Sidekicks

À la toute fin des années 1980, le Hip-Hop en province faisait ses premiers pas. Les activistes étaient peu nombreux, les lieux et les événements dédiés à la culture bien rares. Pour pouvoir vivre leur passion, les fly girls, b-boys et autres partageaient concerts, magasins de disques, émissions de radio avec les amoureux d’autres courants musicaux, qu’il s’agisse de rock, de funk ou de reggae. De ces rencontres sont nées, jusqu’au milieu des années 1990, une quantité sous-estimée de projets enthousiastes et bigarrés. Straight Royeur et son seul disque, Fear of a Female Planet, sont de ceux-là. Dire que la formation lyonnaise avait quelque chose de singulier tient de l’euphémisme : derrière les deux rappeuses au discours féministe affirmé officiait l’ancien guitariste d’un groupe punk ayant eu sa petite renommée, mais aussi des pionniers locaux de la culture hip-hop à la basse et aux platines. C’est l’histoire de cette alliance surprenante que racontent Karim Hammou et Cara Zina dans le livre Fear of a Female Planet, sorti aux éditions Nada. Le premier est sociologue, la seconde est l’une des deux voix de Straight Royeur, son ancienne acolyte au micro étant l’écrivaine Virginie Despentes. Le récit nous fait naviguer dans des environnements culturels passionnants, qu’il s’agisse des milieux alternatifs et des squats, du fanzinat ou du milieu hip-hop à l’époque de la déflagration Public Enemy. Pour faciliter le voyage dans le temps, de nombreux acteurs ou spectateurs de l’aventure partagent leurs souvenirs, appuyés par de précieuses illustrations d’époque soigneusement conservées par Cara Zina. Le parcours de Straight Royeur était resté jusque-là étrangement méconnu : Fear of a Female Planet répond à cette anomalie de bien belle manière.

Le deuxième EP de Djado Mado recèle des perles : un candidat au titre de futur classique (« El Shabbaz ») plein de références aux rappeurs admirés, un son marrant aux inspirations reggaeton inattendues avec Aketo et des couplets qui redonnent ses lettres de noblesse à un rap engagé trop facilement traité de ringard : « CFA », « Colonisé », à recommander à Emmanuel Macron car il n’y a pas que « L’odeur de l’essence » dans la vie. Et autour de la sortie de Noor II, deux clips réussis : le titre trilingue et énergique avec Djalito, « Kattegat », et « La lune », sorti le 3 décembre. Djado est cette fois en compagnie du jeune prodige de 2021, So la lune – décrypté ici – dont les fulgurances d’écriture devraient mettre un terme aux comparaisons avec Jorrdee sur le seul argument de l’étrange et titubante nonchalance vocale. Clin d’oeil à l’astre des Comores et au blaze de ce dernier, il s’agit du premier featuring entre les deux artistes. La nuit est « l’égérie » de So (« c’est plus simple dans la noche », chantait-il dans « Keh Lanta »), le refrain parle de s’allumer avec un flash en raison d’un coeur éteint : le titre aurait pu être sur un de ses EP, il a une couleur différente du reste de Noor II. Pourtant, il s’y intègre sans souci. Le secret ? Une (vraie) collaboration entre Kon Queso, producteur marocain basé à Lyon qui travaille avec So depuis 2019, et Madizm, producteur de l’EP. La structure de l’instrumental, centrée sur des guitares presque féériques, a été conçue par Kon Queso. Madizm a, entre autres, harmonisé l’instru de son collègue avec le reste de l’EP. Il a retravaillé les basses, accentué les drums, « ajouté des licks de guitare sénégalaise bien planqués » et une jolie flûte sur le refrain. Le résultat, un son aux couleurs du crépuscule chéries par So la lune, mais où Djado Mado tire nettement son épingle du jeu.

Young Dolph semblait invulnérable. Aucun morceau ne capture mieux cette aura que « 100 shots ». Enregistré quelques jours à peine après que Dolph avait réchappé à une tentative d’assassinat, en 2017, les quelques notes de piano autour desquelles l’instrumentale se construit lentement transpirent encore l’odeur de la poudre. Adolph Robert Thornton Jr. y clamait à pleins poumons l’exultation du survivant et l’assurance tranquille d’être à l’épreuve des balles. La tragique nouvelle de son décès lors d’une fusillade au cœur de Memphis, la ville dont il portait l’étendard depuis plus de dix ans, vient parer cette chanson d’une tonalité lugubre.

La couronne qu’il s’était lui-même posée sur la tête en intitulant son premier album King of Memphis était loin d’être usurpée : Dolph était et restera une légende de Memphis. Pendant plus d’une décennie, il a incarné le son de la capitale du Tennessee et a contribué à faire émerger la nouvelle garde de la ville.

À la tête de son label Paper Route Empire, Young Dolph avait bâti sa carrière comme un modèle d’indépendance. Impossible en apprenant la funeste nouvelle de ne pas entendre l’écho du nom de Nipsey Hussle : les deux hommes partageaient un même idéal d’indépendance, un même ancrage dans le son, l’âme et les rues de leurs villes. Tous deux finiront par être abattus dans ces mêmes rues.

Young Dolph semblait invulnérable, et l’annonce de son trépas n’en est que plus choquante ; elle sonne comme un cruel rappel de la réalité de cette violence qui, en tant qu’auditeurs et auditrices de l’autre côté de l’Atlantique, nous paraît parfois distante, irréelle, esthétique même. Puisse-t-il reposer en paix.

Il faudra être ce soir à Lyon. Ce n’est pas une injonction, mais bien une envie de communion qui guide ces mots. Il y a un an DJ Duke quittait la Terre, bien trop prématurément. Il se souhaite à ceux qui partent qu’elle leur soit légère. À la Marquise, bateau emblématique des soirées lyonnaise où Duke était un résident, son âme flottera et planera. En musique et avec la conviction de « faire les choses » qui lui était propre. Sous l’impulsion de l’activiste et rappeur  Yanbra, La Caution, Crazy B ou encore Low Cut perpétueront ces nuits où le Duke faisait vivre une vision large du hip-hop. Musique évidemment, pour celui qui était scratcher, beatmaker, et remixeur hors-pair. Mais le DJ était aussi un artiste impliqué, déterminé, qui ne s’arrêtait jamais d’œuvrer dans l’ombre des studios autant que derrière les platines. Pour se donner une idée de qui était ce personnage souvent « undercover » comme il aimait le dire, il y a évidemment sa musique à écouter et à se procurer, sur place ou via son bandcamp. Il y a aussi notre longue interview parue en 2017. Mais il y a surtout ce très bel hommage organisé par le site Le Petit Bulletin, où des proches et complices du DJ témoignent de son activisme acharnée et de sa passion intacte. Dans cette série de témoignages, Ogreoner dit d’ailleurs ceci : « DJ Duke était de ceux plus occupés à mettre l’ambiance qu’à la casser ». La preuve en sera donnée cette nuit, à coup sûr. Et elle sera lumineuse.

Toutes les infos sur cette soirée sont disponibles sur le Facebook de l’association John Duke Heritage.

Graffiti hommage par Duke72, Nicolas Gumo, Don Twa pour la soirée Dj Duke Heritage

D’aucun pourraient prendre S.Téban pour un jeune rappeur de par sa proximité avec les nouvelles têtes de la scène marseillaise comme Zamdane, Jmk$ ou Guapo Cartel. Il n’en est rien, le MC ouvrait déjà la scène pour les Psy4 de la Rime et la Fonky Family dans la première moitié des années 2000 avec son groupe d’alors, Lygne 26. Néanmoins, depuis la sortie de son EP Base 015 l’an passé, le parcours de S.Téban a connu un tournant, au point qu’il n’est pas totalement absurde de considérer 2020 comme l’année 0 d’une nouvelle carrière pour lui. « Tunnel vision » qui ouvre ce projet débute d’ailleurs par ces quelques mots répétés : « Plus rien ne sera jamais comme avant… » Effectivement, c’est un S.Téban revigoré par plusieurs années de discrétion qui est revenu aux affaires, et à lui d’enfoncer le clou à l’été 2021 avec Mode Sport, son premier album solo au détour duquel il réaffirme que « tout va changer » (« Rodéo 21 »).

Tout changera peut-être, sauf les décennies de rap marseillais préexistant, que le MC n’ignore pas. S’il s’entoure de la nouvelle vague locale, qu’il s’agisse des rappeurs ou des beatmakers, S.T n’oublie pas d’inviter Alonzo sur l’excellent « Paris-Dakar », ni de renvoyer à Comme un aimant en donnant ce même intitulé au morceau avec Zamdane. Sur « Les Affreux », son dernier titre en date, c’est Shurik’n et Faf Larage qui ont les honneurs d’une allusion (« La garde meurt mais ne se rend chute pas »).  Deux minutes durant, S.Téban déroule le style d’un OG aux dents longues comme un rookie, flirtant avec l’anachronisme lorsqu’il propose de « changer le game comme Iverson Allen » dix ans après la dernière saison de ce dernier. Autant il revient pour marquer les années à venir, autant il fait de son expérience un atout et ne manque pas de le rappeler au refrain : « Jamais retourné ma veste […] / Fidèle au plan, même avec le temps j’remercie le clan. »

Le morceau en question est sorti en septembre dernier et vient d’être clippé par le réalisateur Styco, pour défendre l’excellent album dont il est issu, Forever Unfamous, du beatmaker Unfamouslouie. Composé de dix pistes, cet opus réunit jeunes et moins jeunes sur une série de productions haut de gamme, dans des registres divers. Au blase de S.Téban s’ajoutent ceux de Jeune LC, La Fève, Loveni, S.Tee, Yao ou encore celui de Victore Yaga. Tous y vont de leur touche perso, entre ride et fête pour les uns, egotrip pour les autres, dope game pour certains… Le casting est globalement brillant, tout comme l’exécution du projet. C’est à écouter sur toutes les plateformes habituelles.

En 2007, le collectif genevois Marekage Streetz sortait Comme un poizon dans le Rhône, classique local de l’avis de tous les acteurs et observateurs de la scène helvétique. Au cœur de cet album figurait le titre « Genève », devenu hymne pour une partie de ses habitants. « On fait pas partie d’la Suisse et ça j’le sais depuis qu’j’suis petit » rappait alors le groupe sur une voix pitchée en boucle. La bande du 022 clamait son amour pour La Ville au bout du Lac et la dépeignait sous divers angles, avec ses Bentleys et son crack, « ses belles silhouettes, ses fantômes dans le tramway », ses banques et « sa jeunesse qu’elle a laissé couler »… Des paradoxes qui font de Genève une ville unique et sur lesquels l’Abcdr a eu l’occasion de revenir en compagnie de plusieurs rappeurs issus de ses rues depuis quelques années. Cette folie urbaine nourrissait la musique de Marekage Streetz et est encore source d’inspiration pour les jeunes artistes du coin.

Le dernier exemple en date est signé Kenzy, auteur de l’album Paradox en 2020 et récemment apparu sur le Freestyle Grünt 46, orchestré par Slimka. Ce 24 octobre, Kenzy a dévoilé sa version du classique marékageux, reprenant l’intitulé, l’instrumental et un certain nombre de citations de « Genève », presque quinze ans plus tard. L’exercice est périlleux tant le titre original est gravé dans les esprits, mais le rappeur s’en sort avec bien plus que les honneurs : c’est une réussite. Entre hommage à ses aînés et volonté de s’affirmer comme relève pertinente, le rappeur trouve le bon équilibre. Il emprunte, cite et s’approprie, donne un petit coup de neuf bienvenu à ce « Genève ». Tous les monuments ont besoin d’être restaurés de temps à autre après tout. Qui plus est, Kenzy préserve l’esprit de la chanson, en reprenant la position qui était celle de Marekage Streetz dans les années 2000 : entre deux générations. Le rappeur montre du respect aux grands de sa ville mais aussi de l’amour à ses petits, et c’est à tous que ce titre est dédié.

Avec son clip lui aussi très touchant, ce « Genève » version 2021 donne à voir une ville qui ne semble pas avoir tellement changé. « Ils ont mis mille problèmes dans le même immeuble, j’viens du Genève sans Patek Philippe ni Rolex » rappe Kenzy comme le faisaient ses prédécesseurs, et la distance entre le Ritz et le quartier des Pâquis reste la même. Dans les multiples visages filmés par Bagdad 794 se lisent les tragédies des dernières décennies, celle des « enfants d’pays en guerre » parqués dans les mêmes zones. S’ajoute à cela une sélection d’images d’archives, comme pour mieux souligner que rien ne bouge dans cette ville. Mais il y a beaucoup d’amour pourtant, pour Genève et les Genevois.

L’Abcdr du Son a une affection particulière pour les festivals locaux, portés par des associations et des salles enracinées sur leur territoire. Ue certaine vision du live « AOC », pour ainsi dire. À Nîmes, l’association Da Storm et la SMAC Paloma organisent la première édition du festival Celsius, qui proposent les 6 et 7 novembre prochains une programmation exclusivement rap, solide et éclectique. À l’affiche : beaucoup de rookies en pleine ascension (Frenetik, Luv Resval, Benjamin Epps, BEN plg, Green Montana), des nouveaux talents à découvrir (Enaé, Zinée, GAB, Juss, Sean, Vadek, Warend), des tauliers actuels (Leto, Di-Meh), des figures historiques (Niro, les 2 Bal) et un producteur légendaire du rap américain (The Alchemist). Mais aussi une création live originale portée par les organisateurs et l’association Jazz 70 : l’Organic Live Band, un concert pendant lequel Carbonne, Infinit’, Jäde et Jewel Usain réinterprètent certains de leurs morceaux avec un jazz band.

Le festival organise aussi deux rencontres littéraires avant les concerts, autour des livres Kendrick Lamar, de Compton à la Maison Blanche de notre confrère et collaborateur Nicolas Rogès et Time Bomb de Kamal Haussmann. L’occasion pour certains membres invités de l’Abcdr du Son de de prolonger la discussion avec eux autour de conférences sur deux thématiques : « Au-delà du G-Funk : panorama des scènes rap de L.A. » (le samedi 6) et « Pourquoi et comment raconter l’histoire du rap français ? » (le dimanche 7).

Toutes les informations concernant le festival sont disponibles sur la page Facebook dédiée mais aussi sur le site du Paloma.

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À l’automne 2020, BEN plg marquait quelques esprits avec Dans nos yeux, un très bel album contant les histoires ordinaires d’un fils de prolo. Bâtie sur des friches industrielles et des crédits Cetelem, la musique du rappeur nordiste dépeint des paysages urbains tristes, des cuisines au papier peint jauni et des chambres d’enfant mal rangées où les pistolets à billes, les majorettes et les rêves sont balancés sous le lit à la va-vite avant le diner. Compte tenu du climat social et de l’avenir qui se dessine pour la France ces temps-ci, l’album de BEN plg n’a pas pris une ride en un an, ou alors elle se confond avec celles qu’il portait déjà, puisqu’il est de ces disques marqués par la vie.

D’ici peu, le Tourquennois livrera un deuxième opus, dont le nom demeure inconnu à ce jour. Au vu du nouvel extrait qui vient d’être dévoilé (il y a quelques semaines sortait « Les préférés de la cantinière » avec Djalito), l’atmosphère de cet album ne devrait pas créer de choc thermique. Pour le moment, BEN fait ses courses au rayon surgelés et s’il a la chance de partir en tournée, il connaîtra déjà l’hexagone grâce aux magnets sur le frigidaire. « Vivre et mourir à Dunkerque » est une mise en musique de plus de ces voyages au long cours direction le terminus d’une ligne d’autocar départementale. Ici en l’occurrence, des vacances à Dunkerque, chez des cousines cette année, « parce qu’il faut changer la machine. » Plg écrit toujours sur la vie dans ce qu’elle a de plus éternellement quotidien. Hier, aujourd’hui, demain, avant, après, le même pastis au même PMU, le même cola éventé dans le même verre Amora, le même trou dans le même cœur. Il saisit autour de lui ce qu’il y a de plus commun pour y apposer une nuance de couleur froide supplémentaire, « éclairée par un soleil terne. »

Le morceau, dont l’intitulé répète une fois de plus l’amour de son auteur pour le rap français par un renvoi à Alpha 5.20, s’accompagne d’un clip réalisé par Ciel Rose (rose pâle, pour le coup). Une mise en images sans fantaisie ni exotisme, faite de détails signifiants : une balançoire au rythme timide, un camping-car immobile, les freins rouillés d’une moto, une Dacia qui attend son plein… Bien peu de mouvement. La seule magie de l’histoire est celle de l’arbre suspendu au rétroviseur intérieur, les espoirs sont à mettre au crédit de la Française des Jeux, bien calés entre le plastique verre d’une table d’extérieur et le verre en plastique pour les bretzels. Aussi grisâtre et triste que cela ait l’air, « Vivre et mourir à Dunkerque » est un beau morceau avec un beau clip, pleins d’amour et de sincérité. S’il propose un album dans le même ton, BEN plg s’inscrira durablement parmi ces rappeurs capables d’allier esthétique et conscience sociale. Il représente les siens et leur zone, sans les maquiller mais en posant sur eux un regard aimant. Il les raconte avec poésie, humour et amour, comme peut le faire pour les mêmes classes populaires nordistes le cinéaste Bruno Dumont, dont une partie de l’œuvre est actuellement en accès libre sur Arte.tv. Pourquoi ne pas s’y aventurer, comme pour préparer l’immersion à venir avec BEN plg ?

Des livres documentant le rap, on peut désormais en trouver à foison. Chez Le Mot Et Le Reste, Faces Cachées Éditions et chez Marabout par exemple. Ce dimanche 3 octobre, c’est au tour de Da Cockroach, de livrer sa version du rap en pages. Pour le coup, le DJ de Bordeaux, organisateur des soirées « Boom Bap Da Boat » et « Life Boom Bap and Death Party », a invité une pléthore d’activistes du rap français (pour la majorité)  pour dresser une liste de 130 disques de rap US qui ont marqué leur temps.
6 millions ways to dig, ou comment sauver la planète avec 130 disques de rap US semble prendre un ton moins académique et plus affectif avec des albums sélectionnés par DJ Djel, Ali, Olivier Cachin ou Sulee B Wax par exemple.

Si il y a six millions façons de creuser, à vous de choisir la pelle. Pour le rap français, vous savez déjà où la trouver. Mais pour le rap US, en voilà une à l’air très séduisante.
L’édition est limitée à 100 exemplaires, après une première à 300 déjà épuisée, et est disponible sur son bandcamp ici.

Sur Alley Oop, le OG originaire de Vallauris continue d’asseoir son retour en force. Il y a du Memphis dans les charleys, du New York dans les flows, mais la voix rocailleuse et l’attitude de taulier au regard froid derrière ses verres teintés sont le pur produit du 06. Est-il encore nécessaire de rappeler que la côte est l’une des terres de rap les plus importantes du pays depuis au moins l’époque de l’école Napalm ? Il suffit de prêter l’oreille une seconde à l’assurance qu’un Veust sûr de son statut déploie sur  les dix titres d’un disque percutant comme une patate de daron dans l’estomac pour se convaincre que non.

La saison de Veust s’est avérée aussi longue et chargée de moments d’héroïsme qu’un hiver à Westeros, mais cet album, qui devait initialement s’intituler Veust Do It, est enfin arrivé. Pour l’occasion,  il a rassemblé une équipe de petits jeunes derrière lui – ça a d’ailleurs toujours été sa démarche ces dernières années. Entre sa proximité avec Don Dada et les travaux menés depuis une bonne décennie avec l’équipe DBF, il a conforté petit à petit sa place de tonton, et les neveux Ratu$ et Alpha Wann sont descendus croiser le faire avec lui.

Réussir à trouver l’équilibre entre la virtuosité technique et la densité du vécu qu’il dévoile a toujours été une des forces de Veust (« Vécu c’est aussi important que les punchs et le flow »). Avec vingt ans de rap dans les dorsaux, la formule est désormais rodée : le MC livre un album en forme d’inspection des lieux, de tour de piste juste histoire de mettre un coup de pression et rappeler à tout le monde qui il est.

Pour autant, le rimeur du 06 ne se contente pas de se reposer sur ses acquis : Alley Oop poursuit le processus d’ouverture entamé dans la série d’EPs sortis entre 2018 et 2019, où il s’autorisait déjà quelques passages chantonnés. Certains titres, et notamment « Repeat » avec Siloh, laissent deviner un autre visage du rappeur tant sur la forme, plus mélodique, que sur le fond, plus sentimental. Mais l’ADN reste inchangé : c’est celui d’un artiste sûr de son fait, capable d’alterner entre les envolées de gangster mystique (Un seul dieu, deux livres saints / Trois n****s dans le 4 litres 5 / 6 bullets dans le calibre zin / Sept cieux, faut pas finir au sous-sol) et les punchlines graveleuses (D’où j’viens on apprend pas à bibi sur une manuelle / Carré d’as mais derrière les lunettes c’est pas Bruel / C’est pas une sainte mais elle manie le manche / Donc la sœur est manuelle), proférées de sa voix caverneuse sans la moindre once de pression.