Depuis son éclosion au printemps 2022, NeS semble jouer sur deux tableaux bien distincts : celui de l’écriture – le fond – et de la musicalité – la forme – pour donner plus de force à ses textes. Comme un équilibre fragile, le jeune rappeur parisien donne dans ses morceaux la sensation de laisser autant de place à ce qu’il souhaite raconter qu’à la manière dont il désire le faire. Notamment à travers le travail de ses producteurs : entre trap lente et atmosphérique (« PUSHKA »), boom bap lo-fi déstructuré (« COSMIC ») ou explorations expérimentales (« Exosquelette », « UN TEL »), la musique de NeS s’écoute autant dans ses textes qu’elle se ressent dans ses productions. Un leitmotiv que l’on ressent d’autant plus sur « LE SOURIRE D’UNE TOMBE », nouveau single aussi introspectif et technique dans ses textes qu’audacieux dans son habillage sonore. Réalisé en compagnie du producteur Lil Chick, NeS y raconte ainsi ses principes de vie, entre quête de modestie et désir de garder les deux pieds dans la réalité, tout en laissant aussi son producteur tenter des choses. Sur une rythmique aux influences anglaises, puis electro martelée sur tous les temps, le rappeur laisse ainsi autant de place à Lil Chick qu’à lui-même sur le titre. Un partage des tâches musicales qui – en plus de faire preuve d’un ego bien placé – revient souvent au sein de la nouvelle génération du rap français de 2023, qui n’hésite parfois pas à aller jusqu’à créditer les producteurs en tant que featuring, à l’image d’un Realo avec Koboi, ou Luther avec amne et LucasV récemment. Malgré des qualités techniques évidentes au micro, NeS semble être de ceux qui veulent aussi laisser de la place aux explorations sonores dans ses morceaux. Un double langage assez rare chez les rappeurs habiles avec les mots, qu’on voit souvent écraser les prods par leur technicité. Sur « LE SOURIRE D’UNE TOMBE », le rappeur décide de faire l’inverse : en évitant l’écueil de la démonstration technique, NeS donne plus de corps à la musicalité. Ce qui renforce indirectement le seul et unique but du morceau : transmettre une émotion. Avec des mots, mais aussi des sons.
Sidekicks
Il y a quelques mois, Arm écrivait ceci sur sa page Instagram : « Sortir un énième disque fait et reçu dans les conditions habituelles ? Non. Sortir de la routine » Album > tournée des salles de musique actuelle », nécessaire. Le débat serait long. Bref. » Bref, oui, car s’il a parfois été qualifié de verbeux, le rap d’Arm a toujours été en réalité le porte-voix des taiseux. C’est encore plus vrai en 2023 dans une musique devenue stakhanoviste, pressée de se faire remarquer quitte à ne plus dire grand-chose. Alors plus que jamais Arm prend son temps, lui. Tout son temps même. Il l’affirme le temps d’un titre de deux minutes et quarante-deux secondes. C’est dénué de toute pression, les émojis flammes d’auto-congratulation sont remplacés par ceux des feux qui grondent dans l’ombre des villes et c’est surtout rempli de cette énergie tranquille, qui porte toujours la même magie : celle d’attirer l’auditeur vers les lignes d’horizon, comme pour mieux le pousser à laisser derrière soi ce qu’il y a à laisser. Suivre sa route, encore une fois, sur une mélopée électronique, à nouveau, Arm joue avec le ciel et l’environnement qui l’entoure sans rien nommer explicitement. Il sublime les zones d’ombres, celles tracées par le soleil d’hiver autant que par le ciel étoilé d’une ville un mois d’août, celles dessinées par les flammes des incendies qui se sont allumés dans les cœurs autant que celles des vagues qui se lèvent sur le monde orageux. Et enfin, ce mantra répété durant quarante secondes et à la manière de ce qui se retrouvait déjà en 2011 et 2013 sur les albums Derrière-moi et Jamais trop tard, ce « j’ai tout mon esprit, tout mon temps » dont la scansion continue dit mieux que tout en quoi l’absence est à sa façon une présence. Tout sauf de la résignation, de la part d’un artiste qui mieux que personne décale de façon hypnotique les aiguilles de l’horloge du monde. Tout son temps mais toujours à point nommé, ainsi Arm bat la mesure depuis vingt ans maintenant.
Depuis la publication en 2017 de sa quatrième mixtape Nudy Land et son titre phare “Loaded Baked Potato”, c’est devenu une tradition : Young Nudy parsème à intervalles réguliers de sa discographie ce que l’on pourrait qualifier de food songs. Inscrite au panthéon du natif d’East Atlanta, cette série de morceaux aux intitulés toujours plus farfelus a fait naître dans l’esprit commun l’idée d’un album entièrement basé sur ce concept. Comme tout bon rappeur qui se respecte, Nudy saisit cette opportunité. Il rassemble les meilleurs ingrédients auxquels il n’a pas déjà pensé auparavant, — du canard le plus raffiné au classique fish & chips —, s’offre un festival d’accompagnements en tout genre et se permet même un dessert copieux et fruité. Toutes ces gourmandises sont à retrouver dans les 13 morceaux qui composent Gumbo, son dernier album en date sorti le 28 février. Évidemment, seules leurs appellations ont un quelconque rapport avec l’art culinaire. Premier single clippé, “Pancake” révèle un Young Nudy possédé par le fantôme d’un jeune Gucci Mane, l’un de ses pères spirituels, au point d’en adopter parfois les mêmes intonations. En totale maîtrise de son art, il multiplie les changements de rythmes et se joue de nos attentes comme un prédateur avec sa proie. La thématique principale reste la même que d’habitude : éliminer ses ennemis dans l’amusement le plus absurde (“All that clown shit/Gun you down quick/Laughing with the stick/Blast a lot of shit/And when I blast, I don’t miss”). Lui-même ne s’en cache pas, ses états d’âme ne sont pas à vendre. Seule la gangsta shit compte, alors autant la rendre fun et addictive. Une partie de cette magie se cache d’ailleurs entre les mains du producteur Coupe, architecte majeur de la musique de Nudy depuis son œuvre la plus aboutie à ce jour, Anyways. Les productions de Coupe n’ont pourtant rien de particulièrement innovantes, mais elles capturent subtilement une humeur, parfois un état d’esprit plus général, avec des sons souvent étranges que l’on croirait empruntés à un jeu vidéo ou un film d’horreur. Dans “Pancake”, ce son est sinistre, rappelant d’outre-tombe les sensations procurées par les premières cassettes de la Three 6 Mafia (“Playa Hataz” en particulier). Face à une trap mainstream bien trop sage et en perte de créativité, Young Nudy et Coupe forment un duo unique d’ores et déjà devenu indispensable pour le genre. Gumbo et “Pancake” en sont une nouvelle fois la preuve.
Le collectif La Familiale organise ce dimanche 9 avril « BRAVES », un concert pour soutenir les grévistes mobilisés depuis de nombreuses semaines contre la réforme des retraites. Une cinquantaine d’artistes ont répondu à l’appel de l’association pour se succéder de 14h à 1h du matin sur la scène du Dock B, à Pantin (Seine-Saint-Denis). Le billet est à 10€ et l’intégralité des recettes de la billetterie sera reversée à la Caisse de Solidarité, une association récoltant des fonds en soutien aux grévistes partout en France.
Rocca qui revient avec Cimarron sur une production grimy-latino du regretté DJ Duke, The Free qui confirme avec Les Filaments Bleus après une carrière passée sous les radars, et, ça n’a plus grand chose à voir avec le rap, Big Red qui se remet au reggae organique avec Come Again. Ce début d’année 2023 commence sous les meilleurs auspices pour ceux et celles un peu nostalgique de leurs héros d’il y a un quart de siècle. « Un quart de siècle, un quart de rêve, un quart de claques / Pour le reste, un quart de flemme et un quart de niaque » rappait Dabaaz, alors membre de Triptik, au début du deuxième millénaire. Ce 16 mars, c’est avec un sept titres qu’il revient sur presqu’un demi-siècle. Son demi-siècle, ponctué de hauts et de bas ; son parcours d’une vie normale entre coup d’éclats microphoniques et doutes raisonnables, entre cuites au Hennessy et cures à la Salvetat comme il le dit si bien sur « Maintenant ». De Microphonorama à Mon pote et moi, Dabaaz est passé par tous les états et c’est ce qu’il raconte humblement dans cet EP à la production minimale. « La formule est basique : une boucle et un micro. L’histoire de deux potes se disant : « Vas-y, faisons de la musique » », peut-on lire -en anglais- sur la description Bandcamp du produit.
Un produit livré en cassette, tiré à seulement cinquante exemplaires, déjà épuisé. Format à l’ancienne, description en anglais, le packaging est original, soigné (un photobook accompagne la tape) et ciblé (les habitués remarqueront la présence de Jeff Dominguez au mix). Pas de nouvelles audiences à conquérir, pas de plan de deuxième carrière, ou alors à l’instinct. Mon pote et moi semble s’être fait au feeling, au naturel. Le phrasé de Dabaaz en atteste, son rap technique des années 2000 s’est quelque peu mué en simili-spoken word, comme jacté le cul posé sur un canapé. Mais il n’a pas perdu pour autant de sa superbe, même si quelques rimes prévisibles parcourent l’ensemble, le presque quinquagénaire séduit son auditoire. Simple, court, limpide, ce nouvel épisode de Dabaaz et de son pote et ancien manager Matt Primeur est un îlot d’authenticité où le rappeur se met à poil et semble s’enlever une épine du pied. Du rap débonnaire dans sa plus pure forme, dépouillé de tout artifice, dans sa production comme dans sa promotion. Une brève œuvre qui fait miroir et pansement sans monopoliser le temps. Et très franchement, dans la morosité et le vacarme ambiant, ça fait le plus grand bien.
Début janvier, le rappeur marseillais Relo s’est lancé dans une série d’instantanés de rap, clippés et diffusés uniquement sur les comptes de ses réseaux sociaux. Intitulés Fibonacci et numérotés jusqu’à 8, ces exercices de style courts reposent sur un principe simple, au charme immédiat mais pourtant devenu rare : se frotter à des faces B de titres de rap français.
Il y a trois ans, à l’occasion d’une rencontre avec l’Abcdr du Son peu de temps avant la sortie de son album La voix du 13, Relo montrait régulièrement son amour pour le rap français, son histoire et une certaine philosophie de proximité, dans l’approche de sa musique comme dans la manière de la partager. C’est ce qui ressort à nouveau de ces Fibonacci. En s’attaquant aussi bien à des classiques (« L’Enfant seul » d’Oxmo Puccino, « Têtes brûlées » de Lunatic) qu’à des standards contemporains (« Coeur et conscience » de Jazzy Bazz, « Uragano » de Furax, « 93 Mesures » de Dinos »), Relo adopte, de sa voix âpre et grave, les cadences de ses pairs pour des egotrip et introspections, observations de son environnement et critiques des travers du rap. Des réinterprétations qui ne manquent pas d’autres clins d’oeil et variations, comme une « Réincarnation de Biggie » par Isha tranformée en « Réincarnation de Tupac Shakur », ou le cameo d’un des membres de la FF sur la reprise de « Mystère et suspense ».
Quelques bonus en prime : un Fibonacci inédit sur « LIF » de SCH et une version réarrangée de « Principe ou carrière », dans un accompagnement presque plus chanson française teintée de rock. Une indication de futures directions musicales ? Car comme son titre l’indique, ce Fibonacci – Avant L’Album est un avant-goût d’un nouveau disque prévu cette année. D’ici là, la mixtape Fibonacci – Avant L’Album est dispo en exclusivité sur l’Abcdr du Son, en téléchargement libre ou en écoute en ligne.
Mano Leyra n’arrive « jamais sans mettre une baffe, c’est un manque de finesse. » Dans ses précédents projets, le fossoyeur rappait la cohabitation des ténèbres et de la lumière au plus profond de chacun. Dans son dernier EP C’EST PAS DU TAYC, la noirceur a pris le pas sur la clarté. Le titre tendancieux du projet ne laisse aucun doute sur la direction adoptée. L’EP est intégralement produit par Pense Music, beatmaker originaire des Hauts-de-Seine, connu aussi pour avoir travaillé avec BB Jacques et pour son dernier EP en date, Dignity & Culture. Pense Music se définit comme peintre musical : il colore le rap fin de Mano Leyra par des mélodies futuristes (« GÂCHETTE DOUBLE »), menaçantes (« PAS DU TAYC », « TRENCH-COAT-BLACK ») et gracieuses (« SEX IN BROOKLYN »).
Avec les rues de Paname en toile de fond, le rappeur fait de sa musique un cautère pour son âme remplie désespoir. Agoraphobe au milieu d’une industrie remplie de fakes et d’opportunistes (« Ils font du rap pour l’oseille, j’les maudis ces putes »), Mano Leyra avance avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Sa détresse stagne, son plus grand talent est de tout gâcher. La richesse en ligne de mire apparaît comme la lumière au bout du tunnel (“L’ambition, devenir un ex-pauvre”). Pour y arriver, Mano adopte un phrasé new-yorkais influencé des plus grands enchaînant les allitérations, métaphores et références. De ses démonstrations techniques s’échappent aussi quelques élans de conscience instinctifs (« Force aux meufs, fuck tous les profs de sport crasseux », « Respecte ton serment range ton arme de sеrvice, tu rends raremеnt service »). Avec cet EP, le rappeur propose un rap rude sur les productions minimalistes, mais efficaces, de Pense Music. Dans une époque où le désespoir de vivre est prégnant, Mano Leyra tente de s’affranchir de cette fatalité en faisant de son rap de la haute voltige.
Après l’ouverture des inscriptions en début d’année dans les onze régions pour l’édition 2023 du Buzz Booster, le dispositif a reçu plus de 1600 candidatures. Les comités d’écoute ont effectué leur sélection pour les différentes phases finales régionales, qui ont lieu tout au long de ces mois de mars et d’avril. Des concerts de sélection ouverts au public, pendant lesquels les sélectionnés se confrontent à l’exercice de la scène pour convaincre en une quinzaine de minutes le jury sur la qualité de leurs productions musicales et de leur présence scénique. Les différentes dates et lieux pour ces demi-finales et finales sont indiquées sur le site du Buzz Booster, avant la finale nationale qui aura lieu à Nîmes le 24 juin prochain.
Si il y a bien un sentiment que Winnterzuko appréhende différemment de ses pairs, c’est la mélancolie. Dans la musique du jeune rappeur, pas de moment larmoyant. Aucun piano, ni violon déprimant. Juste un BPM lancé à toute allure, sur des productions électroniques tendance années 2000, pour mieux raconter la vie d’un rappeur pas tout à fait comme les autres. Révélé en 2020 avec le morceau “Off” aux airs de musique de boum d’anniversaire triste, il aura d’abord fallu du temps pour comprendre toute la proposition de cet artiste estampillé next gen. Aujourd’hui pourtant, Zuko semble prêt à vraiment montrer de quoi il est capable. Déjà l’an dernier, son très bon projet VON (sorti sur le label electro Promesse) laissait entrevoir la singularité de sa musique, entre productions électroniques et bribes de sa jeunesse disséminées dans des textes parlant de son enfance passée à fuir la guerre et la pauvreté. Aujourd’hui c’est avec “GEARLESS” qu’il vient enfoncer le clou : premier single d’un nouveau projet annoncé pour le 17 mars, le titre dévoilé fin février, semble parfaitement respecter les codes de la musique du rappeur dans une version encore plus puissante, mieux produite, et à la direction artistique encore plus affirmée. Sur un beat hypnotique et saturé signé Amne, Winnterzuko y rappe ainsi ses peines (“Dis-moi à quoi ça sert sale fils de, dis-moi à quoi ça sert, j’suis toujours absent comme un père”) mais aussi ses souvenirs d’enfance (“J’avais une télé’ j’avais pas les chaines, donc on prenait des écouteurs, et avec on faisait une antenne”) tout en gardant une chose en tête : danser coûte que coûte. Car derrière la dureté que dépeint parfois la musique de Winnterzuko, une autre sensation reste : celle de toujours vouloir lâcher prise dans la fête. Un paradoxe qui fait tout le charme de “GEARLESS”, morceau triste pour s’évader qui confirme toute l’originalité de la musique de son auteur.
En juin 2022, une figure importante de la scène hip hop genevoise faisait son grand retour avec un clip léché pour trois minutes de rap classique à souhait. Références nineties, posture de OG quelque peu en décalage avec son époque, attitude américaine, les connaisseurs n’auront pas mis longtemps à identifier le personnage : Mamadi dit M.A.M, membre il fut un temps lointain de La Per 2 III puis du Terrorime Mouvement dans les années 2000. Un cuir Avirex par dessus un polo Ralph Sport sur les épaules d’un daron à l’arrière d’une Ford Bronco… « J’ai pas construit cette ville pour qu’elle s’écroule avec toi ! » Un retour en forme d’egotrip mais surtout de reset, le M.A.M repart de zéro. Exit le Fratra, loin de lui les années new yorkaises, dans son dos également la décennie sur les routes avec Stress, c’est une nouvelle carrière qu’il s’apprête à lancer. Un parcours aussi riche ne s’efface certainement pas, et il sera d’ailleurs prochainement raconté par le menu dans ces mêmes colonnes, mais en 2022 – 2023, l’ancien revient dans la position d’un rookie qui a tout à construire.
Mais que s’est-il donc passé durant les six derniers mois, si « Bronco 92 » date de juin dernier ? Rien d’audible ni de visible. Alors qu’il avait été silencieux durant dix ans, M.A.M s’est à nouveau tu un semestre de plus, pour enfin délivrer ce mois-ci son Starter Pack, un court album marquant un point de (re)départ pour sa nouvelle histoire. Les choses se sont faites plus précises au cours des dernières semaines, avec d’abord un excellent freestyle « Frosties à la fourchette » pour l’émission Nayuno de Couleurs 3, puis à nouveau un clip, « Flu game » et enfin un troisième extrait du Starter Pack, « La prise et la chèvre » en duo avec Makala, seul invité rap du projet. Un pack disponible dès à présent sur les plateformes habituelles.