« Vivre et mourir à Dunkerque », le beau regard de BEN plg
À l’automne 2020, BEN plg marquait quelques esprits avec Dans nos yeux, un très bel album contant les histoires ordinaires d’un fils de prolo. Bâtie sur des friches industrielles et des crédits Cetelem, la musique du rappeur nordiste dépeint des paysages urbains tristes, des cuisines au papier peint jauni et des chambres d’enfant mal rangées où les pistolets à billes, les majorettes et les rêves sont balancés sous le lit à la va-vite avant le diner. Compte tenu du climat social et de l’avenir qui se dessine pour la France ces temps-ci, l’album de BEN plg n’a pas pris une ride en un an, ou alors elle se confond avec celles qu’il portait déjà, puisqu’il est de ces disques marqués par la vie.
D’ici peu, le Tourquennois livrera un deuxième opus, dont le nom demeure inconnu à ce jour. Au vu du nouvel extrait qui vient d’être dévoilé (il y a quelques semaines sortait « Les préférés de la cantinière » avec Djalito), l’atmosphère de cet album ne devrait pas créer de choc thermique. Pour le moment, BEN fait ses courses au rayon surgelés et s’il a la chance de partir en tournée, il connaîtra déjà l’hexagone grâce aux magnets sur le frigidaire. « Vivre et mourir à Dunkerque » est une mise en musique de plus de ces voyages au long cours direction le terminus d’une ligne d’autocar départementale. Ici en l’occurrence, des vacances à Dunkerque, chez des cousines cette année, « parce qu’il faut changer la machine. » Plg écrit toujours sur la vie dans ce qu’elle a de plus éternellement quotidien. Hier, aujourd’hui, demain, avant, après, le même pastis au même PMU, le même cola éventé dans le même verre Amora, le même trou dans le même cœur. Il saisit autour de lui ce qu’il y a de plus commun pour y apposer une nuance de couleur froide supplémentaire, « éclairée par un soleil terne. »
Le morceau, dont l’intitulé répète une fois de plus l’amour de son auteur pour le rap français par un renvoi à Alpha 5.20, s’accompagne d’un clip réalisé par Ciel Rose (rose pâle, pour le coup). Une mise en images sans fantaisie ni exotisme, faite de détails signifiants : une balançoire au rythme timide, un camping-car immobile, les freins rouillés d’une moto, une Dacia qui attend son plein… Bien peu de mouvement. La seule magie de l’histoire est celle de l’arbre suspendu au rétroviseur intérieur, les espoirs sont à mettre au crédit de la Française des Jeux, bien calés entre le plastique verre d’une table d’extérieur et le verre en plastique pour les bretzels. Aussi grisâtre et triste que cela ait l’air, « Vivre et mourir à Dunkerque » est un beau morceau avec un beau clip, pleins d’amour et de sincérité. S’il propose un album dans le même ton, BEN plg s’inscrira durablement parmi ces rappeurs capables d’allier esthétique et conscience sociale. Il représente les siens et leur zone, sans les maquiller mais en posant sur eux un regard aimant. Il les raconte avec poésie, humour et amour, comme peut le faire pour les mêmes classes populaires nordistes le cinéaste Bruno Dumont, dont une partie de l’œuvre est actuellement en accès libre sur Arte.tv. Pourquoi ne pas s’y aventurer, comme pour préparer l’immersion à venir avec BEN plg ?