et d’interprétation.
Avec des textes de : Akhenaton, Rémy, Jok’Air, Kacem Wapalek, Lino, Georgio, Greg Frite, Lord Esperanza, Captaine Roshi, Lady Laistee, Chilla, Edgar Sekloka, Nikkfurie, Demi-Portion, Kemmler, Scylla et Sean.
Avec des illustrations de : Stéphanie Macaigne, Maxlesquatt, Carlotta Magali, La grosse griffe, Hakim Sahiri, Engy Saint-ange, Sofiane Who Knocks et Dimitri Zegboro.
Le livre Au nom du rap est disponible à la commande ici.