Sorti le 7 mars, le livre de Grégory Salle s’attaque à un monument du rap : It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back, le deuxième album du groupe originaire Long Island.

Photo : Glen E. Friedman
Plus qu’un simple retour, ce livre dissèque chaque détail de son élaboration, de son impact et de ses contradictions, dans un contexte où l’Amérique est au cœur de la contre-révolution reaganienne.
« Freedom is a road seldom traveled by multitude. » Cette phrase, discrètement placée en liseré sur la pochette, résume à elle seule l’essence du disque. Plus qu’un slogan, c’est une déclaration de principe : la liberté, telle que la conçoit Public Enemy, n’est ni facile ni offerte à tous. Elle doit être conquise, arrachée, proclamée haut et fort.
Ancien chroniqueur à Jazz News et L’Abcdr du Son, aujourd’hui chercheur en sciences sociales, Grégory Salle adopte une approche rigoureuse qui évite la simple nostalgie. Il analyse la puissance sonore et politique de l’album, détaillant comment Chuck D et ses acolytes ont conçu un chaos organisé, porté par les productions abrasives de The Bomb Squad (pas vraiment crédité sous ce nom sur l’album). Chaque titre est scruté, décomposé, remis en perspective : du rugissement martial de « Bring the Noise » à la tension suffocante de « Black Steel in the Hour of Chaos », en passant par la charge électrisante de « Rebel Without a Pause. »
Mais le livre ne se contente pas d’encenser l’album : il met aussi en lumière ses failles. Public Enemy a toujours joué sur l’ambiguïté, entre engagement radical et débordements incontrôlés. La prise de parole antisémite de Professor Griff en est un exemple marquant, et l’auteur revient sur les remous qu’elle a provoqués au sein du groupe. À travers ces contradictions, It Takes a Nation… apparaît comme le reflet d’une époque en tension, où le rap cherchait à exister face à une Amérique qui le craignait autant qu’elle le consommait.
En revenant sur ce classique piste par piste, Grégory ne fait pas que rendre hommage : il interroge également son héritage et sa réception actuelle. Plus de trente cinq ans après, la rage de Public Enemy résonne encore, et ce livre en offre une lecture aiguisée, entre mémoire et mise en perspective critique. Une relecture essentielle d’un disque qui a redéfini le hip-hop et au-delà.