« Les Étoiles Vagabondes », victime du succès
Salle sombre, regard vide, respiration lourde. C’est sur ces images que démarre Les Étoiles Vagabondes, film documentaire sur la conception du troisième album de Nekfeu du même nom. Le visage marqué juste avant de monter sur scène, Nekfeu sort de sa loge et avance inexorablement vers la scène de la Fête de l’Humanité en compagnie du S-Crew durant l’été 2017, dans un – superbe – plan séquence du réalisateur Syrine Boulanouar qui retranscrit ici tout ce que ce film s’apprête à raconter en l’espace de deux minutes : le stress et l’anxiété en loge, l’excitation dans les couloirs, les amitiés increvables en coulisses, l’amour face au public et… la solitude. « Ce soir j’ai joué devant 80 000 personnes, et je ne me suis jamais senti aussi seul ». Noir. Les Étoiles Vagabondes, le film, raconte la solitude et la perte de repères. Celle qui fait perdre la tête, encore plus avec le succès et l’argent. Et il le fait plutôt bien. Durant une heure et demi Nekfeu tente de redevenir peu à peu Ken Samaras, ou autrement dit une personne normale, anonyme, humaine. D’abord en retournant en Grèce, sur l’île de son père pour revenir aux racines de son sang, ensuite au Japon, pour explorer ses rêves d’adolescence forgés dans les rayons bandes dessinées des supermarchés, et enfin à Los Angeles puis à La Nouvelle Orléans, terre de naissance de sa véritable passion : la musique. Alors que l’on observe d’abord le rappeur seul dans sa chambre parisienne, les yeux face à une page blanche qui se remplit de noir à l’écran, l’exil aux quatre coins du monde qu’il s’offre va peu à peu remettre du carburant dans la machine. Et lui redonner goût à la conception d’un nouvel album. Soyons clair : le film pêche par excès de sentimentalismes lorsqu’il tente d’évoquer la solitude et la souffrance (malgré de bonnes intentions, notamment sur la crise migratoire) mais rattrape ses défauts quand il se concentre sur ce qui compte le plus : la musique. Des scènes passées en studio à discuter avec Alpha Wann de leur amour du sample jusqu’aux échanges sur son obsession du détail avec Damso à Bruxelles, on retrouve ici tout ce qui fait la force du rappeur parisien : un goût pour l’art qui l’amène à tester ses limites sur chaque disque malgré les attentes populaires. Et qui l’envoie jusqu’à La Nouvelle Orléans pour collaborer avec le musicien de jazz Trombone Shorty, dans une des meilleures séquences du film : loin des lumières, Samaras rencontre dans la ville américaine plusieurs musiciens, qui racontent leurs histoires, desquelles il puise ensuite son inspiration. De retour en studio, il laisse ensuite Shorty longuement improviser à la trompette sur sa propre musique, et ferme les yeux en l’écoutant. La caméra n’existe plus dans sa tête, et la musique remplit la pièce autant qu’elle donne naissance en direct au morceau « Ciel Noir » sur son album. On y voit alors ce que l’on préfère dans ce documentaire : un Nekfeu vrai, qui ne joue aucun rôle. C’est dans ces moments là qu’il est le meilleur. En image comme en musique.