1995 : une année de rap français
Un après-midi dans une cité francilienne. Tout respire le calme avant la tempête d’emmerdes qui succédera au déluge de violence de la veille. Un homme place une enceinte reliée à ses platines DJ dans l’encadrement de sa fenêtre, le haut-parleur tourné vers l’extérieur. Il s’échauffe, fait craquer ses doigts d’un geste bref, souffle et réajuste sa casquette. Puis se lance sur ses vinyles. L’instru est celle de « Machine Gun Funk » de Biggie, les phrases scratchées sont empruntées à KRS-One, Joey Starr, Rockin’ Squat et Edith Piaf (!). La caméra lâche ensuite le virtuose – un certain Cut Killer – puis commence à planer au-dessus de la cité, toujours au son du funk mitrailleur de Christopher Wallace.
Cette séquence est évidemment tirée de La Haine de Mathieu Kassovitz, sorti en 1995, et elle en a marqué plus d’un. La musique Hip-Hop avait déjà connu quelques incursions auprès du grand public grâce aux pitreries de Benny B, à l’adresse verbale de Solaar ou à l’humour d’IAM version Mia. Mais là, la teneur plus bestiale touchait un autre cœur de cible que les amateurs de refrains faciles ou de la subtilité de Claude M’Barali. Le rap venait de faire une entrée fracassante dans le crâne de centaines de milliers de jeunes gens forcément réceptifs à cette fougue. Et peu importait que KRS-One ne dise pas « Assassin de la police » ainsi que beaucoup l’avaient compris, ou que La Haine soit aussi réaliste que Batman, comme l’affirmerait en substance Jean-François Richet.
« 1995 avait tout d’une année charnière : alors que NTM, Assassin ou Akhenaton sortaient leurs projets les plus aboutis , une génération pleine de talents émergeait en collectifs pléthoriques. »
Ces adolescents ou préadolescents pouvaient se rassurer : une fois arrivés au générique de fin, ils n’allaient pas se retrouver le bec dans l’eau comme beaucoup de b-boys au terme de l’émission H.I.P. H.O.P., après que Sidney eut raccroché les gants (blancs). Le caméo de Cut Killer arrivait à point nommé : il mettait en lumière la formidable effervescence qui commençait à animer un rap français ayant jusque-là des allures de microcosme. 1995 avait tout d’une année charnière : alors que NTM, Assassin ou Akhenaton gagnaient leurs gallons de tauliers en sortant leurs projets les plus aboutis (respectivement Paris sous les bombes, L’Homicide volontaire et Métèque et mat), une génération pleine de talents émergeait en collectifs pléthoriques, suivant le modèle alors incontournable du Wu-Tang Clan ou de la Boot Camp Click (Time Bomb, Le Ménage à 3, Beat de Boul, La Cliqua, etc.). A posteriori, il est d’ailleurs regrettable de constater que seuls quelques-uns de ces ex-rookies ont mené une carrière à la hauteur de leurs mérites.
Riche est l’histoire du rap français, toutes les occasions sont bonnes pour le rappeler et celle-ci est encore meilleure que les autres : Conçu pour durer, Dans Paris Nocturne, Qu’est-ce qui fait marcher les Sages ? et tant d’autres grands albums ont fêté ou fêteront d’ici peu leurs vingt ans. Même pour un mouvement qui accorde à la spontanéité une place centrale, cela n’a rien d’anodin. Il nous a donc paru indispensable de nous replonger en 1995, en réalisant un mix qui reflèterait le plus fidèlement possible l’essence du rap hexagonal de cette année millésimée. S’y retrouvent des figures qui brillaient à l’époque et brillent toujours, d’autres dont on avait oublié l’existence, celles à présent loin des yeux mais pas du cœur et celles qui ont pris un autre tournant mais donnent toujours des nouvelles. Un peu comme la photo de classe d’une bande d’élèves turbulents et particulièrement talentueux.
Merci à Julien, Greg et Jee pour leur aide.
Tracklisting
- Intro – Cut Killer (La Haine)
- Daddy Lord C – « Freaky Flow Remix »
- Koalition – « Je me souviens »
- Cartel De La Rime – « L’Homme pleure »
- Disiz la Peste – « Plukemoi »
- Different Teep – « La Route est longue »
- Coup d’État Phonique – « Dans ma tête II (Chimiste Remix) »
- TSN – « + Fort »
- X-Men – « J’attaque du mike »
- Lone – « Tricar » ft. Busta Flex
- Rocca – « Comme une sarbacane »
- Akhenaton – « La Face B »
- D. Abuz System – « Ça se passe »
- MC Solaar – « Comme dans un film »
- Democrates D – « Le Crime »
- Fabe – « Ça fait partie de mon passé »
- Expression direkt – « Mon esprit part en couille »
- Ministère A.M.E.R. – « Sacrifice de poulet »
- Timide et Sans Complexe – « Le Feu dans le ghetto 2 » ft. Meto
- Les Sages Poètes de la rue – « Qu’est-ce qui fait marcher les sages ? »
- Ärsenik – « Ball Trap »
- Sléo – « Monnaie de singe »
- Suprême NTM – « Paris sous les bombes »
- DJ Dee Nasty & Big Brother Hakim – « Même le diable ne peut plus m’aider »
- 2 Bal Niggets – « Predator III »
- Assassin – « L’Odyssée suit son cours » ft. Ekoué
- Fabe – « Rien ne change à part les saisons » ft. Dany Dan
- La Cliqua – « Requiem »
- 3 Coups – « Check la devise »
Vraiment un bon mix et de bons articles sur le rap fr a l’ancienne
Autant/au temps pour moi, j’ai réagi à chaud. Pour le Démocrates D, même si le maxi est antérieur, le morceau est présent sur le LP donc ça passe 😉 !
@Phobiaz : « Sacrifice de poulet » c’est la BO de La Haine, pas « 95200 »… Et « Freaky Flow » l’original est de 94 je crois, mais le remix est bien de 1995 : http://www.discogs.com/Daddy-Lord-C-La-Cliqua-Freaky-Flow-Remix/release/1343264. Ce qui m’arrangeait d’ailleurs, parce que le remix est bien meilleur 🙂 « J’attaque du mike » c’est la première version ici, celle de « Time Bomb – Volume 1 ». Par contre j’avoue m’être un peu arrangé avec les dates pour « Le Crime » 😉
Désolé de faire le casse-couille, mais 95200 est sorti en 1994, la 1ère édition de freaky flow 1993. Bref tout n’est pas de cette fameuse année 1995. Bon article au demeurant, surtout pour les vieux cons comme moi…
J’attaque du mike c’est 96 non ?
Tres bonne tracklist, mais pour démocrates D j’aurais pas mis le crime alors oui elle est juste géniale que ce soit dans l’écriture ou dans la prod mais elle n’est pas celle qui représente le mieux le groupe perso j’aurais mis soit les années 2000 , la paix face aux armes ou onze 44
Comme dirait Vinz’ : « ça tue sa mère ! »