ZKR suit son mode opératoire
Deux ans après la sortie de l’album Caméléon +, ZKR compte bien ajouter de nouvelles pierres à l’édifice du rap roubaisien. En février 2024, il dévoilait le premier volume de Mode opératoire. Retour avec lui sur son dernier album et les différentes perspectives de vie qu’il contient.
Le paysage en constante effervescence du rap français compte une poignée d’artistes caractérisés par la rigueur de leur écriture, et ZKR n’a pas volé sa place parmi eux. Depuis ses débuts, il use sa plume et cisaille ses pages avec une approche méthodique dans ses schémas de rap.
En février 2024, l’artiste originaire de Roubaix a livré son nouvel album, Mode opératoire, vol.1, qui marque une nouvelle étape dans sa carrière. Les 18 titres composant l’opus dévoilent un retour au rap pur du roubaisien, de quoi ravir ses tous premiers auditeurs. Pour ce qui est de partager le micro, ZKR décide de faire appel à Werenoi, Jul, Zed, Lesram et Freeze Corleone afin de faire ressortir l’essence du rap qu’il développe tout au long de Mode opératoire, vol.1.
Authentique jusqu’au bout des lignes, l’artiste évoque son rapport à la réalité, à la pauvreté, à ses convictions et révèle une introspection homogène sur l’ensemble de cet opus. Témoin de son époque, il revient sur l’environnement et les expériences qui ont permis de façonner son écriture.
À la découverte de son mode opératoire.
Abcdr du Son : On discute aujourd’hui de ton album Mode opératoire, vol.1, a-t-il été difficile pour toi de créer un album de 18 titres ?
ZKR : Non, je voulais en faire plus. Je pouvais faire moins mais il y a toujours des sons que j’oublie à la fin. Le freestyle on l’avait sorti avant donc on l’a raccordé à l’album, puis après il y a eu la surprise avec Freeze Corleone. C’est le plus court des projets que j’ai faits jusqu’à aujourd’hui donc ça va.
A : Tu as fait un tri sur 30 titres environ. Ça a été rapide pour toi de le faire et de construire l’album ?
Z : Je me suis donné du temps pour le faire. J’ai travaillé sur 6 mois en bossant par petites périodes. Après on s’est mis des dates puis je suis reparti travailler. J’aime bien travailler à l’instinct mais une fois que j’ai la deadline je n’ai pas le choix donc c’est une bonne pression. Après on est souvent en avance donc ça va. Sur celui-ci on a rendu un peu en retard par rapport au mix.
A : Dans cet album il y a plusieurs thèmes qui reviennent comme la pauvreté : « Et j’viens de la ville la plus pauvre de France » (« 591 »). Comment l’as-tu vécu ?
Z : Tu le vis mal mais sans t’en rendre compte. Maintenant que je voyage, que je suis beaucoup sur Paris, que je vois d’autres choses, qu’on part en tournée, qu’on voit comment ça se passe ailleurs, les structures etc… C’est comme ça que je me rends compte à quel point on était oubliés. Sinon en étant jeune, tu es conditionné dans l’endroit où tu vis. Si tu peux faire du badminton tu vas le faire et malheureusement si tu peux vendre de la drogue tu vas vendre de la drogue. En grandissant et en voyageant tu te rends compte aussi qu’il y a pire ailleurs. Roubaix est la ville la plus pauvre de France mais quand tu vas dans d’autres pays tu vois que c’est très riche Roubaix.
A : « La pauvreté développe ma fibre artistique » (« Freestyle 5min #13 »), à quel moment elle a été ton moteur ? Elle t’a poussé à te sortir de cet environnement ?
Z : Elle sera toujours en moi je pense, j’espère. Même si elle ne l’est plus au niveau financier, elle reste dans ma tête. Il ne faut pas oublier d’où l’on vient. Bien sûr que c’est un moteur et ça le restera. Quand tu as moins tu veux faire plus, c’est instinctif. C’est plus un constat que je fais maintenant, ce n’est pas une plainte, c’est une prise de recul. On vient de loin quand même. Tant mieux si on a moins, ça m’a rendu hargneux.
A : Tu conserves certains de ces réflexes ?
Z : Ouais j’essaie. En tout cas pour cet album je suis revenu aux bases. Après ça dépend des projets, parfois je dois changer sur certaines choses et c’est plaisant. C’est peut-être même à ce moment que je suis plus précis. Je peux mieux écrire dans un son plus doux ou être plus cru dans un son plus brut. C’est bien de trouver l’équilibre, je trouve aussi mon équilibre dans ma carrière. C’est pour ça que je voulais plusieurs volumes. J’ai une trilogie dans ma tête mais ça reste à voir. Il y a pas mal de choses de faites en trilogie donc c’est classique.
A : Sur le morceau « Mode opératoire » j’ai ressenti une volonté de remettre ta réalité au centre, tu dis que t’es « sponso par la CAF » et que « c’est pas les paillettes qui assureront ma retraite. » Comment as-tu construit ton rapport à l’argent ?
Z : Mon rapport à l’argent est simple. Il faut bien l’utiliser et ne pas oublier d’où l’on vient encore une fois. Je garde ça comme image et ça me permet de ne pas perdre la tête. Après on a pas encore fait des millions. On est bien, on fait un peu d’argent et on veut en faire encore plus. On est une grande famille donc on verra. Pour l’instant je ne recherche qu’à travailler, je n’ai faim que de ça.
« Vraiment que du bonheur et de la force pour ceux qui savent rapper. »
A : Tu es proche de ta famille ?
Z : Oui j’essaie de plus en plus, toujours. J’essaie de m’améliorer car malheureusement je suis de plus en plus loin par le travail. On a tous des défauts, une vie qui fait que parfois c’est difficile. Mais ma famille proche évidemment je suis souvent avec eux. Mon père, ma mère, mes frères, les enfants, c’est très important pour moi d’être proche.
A : Comment tu arrives à gérer cette vie de ZKR et de Zacharya ?
Z : C’est compliqué mais je ne dissocie pas les deux, pour moi c’est la même chose. Il y a juste un moment où je dois appuyer sur le bouton professionnel et un moment où je suis plus détendu. Au travail je suis moi-même donc je n’ai pas besoin de changer et je le vis assez bien comme ça.
A : Et tes succès dans la musique, comment les reçois-tu ? Tu dis que t’as faim de travail, que tu n’affiches pas tes disques d’or si ce n’est dans ta ville et d’après le « Freestyle 5min #12 » tu n’es toujours pas inscrit à la SACEM.
Z : Si si ça y’est je suis inscrit depuis [rires]. Je les reçois bien ces succès, après j’estime que je n’ai pas encore fait ce que j’avais à faire. Il y a encore beaucoup de plaques à prendre, beaucoup d’albums à sortir. Tous ces aspects j’en suis content et ça me fait du bien de voir des choses comme ça, ça témoigne qu’on a bien travaillé mais derrière ce n’est pas une consécration non plus. Au début j’aurais pu penser ça mais maintenant que j’en ai plusieurs et bien je me rends compte que ce n’est pas vrai. Certes ça me fait plaisir, que ce soit un son ou un album, ça le rend spécial et ça gratifie mon travail. Ça nous montre qu’on n’a pas fait tous ces sacrifices pour rien, que t’es pas parti faire de la promo pour rien, en tournée pour rien car tu donnes beaucoup de ta personne. Après ça ne me dérange pas de le faire parce que ça fait partie du travail mais je prends plus de plaisir à être sur scène ou en studio plutôt qu’à faire une interview ou un tournage. C’est un peu le côté ingrat mais ça ne l’est pas vraiment non plus car c’est le prolongement de mon art. Mais pour un mec comme moi qui ne voulait que rapper, oui un peu [rires]. C’est la quatrième interview aujourd’hui, je suis encore en train de te parler et je ne pense pas te faire ressentir que je n’ai pas envie de discuter avec toi [rires] donc c’est que je suis professionnel alors tranquille. Ce soir on part en concert donc c’est que du positif et c’est que du plaisir. Ce qu’on ne veut pas faire, on ne le fait pas tout simplement. On a la chance de choisir tout ce qu’on veut faire, que ce soit dans nos sons, ce qu’on veut faire derrière donc tant mieux. Il faut rester pro et savoir travailler. J’aspire à avoir de plus grosses journées encore.
A : Tu écris « on aime un homme à sa parole et à sa droiture, pas à sa montre ni à sa voiture » (« Ken Block ») c’est quelque chose que tu appliques assez dans tes textes et dans ton image. Dans cet album, j’ai l’impression que tu voulais appliquer cette « règle » aux personnes avec qui tu as collaboré.
Z : Ouais ce n’est pas faux. Je fonctionne tout le temps comme ça. Avec le temps on peut aussi se tromper et ça peut évoluer. Je peux penser certaines choses envers une personne, sur son style de musique ou autre puis dans deux ans me dire « ouais j’ai été con. » Je peux mettre de l’eau dans mon vin. Je ne peux jamais vraiment me fermer. Même quand je dis un « non » ferme, au fond de moi, je me demande pourquoi je dis non. Est-ce que ça vaut le coup de dire non ? Ça va me faire réfléchir. Après, en général, on est très radicaux sur nos choix, mais on peut changer d’avis. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, en général.
A : Pour tes feats, tu avais déjà ces artistes en tête ? Tu voulais garder une ambiance très rap ?
Z : Ouais, je voulais qu’en entendant les feats, ça sonne avec le titre du projet, qu’ils soient en « Mode opératoire ». Zed amène une touche un peu plus mélodieuse. C’est ça que j’aime bien aussi. Dans une équipe, il ne faut pas qu’on ait tous les mêmes caractéristiques, sinon, on se ressemble tous. Pour que ça soit bien homogène, il faut des refrains entraînants à la Werenoi, la sincérité de Jul, la technique de Lesram et la mélodie de Zed. Sur cet album, je pense qu’on a fait un très beau casting. Après il y a Freeze Corleone donc c’est XXL, je suis très content. Ce n’est pas un casting basé sur la renommée ou le succès que certains ont mais par la place qu’ils ont dans mon estime en tant que rappeur. Sur leur technique par exemple et plus précisément Lesram, c’est quelqu’un qui selon moi, n’est pas encore au stade où il mérite vraiment d’être. J’ai vu son premier album, les chiffres sont bons. Les chiffres, ça ne fait pas tout mais ça fait du bien. « Bernabeu », quel son ! C’est incroyable, même « Histoire du quartier » laisse tomber. Ce qu’il fait ce mec c’est trop fort, il sait ce que je pense de lui. Il est trop fort. C’est bien qu’il fasse des chiffres, parce qu’il fait de bons albums. Parfois les chiffres ne suivent pas vraiment les bons albums. C’est pour ça que ça me fait plaisir. Les gens sont contents et disent « ah ouais, t’as fait des chiffres. » En fait, je ne m’en rends pas compte mais les gens vont te mettre dans une case derrière, cette case d’un mec qui fait des chiffres et qu’il faut prendre au sérieux, alors qu’il ne t’as peut-être jamais écouté. C’est triste car des fois, ce n’est même pas ton meilleur projet qui va faire les plus grosses ventes. Donc peut-être que tes auditeurs de base écouteront moins le projet qui fonctionne. C’est pour ça que j’essaie d’être en accord avec ceux qui m’écoutent depuis le début, parce que tout ça c’est grâce à eux. C’est eux qui font la propagande, ce sont ces gens là qui grandissent avec toi. Il faut penser à eux et les remercier. Ça me fait encore plus plaisir quand ça fonctionne comme sur un Mode opératoire, vol.1, parce que je sais que ces gens-là, ils sont satisfaits et ça me conforte. Et encore une fois on ne rappe pas pour les chiffres et force à Lesram.
A : Lesram a rempli la Cigale avant de sortir son album, quand tu fais de l’art qui parle, ça suit.
Z : Exactement, les gens vont venir te voir. Nous on a fait le Zénith de Lille, il y avait des personnes de Marseille, de toute la France, j’étais choqué. Les Belges ils sont venus, les Suisses aussi, c’était vraiment sérieux. En fait, quand tu as des gens qui te suivent vraiment, ils se déplacent, surtout pour les dates marquantes. Après, ce n’est pas tout le monde qui va venir sur toute la tournée, mais pour les dates marquantes, ils seront là. On parlait de la Cigale de Lesram, c’est une date marquante. Moi aussi, c’était ma première date, complète, c’était incroyable. Commencer par la Cigale c’est très bien, c’est symbolique. Et puis il y a plein de salles avant la Cigale, je ne me rends pas compte, je ne suis pas parisien. On m’a invité à La Cigale et après je l’ai fait, mais avant il y a La Maroquinerie, la Boule Noire, etc… Et quand je me suis renseigné auprès de l’équipe j’ai compris qu’on avait une bonne base. Vraiment que du bonheur et de la force pour ceux qui savent rapper. Lesram en fait partie, Souffrance, Limsa d’Aulnay. Il y en a encore beaucoup mais ce sont ceux à qui je pense. Le rap est bien représenté en France, même par certains qui écrivent bien, qui s’engagent, on a de la bonne musique quand même. On ne peut pas écouter que du ZKR, tu vas déprimer à la fin. Il faut un peu de tout et je suis totalement partisan de ça, je ne jette la pierre à personne. Chacun fait son truc, par contre si tu ne me donnes pas de frissons je ne vais pas avoir de mal à le dire et si ça vexe et bien c’est ainsi. En tout cas, on respecte le travail.
« Il n’y a pas une vie qui vaut plus qu’une autre et il n’y a pas de religion qui doit être respectée plus qu’une autre ou salie plus qu’une autre. »
A : J’ai trouvé que dans cet album, il y a beaucoup d’humilité qui en est ressortie.
Z : Je ne sais pas si je suis humble, je pense que je suis plus réaliste. Après être humble on l’est tous un peu, ça dépend de l’éducation je pense. J’essaie d’être comme mon père aurait été à ma place. Le plus possible, j’essaie d’être moi-même et de ne pas salir le nom de famille.
A : Tu parles aussi de la situation en Palestine, de la situation des musulmans en France, des conditions sociales de certains. Tu as besoin de le mettre en musique ?
Z : Ouais, c’était l’actualité, ça l’est encore. Tout le monde mettait des posts et on avait l’impression qu’ils avaient peur d’être oubliés. Des stories et des posts ça part alors qu’un son, même dans 20 ans les paroles seront là. Je m’exprime par ma musique et je trouve que je ne m’étais pas encore assez bien exprimé sur ces sujets donc ça me tenait à cœur de bien le faire. J’espère que je n’aurai pas à le redire et à faire d’autres allusions, malheureusement j’ai peur que si. Il y a beaucoup d’autres conflits et on pense à tout le monde. En tant qu’Arabe et musulman je me sens évidemment concerné mais quand je vois le génocide du Congo j’ai le cœur cassé, la guerre civile au Sénégal c’est pareil, s’il y a une église qui explose demain ce sera la même chose. Il n’y a pas une vie qui vaut plus qu’une autre et il n’y a pas de religion qui doit être respectée plus qu’une autre ou salie plus qu’une autre. Tout le monde à la même étoile, c’est comme ça que j’ai été élevé. C’est dommage de ne pas voir tout le monde penser comme ça, c’est une question de logique. Je me renseigne beaucoup, c’est obligé. Pour prétendre à prendre position, à s’exprimer, si je ne sais pas de quoi je parle je ne peux pas en débattre. Merci aux médias indépendants qui galèrent et qui font un travail phénoménal. Je suis un rappeur indépendant donc je comprends aussi leur vision, si je peux donner un peu de force dans une punch c’est avec plaisir.
A : Et sur ta place d’indépendant, tu as une vision sur ton talent car tu dis que t’as failli le laisser dans un laboratoire de fortune. Qu’est-ce que ça signifie ?
Z : Joker [rires]. J’ai failli laisser mon talent dans des endroits très glauques et je n’aurais pas pu l’utiliser après. Je suis bien content et fier de pouvoir l’utiliser dans un environnement sain. J’ai été assez lucide pour me rendre compte que je n’étais pas sur la bonne route et surtout que j’avais le bagage pour prendre un autre avion, la soute était remplie.
A : Cet album est une étape dans ta carrière. Tu dis : « Je profite même pas du truc alors que j’en rêvais » (« Kayano ») et « J’atteindrai l’objectif le cœur perforé » (« RS11 ») est-ce que ça te fait réfléchir sur la suite ?
Z : Ouais ces phrases je les pense à 2000%, « je ne profite pas du truc alors que j’en rêvais » je l’aime bien car au fond on a tous rêvé et maintenant j’ai l’impression de ne même pas vivre le truc, de le faire juste parce que je suis dans une spirale, parce que j’ai déclenché des choses donc juste il faut le faire. Le Zénith je ne suis même pas sûr de l’avoir savouré comme j’aurais dû, je m’en rendrai compte plus tard. En plus on n’a même pas filmé, on a été cons. Je n’en ai pas besoin pour profiter du moment mais pour le regarder 10 ans après avec mon fils c’est bien. Ce concert était vraiment spécial. Et la deuxième « j’atteindrai l’objectif le coeur perforé » car la route est longue, entre temps, il y a beaucoup de déceptions, de désillusions, les trois quarts des choses que je pensais au début dans ma niya [en Islam c’est l’intention derrière toute action, NDLR], ça devient complètement faussé. J’apprécie et j’ai kiffé les écrire car je les vis encore.
A : Tu arrives à prendre du recul ?
Z : Sur des petits moments oui. Ça va être 5 minutes mais après la vie me rattrape, je n’ai pas vraiment de recul, je reste focus et j’avance. Je ne prends pas le temps de regarder derrière parce qu’on ne saura pas comment faire devant après, j’ai peur de bloquer en me disant « ah c’est beau, c’est bien« . On a fait de la merde, on en fera encore plus, et ça reste que de la merde si tu vois ce que je veux dire. En vrai, il ne faut pas se prendre au sérieux au travail, tant mieux si les gens nous prennent au sérieux dans ce qu’on fait, tant mieux si c’est écouté par de bonnes oreilles. En fait je suis sincère devant ma feuille mais le reste je m’en fiche un peu. Je suis un peu déconnecté, je reste moi-même et quand j’écris je n’ai pas d’influences externes. Je suis content quand on relève ce que je dis car au moins je ne l’ai pas dit pour rien mais je veux me concentrer un maximum sur mon art. Quand je ne suis pas en tournée ou autre, j’essaie de ne penser qu’à la musique, d’aller au studio et travailler et parfois on se repose sinon burn-out.
A : T’es pas passé loin du burn-out ? Tu l’as senti ?
Z : Non, je pense que c’était autre chose. Mais peut-être en vrai, je ne sais pas. Je n’avais pas d’angoisse de la page blanche mais j’étais plus énervé qu’autre chose. J’étais énervé sur moi, sur tout. J’ai eu du mal à accepter les choses aussi, parfois je voulais faire des choses simples mais que je ne pouvais pas faire sans me retourner ou sans faire attention. J’avais besoin de temps pour digérer après les deux albums qui ont fonctionné. J’avais besoin de temps pour accepter le fait que je sois connu, que je doive arrêter de faire ci et puis de faire ça, je devais rester concentré. J’étais un peu en dépression en fait je crois… non je rigole, je pense que j’ai tout remis en question pour prendre le bon virage. J’étais en mode ermite et ça m’a fait du bien d’être dans ce mood, d’ailleurs c’est Mode opératoire, vol.1 qui en est ressorti. J’avais besoin de ce moment parce que j’étais aigri tout le temps, avec tout le monde, pour rien. Dès que ça touchait au travail j’étais aigri. On aurait dit un gamin de 12 ans. Donc vraiment ça m’a fait évoluer, je me suis rendu compte de la chance que j’avais, ça m’a permis d’améliorer mon comportement. La remise en question est la chose la plus importante.
« Je suis sincère devant ma feuille mais le reste je m’en fiche un peu. »
A : Dans le morceau « Hall Eyes On Me », tu dis : « mange pas mon pain t’auras la gastro. » J’ai vu ça un peu comme s’il y avait toujours une fatalité dans ta vie, que si une personne mangeait ton pain, elle tomberait malade car il est toujours un peu empoisonné. Tu es plus résistant que les autres ?
Z : Ah je comprends comment tu l’as compris mais c’est pas comme ça que je l’ai vu. En fait c’est mange pas mon assiette, après t’auras la gastro. Quand tu as la gastro tu as la diarrhée, et si tu manges mon pain, tu l’auras parce que je vais venir avec mes copains et tu vas te chier dessus. C’est aussi simple que ça. Il y a plein de gens qui l’ont compris dans des trucs graves profonds. Comme j’ai l’habitude d’aller loin [rires]. Après c’est intéressant parce que peu importe l’interprétation, ça revient au même, tu te chies dessus quoiqu’il arrive [rires]. Mais elle était belle ton interprétation [rires].
A : Decimo disait que tu étais un cyborg en studio, que tu pouvais poser sur n’importe quelle prod, est-ce qu’il y a un type de prods où tu te sens plus à l’aise pour transmettre les émotions ?
Z : En vrai peu importe la prod ça part mais il y a des prods où ça ne part pas pareil. [rires] Il y a certaines fois où tu sens au bout de 3 mesures que ça va être quelque chose. Quand j’écris « j’suis tombé du berceau avec la plume aiguisée » (« Kayano ») je sais que le son ça va être n’importe quoi. Je le sens et c’est souvent comme ça. Avant j’écrivais beaucoup au stylo et maintenant j’écris de plus en plus avec le téléphone, c’est plus rapide, c’est la Champion’s League donc on a pas le choix. Le stylo me manque un peu et j’ai peur de perdre ce côté de l’écriture mais je vais vite le récupérer. En fait, ça casse la tête de se balader avec un carnet. J’espère que la vie me permettra de jeter mon téléphone et d’avoir un carnet dans la sacoche tout le temps, un petit stylo, mais est-ce que ça fait pas un petit peu fou ? [rires]. Et en vérité je suis pudique donc je n’ai pas envie qu’on lise dans mon carnet, alors que mon téléphone c’est verrouillé. C’est mon jardin secret, tu liras quand tu devras le savoir, pour l’instant c’est mon petit journal intime [rires].
A : Tu as toujours écrit ?
Z : Oui toujours. J’ai commencé à écrire des bêtises à 10-11 ans, j’étais bon en français et puis mon père était strict donc je n’avais pas le choix. Ensuite j’ai eu des facilités et je m’en suis servi pour avoir de bonnes notes, je prenais vraiment plaisir à écrire, en dictée j’avais 19/20. Puis l’autorité à l’école m’a énervé jusqu’en quatrième donc en troisième je ne suis pas allé au brevet. Je suis quand même passé en seconde générale sans le brevet, je ne savais pas que ça existait [rires]. J’ai été une fois ou deux au lycée mais j’avais déjà décroché. Je pense que mon père était trop dur avec moi donc l’autorité de l’école, je ne l’acceptais pas. Ça commençait à devenir une corvée et je ne voulais plus. Ceux qui font des études je les respecte beaucoup pour leur rigueur. Après j’ai de la rigueur dans mon domaine et c’est quelque chose de malade en vrai, les personnes autour me le disent. Les études c’est important et heureusement que j’ai eu de très bonnes bases et des facilités. Je continue de m’instruire de mon côté mais l’école ça te forge car t’apprends trop vite et encore aujourd’hui mon cerveau est une éponge. Ce qu’il faut c’est travailler. Je m’en veux un peu quand même de pas avoir été un peu plus loin, simplement pour la curiosité de ce que j’aurais pu apprendre. Quand j’écris je ne vais pas chercher les figures de styles ou autre, je le fais au feeling. J’écris a capella aussi, j’écris que pour mon rap. Peut-être qu’un jour on écrira autre chose et qu’on ira chercher ailleurs mais je dois encore user le stylo.
A : Tu parles beaucoup de culture, tu cites Jadakiss, Kery James, Niro, tu as fait une interview avec Lino et pourtant dans « Freestyle 5min #8 » tu disais « j’ai pas de culture musicale mais j’viens choquer la France. »
Z : En fait j’apprends. Cette phase je l’ai dit en 2020 et en 3-4 ans j’ai vraiment appris. Jadakiss je ne le connaissais pas il n’y a pas longtemps, c’est Bellek qui m’en a parlé. Il m’a dit : « c’est le meilleur parolier et toi t’es le Jadakiss de France. » Honnêtement au début je pensais que c’était une meuf Jadakiss [rires]. Après je me suis renseigné, j’ai écouté et je me suis rendu compte que je connaissais certains de ses sons. Mais Jadakiss il a pas le succès de Tupac donc il n’y a pas beaucoup de personnes qui vont connaître. Je veux bien qu’il y ait un problème si tu ne connais pas Nas mais Jadakiss, si t’es quelqu’un qui ne s’intéresse pas au rap US tu ne vas pas forcément le connaître. Ça me fait trop plaisir d’apprendre des choses sur le rap et la preuve c’est que j’écris avec ce que j’apprends. Je ne compte pas donner des leçons, quand je dis quelque chose c’est juste ma réflexion et ce que j’ai pu en tirer, mais je ne prends pas cette position de « donneur de leçons ».
A : Tu parlais tout à l’heure de rappeurs qui te donnaient des frissons, est-ce qu’il y a un son qui te touche particulièrement ?
Z : En ce moment, c’est Alpha 5.20. Il me ramène dans de bons souvenirs de rue, de chienneté et j’aime bien. Je me rappelle de la période à laquelle j’écoutais ces sons, avec qui, ça me rappelle tel moment, etc… « Boss 2 Paname » il est beaucoup dans ma tête. Ghetto Fabulous Gang.
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