Nicki Minaj : reine du rap, cynisme pop
Début des années 2010, alors que Drake marque la différence de par sa posture vulnérable et consciemment maladroite, Nicki Minaj révolutionne les codes de la pop en assumant le grand écart entre une technique imparable, un sex-appeal conquérant et un univers loufoque et coloré. Marchant sur l’eau à chaque apparition, l’autre protégée de Lil Wayne devient rapidement incontournable, célébrée aussi bien dans les forums pointus que dans les pyjama-partys des pré-ados du monde entier. La seconde moitié de la décennie coïncide avec la fin de la lune de miel pour la rappeuse de New York, toujours pertinente musicalement mais chahutée dans son statut d’icône pop incontestée. Rivalité stérile avec Cardi B, relations sentimentales polluées par la presse à scandale, prises de position polémiques : si l’artiste continue d’être sous le feu des projecteurs, c’est au détriment de sa musique, son album Queen se voyant retardé à plusieurs reprises, pour un résultat final honorable mais en deçà des attentes de ses fans. Après une longue phase de transition marquée par une série de drames personnels, c’est en 2022 que Nicki revient le couteau entre les dents, prête à reprendre sa place sur le trône : elle collabore avec les phénomènes Coi Leray et Lil Baby, tout en posant en patronne sur des singles de YoungBoy Never Broke Again et Ice Spice, prince et princesse du rap US actuel, adoubés par la reine de retour.
Retour en grâce qui doit sans doute beaucoup au succès récent et retentissant de « Super Freaky Girl », premier numéro 1 au Billboard pour Nicki Minaj en solo. Construit comme une énième mise à jour du tube intergalactique « Super Freak » de Rick James, le morceau convoque une triple nostalgie : celle du funk « FM » des années 80 ; de sa version rajeunie par le hip hop grand public des années 90 ; et celle de la pop sous perfusion d’EDM du tournant des années 2010, celle de Flo- Rida et de Ke$ha, avec laquelle Minaj a flirté sans s’y abandonner tout entière. Fainéant et racoleur, le morceau porte la marque des productions de Dr Luke, hit-maker cynique qu’on comparerait volontiers à une IA s’il n’était pas l’objet de graves accusations d’agressions sexuelles et de harcèlement. En dépit des sourcils froncés d’une partie du public et des médias, c’est avec lui que Nicki Minaj collabore à nouveau pour « Alone », single porté par la pop-star allemande Kim Petras. Basé sur le sample implacable mais usé jusqu’à la corde du tube d’euro-dance « Better Off Alone » de Alice Deejay (déjà repris entre autres par David Guetta, autre faiseur de tubes pour Nicki Minaj), le morceau apparaît comme le symbole supplémentaire d’une industrie pop occidentale en perte de sens, de moins en moins capable de toucher le public autrement qu’en allant chatouiller son inconscient esthétique à base de grosses ficelles et de mélodies éprouvées. À la manière d’un Drake reprenant « Stayin Alive » dans l’espoir d’en faire un tube à lui, Nicki Minaj cherche ici à rester pertinente sans prise de risques, capitalisant sur son héritage et celui de la pop mondiale pour rester dans la course aux hits. Ainsi, lorsqu’elle assène « I set trends from Queens to Beijing / I’m not the one that do the imitating» dans son couplet, la rappeuse semble autant chercher à se convaincre elle-même que l’auditeur. Cultivant comme son comparse canadien l’étrange ambiguïté entre refus de vieillir et sclérosante nostalgie.