Sidekicks

Architecte sonore dans les années 2010 des Get Home Safely de Dom Kennedy, Victory Lap de Nipsey Hussle, et aussi de celle moins connue mais tout aussi brillante, de Harlan and Alondra de Buddy, le duo de producteurs Mike N Keys sort ce 11 février un album intitulé Midnight Mirage Instrumentals, Vol.1. John Groover (alias J-Keys) et Michael Ray Cox Jr (alias Money Mike) se sont fait assez discrets depuis 2019 et leurs productions ont été distillées au compte goutte. Ont bénéficié entre autres de leur attention Kehlani, Reason et, encore et toujours, Dom Kennedy. Des productions qui se démarquent également par le fait que le duo travaille énormément avec d’autres compositeurs. Plus récemment, c’est Dr. Dre qui les a conviés aux côtés d’Alchemist sur The Contract pour le morceau « Diamond in Mind ». Si ce dernier a plus mention de symbole que de véritable coup d’éclat, Midnight Mirage Instrumentals, Vol.1 vient rappeler que le duo en a encore sous le coude et propose un collage de beats d’une cinquantaine de minutes pour vous accompagner au boulot ou à la salle comme le suggère Redman en introduction. Mais c’est plus sur une escapade ensoleillée que l’on vous recommande l’écoute de cet album à l’énergie californienne, reposant et radieux, dégoulinant de basses et de cowbells sur « Baby Blue », mêlant douce mélodie de piano et chants d’oiseaux sur « They Say » ou dosant subtilement claps et guitar slides sur « Radical ».

Le rap de Ron Brice est celui du labeur et de la discipline, parfois même de la droiture. Des mots qui sont souvent associés à une forme d’ascèse qu’il n’y a pourtant pas chez le rappeur du label 12 Monkeys. Sur son dernier titre au son rugueux, « Exhibition », il y a certes une célébration de la rigueur dans son art et un refus de niveler son exigence vers le bas : « Sorti d’école, mauvais élève, pourtant bien élevé. M’appliquais quand j’écrivais pour prouver un QI élevé. Maintenant le jeu consiste à paraitre bête : j’dis pouce. J’suis peace mais violent quand on me pousse ». Mais comme il l’a prouvé sur ces derniers EPs sortis depuis 2018, Blacklist et Pédigrée des grands, Ron est aussi un rappeur élevé au rap « poing serré et troisième doigt levé » qui n’a rien d’un stoïque. De son slow flow jamais redondant grâce à ses subtils sursauts de placement, le « bnom » rappelle aussi qu’il ne veut pas se contenter de rester dans l’ombre : « On dit qu’la valeur d’âme n’attend pas l’âge. Moi j’dis qu’tout s’monnaie, mais qu’le respect s’arrache. J’étais dans le tunnel sans percevoir la lueur du fond. Ça a plus d’valeur quand ça s’acquiert à la sueur du front. » À l’image de sa maison mère 12 Monkeys, qui vient de livrer en début de mois le rutilant EP FENDI Massacre de CHAM produit par Just Music Beats, Ron Brice prouve que toute une scène qui « excelle dans [son] couloir » sans vouloir jouer aux numéro dix a encore bien des belles choses à démontrer. Ce « craquement d’os » qu’est « Exhibition » le démontre une nouvelle fois.

Décédé en décembre 2020, Driss Maazouzi alias Zouz était l’un des membres d’Ambusquad, groupe historique de la scène caennaise. Rappeur, chanteur, producteur, réalisateur de clip, le garçon a laissé l’image d’un touche-à-tout doué et altruiste. Afin d’honorer sa mémoire et son talent, son entourage s’est démené pour sortir l’album sur lequel Driss travaillait avant que sa santé ne se détériore. Graine de star est pour l’instant accessible uniquement sur YouTube ; il sera prochainement disponible sur les plateformes de streaming et en version physique. Une page Facebook a été créée pour suivre les informations liées au projet. Nous saluons cette belle initiative et espérons qu’elle apportera du réconfort aux proches de Driss.

Parmi ses derniers articles, le site web Cultures Urbaines interviewe un pionnier du rap marseillais en la personne de DJ Rebel. L’occasion pour le lecteur de revenir rapidement sur les débuts du rap marseillais et de son ancien groupe Soul Swing, mais aussi de découvrir que le DJ a participé au film méconnu Freestyle (sorti en 2002) et plus récemment au court-métrage Merlich Merlich réalisé par le marseillais Hannil Gilhas.

Et pour faire d’une pierre deux coups, vous pouvez écouter, ou re-écouter, la cassette promotionnelle de Chroniques de Mars (avec quelques inédits de Faf Larage et de 3eme Oeil) mixée par ses soins et ceux de DJ Kep ici, mise à disposition par SoundCasaChannel.

La deuxième saison d’Euphoria a débuté il y a quelques semaines et poursuit sa plongée stylisée dans les tourments d’une jeunesse aux prises avec l’addiction, les questionnements d’identité, la violence et la pression sociale. Dans ce monde où le lycée est une orgie perpétuelle avec des élèves torturés et d’une beauté impossible, on écoute du bon son. À la bande originale réussie réalisée par Labrinth, qui navigue entre envolées de chœurs oniriques, synthés puissants et énergie fébrile, s’ajoute une sélection de morceaux imparable qui pioche dans tous les répertoires, et en particulier dans le rap. Peut-être est-ce le véritable rôle de Drake dans la série d’HBO. Après tout, son nom figure au générique en tant que producteur exécutif, mais son rôle exact a toujours paru pour le moins flou, en dehors d’un apport mutuel de visibilité.

En plus des gemmes cachées et des classiques qui rythment les différentes scènes, la saison 1 comporte une particularité étonnante, même si le principe n’a pas tenu jusqu’au bout : chaque épisode porte le titre d’un célèbre morceau de rap en clin d’œil avec un aspect de l’intrigue. Dans l’ordre : « Stuntin Like My Daddy » de Lil Wayne et Birdman, « Made You Look » de Nas, « Shook Ones Part II » de Mobb Deep, « 03 Bonnie & Clyde » de Jay-Z et Beyoncé et « The Next Episode » de Dre et Snoop.

La saison 2 multiplie elle aussi les petits coups de coude aux connaisseurs. Le premier épisode case à la fois « Hit Em Up » de 2Pac, « Hypnotize » de Biggie, « Back That Azz Up » de Juvenile et « Party Up » de DMX. Qu’ils passent discrètement en fond sonore ou soient mis en valeur par la mise en scène léchée, les morceaux sont soigneusement choisis et participent beaucoup à l’ambiance générale, quitte à ne pas toujours faire dans la subtilité. L’utilisation de la musique dans la série se veut ouvertement cool, à la Tarantino, et il faut avouer que ça atteint largement son but. On avait déjà aimé voir ces ados aux relations compliquées danser sur « Blow The Whistle » de Too Short dans la saison 1, on a encore plus aimé voir Zendaya faire du vélo sur le refrain de « Gangsta Nation » avec sa mallette de drogue (non, ça ne compte pas comme un spoiler). Bref, rien que pour la bande-son, on vous conseille d’y jeter un œil si ce n’est pas déjà fait.

Sur son Bandcamp, Testos présente ainsi son nouveau morceau : « hommage à ma génération, celle qui a grandi sur du Wu Tang. RIP ODB. » En 1998, après son couplet final sur « Sortie de l’ombre » d’ATK, s’entendait la voix scratchée de ce même Ol’Diry Bastard… « Mc’s, I’ll be burning, burning hot ! » Le temps a filé depuis, ODB n’est plus de ce monde, Fredy K n’est plus de ce monde, Kesdo n’est plus de ce monde. Mais leur musique reste et leur mémoire perdure, entre nostalgie d’une époque révolue et postérité artistique. En tout cas, dans le cœur de Test, le souvenir est vif.

Avec « Génération Wu-Tang » le Big Testos s’offre un retour dans le temps sur un instrumental de Diagram Music (entendus notamment derrière « Paris la nuit » il y a quatre ans), et avec un quart de siècle de rap dans les jambes, l’ancien n’a rien perdu de sa pertinence. L’écriture est subtile, les références se succèdent sans qu’on les voit venir, ainsi passe-t-il du Terror Squad à Shakespeare, de Lumumba à Ultron, des Refrès à Jean Baptiste Poquelin. Certes, il est plus honnête concernant ce dernier namedropping de ne pas le décontextualiser : « Muselière car colère sous la molaire, grosse moula et gros molard,
sur ce coup là j’encule Molière ! » Désolé pour la Comédie Française, mais ici on salue la technique de Test. Sur les deux couplets qui composent le morceau, il enchaîne les rimes internes et les césures, avec une facilité encore épatante. Si tout se passe comme prévu pour le taulier du XIXe arrondissement, Étoile polaire devrait enfin avoir une suite, et celle-ci s’appellera Calmez votre ancien.

Que peut donner la fusion entre l’auteur de « T’es zoophile si tu baises avec des keufs, vu que c’est des porcs ou des poulets » et de « Double Rotors en platine comme les couilles à Terminator, elles se déboîtent les babines quand elles sucent le dinosaure » ? « Tu dois des sous » est le deuxième extrait de l’album annoncé entre Kaaris et Kalash Criminel, à paraître ce 28 janvier. Les deux Sevranais, scellés à jamais par le succès d’ « Arrêt du coeur » en 2017 – Kaaris place d’ailleurs un clin d’oeil au mémorable « j’mange des sandwichs de gnou j’bois de la limonade de chatte » au début du morceau – sont-ils à la hauteur ? Sur ce titre, franchement oui, plus que le « Tchalla » sorti en décembre. « Tu dois des sous » confirme que cet album commun est une bonne nouvelle pour le rap français. Et si Kalash Criminel avait besoin de Kaaris pour se surpasser, et Kaaris de Kalash Criminel pour (vraiment) s’amuser ? Car c’est bien de jeu dont il est question, et c’est pour cette raison que le son fait autant plaisir. Il est plus rare d’entendre des passe-passes sur des sonorités de rap récent : ici, sur une instru sombre façon drill brooklynienne signée Therapy, les deux rappeurs jouent à un ping pong meurtrier, match amical mais de niveau olympique. Avis aux profs de français qui voudraient illustrer parallélismes, antithèses et autres figures de style binaires de manière ludique. Car le meilleur reste l’alliance délectable d’humour et de violence gratuite qui fait leur rap, ponctuée des ad-libs qu’on leur connaît. « J’m’en lave les mains si t’es au cimetière (Pute), j’respecte les gestes barrière (Pute, pute, pute, pute) » (Kaaris), « Comme les dents d’Béatrice Dalle (Ah, ah, ah), t’as les jambes écartées (Woaw) » (Kalash Criminel). Ici on menace et on se marre, on rappe sans thème mais toujours avec style et force de frappe. Bref, la crème de ce « rap français rempli de teurpoins… »

Photo: @NeskoKevin

C’est l’un des dispositifs les plus réputés en France pour les artistes rap en développement. Le Buzz Booster tient sa réputation non seulement grâce à la qualité de son organisation, son réseau de salles et structures implantées sur tout le territoire métropolitain, mais aussi grâce à la liste des artistes qui sont remporté ce concours depuis treize ans : Nemir, Kikesa, Kenyon, DI#SE, Cheeko & Blanka ou encore Eesah Yasuke – dont le prometteur Cadavre Exquis sorti l’an dernier aurait mérité quelques mots dans notre bilan de 2021. Des artistes qui ont bénéficié de l’accompagnement des professionnels affiliés au Buzz Booster pour le développement de leur carrière et de leurs prestations scéniques.

L’édition 2022 du Buzz Booster a démarré au début du mois avec sa première étape : les inscriptions en région. Tous artistes rap en solo ou en groupe peut y concourir à condition d’avoir un répertoire original d’au moins 30 min et d’être résident dans la région d’inscription. En plus de la plateforme de découverte auprès du public et des professionnels que constitue le Buzz Booster pour les candidats, le lauréat final du concours bénéficie d’une aide à la production de plus de 15.000 € ainsi que de dates de concerts ou encore de sessions d’enregistrement au Red Bull Studio.

Les inscriptions sont ouvertes en ligne sur le site du Buzz Booster jusqu’au 31 janvier 2022, avant les concerts de sélection et finales en région entre février et mai.

C’est le genre d’initiatives réjouissantes qui fleurissent quelques fois dans l’année. Notre confrère La Formule Secrète, chaîne Youtube qui distille des vidéo finement écrites et montées autour du rap français, a entrepris de raconter l’histoire d’Asphalte Hurlante, premier album du groupe La Caution qui a fêté ses vingt ans cette année. Mais plutôt que de regarder sa caméra droit dans l’objectif comme souvent, il est sorti de son home studio pour réaliser un reportage en trois volets et a interviewé Nikkfurie et Hi-Tekk, leur entourage proche et des rappeurs et professionnels de la musique dont ils ont croisé la route. On retrouve ainsi dans le premier épisode du documentaire, consacré aux premières années à Noisy-le-Sec, aussi bien Nikkfurie, une partie des Cautionneurs, Fefe (ex Feniski du Saïan Supa Crew et d’OFX) qui a cotoyé le groupe à ses début, L’Indis des 10 (voisin de Bobigny) et Mouloud Achour. Un premier épisode documenté, nourri d’archives, d’anecdotes passionnantes et de regards croisés qui laisse entrevoir encore de belles choses pour les deux suivants, prévus respectivement les 11 et 18 décembre.

« Il arrive lentement lentement tout vêtu de blanc […] Du tréfond des ténèbres il revient de loin […] Il se sert de l’ombre pour créer la lumière […] Faites qu’apparaissent plein de billets dans les poches de son Dickies, offrez lui le Saint Liquide, Dieu bénisse le Charly Kid. » C’est par une prière de louanges récitée par une voix féminine que s’ouvre l’album de Charly Kid, posant le cadre d’une demi-heure de rap alternant légèreté d’esprit, tourments psychologiques, noirceur de l’âme et recherche esthétique.

Il vient de Namur dont le quartier de Bomel prête son nom à un morceau d’Attention, « Bomel City Crack ». La Belgique se laisse entendre au détour d’un « huit » ou d’un « vingt » prononcés à la wallonne, ainsi qu’à travers l’incroyable morceau « AB3 en 2001 », référence à l’année de création de la chaîne de télévision belge. Le Kid y délivre un egotrip invraisemblable, se sentant comme « Future en 2015, Gucci en 2009 […] AB3 en 2001, Dr Dre sur 2001, Kubrick après 2001. » Il ne manque pas une occasion de citer un rappeur et dresse d’ailleurs un beau panthéon sudiste au long d’Attention, citant pêle-mêle la Three Six Mafia, UGK, Dj Screw, Koopsta Knicca… Chacun se fera un plaisir de glaner les autres hommages de l’album (découvrant au passage un improbable parallèle entre Hifi et le World Trade Center).

Au delà d’un puzzle de références musicales, Charly Kid invite à déambuler avec lui dans l’obscurité, sous les yeux malveillants des drones américains et des oiseaux de mauvaise augure. À mesure qu’il avance dans l’ombre d’une ville oppressante, le rappeur s’enfonce dans une noirceur toujours plus vide. De « Deadly premonition » où il parle de mourir à trente ans à « Kingpin Skinny Kid » où il se dit « tranquille dans le néant », en passant par ses pensées suicidaires sur « Recette cookin' », Charly entretient un rapport ambigu à l’au-delà. L’esthétique sombre développée sur Attention par ces allusions macabres et les instrumentaux ténébreux , tous composés par le rappeur lui-même ne saurait pour autant suffire à résumer la musique de ce Charles Gosse.

Une autre dimension du rappeur est immanquable à l’écoute de cet opus : sa malice. « Même si je regarde dans le vide gros t’inquiètes je m’amuse », dit-il. Et il est vrai que la distraction a sa place au long de la dizaine de titres proposés par un « straight gogol, super mongol. » Les occasions de sourire sont nombreuses, que ce soit par des allusions culturelles, des tournures de phrase, des propos sans fond ou par un fantastique cours sur la mesure de pureté de l’or en forme d’adlib sur « AB3 en 2001 ». Par cette double personnalité, entre le gothique morbide et le chenapan farceur, ainsi que par ses renvois à Akira, Kubrick, aux voitures, au rap, au style, Charly Kid n’est pas sans rappeler Butter Bullets. Aussi la présence de Sidisid sur « Eyes wide shut » sonne comme une évidence.