Zoxea : « Tous les morceaux sont stockés dans ma tête »
Tout dans la tête, le troisième album de Zoxea est venu briser un silence discographique pesant. Retour avec la figure charismatique des Sages Poètes de la Rue sur un projet pensé bien en amont, du concept à la réalisation. Une rencontre où il est aussi question de crime passionnel, de spontanéité, de 360 et de famille boulonnaise.
Abcdr Du Son : On t’avait interviewé longuement en 2009, pour revenir sur ton parcours et tu avais commencé à nous parler déjà de Tout dans la tête. L’album est finalement sorti il y a quelques semaines. Le processus de création a été plus long que prévu ?
Zoxea : Non, pas particulièrement. Je savais d’emblée que j’allais mettre onze titres dans cet album. À l’époque, je devais en être à la moitié. J’étais en résidence au 104 pour élaborer ce projet. J’avais du temps devant moi et je n’étais pas particulièrement pressé. J’avais quand même une envie qui était de sortir cet album le 11 Novembre 2011. Soit le onze-onze-onze. C’était un clin d’œil par rapport à mon chiffre fétiche : le onze. Finalement, ça n’a pas pu se faire.
Beaucoup de gens qui nous suivent ont été un peu surpris de ne voir que onze titre sur le tracklisting. Ils ont pu se dire que c’était un peu léger. Mais quand tu écoutes l’album, tu vois comment il est agencé, ton sentiment change. Il y a onze pistes mais il n’y a pas d’interlude, d’intro, ni d’outro.
A : Ton album à été écrit entièrement de tête. Qu’est-ce que ça a changé de fondamental dans ton processus de conception de l’album ?
Z : Le grand changement, c’est la spontanéité. J’avais besoin pour réaliser cet album d’être régulièrement en studio. Et d’évacuer rapidement le texte à partir du moment où il avait été muri dans ma tête. Ça aurait été vraiment difficile de le garder deux-trois jours en tête. En studio, je faisais tourner du son. Une fois que j’avais trouvé le thème, je commençais à écrire dans ma tête pour le poser ensuite. Du coup, j’avais quelque chose de super intuitif. Tous les morceaux sont stockés dans ma tête, je n’ai rien écrit.
A : Suivre cette approche, c’était un défi pour toi ?
Z : Exactement. Je me suis lancé ce défi en 2006, à l’époque du morceau « 60 piges ». D’ailleurs, à la base, ce morceau « 60 piges » devait être dans mon album et pas sur Dans un autre monde [NDLR : Beat de Boul]. J’avais lu plusieurs fois que Notorious ou Jay-Z avaient déjà écrits comme ça. Ça m’avait amené à me poser des questions. Je le dis dans l’album : « j’écris tout dans la tête comme Notorious ou Jay Hova« .
« L’engouement autour de cet album, c’est déjà un pari gagné. »
A : Qu’est-ce que tu attends de ce nouvel album ?
Z : La première chose que j’attendais, c’était le retour du public. De ceux qui me suivent. Et de ceux qui m’avaient un peu perdu de vue. C’était important de remettre les choses à plat en ce qui concernait le personnage Zoxea. Il fallait que je sorte cet album et j’ai eu énormément de retours via Internet ou la scène. Ces retours constituent ma première source de satisfaction. Sortir un disque et ne pas voir le public au rendez-vous, ça aurait été frustrant. Et je dis ça d’un point de vue purement artistique, au-delà des ventes. L’engouement autour de cet album, c’est déjà un pari gagné.
Ensuite, j’aimerais pouvoir tourner. Le plaisir de partager ça sur scène, c’est important. Comme tu as pu le voir à la Scène Bastille il y a quelques jours [NDLR : interview menée le 26 mars, soit quelques jours après le concert à La Scène Bastille.] J’ai envie de faire un maximum de scènes et de faire évoluer la formation, en intégrant notamment des musiciens sur scène.
A : C’était une des surprises du concert : l’ajout – très réussi – de musiciens pour jouer certains morceaux. Cette expérience, tu as envie de la prolonger ?
Z : J’ai non seulement envie de la prolonger, mais aussi de la faire évoluer comme ça a été rarement fait. En mélangeant les parties jouées et les morceaux enregistrés. En sachant que certains morceaux marcheront toujours mieux sur bandes. On va peut-être essayer de mixer les deux. J’ai vraiment kiffé ces moments. Je ne pensais pas que ça allait me plaire autant.
A : Du coup, est-ce que t’as donné envie de réaliser un jour un album avec des musiciens ? Un peu comme Oxmo avait pu le faire avec les JazzBastards – sur Lipopette Bar.
Z : Oui, mais à vrai dire, on a cette idée en tête depuis pas mal de temps. On avait voulu à un moment refaire À mon tour d’briller avec des musiciens. L’idée est toujours là… On en reparlait avec l’équipe la semaine dernière.
A : Tu as des musiciens en tête ? Ou tu voudrais partir avec la bande qu’on a vu à La Scène Bastille ?
Z : Ceux que tu as pu voir à Bastille étaient jeunes mais vraiment talentueux. On a tout répété en à peine deux jours. Ils étaient au taquet et nous on a toujours donné une chance à des plus jeunes. Après, je connais aussi des musiciens de studio…
A : Développer de jeunes talents, c’est aussi la volonté de ton label KDBZIK ?
Z : C’est complètement notre idée. On va sortir très prochainement l’album de Midnight Run, un franco-américain. Il rappe en anglais, je vais être dessus, comme les Sages Po’. Il est aussi producteur, et du coup, il a produit l’ensemble des morceaux. L’album doit sortir le 28 mai. On va essayer de sortir pas mal de choses dans les mois qui viennent.
A : J’ai retenu certaines paroles et j’aimerais te faire réagir dessus. Sur « Paroles et musiques », tu dis : « Le disque est mort, 50 000 pour avoir l’or mais de qui se moque-t-on ? »
Z : [Rires] J’ai connu la grande époque du disque d’or. Où il fallait faire 100 000 pour en avoir un. Après, il est descendu à 75 000. Puis 50 000. C’était une petite phase pour rappeler combien ça a été dévalué. Ce que je veux dire aussi par là, c’est que tout se passe sur scène aujourd’hui. Il n’y a plus uniquement l’aspect album et studio. Un artiste aujourd’hui, il doit vraiment défendre sa musique sur scène. Auprès du public. On a grandi avec un support physique et on est content de sortir un disque physique et pas uniquement du digital. Mais on est dans le 360. Avec le merchandising, la scène, l’album, le digital. Être un artiste complet, c’est maîtriser l’ensemble de ces paramètres.
A : Tu dis aussi : « la plupart ont glorifié la cocaïne et le shit, tout ça pour avoir un public immature… »
Z : Quand j’ai commencé à écrire de tête, je ne me suis pas embarrassé des fioritures. C’était suffisamment difficile comme ça. L’avantage de ne pas coucher sur feuille, c’était aussi de ne pas revenir sur chaque bout de texte en me disant : « il manque une assonance ici, une allitération là. » Ça sortait directement de ma tête, avec tout mon background. Par exemple, sur « Showtime », je parle de la langue du « Ze », ça fait pleinement partie de mon background. Pour en revenir à cette phrase, à un moment donné tout le monde parlait de ça. Et, a priori, ça plaît.
A : Tu évoques sur « Boulogne tristesse » ta mise en retrait du milieu rap pendant quelques temps. En disant que tu avais été extrêmement déçu. Tu as quand même eu envie de revenir fort.
Z : Oui, rester déçu dans mon coin, à ne rien faire, c’est mourir un peu. Celui qui glorifie des trucs auxquels je ne crois pas, il sort quand même des projets. À un moment donné, il faut donner ta vision, une contrepartie. Sur certains morceaux, j’ai failli partir moi aussi un peu dans ce délire là. Ça se joue parfois à pas grand-chose, à quelques mots. Du coup, j’ai viré ces quelques mots pour que ça colle plus avec ce que je suis.
A : Ne pas coucher ton texte sur papier, est-ce que ça a changé la façon dont tu interprètes tes textes sur scène ?
Z : En fait, ça a changé mon interprétation dès l’enregistrement, derrière le micro. Quand tu écris, tu pourrais être tenté de lire un peu. Mais là, du coup, tout venait en même temps. Dans un sens, on se rapprochait d’une forme d’improvisation. En impro’, soit tu mises tout sur le contenu, soit tu y mets beaucoup de flow et de technique. Quand j’improvise, j’ai toujours essayé de mêler les deux aspects. J’ai l’impression d’être un peu dans cette démarche là…
« Aujourd’hui, on est dans le 360. Avec le merchandising, la scène, l’album, le digital. Être un artiste complet, c’est maîtriser l’ensemble de ces paramètres. »
A : « Oui, je l’aimais » est un morceau assez mystérieux…
Z : [Rires] Ah, « Oui, je l’aimais »… Ça va être difficile de t’expliquer, je dis beaucoup de choses dessus. Tu sais, même Busta qui est un ami de longue date, il m’a posé des questions à propos de ce titre. Il y a une partie de vécu dans « Oui, je l’aimais »… À la fin du morceau, je dis : « mon histoire est soit fictive, soit prémonitoire. » J’ajoute après « à toi de voir mais sache qu’en chaque homme se cache une bête féroce. » Ce qui fait flipper les gens aussi, c’est le côté « est-ce que j’ai tué ou je vais tuer quelqu’un ? » Un peu comme quand tu entends les gens dire « on savait qu’il était dangereux mais on n’a rien fait. » Je sais que cet aspect-là torture pas mal les gens aussi.
A : Il y a un côté crime passionnel dans ce morceau…
Z : Crime passionnel, c’était le titre à l’origine. Ça l’a été jusqu’au mastering. Je l’ai changé un peu au dernier moment. Le titre « Oui, je l’aimais » intriguait d’avantage. Même Tachi qui a fait la pochette et nous suit depuis toujours, se demandait ce qu’il y avait derrière ce titre. Il craignait un truc un peu à l’eau de rose. Avec un titre comme Crime passionnel, tout était déjà grillé.
A : « Je crois que j’ai fait une grosse connerie » ?
Z : Oui, en fait je dis « oh maman, je crois que j’ai fait une grosse connerie. » c’est comme si j’avais tué la personne que j’aimais. La première personne à laquelle j’irais me confier dans un cas pareil, ce serait ma mère. On est extrêmement complices.
A : Pour évoquer l’aspect visuel de l’album, parlons du clip de « Showtime ». Quand je l’ai vu, j’ai pensé tout de suite à celui d’Evidence : « To be continued ». C’est une forme de clin d’œil ou un pur hasard ?
Z : En fait on avait tourné le clip de « Showtime » pendant l’été. On a mis pas mal de temps pour le monter. Le mec qui devait gérer ça était très occupé. Du coup, ça a pris plus de temps que prévu. Entre temps, Melopheelo qui est pas mal dans les réseaux sociaux, a vu ça. On a eu la même idée, voilà. Après, on ne l’a pas tourné du tout de la même manière. Lui a utilisé un steadycam qu’il avait accroché à lui, il était dans des grands-huit. Nous, on a été plus soft, et on a fait ça avec un iPod.
A : Comment est-ce que vous avez choisi les trois singles sortis en amont de l’album ?
Z : Le premier « Boulogne tristesse » est venu d’une volonté de revenir, moi, seul, avec un morceau très personnel. « Comme un Lion », c’est avant tout le rapport entre moi et le public. C’est pour cette raison qu’on a tourné le clip en mode un peu « happening. » Le troisième, « Showtime » c’est moi avec ma famille de Boulogne. Le prochain, « C’est nous les reustas », avec Busta fait le pont avec ma famille IV My People. Il sortira dans les jours qui viennent [NDLR : interview menée le 26 mars, il est effectivement sorti depuis].
A : On retrouve de nouveau Busta. C’est une vraie continuité dans ton parcours depuis IV My People.
Z : Busta c’est le premier nom qui m’est venu quand j’ai commencé à penser aux invités. Dans la conception, je voulais faire un album qui ressemble à À mon tour d’briller. J’avais reçu beaucoup de très bons retours sur cet album. Il avait été considéré comme un vrai classique. Sans le copier, je me suis demandé ce qui avait fait son succès. J’ai réfléchi aux différents ingrédients utilisés. Un peu comme quand tu fais un plat réussi. Tu ne vas jamais faire deux fois le même, mais tu regardes tous les ingrédients. Et Busta fait partie des ingrédients dont j’avais besoin pour réaliser un bel album.
A : Vous avez toujours un projet d’album en cours avec les Sages Po’ ?
Z : Oui, on en parlait encore ce week-end avec Dany. On a besoin de se retrouver pendant un certain laps de temps et être à fond dedans. C’est comme ça qu’on fera une bête d’album. Pas autrement. Il y avait bien une autre solution que Dany avait évoqué pas mal de fois et qui était louable : enregistrer chacun de notre côté et s’envoyer ce qu’on pouvait faire. Mais pour Sages Po’, on a besoin de façonner le truc ensemble, de retrouver un côté compétition.
On a la chance de partir onze jours au Brésil tout début avril pour une série de concerts. Onze encore ! [Rires] On aura un studio à disposition et on va pouvoir se retrouver pour faire de bons morceaux. On a déjà pas mal de sons à disposition.
A : Pour clore le sujet concert, j’étais surpris de voir qu’une bonne partie du public de La Scène Bastille semblait connaître toutes les paroles de « Qu’est-ce qui fait marcher les sages ? » Les années passant, ça te surprend toujours ?
Z : Ce morceau est vraiment intemporel à mes yeux. À chaque fois qu’on le joue, c’est l’explosion. « Qu’est-ce qui fait marcher les Sages ? » c’est notre hymne. On a deux-trois titres comme ça. « Un noir tue un noir » ou « Amoureux d’une énigme » qui marche quand même un peu moins bien maintenant. On voyait même des jeunes qui reprenaient les paroles. Je ne sais même pas s’ils étaient nés quand on a sorti le morceau. A priori, il y avait aussi des darons dans le public. Ce côté transgénérationnel est assez mortel. C’est toujours ce qu’on a voulu : que les plus grands transmettent aux enfants. Avoir une continuité sans suivre une démarche putassière.
« Les Mo’vez Lang, Sir Doum’s, I2S, Booba, Ali… Malgré les aléas de la vie, ça reste ma famille. »
A : Justement, qu’est-ce qui fait marcher les sages aujourd’hui ?
Z : C’est toujours la passion du son. Je kiffe toujours écouter ce qui peut sortir en rap français. Dany, lui aussi, est toujours à la pointe. À notre âge, pour continuer comme ça, il faut vraiment avoir conservé cette passion. Ces derniers temps, je me suis surpris à écouter moins de rap cainri.
A : Quel regard tu portes sur le caractère très productif des artistes aujourd’hui ? On est arrivé à un tel rythme qu’à un moment on pourrait avoir l’impression que si tu ne sors pas quelque chose tous les six mois tu es « has-been. »
Z : Moi, je suis de l’ancienne génération. Après je pourrais, honnêtement, te sortir un album par mois. Je vais vite dans l’écriture et dans la production. Mais moi, je préfère prendre mon temps. Je vois quand même ce qui peut se faire aujourd’hui. Des gars comme Rick Ross sortir très régulièrement des projets. Et ça marche. Il a trouvé sa formule, son public. Il sait quel type de beat son public attend, même chose pour les rimes. Il va appliquer son savoir-faire.
A : Tu sais qui compose ton public aujourd’hui ?
Z : Je le sais de plus en plus. J’ai un public changeant. Avec des anciens – dont certains qui n’écoutaient plus de rap – des nouveaux aussi. C’est un public qui est en train de se former. Avec un grand mélange de cultures, de générations…
A : Tu évoquais tout à l’heure ton envie de jouer avec des musiciens sur scène. Tu as d’autres envies fortes que tu voudrais partager ?
Z : Je veux faire l’Olympia. Et je te dis ça on ne l’a dit à personne jusque là. On voudrait avoir un beau plateau avec des invités qui ont été là tout au long de ma carrière. On va commencer à discuter avec quelques partenaires qui voudraient entrer dans l’aventure. En terme de symbolique ça me semblerait très bien. Si j’arrive à rassembler ceux qui ont été autour de moi… ça pourrait être un bel événement. Avec les Sages Po’, IV My People, mais aussi mes gars de Boulogne.
Je ne perds pas l’espoir de refaire des projets avec Boulogne. Au fur et à mesure des écoutes, les gens se rendent compte que le titre « Boulogne tristesse » ce n’est pas un morceau aigri. Ce n’est pas un truc où je dis que je suis le meilleur et tout. Non, on était une bande avec du talent. On a merdé. Aussi bien vous que moi. La question c’est : qu’est-ce qu’on fait pour les générations futures ? Est-ce qu’il y a quelque chose à faire ? Je suis toujours tout ce qu’ils peuvent faire. Les Mo’vez Lang, Sir Doum’s, I2S, Booba, Ali… Malgré les aléas de la vie, ça reste ma famille.
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