Sidekicks

Samzaï vit et travaille à Marseille, il est AESH dans une école à Belsunce. Il a deux amours, Jul et la photographie de rue à l’argentique. Depuis le temps qu’il sillonne la cité phocéenne, il a fait un constat, évident mais invisible pour qui n’y prête pas attention : les références au rappeur sont partout. Sur les murs, les affiches à moitié arrachées, les bancs, les immeubles, au coin des rues, au creux des jeunes mains. De ses excursions il a tiré une série de 135 images intitulées « 135 Méga-Jul », en référence au code postal de Saint-Jean « La Puenta », quartier associé (parfois malgré lui) pour toujours à la star qu’il a vue naître. Au fur et à mesure du défilé des images en noir et blanc, les graffitis, graffs, signes, pullulent sous les yeux, parfois à des endroits inattendus, dans des drôles de formes. Ils sont tendres, espiègles ou juste gouailleurs. L’un d’entre eux est célèbre, puisque c’est le géant « JUL PRESIDENT » que désormais tous les passagers voient avant d’arriver en gare de Marseille Saint-Charles. D’autres sont anecdotiques, un peu ratés, gribouillés en deux-deux avec un marqueur sur un coin de ville. Qu’importe, et c’est pourquoi ce travail est touchant : il donne l’impression que c’est Marseille d’elle-même, mue de l’intérieur comme un seul homme, qui, sans règles ni protocole, rend joyeusement hommage à son enfant prodige.

Pour un aperçu de la série « 135 Méga-Jul », c’est ici : https://kikekoi.wixsite.com/kikekoi/nouvelle-pag

Depuis de nombreuses années maintenant, le vinyle voire la cassette sont (re)devenus le nec plus ultra du collectionneur hip-hop, de nombreux artistes jouant sur la corde nostalgique d’objets perçus comme nobles à l’époque du dématérialisé. En sera-t-il un jour de même pour le DVD de rap ? On est en droit de se poser la question tant le début du millénaire vit la prolifération de ses compilations officieuses d’interviews, de clashes et de freestyles (souvent les trois en même temps). Smack DVD est un des noms majeurs de cette époque passée aux côtés des Come Up DVD ou encore Cocaïne City qui participaient à la médiatisation des figures plus ou moins obscures du rap de rue new-yorkais de cette époque. Le MC du Bronx Def Soulja, en pur produit de cet époque, rend donc hommage en compagnie du harlemite NymLo à cet objet coincé entre les années fastes du disque et l’arrivée pleine et entière des réseaux sociaux puis du streaming. « 03 Smack DVD » est un morceau frontal, un récit de rue grimey  narré sur une production puissante calibrée par 183rd pour faire vibrer les vitres du Range Rover et des bâtiments autour. Cet habillage sonore n’est pas sans rappeler le travail d’Alchemist pour CNN, Prodigy ou Big Twinz au crépuscule des années 2000 et le contenu lyrical le rend bien. Clins d’œil à Styles P, « boulevard bullies »« army fatigues, beef with the broccoli » : pas de doutes, on est bien dans les bas fond étouffants de la Grosse Pomme que documentaient caméscope au point ces fameux DVD. Le vice est même poussé jusqu’au clip, rejouant le grain d’image et le montage caractéristique des clips à (très) petit budget de l’époque, qu’on jurerait réalisé par Jordan Tower Films ou Picture Perfect. Def Soulja prévoit de prolonger l’expérience avec 183rd sur tout un long format bien nommé 42 Square Miles, en référence à leur Bronx natal, qui doit voir le jour le 5 Août prochain. Ce sera sa seconde sortie de 2022 après Militant Minded sorti plus tôt en Mars dernier. Quant à 183rd, il ajoutera un nom à un répertoire déjà conséquent d’albums confectionnés pour NymLo, Smoke DZA, 100GrandRoyce ou encore Sha Hef sur les douze derniers mois.

« Mon logo, les joueurs de polo, les alligators ». C’était dans « Écoutes bien » d’un rappeur du 92 en 2002. En 2022, l’équipe de SwampDiggers se rangent plutôt du côté des alligators. Et cette fois, ils sortent de leur marécage pour remonter les égouts sales de New-York. Les amateurs de son de la Grosse Pomme, de 1992 à 2002 (avec quelques exceptions), devraient être aux anges ne serait-ce qu’en regardant la tracklist de leur nouvelle mixtape Friendly Gatorz Remixes II. Au programme : quinze remixes de tubes du bitume new-yorkais retravaillés par la crème de la crème des producteurs français. Mayer Hits Alive donne au « Fast Life » de Kool G Rap et Nas un « summer breeze » incroyable, Balibz envoie le « Apollo Kids » de Ghostface et Raekwon dans des cordes funky, Koursky Lion plonge le « Serious » de EPMD, Redman et Das EFX dans une ambiance nocturne aux percussions lourdes et à la guitare sèche. Trois exemples de la puissance de feu d’une compilation qui ne baisse pas d’intensité du début à la fin et qui offre un deuxième souffle à ces anthems des Five Boroughs. Madizm est de la partie, lui qui a déjà remixé cette année l’EP Corner – Face A de Black P et l’album Tesla Coupe Deville de Gizo Evoracci. Jee Van Cleef s’occupe du mastering et Singe Mongol signe un artwork sobre et impeccable. Alors c’est sûr, Friendly Gatorz Remixes II ne fera pas disque d’or mais c’est déjà un vrai disque de croco, redonnant au terme « remix » toute sa superbe.

La grande histoire du rap français est depuis une quinzaine d’années racontée avec moult détails, que ce soit dans ces colonnes ou ailleurs. Il ne reste plus grand-chose à dire quant à pourquoi L’École du micro d’argent a été réenregistré ou sur les chamailleries entre Booba et le reste du monde. En grattant un peu la surface, il demeure toutefois de nombreuses terrae incognitae. Le rap de province, pour la période où ce terme avait encore un sens, en est une. Il en va de même des tauliers de l’époque précédant les premières sorties discographiques, ainsi que des personnages de l’ombre des foisonnantes années 1990. Peut-être sans le vouloir, Doc Shadow met une lumière précieuse sur ces acteurs méconnus par le biais de son émission The Doc House, disponible sur YouTube. Ici, en retraçant avec minutie la trajectoire de Timide et Sans Complexe ou de Jhonygo et Destroy Man. Là, en invitant Yazkuza ou L’Animalxxx de Psykopat à se raconter dans des interviews filmées, avec toujours des connaissances pointues et le souci du détail. À chaque fois, la singularité des figures conviées ou évoquées frappe, donnant l’envie de se replonger dans les œuvres éclairé de ces nouvelles informations. Et s’il faut commencer quelque part, citons l’entretien avec Maître Madj, même si lui n’a jamais sorti de disque en son nom : en revenant sur son parcours, l’ancienne tête pensante d’Assassin Productions raconte également une histoire des quartiers populaires et de leur rapport à la musique, avec un sens de la chronologie et des connaissances qui forcent le respect.

MINI-SERIE

Lost in California

Après être parti à la recherche d’Outkast dans Lost in Traplanta, Larry s’offre d’autres aventures. C’est cette fois en terres californiennes qu’il a décidé de poser ses valises, à la recherche d’une autre légende : Detox. Lost in California reprend le même format que son prédécesseur : une mini-série de quelques épisodes d’une quinzaine de minutes chacun aux airs de buddy-movie sans buddy puisque Larry (joué par le comédien Kody Kim) part seul sur les traces d’un mythe. Une aventure qui n’est qu’un prétexte pour explorer les dessous du g-funk et du gangsta rap dans son berceau d’origine : Los Angeles et ses bourgades voisines Compton, Leimert Park ou Watts. Seul, Larry ne l’est pas vraiment : derrière sa quête, Mathieu Rochet, ex-Gasface que l’Abcdrduson avait interviewé en 2007, tire les ficelles. Le ton y est léger, l’humour candide et pittoresque. Mais derrière ce faux-semblant de ne rien y connaître, Lost in California, tout comme Lost In Traplanta, est une petite piste aux étoiles de gloires locales allant de la génération Death Row jusqu’à celle de la scène rap des années 2010. L’album le plus célèbre jamais sorti fait donc encore parler de lui, le chat de Schrödinger transposé à la sphère rap, dans cet entertainment de qualité supérieure où viennent se rajouter les talents de l’illustratrice Anouk Ricard et les compositions originales de Mil Beats.

Furax Barbarossa a commencé son épopée sur son navire, il y a bien longtemps juste avec « un survêtement sans élastique, avec, comme seul bagage, un chiot de trois mois. » Un itinéraire non tracé au feutre rouge sur sa carte, où il « y a eu de la lumière, donc forcément de l’ombre. » Un voyage qui l’a mené, aujourd’hui, jusqu’à son septième album, Caravelle, dans lequel l’introspection est à son paroxysme. Le rappeur toulousain dépeint l’intégralité de son parcours tout au long du projet. Le passé, les douleurs qu’il a pu engendrer et ses racines (les coordonnées géographiques indiquées sur les trois pochettes de l’album localisent Bonifacio, Corse) tiraillent Furax. Des éléments majeurs qui l’ont sûrement poussé à entreprendre ce voyage initiatique. De longues épreuves et souffrances dans lesquelles Barbarossa y a mis plus de sens que dans un bonheur inlassable. Se laissant porter par le courant en attendant « l’ouragan dans le plus grand des silences, » Furax brave vents et marées, seul contre tous dans une industrie où il joue le rôle de Léon : un tueur à gages solitaire, taciturne et très efficace (« J’ai nettoyé façon Katrina maintenant ça paraît vide », « J’ai fait d’la rime un parabellum ça fait des paraplégiques », « Uragano »). Le rappeur n’est pas là pour les tubes ni pour les thunes, ne se retrouve pas dans ce monde où tout s’achète, même la notoriété (« Ils passent leur temps à dire qu’ils pèsent, à contempler les scores, mais peut-on se vanter que l’on baise quand on paye l’escort, » « Coliseum »). L’album sonne comme une thérapie du passé qui l’a brisé et l’a mis au premier rang d’un spectacle où tout n’est qu’agressivité et sombritude. Pour preuve, « Porcelaine », le titre le plus touchant de l’album (Furax raconte son innocence d’enfant volée par la violence de son père), sublimé par Sofiane Pamart, dans lequel la rage, l’amour, les regrets et les remords s’entremêlent. Supporté majoritairement par les productions méditerranéennes, mélancoliques mais percutantes du Katrina Squad et de Mehsah, le rappeur fait de sa révolte un art. Une révolte existentielle. Tout dans l’agressivité torturée de son flow pourtant très technique, rappelle l’égide du Camus de L’Homme révolté, dont il place une archive vocale à la fin de « Dites au revoir à Printemps. »  Furax ne ferait-il pas partie de ces « grandes d’âmes (…) parfois moins épouvantées par la douleur, que par le fait qu’elle ne dure pas ? » Reste qu’avec Caravelle, l’artiste s’extirpe de la solitude en faisant de sa rage et de ses maux une aventure collective.

Cinq ans après son dernier EP (Maintenant j’suis chaud) entièrement produit par Crapulax, beatmaker, adepte de son West Coast et ami de lycée, l’homme aux multiples casquettes, podcaster (“Featuring”), Youtuber (“Roule avec Driver”), et même prof (“La Récré”), revient au rap avec un nouvel EP de 8 titres, Pour toujours. Contrairement au précédent, tous les feux sont verts pour promouvoir correctement ce nouveau projet. Des tensions entre les différents participants de Maintenant j’suis chaud avaient émergé et provoqué certaines embrouilles, avortant la promotion de l’EP. En revanche, Pour toujours réunit tout ce qu’affectionne le Maire de Sarcelles, du fond à la forme. Les femmes, la fête, l’oseille (“J’aime tellement l’argent que je pourrais m’acheter de l’argent”) et le rap sont les thèmes les plus prégnants du projet. Chaque titre possède sa propre couleur musicale. Si sur « Buju Banton », Driver et LMK s’enjaillent, accompagnés d’une mélodie de guitare acoustique sud-américaine, le rappeur peut être aussi beaucoup plus rude sur « Oseille » profitant de la patte de Frencizzle, producteur à « l’Exigence Mongole » influencé par Mannie Fresh. Les références US sont, comme souvent avec Driver, mises à l’honneur. En témoigne la reprise du « yeah » de Lil Jon’ dans « Oseille », son « Swing Swing » planant sur une prod de Didaï, typée Bay Area (rappelant le respect de Driver pour E-40) et le retour aux sources new-yorkaises via l’invitation de Napoleon Da Legend (rappeur d’origine comorienne ayant grandi à Brooklyn) sur « Caviar Music. » Sur quelques titres, le Maire se transforme même en maître de cérémonie pour sound system en rappant et toastant sur des vibes dancehall et reggae (« Kung-Fu » et « Costaud Remix » feat. Tuco Gadamn, J.Mi Sissoko). Bref, un EP qui montre que si son auteur parle beaucoup, il rappe toujours et kiffe toujours autant faire voyager ses auditeurs et auditrices. Comme d’habitude, à lancer de préférence sous un soleil brûlant type californien, toit ouvrant, vitres baissées, sidechick sur le siège passager. Et juste rouler avec Driver.

Les albums mythiques soulèvent toujours les passions lorsqu’il s’agit de rentrer dans le secret de leur élaboration. À propos de Paris sous les bombes du Suprême NTM, de nombreux éléments fusent tant le disque a été un tournant dans les sonorités du rap français. Et quand il est question de citer les hommes ayant eu impact considérable sur le classique sorti par Joey Starr et Kool Shen en 1995, il y a bien sûr les Psykopat, Lucien, mais aussi DJ Clyde. Des participations des uns et des autres décortiquées dans nos colonnes et de nombreuses interviews et ouvrages. Sauf que généralement, s’il est question dans l’exercice de la critique musicale d’expliquer comment un album est devenu ce qu’il est, il est plus rare d’avoir des informations et des faits qui permettraient d’imaginer ce qu’il aurait pu être. DJ Clyde et le label Trad Vibes Records en donnent ici une réponse. Mieux-même, un secret d’arrière boutique, puisqu’ils dévoilent ensemble les démos des beats que Didier Morville et Bruno Lopes n’ont pas retenus lors de la fabrication de leur troisième LP. Il se dit souvent que la notion de groove est difficile à définir. Elle l’est encore plus après cette Hypnotik Lost Tape tant ces 18 pistes, produites par Clyde et son acolyte DJ Max, suintent une ondulation magnétique et un sens du sampling aussi redoutable que celui entendu sur l’album, tout en ayant le pouvoir de le changer complètement. L’auditeur s’amusera à rapper les paroles de « La Fièvre sur l’instru de « Heavy Load ». Il se demandera si le texte de « Old School » aurait été exactement le même transposé sur la basse rondelette et la caisse-claire matte de « Golden Age ». Il ira jusqu’à imaginer un « Tout n’est pas si facile » que n’aurait pas renié un DJ Muggs associé à House of Pain s’il avait été posé sur « Hypnotik ». Une écoute fascinante, pour la qualité des beats évidemment, mais aussi et surtout pour la lecture qu’elle laisse du travail de production et d’élaboration du mythique LP des Suprême. Voici la face cachée d’un classique, ni plus ni moins, et c’est un privilège rare.

Derrière une production qui ressemble à une version ralentie du « Criminology » de Raekwon, DJ Muggs, auquel nous avons consacré un large podcast, vient relancer la promotion du troisième opus de sa série Soul Assassins. Après la réunion de Method Man et Slick Rick sur « Metropolis », deux autres légendes croisent le fer. Scarface et Freddie Gibbs se retrouvent sur « Street Made ». Un duo déjà entendu sur l’album Piñata du rappeur de l’Indiana, lequel n’avait pas manqué de rendre hommage quelques années plus tard à son aîné dans la rubriques Verses de Pitchfork. En réunissant ce duo d’OGs de deux générations différentes, DJ Muggs ne pouvait pas trop se tromper. Si le morceau en lui-même est juste une confirmation condensé du talent des trois artistes, le clip ajoute une large plus-value, combinant humour corrosif (le discret « R. Kelly Escape Game » par exemple), images d’archive, interview du producteur savamment orchestrée et parodie subtilement dosée de show TV à l’américaine de la fin des années 80. Le visionnage dure 11 minutes et quelques secondes et il y a assez d’entertainment pour qu’il se regarde d’une seule traite. Une réussite réalisée par Muggs lui même et David Sakolsky. Le tout mixé avec l’aide de Richard « Segal » Huredia et masterisé par Brian « Big Bass » Gardner.

Malgré les années, Atlanta continue de réserver des surprises : Kenny Mason fait sans doute partie de cette catégorie de nouveaux artistes à suivre dans la ville. Originaire de la capitale de l’état de Géorgie, ce jeune rappeur de 26 ans, protégé de Denzel Curry (dont il fait régulièrement les premières parties) s’est fait remarquer ces trois dernières années avec sa musique entre sonorités trap de sa ville d’origine, influences rock, et expérimentations sonores dignes des grandes années de Soundcloud. Un désir de mélanger les genres que l’on a particulièrement retrouvé sur Angelic Hoodrat: Supercut, un deuxième album sorti l’année dernière fait d’introspection et d’expérimentations, en compagnie d’un (très) beau casting, puisque le Géorgien réussissait notamment à avoir Freddie Gibbs et Denzel Curry dans sa liste d’invités.

Dans le veine de la nouvelle génération du rap américain qui brise les barrières entre les genres, Kenny Mason reste accroché au rap d’Atlanta, tout en faisant des excursions vers d’autres genres musicaux. Une proposition artistique qu’il viendra défendre le lundi 11 juillet à Paris sur la scène du Pop Up Du Label, et à laquelle on vous propose d’assister en gagnant des places sur nos comptes Facebook et Twitter.

La billetterie est par ailleurs toujours ouverte.