Niro – Miraculé
Rugueux, rocailleux et sans autre quête que celle de gifler le rap français, Niro méritait bien de voir ses sentences froides explorées à travers un mix.
« Si Rim’k est le Snoop Dogg français, Niro, c’est Pusha T » : c’est vrai, les deux derniers témoignent d’une street credibility que n’érodent jamais les années comme les évolutions du game. Ainsi Bachir présente les motivations à l’origine de ce mix de presque une heure consacrée à la carrière du Blésois, de l’aube de la décennie à son crépuscule. Pour mettre en évidence cette longévité et cette progression, il fait appel à un connaisseur – voire sosie non-officiel – du rappeur, Genono, qui a sélectionné la plupart des titres constituant la playlist. Validé partout, celui capable de poser avec LMC Click comme Gims méritait définitivement un éclairage plus que rétrospectif : démonstratif. De Paraplégique à sa combinaison redoutable avec Ninho sur « Kim Jung Il », la part belle est faite aux featurings. Comme nous l’écrivions dans notre bilan annuel de l’an dernier, « être en feat avec Niro c’est prendre le risque de se faire fumer sur son propre morceau ».
À quoi servent les mix ? A faire ressentir non par les mots mais par les sens toute les saveurs d’un artiste. Et ici, elles n’ont jamais l’odeur du parfum : Niro, c’est le rap exigeant sans velléité de respectabilité. « Miraculé » met en valeur l’aspect rocailleux de cette voix rappant avec des tessons de bouteille dans l’œsophage, portée par des influences US (sudistes et west coast surtout) qui n’effacent en rien son profond ancrage dans le rap français. Au fur et à mesure des cinquante-six minutes, le flow de Niro fait l’effet d’un diamant brut taillé sans lissage. Ce qui marque, c’est sa progression technique, jusqu’à la virtuosité des allitérations de « Ceci n’est pas du rap » (vers 46’30), un sens des formules et des insultes à peine assagies au fil du temps. Noureddine Bahri est de ces kickeurs qui rappent comme on fait du muay-thaï, enchaînant les coups sans peur de la surenchère. Des « j’t’allume ta mère gros j’suis EDF », « la con de ta salope de tchoin » ponctuent partout ses envolées teigneuses, toujours – attention ! – avec un sens de la parité : « nos meufs ont des couilles, la putain de ta re-sœu / Coup d’chatte, de baseball, elle t’arrache la recette » rappelle-t-il dans « Persona non grata ». Cette hargne fait que l’on sort du mix focus comme si on avait bu cent cafés, particulièrement lors du pic d’énergie, pile au milieu, constitué par l’enchaînement entre « 87 » et « Déçu ». Pourtant, et c’était là le défi du mix, de ce dernier transparaît une fluidité dans les transitions, d’autant plus remarquables qu’elles concernent un artiste rugueux, plein d’aspérités.
La constance est aussi dans les thèmes : Niro fait preuve d’une intransigeance sans géométrie variable, y compris avec les siens (« y’a pas que la rue qui m’a déçu, même au bled c’est devenu des Gaulois / pas étonnant qu’on se fasse marcher dessus »). Tout le monde y passe. Balafré, explosif et froid, le mix transporte des piques aux zoulous qui prétendent raconter sa vie, au fameux chiasme contre les « mecs de la hype qui sucent la bite des mecs de cité » comme aux « mecs de cité qui sucent la bite des mecs de la hype » sur l’impressionnante outro d’Or Game. Son regard sur le monde du rap est toujours net et tranchant, monde qu’il préfère regarder de loin tout en en faisant incontestablement partie.
Naviguant entre sirènes crapuleuses, nappes anxiogènes, arpégiateurs glaçants et zéro mélodie, le mix ne laisse que peu de place à l’autre facette de l’artiste : non plus sa colère, mais sa peine, et le virage mélodique qu’il a pris avec d’autres rappeurs de rue dans la deuxième moitié de la décennie. De ses lésions dangereuses – qu’il partagerait avec une Casey ou plutôt, La Hyène – la sélection garde surtout la texture menaçante. Son extrême sensibilité n’arrive qu’à la fin. Visiblement, Bachir et Genono ne sont pas de ceux qui aiment surtout le Niro de « Printemps blanc » ; mais finir par « Contre vents et marées » est l’occasion de rappeler qu’il est aussi celui capable d’écrire que « ma vie est comme ma femme, elle est belle et triste » (« Oxymore »). Et au passage, de calmer son rythme cardiaque.
Tracklist
- « Plus deter »
- « Ghetto Star Killer » feat. Juicy P
- « La plakette » feat. Juicy P & Jack Many
- « Piscine de calibres » feat. Sazamyzy
- « Tabou yinek »
- « Persona non Grata » feat. Rohff
- « Jihan »
- « 87 »
- « Déçu »
- « Intro » (Or Game)
- « Enemy »
- « Rasta Rocket »
- « Outro » (Or Game)
- « Virage »
- « Intro » (Ox7)
- « Ceci n’est pas du rap » feat. Gims
- « Kim Jong Il » feat. Ninho
- « Lomachenko »
- « Contre vents et marées »
Il manque jack many sur la tracklist pour le son sur la plakette
Bien vu, merci !