C’est peut-être parce qu’il est amoureux. D’une fille aux cheveux châtains, aux yeux « verts comme des diamants » qu’il aime observer avec tendresse rouler son joint du matin. Mais Numéro 10, après deux ans d’effacement, ne crie plus. L’amateur du flow écorché, flirtant avec le cri, de xxxtentacion en 2018 a fait place à une mixtape beaucoup plus solaire. Celui qui « rendait ouf » son beatmaker il y a quatre ans pour des type-beat Jul avait déjà donné le beau « Wilson » en 2019, sur lequel l’Abcdr s’était penché. Pour son quatrième projet, Numéro 10 a choisi l’option artisanale, fidèle à l’esprit du rappeur marseillais : il a lui-même produit tous les morceaux, à l’exception de l’outro. Les treize titres (mixés par Palinke) essaiment guitares rudimentaires tirées de package Fruityloops (façon de parler), bpm rapides, sens de la mélodie très simple, rimes faciles (« j’tourne en rond / je cours après les billets / elle me trouve mignon / quand je suis mal habillé.») Au point d’avoir parfois de Jul non seulement la texture artisanale, mais aussi la précision topographique – « j’fais les Arnavaux – La Ciotat ». En réalité, l’impression d’éclaircies vient surtout des prods. Le récit est rarement à la tendresse ou aux vacances. « J’Benda », « Petit filet » ou le très touchant « Audi noir » renvoient à la précarité, au seum et à l’errance qui font la musique de Numéro 10. « Sois tu tombes amoureux soit tu pars en prison », l’alternative de Titulaire indiquait déjà les thèmes récurrents, entremêlés, de Casper. Et « Casper », c’est précisément le porte-nom de cet anonymat, le blase caché d’un pote à qui « il est arrivé des dingueries », « jamais seul dans sa tête » (disait le rappeur en 2018); le protagoniste de « L’enfoiré » de Heuss. Numéro 10 parle d’ailleurs autant à la troisième personne qu’à la première. Pas étonnant pour un artiste dont le rap sonne parfois comme une conversation avec soi-même. Parfois répétitif dans le flow (« Guapa »), Casper propose tout de même une musique renouvelée, qui colle avec l’état d’esprit du moment. C’est sûrement ce qui lui donne cet air spécial de balades authentiques.
Sidekicks
Depuis 2020, le duo M City développe son approche d’un rap brut, poisseux, crapuleux. Après les sorties en duo 20/20 Vision (2020) et Mac 10 Music (2021), c’est le temps de disques solo que les deux rappeurs ont décidé de porter l’empreinte M City en 2022. En mars, Black P, la voix de basse de M City, a sorti Corner – Face A, manifestation d’une « bête » réveillée qui rappe mâchoire serrée et poings fermés (à vide ou sur un manche d’armes à feu), sur des instrumentaux aux tambours battants et ambiances étouffantes qui complètent idéalement le style plus sec de Black P. Avant que Fresh One prenne le relai sur la Face B, l’équipe vient de se frotter à un exercice devenu rare : celui du remix. L’EP de Black P a été entièrement remixé par MadIzm. Le briscard de la production, déjà à l’origine de deux productions bien grimy sur la version originale, propose une relecture avec un son plus limpide et lourd en basse, parfois soulful grâce à un travail fin sur certains samples immortels. Si Corner – Face A est disponible sur toutes les plateformes de streaming, c’est sur le compte Bandcamp de M City que la version remixée est trouvable. Deux fois plus de raison d’écouter cette musiques des coins de rue sombres par des experts du genre.
Si depuis 22 ans maintenant l’Abcdr du Son ne cesse d’échanger avec ceux qui font le rap français, rares ont été les occasions de le faire avec ceux qui nous lisent ou nous écoutent. Depuis trois années déjà, c’était même une petite musique qui résonnait au sein de la rédaction : pourquoi ne pas organiser des rencontres en public avec des rappeurs français, pour échanger pendant deux heures sur leurs carrières, leurs identités artistiques et leurs trajectoires ? Seulement voilà, une certaine pandémie est passée par là, et il a bien fallu prendre son mal en patience. L’attente en valait pourtant la peine : en 2022, l’Abcdr du Son lance Trajectoire, ses rencontres en public avec des rappeurs français pour échanger sur leurs parcours, en public, pour prolonger ce qui fait l’ADN du site : documenter l’histoire de cette musique à travers la parole de ceux qui la font.
Et qui de mieux que Médine pour inaugurer ces événements ? Avec presque vingt ans de carrière au compteur, huit albums et de multiples virages dans sa musique, le rappeur havrais viendra discuter de son parcours avec la rédaction de l’Abcdr du Son à Paris à la fin du mois. Ce sera le 27 juin prochain, sur la scène de la Flèche D’Or à Paris pendant deux heures, une séance de questions réponses avec le public sera organisée à la fin, et l’entrée est à prix libre. Vous êtes évidemment les bienvenus.
Comment réparer une injustice ? Qui plus est dans le rap ? Sans doute en utilisant ses propres armes : celles de la musique. En se faisant éliminer de manière (un peu) arbitraire du nouveau télé crochet Nouvelle École de Netflix, BEN plg avait de nombreuses raisons d’être amer. Une réaction qu’on aurait pu comprendre tant la séquence du deuxième épisode de cette première saison semblait lunaire au premier abord. Convié sur un parking par Shay pour réaliser un freestyle, le montage un peu aléatoire de la série laisse entendre au spectateur que la rappeuse bruxelloise découvre le rappeur de Tourcoing à l’instant où les caméras s’allument, sans lui poser aucune question ou presque sur son parcours. Sous les yeux convaincus de Frenetik, l’auteur de « Vivre et mourir à Dunkerque » réalise alors sans doute une des performances les plus intéressantes et incarnées de ces deux premiers épisodes… sans convaincre Shay, qui lui trouve un « manque de dalle ». Fin de parcours express pour le jeune rappeur, bashing un peu trop prononcé et teinté de misogynie (mais est-ce étonnant, malheureusement ?) sur les réseaux sociaux pour Shay, et un vrai goût d’inachevé à la fin pour tout le monde. Mercredi dernier pourtant, BEN plg a eu la bonne idée de trouver une issue artistique à ce drama : en faire un morceau. Et « Mauvaise nouvelle » est sans doute la meilleure réponse à donner à cette séquence de télévision faussement dramatique. Si le Tourquennois n’a eu que quarante secondes face à Shay, il livre ici un pur morceau de rap de presque quatre minutes, dans la veine de sa musique présentée sur ses deux premiers albums sortis en 2020 et 2021.
Entre mélancolie assumée, souvenirs d’une jeunesse dans le Nord cabossée mais pleine de sincérité, textes soignés et rage au ventre, tout ce qui fait le son BEN plg est ici condensé le temps d’un titre qui s’amuse aussi à faire des clins d’oeil à la séquence de Nouvelle École, sans jouer le jeu du droit de réponse. C’est là l’intelligence du morceau : une élimination dans un télé crochet ne représente qu’une infime partie des soucis de son auteur, qui semble décidé à transformer les coups du sort en contres éclairs tendance Diego Simeone. La porte fermée, mais la fenêtre entrouverte, BEN plg s’engouffre finalement avec « Mauvaise nouvelle » vers la carrière qu’il estime mériter, tout en montrant que le négatif peut parfois alimenter la création. Une réponse sans animosité qui a d’ailleurs attiré l’attention de Shay, saluant elle aussi publiquement le morceau sur les réseaux sociaux. Car elle sait, il sait, nous savons : si le rap est une compétition ce n’est pas pour opposer bêtement ceux qui font cette musique. C’est surtout pour toujours plus pousser ses acteurs à se dépasser dans leurs propositions. « Mauvaise nouvelle » en est une nouvelle fois la preuve.
Ce 24 juin, Paris se trouvera le temps d’une soirée à mi-distance entre Boston et Compton, à l’occasion du Gumbo Fest. Cet événement, co-organisé par le restaurant Gumbo Yaya, le label La Ligne Bleue et nos confrères et amis de Fusils à Pompe réunira en effet Cousin Stizz et 500raxx à La Place. Lui a sorti son album Just For You en février dernier, tandis qu’elle s’est faite discrète cette année, mais ne devrait pas manquer de ressources à puiser dans les deux volets de ses 500 Summers. Le français Manast LL’ viendra compléter ce plateau pour un feu digne de ce nom célébrant l’arrivée d’un été s’annonçant d’ores et déjà des plus chauds.
La soirée devrait débuter autour de 20h, Passage de la Canopée dans le premier arrondissement. Les informations pratiques et la billetterie sont à retrouver ici.
C’est l’aboutissement de plusieurs mois de compétition. Ce samedi 11 juin, le Stereolux de Nantes accueille la 13e finale du Buzz Booster, l’un des dispositifs les plus réputés en France pour les artistes rap en développement. Aux termes des finales régionales qui ont eu lieu ce printemps, dix candidats vont donc avoir quinze minutes pour convaincre le jury de leur talent. En jeu : une aide à la production de leur musique et un accompagnement au développement de leur expérience de la scène. Les dix finalistes du cru 2022 sont BR la B (Île-de-France), Dynjah (Bretagne), Heloïm (Normandie), Hicham (Pays de la Loire), Konga (Hauts-de-France), Li$on (Auvergne-Rhône-Alpes), Moody (Occitanie), Nali (P.A.C.A.), Rob LC9 (Nouvelle-Aquitaine) et Timéa (Grand Est) ont d’ailleurs enregistré un titre collectif sur une production de Noxious et filmé par Daymolition, façon cypher. La soirée au Stereolux est accessible gratuitement, à partir de 20h.
Initialement pensé comme un festival dédié au hip-hop, Marsatac est venu offrir à la ville de Marseille le festival qui lui manquait. En 1999, la première édition regroupait à la fois des artistes bien identifiés dans le paysage national et des artistes locaux en pleine ascension. Faf Larage, 3e Œil, Puissance Nord, Psy 4 de la Rime, Fonky Family, Carré Rouge et bien d’autres se partageaient la scène du célèbre Espace Julien.
Bien plus qu’un simple festival, Marsatac a marqué l’histoire de la cité phocéenne. Un podcast Radio Nova retrace vingt-et-une années d’archives du festival, expliquant comment celui-ci « a pensé sa couleur musicale, entre hip-hop et électro, comment il s’est organisé pour mettre en avant sa scène locale, la scène marseillaise, tout en accueillant des artistes étrangers ». C’est d’ailleurs sur la scène du festival que la Fonky Family remonte sur scène en 2017.
Passé ensuite par le Palais Longchamp ou encore l’archipel du Frioul, c’est au sein des dix-huit hectares du Parc Borély que se tiendra le festival cette année. Après une édition manquée l’an dernier à cause de la situation sanitaire, Marsatac revient pour sa vingt-troisième édition du 10 au 12 juin. Dans cette programmation musicale plus diversifiée, les musiques hip-hop tiennent encore une bonne place. Si vous n’avez pas eu la chance d’avoir des places pour les concerts passés et à venir à l’AccorHôtel Arena de Laylow et de Damso, il est possible de voir les deux artistes sur scène lors du festival. Habitué des festivals cette saison, La Fève est également programmé, tout comme Ziak, Central Cee, Oboy, Zamdane, Sally ou encore Johanna et BabySolo33, parmi d’autres.
Toute la programmation est disponible sur le site du festival et la billetterie est toujours ouverte.
Ce 26 mai, The Eminem Show d’Eminem soufflera sa vingtième bougie. Le quatrième album de Marshall Mathers est resté dans la postérité comme son plus sérieux et personnel, notamment par le parti-pris du rappeur de se confronter à sa célébrité, ses responsabilités d’artistes, ses tourments personnels et ceux de son pays. Mais aussi de gérer une grande part de la production avec son associé Jeff Bass. En a résulté un disque au son plus rock et plus noir que les précédents The Slim Shady LP et The Marshall Mathers LP qui avaient cimenté son statut tout à la fois de nouvelle sensation rap et pop.
La société Sonorium, spécialisée dans les écoutes d’albums immersives avec du matériel audio haute-fidélité, a choisi de célébrer la double décennie de cet album majeur (vous avez dit « classique » ?) avec une écoute en public de l’album le 31 mai 2022, accompagnée d’une présentation de l’album par Julien Bitoun, professeur d’Histoire du rock à Sciences Po Paris et auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de la musique. L’entrée est gratuite et sans réservation, mais les places limitées – premier arrivé, premier assis. Pour l’occasion, Sonorium et l’Abcdr du Son font gagner deux exemplaires de l’album, par tirage au sort. Ça se passe sur nos comptes Facebook et Twitter.
« Vingt-six ans après l’Amalgam’ mon premier groupe et dix-sept ans après La main sur le cœur je pense qu’il est temps de raccrocher définitivement et cette fois ci c’est la bonne. » C’est par ces mots, postés sur son compte Instagram le 13 mai dernier que Sinik a annoncé mettre un terme à sa carrière musicale, dressant au passage un rapide bilan de carrière et remerciant ses soutiens de toujours. Un départ en retraite qui sonne comme une redite, puisque l’Essonnien a déjà voulu quitter le rap il y a quelques années, en vain. Il l’a « dans la peau », comme en atteste l’entretien ainsi intitulé chez nos confrères de Get Busy à l’occasion de la sortie de Niksi, son neuvième album. Un neuvième album qui sera donc le dernier, et qui donnera lieu à un ultime concert parisien pour Sinik. Celui-ci se déroulera ce 24 mai, à L’Élysée Montmartre, et sera l’occasion pour Malsain l’Assassin de défendre Niksi et espérons-le, de valoriser une discographie riche de nombreux excellents morceaux (et de classiques) depuis le début des années 2000.
Pour l’occasion, l’Abcdr s’associe à Yuma, organisateur de l’événement, pour vous offrir deux lots de deux places, à gagner sur les réseaux sociaux du site (Facebook et Twitter).
Rapper la tristesse n’est pas un art à la portée de tous. Le cœur en morceaux, Rounhaa remplit parfaitement cette mission : déjà remarqué par les suiveurs assidus du rap suisse depuis 2018, la première signature du label de Disiz devait montrer après 3 projets prometteurs mais bruts dans leurs réalisations qu’il était temps de passer un cap : le temps de 33 minutes et 30 secondes pleines de rage et de – grande – mélancolie, le Franco-Suisse vient de prouver qu’il allait falloir encore plus compter sur son spleen. Définir MÖBIUS de Rounhaa est un exercice à la fois aisé et un peu confondant : tout dans ces douze nouveaux morceaux respire la peine et la solitude d’un artiste qui vogue « le grenier du coeur en bazar », mais dans des registres sonores assez variés. Entre trap synthétique rageuse (« LE MORT »), piano voix urgent (« LE MORT ») plug music lancinante (« MR & MRS SMITH » avec J9ueve) ou influences pop 80’s (« ILLÉGAL TRISTE », produit par LUCASV), Rounhaa ouvre beaucoup plus ses inspirations musicales qu’auparavant. Comment donner alors un fil conducteur à ces émotions mises en musique ? Sans doute en se concentrant sur la plus grande peine de Rounhaa, qui parcourt le projet : l’amour, ou plutôt la rupture et la trahison, qui l’amènent à assumer que le « bonheur l’évite » tout en considérant presque sa douleur comme une force (« La douleur c’est ma bestie »). Rounhaa n’est pourtant pas larmoyant dans MÖBIUS : il fait même face à ses démons pour mieux les apprivoiser et en ressortir des moments de rap arrogants et à la fois fragiles, pleins d’audace et de rancoeur, comme sur « LE MORT » ou le passe-passe jouissif en compagnie du rappeur genevois Gio sur « CELINE ». En dépassant la rage contagieuse de ses débuts, Rounhaa gagne finalement en épaisseur et en réflexion sur MÖBIUS, tout en augmentant d’un cran l’exigence et la précision de sa musique. Du sound design précis appliqué à ses morceaux en passant par les changements de prods, les effets de jeux sur la voix (« MAFIA ») ou les incursions presque pop (« ILLÉGAL TRISTE », « BONBON&FLEUR »), la musique du jeune suisse, qui prenait jusque là aux tripes, vient maintenant faire une incursion au niveau du coeur. C’est beau et triste à la fois, précis et spontané en même temps. Comme un sentiment que l’on a du mal à contrôler. Et que Rounhaa semble maintenant de plus en plus maîtriser dans son art comme dans son coeur.