Sidekicks

Du rap qui fusionne avec de la pop, ce n’est pas nouveau. Est-ce un mal ? Est-ce un bien ? Chacun se fera sa propre réponse. Preemo a bien produit pour Christina Aguilera, Snoop et Redman ont bien rappé respectivement avec Katy Perry et Pink!  Les Neptunes et Timbaland ont même fait du crossover pop une marque de fabrique produisant pêle-mêle pour Justin Timberlake, Britney Spears, Gwen Stefani ou Nelly Furtado.

Anderson .Paak a souvent été à la limite des deux genres musicaux. Sans compter sa collaboration avec Bruno Mars pour An Evening With Silk Sonic et ses apparitions sur Compton de Dr. Dre, il est souvent le pendant « popu » de featurings bien rap. Busta Rhymes, Rick Ross, ScHoolboy Q, Kendrick Lamar ou Freddie Gibbs ont tous eu l’heureuse opportunité de briller avec l’artiste aux multiples talents, ramenant au passage une fraîcheur irrésistible. Ses deux dernières sorties avec Hailee Steinfeld pour un « Coast » au goût de bonbon acidulé et avec Cordae pour un « Two Tens » aux allures de revival J-Dillesque en attestent encore : même après dix ans dans cette musique, le panache du natif d’Oxnard fait encore mouche.

En 2016, son album Malibu était un disque délicieux qui allait être suivi quelques mois plus tard par Yes Lawd!, album collaboratif avec le producteur Knxledge. Avec leur dernier single « Daydreaming », le duo remet le couvert. Guitare et basse électrique, batterie puissante, mix éthéré et eighties. Dans un clip à l’esthétique Gran Theft Auto, NxWorries continue de proposer sa formule charmeuse à laquelle coller une étiquette est bien difficile.

Au début des années 2000 et notamment avec les productions Soulquarians, le terme de Neo Soul s’est installé. En 2023, la musique que propose Anderson .Paak et Knxledge, plus évanescente et dotée d’un grain analogique différent, dépasse ce néologisme. Tout comme les noms des différents albums d’Anderson .Paak ancrés dans le territoire californien, c’est peut-être cette zone géographique qui définit le mieux leur musique. Une musique douce et chaude, parfois aride, regardant le Pacifique à l’Ouest et des grandes plaines désertiques à l’Est, coincée dans une mégapole sortie de nulle part après la ruée vers l’or. C’est en tout cas l’impression que produit ce deuxième single de leur deuxième album à venir (l’occasion de s’apercevoir que le label Stones Throw est toujours vivant), derrière une banale histoire d’amour fantasmée. Un morceau qui rejoindra peut-être d’autres hymnes californiens qu’ils soient rock, pop, folk, blues, soul, funk ou rap.

En s’envolant pour déguster son butin, une mouette survole une route de bord de mer sur laquelle passe « des arabes aux têtes cassées dans une voiture allemande ». Dans son morceau « Ma réalité » paru le 18 avril, Zamdane compare sa faim à celle de l’oiseau au chant rieur, et parle de ses « démons » qui l’habitent sur des notes de guitares mélancoliques. Le rappeur franco-marocain fait de nombreuses fois références à « sa tête », une façon de se livrer sur sa santé mentale, un thème récurrent dans sa musique. Et s’il trimballe toujours le même spleen qu’à ses débuts, sa façon de l’exprimer est devenue plus précise.

C’est toute la force de ce morceau récemment sorti par le Marseillais : Zamdane tient le fil du morceau et le déroule avec fluidité, sans se perdre dans des phases dispensables, qui pouvaient apparaître auparavant dans sa discographie. Si jusque-là le rappeur aux cheveux bouclés maîtrisait deux formules, l’une chantonnée, plaintive et planante, (« Poussière », « Triste mais elle aime ça » et « Bataille »), l’autre kickée, arrogante et désenchantée (« Conditionnés à décevoir », « Angels ») il fait l’alliage de ces deux facettes sur dans « Ma réalité ». Sa mère le compare à « un diamant » et à l’image de ce matériau, le plus dur au monde, sa musique s’est solidifiée. Encore plus que sur son dernier album, Zamdane apparaît plus libéré dans ses derniers « Affamé » et montre qu’il est encore capable de faire évoluer sa musique. Pour autant, le fond ne change pas vraiment. Une mouette reste une mouette, dans une déchetterie ou sur une plage paradisiaque (à l’image du clip de « Ma réalité » le montrant devant un bâtiment ou les calanques) et Zamdane reste Zamdane. Un rappeur qui rend sa noirceur plus lumineuse, comme un oiseau blanc perçant la grisaille du ciel.

Début des années 2010, alors que Drake marque la différence de par sa posture vulnérable et consciemment maladroite, Nicki Minaj révolutionne les codes de la pop en assumant le grand écart entre une technique imparable, un sex-appeal conquérant et un univers loufoque et coloré. Marchant sur l’eau à chaque apparition, l’autre protégée de Lil Wayne devient rapidement incontournable, célébrée aussi bien dans les forums pointus que dans les pyjama-partys des pré-ados du monde entier. La seconde moitié de la décennie coïncide avec la fin de la lune de miel pour la rappeuse de New York, toujours pertinente musicalement mais chahutée dans son statut d’icône pop incontestée. Rivalité stérile avec Cardi B, relations sentimentales polluées par la presse à scandale, prises de position polémiques : si l’artiste continue d’être sous le feu des projecteurs, c’est au détriment de sa musique, son album Queen se voyant retardé à plusieurs reprises, pour un résultat final honorable mais en deçà des attentes de ses fans. Après une longue phase de transition marquée par une série de drames personnels, c’est en 2022 que Nicki revient le couteau entre les dents, prête à reprendre sa place sur le trône : elle collabore avec les phénomènes Coi Leray et Lil Baby, tout en posant en patronne sur des singles de YoungBoy Never Broke Again et Ice Spice, prince et princesse du rap US actuel, adoubés par la reine de retour. 

Retour en grâce qui doit sans doute beaucoup au succès récent et retentissant de « Super Freaky Girl », premier numéro 1 au Billboard pour Nicki Minaj en solo. Construit comme une énième mise à jour du tube intergalactique « Super Freak » de Rick James, le morceau convoque une triple nostalgie : celle du funk « FM » des années 80 ; de sa version rajeunie par le hip hop grand public des années 90 ; et celle de la pop sous perfusion d’EDM du tournant des années 2010, celle de Flo- Rida et de Ke$ha, avec laquelle Minaj a flirté sans s’y abandonner tout entière. Fainéant et racoleur, le morceau porte la marque des productions de Dr Luke, hit-maker cynique qu’on comparerait volontiers à une IA s’il n’était pas l’objet de graves accusations d’agressions sexuelles et de harcèlement. En dépit des sourcils froncés d’une partie du public et des médias, c’est avec lui que Nicki Minaj collabore à nouveau pour « Alone », single porté par la pop-star allemande Kim Petras. Basé sur le sample implacable mais usé jusqu’à la corde du tube d’euro-dance « Better Off Alone » de Alice Deejay (déjà repris entre autres par David Guetta, autre faiseur de tubes pour Nicki Minaj), le morceau apparaît comme le symbole supplémentaire d’une industrie pop occidentale en perte de sens, de moins en moins capable de toucher le public autrement qu’en allant chatouiller son inconscient esthétique à base de grosses ficelles et de mélodies éprouvées. À la manière d’un Drake reprenant « Stayin Alive » dans l’espoir d’en faire un tube à lui, Nicki Minaj cherche ici à rester pertinente sans prise de risques, capitalisant sur son héritage et celui de la pop mondiale pour rester dans la course aux hits. Ainsi, lorsqu’elle assène « I set trends from Queens to Beijing / I’m not the one that do the imitating» dans son couplet, la rappeuse semble autant chercher à se convaincre elle-même que l’auditeur. Cultivant comme son comparse canadien l’étrange ambiguïté entre refus de vieillir et sclérosante nostalgie.

« Partons sur la mer car c’est trop dark ici » dit la rappeuse/chanteuse Mutha Madiba sur son single « Anémone », sorti en décembre dernier, comme une échappatoire à la torpeur hivernale. Pourtant, le message n’est pas délivré sans contraste, une certaine mélancolie transpire de l’interprétation, ainsi que de l’instrumentale, signée Late, sur laquelle notes de kora et de piano s’entrelacent avec une rythmique chaloupée. C’est via ce titre que Mutha Madiba (« fille de l’eau » en Douala, langue camerounaise) commence à communiquer autour de sa musique, un avant-goût séduisant de son premier EP, Advienne que pourra, disponible depuis le début du printemps.

Sur ce cinq titres, l’artiste, tout en aisance, étire ses mots pour mieux souligner leur importance, et emmène dans des brèches intimes de son existence. Habillée par des musiques aux influences jazz, trap, et afro, Madiba explore des réflexions personnelles et des récits, qui laissent entrevoir ses doutes et ses déceptions. La rappeuse s’affirme avec style, et parle de la musique comme d’un « plaisir purgatoire » dans une interview accordée au média Maze. Un oxymore qui définit bien son approche.

Mais c’est dans un extrait du titre « Corsaire », que l’on se rapproche plus encore semble-t-il, de ce qui fait la force de cet EP : « Tout se forme et se déforme, c’est vrai, tout se coupe et se recoupe, mais rien ne se perd », l’expression d’un regard lucide, autant qu’un champ des possibles pour cette jeune artiste qui se joue des étiquettes.

L’explosion du streaming et des réseaux sociaux a ouvert les frontières et transformé de nombreux rappeurs francophones en stars européennes. Sofiane a fait son tour d’Europe, Sfera Ebbasta est sur scène au Stade de France de Booba, Jul écoute du rap italien dans la Berline – les connexions européennes blingues apparaissent de plus en plus importantes et naturelles. À quelques pas seulement du mainstream, c’est aussi dans les marges que se dessine cet avenir possible. On sait peu de choses sur l’origine de « AVEC MOI », collaboration entre le rappeur viennois Gola Gianni et le parisien 8ruki, extraite de l’album STERBE FINESSEN du premier. Pourtant, le parcours des deux artistes souligne l’évidence d’une telle association : tous deux confrontés à l’étranger dès l’enfance, à travers de nombreux voyages pour 8ruki, et une enfance passée en Indonésie et aux Etats-Unis pour Gianni. Tous deux rangés sous l’étiquette « New Wave » de leurs scènes respectives par les observateurs, tous deux passés par Soundcloud, et aussi tous deux d’emblée tournés vers le monde : à travers des featurings pour 8ruki (notamment avec le canadien Rowjay dès 2018) ou la volonté initiale de rapper en anglais pour Gianni, désireux de coller le plus possible au style de ses modèles du Michigan. 

Pourtant, aucun de ces éléments biographiques ne transparaît explicitement dans « AVEC MOI » : le Viennois s’enorgueillit de plaire à une conquête anonyme, tandis que son comparse se livre à un egotrip somme toute classique – la vente et la consommation de THC reliant thématiquement les deux couplets. La production de WT Prodz, construite autour d’une rythmique drill dissonante et d’un sample de voix digitalisée mélancolique, sert ainsi de fumoir futuriste aux deux artistes, remontés tour à tour comme des machines par d’étranges injections lasers. Dans cet écrin sur mesure, leurs flows deviennent instruments, Gola Gianni faisant tomber ses rimes avec des noms propres issus du référentiel commun mondialisé, ou des formules anglaises en surbrillance brouillant les pistes de l’auditeur quant au langage réel employé par l’artiste. Moins ciselé mais tout aussi insaisissable, le flow de 8ruki se caractérise par cet étrange équilibre entre froideur et douceur, de celui des paix intérieurs sous anesthésie. De par son interprétation caractéristique, il met à profit l’essence du charme « plat » de la langue française, comme on l’imagine sonner pour un non-locuteur qui l’entendrait pour la première fois au hasard des couloirs d’un club à l’autre bout du monde. Cette huile essentielle de thèmes et de sens crée alors une sorte d’esperanto sous emprise, en marge du temps et de l’espace. Et ouvre de nouvelles perspectives d’échanges et de collaborations, entre des artistes d’une génération sur le point de se comprendre par-delà les mots.

Après un solide troisième volet de ses Trauma sorti début mars et un cypher de haute volée pour lequel il a convié un casting de fins rimeurs, Oumar organise une Trauma Session au Dock B, à Pantin (93). Le rappeur havrais réunit pour l’occasion un nouveau line-up de rappeurs affûtés : Médine, Jewel Usain et The Free. L’occasion de recréer, en live, cette synergie collective du « Trauma Freestyle » et surtout de défendre son rap réactualisant celui des années 2000, entre art de la punchline soupesée, samples de soul sur beat trap et moment d’introspection sans pathos. C’est ce vendredi 12 mai et la billetterie est toujours ouverte.

Fort du succès de « Bing Bong », son titre sorti à l’été 2021 (presque 1,2 millions de vues sur YouTube à ce jour), de ses multiples remix (avec Fat Joe, Busta Rhymes et Styles P, mais aussi Trae The Truth et Paul Wall), et de l’expression « bing bong ! » elle-même devenue virale via TikTok (au point d’aller jusqu’à la Maison Blanche), Nems s’est imposé comme l’un des rappeurs new-yorkais les plus percutants et authentiques de ces dernières années. Celui que certains appellent « le maire de Coney Island », a croisé le fer de nombreuses fois lors des battles Fight Klub sur MTV 2, dans les années 2000, et depuis cette époque, sa gouaille agressive est restée intacte. Après une période entre problèmes d’addictions et délinquance, deal impossible avec Shady Records, et volonté d’indépendance dans l’industrie de la musique, cette fine brute est retombé sur ses pieds, tout en gagnant en notoriété. 

Dans une suite logique, Nems a récemment sorti le banger “NY Is Killing Me” sur son label Gorilla Music, avec comme invités Dave East et le vétéran Uncle Murda, les trois posés sur une production de Scram Jones, construite autour du titre du même nom signé Gil Scott-Heron. Une musique menaçante, électrique et dépouillée, un appui parfait pour célébrer New-York, mais également formuler une critique acerbe de celle-ci. Preuve en est, Nems aborde les contradictions de cette ville et sa gentrification (« City workers give up twenty years of they life and still can’t afford to pay a mortgage in the five boroughs (Goddamn) )», (« They tryna turn the projects into condos (Get the fuck outta here) Gеntrification, fuck it, what do I know? It’s like taking the gorilla out the Congo »), avant que Uncle Murda ne s’en prenne à l’actuel maire de New-York, Eric Adams (« Fuck the new Mayor, I don’t like his politics / He black, but he a racist, he tryna bring back stop and frisk »), enfin, Dave East plus léger, cite différentes légendes du rap local, telles que The Lox ou Terror Squad, sans pour autant oublier de saluer la jeune génération « The youth got the drill vibes, it’s still live ». La métropole de la côte est ne dort jamais, et ses rappeurs non plus. Nems en est bien la preuve.

Il faut peut-être remercier un certain Abdoul, pour le rap de Mr Kayz, le natif des Yvelines qui traîne désormais ses guêtres dans le nord de la ville lumière. C’est en tout cas, ce que laisse entendre ses deux derniers titres, prémices du EP Bor2rline qui sortira le 28 avril, la suite de Bord3rl1ne sorti en 2018, loin d’être sa première apparition, puisque le rappeur est présent sur la scène francophone depuis plus de dix ans.

C’est néanmoins, sur ce premier album sorti il y a 5 ans, que le rappeur semblait transformer l’essai, grâce à sa voix épaisse et quelque peu éraflée, un flow en mouvement, des ego-trip savoureux, ainsi que des productions à la J. Cole des grandes heures. De quoi se tailler une place de choix, enfin presque, car l’armure restait pour l’essentiel bien accrochée au répertoire du monsieur, avant que cela ne change l’année dernière, avec la sortie du titre « Mauvais Signal », un coup de rétroviseur sur un épisode de vie douloureux, et le recul de ceux qui sont déjà passés par les erreurs de jeunesse. 

Sur ce nouvel EP, Kayz ne laisse pas de coté son panache de dandy, et balance son fiel sans retenue (« […] et je prends du plaisir à emmerder le monde, je suis choqué que personne m’ai niqué ma race, des fois, je me demande ce que je déteste le plus, les mauvais rappeurs ou les médias rap »), ce qui ne l’empêche pas de ralentir le tempo pour mieux s’adonner à des introspections douces-amères. Une maturité sans désaveu, dont on pourra profiter en direct lors de la release party de Bor2rline au bar l’Impasse situé dans un atelier d’artistes au 4, Cité Griset à Paris 11e, le 27 Avril, à partir de 19h30.

En voilà une que personne n’avait vu venir. Pour cause, deux univers aux couleurs à priori bien distinctes. Mais l’association d’un patron du G-funk français, qui a sorti récemment l’EP Congés Payés avec Driver, et d’un rappeur de Montreuil au décorum gris, qui lui s’est illustré il y a quelques semaines avec son collectif pour un morceau ressuscitant l’imagerie des nineties, fait mouche.

Aelpéacha et Souffrance ont le vent en poupe : une compilation chargée et un concert réussi à la Maroquinerie pour le premier, deux albums ayant marqué les esprits pour le second. Les deux lascars n’entendent pas lâcher de si bonnes prises. Battons le fer tant qu’il est chaud, les deux bonhommes et leur parcours à l’abri du courant mainstream ont dû le remarquer : « avant l’heure, c’est pas l’heure ; après l’heure, c’est plus l’heure. »

Sur son compte Instagram, le rider de Splifton annonce : « 10 ans après Ride Hivernale, je retombe dans une sombritude. Dans une Mossadité comme dirait le RD. » C’est vrai que l’époque n’est pas à la fête. Et c’est dans un jus corsé que trempe ce « Premier trimestre 2023 ». Non, ce n’est pas un podcast de l’Abcdr mais un morceau à contre-courant des habituelles escapades ensoleillées du A. Ni clap, ni sirènes, ni talkbox, la production de cette friandise, croisant synthés épais et rythmique trap, a un goût âpre et rance de fond de la cave. Une ambiance rodée pour Souffrance à l’aise comme un poisson dans l’eau : « C’est pas les rats qui m’inquiètent, c’est l’état qui rackette ».

Aelpéacha et Souffrance font ici du nettoyage comme Manu Key et le 113 en 1999. Un ménage sans rémission contre un rap autocentré sur son microcosme (« Leur game c’est la reine des putes donc j’suis un roi sans couronne ») et contre un État proxénète rappelant parfois les saillies empreintes de révolte de la Fonky Family (celle citée quelques lignes au-dessus) ou de Raggasonic (« Il y aura que de moins en moins de riches qui seront de plus en plus riche »).

Un morceau électrique, aidé par un clip réussi réalisé par Rewayze. Dans la foulée de son post Instagram, le A annonce pour juin Xylostomiase (mot québécois faussement savant pour désigner de manière comique la gueule de bois, merci le dictionnaire) dont on sait trop peu de chose mais finalement assez avec ce teaser musclé. Fracture Sociale.

Il y a souvent un malentendu lorsqu’il s’agit d’artistes étiquetés indépendants ou alternatifs au sein de la scène française : ils sont supposés avoir biberonné uniquement au son de leurs confrères américains affublés du même adjectif. Ainsi La Caution ne pouvait être fan que de Company Flow, James Delleck de Dälek, les Svinkels influencés par Cypress Hill et The Alkaholics, Tekilatex par Kool Keith, ou plus récemment Orelsan n’aurait pu retenir du rap que la musique d’un Dizzee Rascal (Anglais lui) et rien d’autre. Au fur et à mesure des rencontres et échanges avec ces artistes, c’est pourtant tout l’inverse qui apparaît. De Nikkfurie à Arm en passant par Drixxxé, ils citent autant des références dites « alternatives » que du Big Pun, du Three Six Mafia, ou évidemment Outkast et les Neptunes. Voilà une courte tentative de décryptage à utiliser en écoutant le disque sorti par King & Schlas, le second nommé n’étant nul autre le beatmaker originel de Vîrus. En se réappropriant des titres de JID, TakeOff, Kendrick Lamar, YG ou encore des featurings de Rick Ross et J.Cole, le producteur s’attaque à ce que le rap américain produit de plus dimensionnant ces dernières années. En sortent des morceaux entièrement revisités, parsemés de samples « téléphonés » sur le papier (il y a ici du Gregory Peck, du Vladimir Cosma, du Donald Byrd ou du Lords of Underground) mais magnifiquement mis en scène. À tel point que la magie de cette réalisation est de donner à des références absolues du rap des années 2010 et 2020 une tessiture cinématographique et des vibrations old school. Ne pas croire pourtant que Schlas et son acolyte King cèdent au passéisme. Il y a ici autant de boom-bap sombre et envoûtant que des rythmiques syncopées. Le tout est séquencé de façon à instaurer une ambiance épique et quasi narrative les minutes s’écoulant. Au point que Live by the Sword sonne réellement comme un album de producteur, tant il porte ce souci de donner du mouvement à l’ensemble de la tracklist, de tenir l’auditeur en haleine par autant de ruptures que d’insertions de samples. Une véritable petite mine d’or entrecoupée de références plus attendues (l’intro de The Coming revisitée au nom de l’auteur, des titres de Jay Rock, Little Simz ou encore Ab-Soul) et produite avec une science absolue de la découpe. Schlas en tire d’ailleurs son nom, et il est manifeste qu’en plus de celle de l’échantillonnage, il maîtrise aussi celle de la mise en scène, à la façon d’un story board ou d’un banc de montage. Une série de remixes réinterprétations aiguisées comme une lame et pointues comme un Schlas.