La légend(r)e de la Zizi Caca Mixtape
Interview

La légend(r)e de la Zizi Caca Mixtape

Bercés par le rap, YouTube et le beatmaking en ligne, Pandrezz, Kronomuzik et Ronare signent avec la Zizi Caca Mixtape un ovni musical de 41 titres. Rencontre avec les auteurs d’une blague plus sérieuse qu’elle en a l’air.

Photographies : Brice Bossavie

C’est l’histoire d’une blague qui n’en est pas vraiment une : trois potes rencontrés dans un bar à Toulouse et sur les réseaux sociaux, autant passionnés de musique que des bizarreries que le web peut pondre, qui finissent par sortir une mixtape de 41 morceaux en compagnie de tout l’Internet français, de la scène beatmaking en ligne et de nombreux noms du rap francophone. Pandrezz, Kronomuzik et Ronare ont effectivement décidé de nommer leur projet Zizi Caca Mixtape. Aussi handicapant soit-il (en apparence en tout cas) ce nom reflète assez bien la philosophie de leurs auteurs : pourquoi ne pas faire de la musique avec sérieux et en rire ? Entre premier et second degrés, les auteurs de la ZZCCMXTP sont en réalité un pur produit de ce qu’Internet a pu permettre en France ces dix dernières années : démocratiser la production musicale au plus grand nombre et casser les barrières entre des sphères – le rap, l’humour, et le monde des créateurs de contenus – qui jusque là semblaient être très éloignées les unes des autres.

Révélés au milieu des années 2010 sur YouTube avec leurs vidéos décryptant les rouages de la production musicale avec une pointe d’humour, Kronomuzik et Pandrezz ont contribué à la formation d’une vague de beatmakers bercés par internet dans le rap en France. Ronare, lui, a toujours gardé la musique dans un coin de sa tête mais s’est d’abord fait connaître pour ses qualités de monteur vidéo, à travers les YouTube Poop, ces détournement vidéos humoristiques basés sur le montage vidéo. Avant de faire le grand pas dans la production musicale, dans le rap mais aussi dans l’électro, puisqu’il dévoilait récemment son premier morceau de house.

Alors pourquoi discuter avec la bande, qui plus est sur l’Abcdr du Son ? Sans doute parce que derrière l’ironie et le second degré que le trio manie habilement – notamment sur Twitter –  se cache un amour sincère de la musique, sous toutes ses formes. Une impression qui se confirmera durant notre entretien de près de trois heures, où Despo Rutti, Daft Punk, la Mafia K’1 Fry, l’hyperpop et le son Maybach Music seront successivement évoqués. Loin des chapelles musicales et des qu’en dira-t-on, Kronomuzik, Ronare et Pandrezz arrivent finalement à prouver avec la Zizi Caca Mixtape que l’on peut aujourd’hui en France produire une musique exigeante dans sa réalisation, mais aussi souriante dans son exécution. Parce que parfois, ça fait aussi un peu de bien de ne pas trop prendre la musique au sérieux.

Retrouvez notre playlist « ZZCC x Abcdr » avec les morceaux de la mixtape évoqués dans l’interview sur Spotify et Deezer.

I. Génération YouTube

Abcdr : Comment est-ce que vous vous êtes retrouvés tous les trois dans la musique ?

Kronomuzik : J’ai commencé en jouant de la guitare de mon côté. J’étais dans des groupes en Belgique, et au bout d’un moment ça m’a saoulé vers 19 ans. Je voulais tout faire moi même, tout contrôler. Au même moment j’ai eu l’équivalent du BAC en Belgique, et ma mère m’a dit : « Alors ? Quelle est ta vie à partir de maintenant ? » Et j’ai trouvé une section musique de film dans une école, donc je me suis bougé et je me suis présenté, j’ai réussi à être pris. J’allais aux cours pratiques où j’avais 4 ou 5 heures par semaine et le reste du temps je restais enfermé dans mon logement étudiant. À ce moment-là, on était à fond dans la dubstep. Donc je faisais de la dubstep et de la drum’n’bass sur mon ordinateur…

Pandrezz : On a exactement le même parcours en fait.

Kronomuzik : On s’est tous pris Skrillex.

Pandrezz : Krono, je pense que c’est un peu comme moi, à l’époque entre 2005 et 2010 c’était un moment où j’écoutais un peu moins de rap. Mais j’ai grandi avec le rap français, parce que j’ai un grand frère. J’ai 32 ans, Krono 31 ans, et Ronare 24 ans. Mon grand frère avait 4 ans de plus que moi et je n’avais pas le choix. Quand j’étais gamin mes disques c’était L’École du Micro D’ArgentSuprême NTM de NTM et Gravé Dans La Roche un peu plus tard, je l’ai saigné celui-là. C’était très rap français, j’écoutais aussi KDD, et après est arrivé la Mafia K’1 Fry. Je viens du 94, je suis d’Orly, et je n’ai écouté que ça. Kery James, 113, Demon One, Rohff beaucoup… Très peu de rap américain parce que je n’avais pas accès à ça. J’avais 12 ans, et à cet âge là tu ne pars pas d’Orly pour aller digger chez les disquaires à Paris, et il n’y avait pas encore internet à ce moment-là pour moi.

A : Et toi Ronare ?

Ronare : De mon côté, j’ai fait du piano quand j’étais petit. Mon père écoutait beaucoup Genesis, Yes et compagnie, du rock à l’ancienne, et le rap c’est venu plus tard. Dans mon enfance je regardais aussi les chaînes de clips : MTV, MCM, Trace TV, j’étais à fond dessus. Je me souviens notamment que le clip « Signs » de Snoop Dogg et Justin Timberlake me rendait fou. Vu que je passais sur plein de chaînes de clips musicaux, j’écoutais plein de choses. Il y avait aussi un genre que je kiffais : la disco funk. J’écoutais RFM le samedi soir, tu avais Saturday Night Fever. Et aussi la bande son de GTA Vice City qui m’a fait découvrir plein de sons dans ce genre. Et à côté de ça, j’ai vraiment beaucoup écouté la French Touch. Daft Punk, j’écoute depuis que je suis enfant et c’est lié, c’est disco funk. C’est vraiment le premier courant que j’ai suivi sérieusement. Et quand j’ai commencé à vraiment écouter du rap c’est sur la fin de la trap Booba / Kaaris en 2014-2015. Après il y a eu l’arrivée de PNL et je me les suis pris dans la gueule de fou. Et ensuite il y a eu Damso, Kekra que j’ai adorés.

A : À partir de quand est-ce que vous avez commencé à faire de la musique ?

P : Je fais de la musique depuis petit, mais un peu en galère. J’avais un clavier chez moi donc j’ai toujours joué du piano, après je me suis aussi mis à la guitare. Mais mon but ça a toujours été d’être fort. Je ne voulais pas faire juste des petits trucs sympas, j’avais envie d’être le plus fort possible, j’ai vraiment ce côté challenge. Mais mes toutes premières prods c’était des prods de rap dégueulasses. J’entendais les 808 de la trap et je voulais faire pareil.

K : J’ai commencé sur Guitar Pro. Non attends. J’avais Hip Hop eJay. C’était des samples libres de droit et c’était un petit séquenceur. Tu avais ça aussi sur certains téléphones Sony Ericsson. Tu avais des petits blocs, tu les superposais et tu avais droit à 5 pistes. C’était un arrangeur en gros. Quand j’avais 14 ans je faisais des petits morceaux comme ça. « How We Do » de The Game et 50 Cent je l’ai refait pour plein de potes sur leurs Nokia 3310 alors que je n’avais même pas de Nokia. Tu payais 5 balles ta sonnerie à l’époque donc ça leur faisait gagner de l’argent. J’avais aussi refait « Get Busy » de Sean Paul comme ça. J’étais vraiment petit à ce moment-là.

R : Comme j’aimais bien la French Touch, j’ai fait de la house pendant un an puis j’ai mis de côté. Ensuite j’ai fait mes vidéos sur ma chaîne YouTube avec des montages vidéos, et début 2020, j’ai commencé à faire des prods. On s’est rencontré avec Kronomuzik à Toulouse, on vivait tous les deux là-bas, je faisais mes montages YouTube Poop mais je n’avais pas envie de faire ça toute ma vie. Et je lui ai dit « La vie de ma mère, 2020 je fais des prods. » J’ai sorti FL Studio, et j’ai regardé des vidéos, Simon Servida, et ça me donnait trop envie d’en faire…

P : Pas des vidéos de Pandrezz ? Bizarre… Pourtant j’étais super fort !

R : [rires] C’est vers fin 2020 que je me suis vraiment mis à fond là dedans, et c’était au moment où on a commencé à travailler sur la mixtape.

« Avant 2019, très peu de beatmakers faisaient des vidéos sur YouTube. Aujourd’hui, ils se syndicalisent presque. C’est tout nouveau.  »

Ronare

A : J’ai l’impression que la plupart des gens vous ont d’abord découverts via YouTube au milieu des années 2010. Est-ce que vous êtes d’accord avec ça ?

P : Complètement. YouTube nous a donné une carrière à tous les trois.

A : Comment est-ce que vous vous retrouvez sur cette plateforme ?

K : De mon côté, j’étais dans une période où je postais un peu ma musique sur Soundcloud mais je voulais vraiment avoir des retours sur ce que je composais. Je me disais que je ne pouvais pas continuer à envoyer des trucs sur internet, faire 4 likes sur Soundcloud, il fallait qu’il se passe quelque chose de réel. Je fais alors 4 vidéos, je les upload en même temps et je lance la chaîne Kronomuzik dans laquelle  il y aura des vidéos où je montre comment je fais de la musique, d’autres vidéos plus factuelles où je vais parler de compositeurs et d’artistes, d’autres vidéos d’opinions sur un sujet en rapport avec la musique et des vidéos bonus où je me fais kiffer. À ce moment-là je suis partagé instantanément par ce qui s’appelait La Vidéothèque d’Alexandrie. La première semaine j’ai 15 000 abonnés et grâce à ça et j’étais parti.

P : À l’époque en 2014, personne ne parlait de faire des prods sur YouTube. En musique en général, il y avait PV Nova, mais en prod pas trop de gens. Et moi mon délire à ce moment là c’était le sampling, j’aimais trop ça. J’ai alors lancé une chaîne sur le sampling, et pour attirer des gens sur YouTube je me suis mis à faire des trucs de geeks. Donc des trucs du style « Et si on samplait des musiques de Naruto ? ». En vrai, c’était un peu pour faire des vues et ça a un peu pris. Je fais ensuite une vidéo sur PNL et la chaîne explose, je deviens le premier YouTubeur beatmaker de France. Je n’étais pas un super beatmakeur mais je faisais des vidéos qui se tenaient à peu près. Et comme personne d’autre n’en faisait ma chaîne a bien marché. Mais à un moment je me suis rendu compte que j’avais un niveau un peu médiocre.

A : Comment tu t’en es rendu compte ?

P : J’ai commencé à rencontrer des abonnés, qui étaient plus forts que moi. On crée alors un Discord vers 2015 avec des beatmakers comme Epektase avec qui j’ai maintenant un studio ou Har2Nok, qui a bossé avec Luidji, Young Thug… Et je me suis rendu compte qu’il fallait que je progresse. J’ai donc arrêté YouTube pour m’améliorer en tant que beatmaker.

A : Pandrezz, tu t’es aussi spécialisé dans un genre musical très lié à YouTube : le lo-fi hip hop.

P : Alors oui, mais à l’époque non. Je me suis mis à composer des prods de lo-fi hip hop à une époque où ça n’était pas démocratisé sur YouTube. Je fais partie des OGs [rires]. J’étais là au début et c’est pour ça que j’ai bien marché dans ce style. Tout le monde en fait aujourd’hui et c’est beaucoup moins intéressant musicalement. J’ai commencé à en faire parce que j’ai fait la musique de la chaîne YouTube d’un ami à moi, Ichiban Japan, qui connaissait des musiciens de lo-fi. Et ces gars là c’étaient les vrais pionniers de la lo-fi, je pense notamment à Nymano qui a vraiment inventé et popularisé le mouvement.

A : Tu as réussi à gagner ta vie avec la Lo-Fi ?

P : Oui de fou. Je gagnais déjà ma vie avec YouTube, ça allait. En parallèle de la lo-fi je gagnais  aussi de l’argent avec les dons sur les lives YouTube, je crois que j’ai été un des premiers à faire ça en France. Je prodais en live, et personne ne le faisait encore, c’était galère techniquement à l’époque en 2016-2017. Un soir je me dis que je suis fatigué mais il faut que je streame quand même. Je me dis que je vais faire un live où j’écoute les sons des gens. Ca va être plus tranquille, je ne vais pas avoir à travailler. Je lance le live, et je l’annonce sur Twitter. Et là ça explose. Il y a trop trop de gens qui veulent passer leurs prods, et ils se mettent à faire des dons en me demandant de passer leurs sons en premier. Ce soir-là, j’ai fait un live de 8 heures, je ne voulais pas arrêter sans faire passer tous les gens qui avaient fait des dons. Et je crois que j’ai dû faire 600 ou 700€ en un live alors que c’était une époque où je faisais difficilement 1000€ avec YouTube. J’ai ensuite mis en place un système où je passais une prod payée, et une prod’ au hasard gratuitement. Et au bout d’un moment je coupais les dons et je faisais que des gens gratuitement.

R : Mais tu faisais quoi comme feedbacks à la fin ?

P : Ah, si c’était mauvais je le disais.

R : Et ça permettait surtout aux gens de montrer ce qu’ils faisaient.

P : Oui et c’est en faisant ces lives là que j’ai rencontré des beatmakers comme Epektase, Har2Nok. Et surtout ils ont créé une communauté entre eux, avec un Discord, en partant de ces lives que je faisais. Il n’y avait pas vraiment de communauté de beatmakers français sur Discord à l’époque. Il devait y avoir les forums, l’horrible page Secrets de Beatmakers qui doit encore exister sur Facebook, mais pas plus…

A : Est-ce que vous avez l’impression d’avoir lancé ou au moins contribué à la vague des beatmakers qui sont nés sur internet ces dix dernières années en France ?

P : Moi j’ai démarré avant, mais j’ai l’impression d’avoir participé à ce truc là.

R : Tu y as participé !

P : Quand j’ai commencé mes vidéos en 2014-2015 personne ne me parlait encore de cette vague de beatmakers sur internet en tout cas.

K : Je reçois aussi des messages sur Instagram de types qui me disent qu’ils ont vu il y a 5 ans une vidéo de moi qui disait « achète toi un ukulélé, c’est petit, et tu peux faire du son », qui l’ont fait, et qui vont aujourd’hui faire leur premier placement dans le rap français. C’est trop bien.

P : J’en ai aussi plein des messages comme ça ! Il y a d’abord vraiment PV Nova qui a lancé cette grosse vague pour la production musicale sur internet, et nous on est ses bébés. Quand j’ai vu PV Nova je me suis dit « Ah oui, on peut parler de musique sur YouTube et intéresser les gens. » Et c’est pour ça que j’ai fait ma chaîne. Parce que personne ne parlait de beatmaking ou de sampling à l’époque en France.

R : Avant 2019, des beatmaker qui faisaient des vidéos sur YouTube il y en avait très très peu. Alors qu’aujourd’hui je ne vois que ça « Comment faire une prod à la Laylow » etc… Aujourd’hui, les beatmakers se syndicalisent presque ! Et c’est tout nouveau.

P : Même les YouTubeurs qui parlaient de rap, en 2014-2015 c’était rare. Un des premiers YouTubeurs à le faire c’était Kustom. Et c’est à la même époque où j’ai commencé, puis Krono’ est arrivé un peu après. Avant de parler de prod’, il n’y avait déjà pas grand monde qui parlait de rap.

R : Je crois que Maskey a ensuite énormément lancé ce truc de parler de rap avec La Recette sur PNL. Mais c’est vrai que c’est assez récent.

II.) La Zizi Caca Mixtape

A : On a l’impression que vous êtes des amis de longue date, mais ça fait environ 3 ans que vous êtes ensemble. Comment est-ce que vous vous êtes rencontrés ?

R : J’ai rencontré Kronomuzik à l’été 2019 quand j’étais en stage à Toulouse et que lui vivait là-bas. Et Pandrezz et Krono se sont connus à l’automne 2019. Mais le point d’union de nous trois c’est la vidéo YouTube Poop [Détournement vidéo basé sur le montage, ndlr] que j’ai faite sur Bigflo. C’est d’ailleurs là que naît la blague Zizi Caca parce qu’à un moment j’avais fait dire avec le montage à BigFlo “Ce n’est pas qu’une histoire de zizi, c’est aussi une histoire de caca”. C’est cette vidéo qui a créé notre trio. Qu’est-ce qu’on a forcé putain. C’était l’époque où quand on avait une blague, on la rabachait pendant 3 semaines. Donc pendant une semaine ou deux après la sortie de cette vidéo on n’avait envoyé que des memes sur le zizi et le caca sur twitter. Ça a fédéré des gens autour de nous mais il y a aussi des gens qui nous détestent !

K : Là c’est clairement le moment où on se fait des rageux.

P : Bien sûr !

K : On est vraiment sur un truc où les autres twittos commencent à se dire « Mais c’est qui ces fils de putes qui font des stats avec zizi et caca ? » [Rires]

A : Du coup : comment est-ce que vous vous retrouvez à vous dire « On va faire une mixtape de 41 morceaux ? »

R : Krono nous a envoyé des sons je crois, et il avait fait un tag Zizi Caca Mixtape à l’intérieur. On a alors évoqué ça comme une blague.

K : À la base je devais faire un EP de 5 morceaux tout seul, qui s’appellerait Zizi Caca Mixtape. Et puis on commence à s’envoyer des trucs, et je dis à Pandrezz de faire un feat, on commence à faire le truc, Ronare commence à faire des prods…

R : On a commencé en février-mars 2021. Donc ça fait un an et demi qu’on bosse dessus.

A : On est bien obligés de parler de ce nom de mixtape. Ce n’est pas facile à assumer quand même.

K : La fonction que ce nom a, c’est que si tu es fort et que tu appelles ton projet Zizi Caca c’est un peu le flex ultime. Et en même temps c’est un peu débile et ça te permet de faire ce que tu veux. C’est comme ça qu’on a fait venir les artistes dans la mixtape. C’est nous qui portons le projet, on assume ce titre, et les artistes viennent s’amuser avec trois golmons. Et dedans ils peuvent tester des choses qu’ils ne feraient jamais ailleurs.

P : Et en plus tu vas être méga bien produit !

R : Le projet a fait parler de lui donc ça a créé une grosse émulation où tout le monde voulait venir dessus. Les artistes savaient qui étaient Krono et Pandrezz, qu’ils avaient produit pour des artistes, et musicalement ce n’était pas des prods bateaux. Les artistes ont senti qu’il y avait un projet décomplexé, bon délire, mais en même temps fait par des gens sérieux, et c’est pour ça que des Di-Meh, Sopico, nous ont dit oui.

K : Ce qu’il se passait c’est qu’on se faisait un appel les 3 chaque semaine, et on se disait : « Ce serait pas légendaire si lui il venait? » Et on se disait à chaque fois qu’il fallait tester. On envoie 3-4 DMs et il y en a toujours un ou deux qui nous disent « Bah oui pourquoi pas » Et les DMs étaient tout le temps écrits pareil.

P : « Salut ça va moi oue. Tu veux venir dans ma Zizi Caca Mixtape s’il te plaît ? » [Rires]

A : Donc pendant 8-9 mois vous faites venir plein de gens dans votre studio ? Est-ce que vous vous mettez une deadline ?

R : C’est ça qui est très drôle. On a respecté notre deadline, mais à une année près. [Rires] Kronomuzik nous disait « Mi avril c’est fini ! ». Mais en 2021. Et il s’avère qu’on a fini la mixtape mi-avril 2022. Mais il y avait aussi pas mal de side projects à côté : on a fait un jeu vidéo pour la mixtape, ça nous a pris une plombe, il a aussi fallu faire la musique et le trailer du jeu vidéo, organiser la comm’, tourner les clips, monter les clips. Comme on a tout fait presque à 3 tout tout seul… au bout d’un moment ça prend du temps

A : Est-ce que la Zizi Caca Mixtape, c’est un projet sérieux ? Ou une blague ? Dans le fond ce n’est pas sérieux. Mais dans la forme, les prods, ça en a beaucoup plus l’air.

P : C’est une blague très sérieuse. C’est sérieusement drôle.

K : On l’a abordé très sérieusement dans la manière de le faire. Même si on s’est bien marrés au studio, on n’a pas transigé sur la qualité. C’était même une pression en plus : ça ne pouvait pas être ridicule, on était obligés d’envoyer une grosse bastos parce que ça avait un nom de merde. On a des morceaux qu’on trouve marrants comme « 3 Zèbres » ou « La Bagarre », mais il fallait que ce soit bien produit. On ne l’a pas vraiment abordé comme une blague.

P : Pour moi il y a aussi ce prisme où il fallait que les gens puissent se l’écouter en se disant « Ah ouais, c’est fort, c’est bien fait en fait. »

K : C’est ce contrepied qu’on veut en fait. Que les gens se disent que ça s’appelle Zizi Caca mais que c’est bien.

R : C’est du degré un et demi au niveau du ton quoi.

A : La particularité de cette mixtape, c’est que vous avez aussi invité des personnalités d’internet à chanter sur la mixtape. C’était évident dès le début ?

K : On s’est juste dit que ça serait trop drôle d’avoir untel et untel sur un truc qui s’appelle Zizi Caca, et on a démarché tout le monde.

P : Le but c’était qu’on s’amuse et on voulait inviter des potes.

R : Mais sur le projet tout le monde avait déjà eu au moins une expérience avec la musique.

P : Antoine Daniel produit par exemple de la musique sur Ableton, Même à l’époque What The Cut il était pote avec Canblaster, il connaissait Lido. C’est juste que quand What The Cut a pété il a choisi sa voie. Mais c’est vrai que musicalement on voulait que ça sonne bien avec les non-musiciens, donc c’était beaucoup de travail. Et on voyait la différence entre les musiciens et non musiciens. Les prises étaient plus compliquées, il fallait en faire plus. Alors qu’avec les rappeurs effectivement les mecs étaient habitués… Les sessions avec Di-Meh, ça allait super vite. On a fait 4 sons en une session

R : La 2 Step, il l’a écrite en 20 minutes. Et c’est le meilleur son de la mixtape pour moi !

K : Alkpote est resté 3 heures au studio.

P : Ecrit, posé, toutes les pistes, ambiances.

A : Pour les rappeurs, comment ça se passait les discussions pour venir sur la mixtape ? C’était un espace de liberté pour eux ?

P : On a toujours essayé de présenter la tape comme un endroit d’expression un peu libre où ils pourraient faire des choses qu’ils ne pourraient pas faire sur leurs propres projets. C’est comme ça qu’on le présentait parce qu’on se disait que ça allait débloquer.

R : Je pense notamment à Sopico. Il vient de sortir un album entièrement à la guitare, et il a fait un morceau très différent avec nous.

P : Mais au niveau de la DA, il y avait deux cas de figure : les artistes arrivaient et savaient exactement ce qu’ils voulaient, ou alors pas du tout et on les drivait. Et ça c’était beaucoup le cas avec les YouTubeurs et les streamers. En général on leur donnait plein d’idées et un moment ils nous disaient « Ok ça je suis chaud ». On dirigeait un peu le truc parce qu’ils avaient cette humilité de savoir qu’ils ne sont pas musiciens professionnels. Mais il y en avait d’autres qui avaient une idée très précise de ce qu’ils voulaient, je pense à Yvick par exemple.

K : Il arrive au stud’ et il nous dit « Je suis chaud de faire une chanson paillarde ». Nous on était pas très chauds : « T’es sur que tu veux pas faire de la Maybach Music ? » [Rires]

P : Il faisait genre il hésitait mais il savait très bien ce qu’il voulait faire. Parce que 20 minutes après il y a Freddy Gladieux qui arrive. [Rires] Tiens tiens tiens.

K : C’était légendaire cette session !

R : C’était très drôle de voir Yvick être ultra investi dans sa chanson paillarde. « Non je peux pas dire ‘la bite’ il faut que je dise un autre truc. » Il était vraiment premier degré à fond là dedans.

K : On a eu des moments et des conversations incroyables sur ce projet, c’est vraiment ce que j’ai préféré. On s’est par exemple retrouvés avec le DG de Capitol qui nous dit « Oui, Zizi Caca moi je pense que ça fait disque d’or. » [Rires] Tu prends du recul tu te dis « Là ce qu’il se passe c’est quand même dingue. »

P : Tu te rappelles de toi il y a trois ans et tu te dis « Est-ce qu’un jour je serai dans le bureau du DG de Capitol qui dit : ‘Mais c’est quoi exactement pour vous l’ADN de Zizi Caca ?’ ». On s’était regardés avec Krono et on avait éclaté de rire. On a dit « C’est exactement ce que tu viens de faire : c’est le DG de Capitol qui dit Zizi Caca »

III.) Du rire au rap

A : Est-ce que vous pensez qu’un projet comme la Zizi Caca Mixtape avec notamment des rappeurs, aurait été possible il y a dix ans ?

R : Jamais de la vie. C’est internet.

K : Musicalement, il y a eu trois grosses vagues je pense qui ont permis ça, ça a été d’abord été TTC qui ont enfoncé les premières portes sur la liberté de faire ce que tu veux dans le rap puis OrelSan, et maintenant toute la vague des enfants d’OrelSan. Mais en même temps, notre musique ce n’est pas une blague : on est en en équilibre entre le premier et le second degré. Ce n’est pas un album de Caba’ et JeanJass, parce que c’est un poil plus gogol, et en même temps on a quand même des choses très premier degrés.

P : Et c’est pointu aussi. Dans les textes mais aussi au niveau des productions. On a par exemple fait de l’hyperpop sur la mixtape, c’est ultra niche en France encore même si c’est de plus en plus à la mode. Mais je pense que l’humour c’est aussi une manière de se protéger. Comme on ne se prend pas au sérieux, si les gens disent que c’est nul, on a une immunité.

K : « Quand la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux c’est encore l’humour »

P : Et après il s’étonne qu’il se fasse péter la gueule dans la rue. [Rires]

« Il ne faut pas que les gens se disent « Ils se foutent de notre gueule ». On a fait cette mixtape avec amour et respect de la musique. »

Pandrezz

A : Est-ce que vous avez l’impression qu’il y a plus de place pour l’humour et le second degré dans le rap français aujourd’hui ?

K : Bien sûr. Après je pense que ça a ses limites et c’est pour ça qu’on ne veut pas rentrer uniquement dans ce truc là. Tu ne peux pas t’identifier à quelqu’un qui ne dit jamais rien de sérieux, qui ne désamorce jamais et qui ne te dis jamais des vraies choses. Au bout d’un moment ça te pompe ton énergie. Je pense que sur la mixtape on parle aussi parfois de choses sérieuses. Le morceau « Merci » par exemple il est vraiment sincère.

R : Et même si c’est pas toujours premier degré, on va faire aussi de l’egotrip. Par exemple sur « Nous Y Sommes » ce n’est pas juste faire des blagues. Dans l’intention on a aussi un côté premier degré à faire de l’egotrip,  ce n’est pas que des blagues non stop, ça nous desservirait à la longue.

A : Vous ne voulez pas que vos morceaux soient vos tweets.

R : Exactement. Il faut qu’on retrouve notre humour  dans nos morceaux, mais qu’on sente que c’est fait sérieusement

P : Des morceaux de musique ça s’écoute et il faut prendre du plaisir à les réécouter. On en a sur la mixtape, mais on voulait éviter les morceaux marrants que tu écoutes une fois sans revenir dessus. La G-Funk qu’on a par exemple faite avec Yvick et Theo Juice, c’est un morceau que tu peux garder. Si tu fais attention, ils disent n’importe quoi dans leurs paroles. Mais dans l’enrobage musical tu ne t’en rends même pas compte. Et pour ça, la production et l’intention au moment où tu fais le morceau comptent énormément. Tu peux raconter les pires bêtises, si tu le poses avec une voix sérieuse, sur une prod sérieuse, tout de suite ça paraît crédible. Il ne faut pas que les gens se disent « Ils se foutent de notre gueule ». On a fait cette mixtape avec amour et respect de la musique. Notre but c’est de sortir un projet qui s’appelle Zizi Caca mais où l’on va défoncer la concurrence quand même. C’est rap dans l’esprit.

R : On aime la musique et le rap particulièrement, mais on injecte notre identité là-dedans.

P : Ce n’est pas une parodie du Palmashow qui parodie PNL par exemple.

R : Bon en vrai, ça on a failli le faire. [Rires]

P : C’est vrai qu’on a fait au début un morceau qui s’appelait « Trois Frères » sur une prod’ à la PNL… Mais ça a sauté bien sur !

K : On est plus proches d’un Maskey que d’un Palmashow en gros. On fait vraiment ça sans condescendance.

A : Comment est-ce que vous expliquez que les rappeurs français ont très mal vécu Fatal Bazooka, mais beaucoup mieux reçu les parodies de Mister V ou Maskey dix ans plus tard ?

P : À l’époque de Fatal Bazooka, c’était la crise du disque. Quand Michael Youn arrive, il est perçu comme le mec qui prend le blé des rappeurs qui font ça sérieusement. Quand Mister V arrive, tu vois très bien qu’il est dans cette culture là et qu’il fait ça avec du respect. Et on est à l’ère du streaming. Plus personne ne vole l’argent d’autres artistes.

R : Et le public a aussi énormément évolué. Il y a dix ans, les gens qui écoutaient du rap étaient hyper impliqués, ils écoutaient du rap, ça voulait dire quelque chose d’important pour eux. Alors que maintenant, tout le monde en écoute, c’est partout, même dans la musique pop, et forcément dans ce public plus large tu as des gens plus à même de recevoir quelque chose de plus second degré, un peu marrant.

K : Il y a aussi tout le côté un peu sérieux. Les gens captent que ce qu’on fait ce n’est pas qu’une blague. Fatal Bazooka c’était quand même essentiellement une blague très bien faite.

R : Et c’était aussi un personnage. Nous, c’est vraiment nous. Alors que sur Fatal Bazooka c’était Michael Youn qui prenait le personnage d’un simili Booba avec tous les clichés qui vont sur les rappeurs, la pochette de lui ultra musclé, le pistolet à eau dans la poche…

P : On a tendance à dire « Attention la Zizi Caca Mixtape ce n’est pas Fatal Bazooka ». Mais en vrai Fatal Bazooka ce n’était pas mal fait. Sauf que c’était amené comme un sketch. Alors que nous on ne parodie rien, on n’exacerbe rien. Quand on fait du rap, on fait vraiment du rap. Les paroles peuvent être des fois un peu marrantes, mais on n’exacerbe aucun côté de ce truc-là.

A : Au final, est-ce que vous pensez que vous avez fait du shitpost [contenu ironique sur internet, ndlr] en musique avec cette mixtape ?

R : En vrai, un peu. Le simple fait d’avoir un projet de 41 morceaux, c’est du shitpost.

K : Ça dépend ce que tu appelles du shitpost aussi.

A : Je pense un peu à ce que fait Maskey par exemple. Il disait d’ailleurs récemment en interview que le shitpost pouvait être sérieux quand c’était bien fait. Et qu’il n’était pas à l’aise quand il avait des parodies à lui qui pétaient plus que des morceaux de rappeurs qu’il parodiait. Mais c’était parce que lui se cassait la tête à vraiment bien faire son morceau avec une vraie prod’ etc…

R : Il y a à la fois une forme d’authenticité, d’amour et de respect  de la musique là-dedans. Et en même temps c’est léger, c’est cool, bon délire. C’est peut être ce côté shitpost qui ressort et que les gens kiffent. Et c’est ce qui fait la force de notre projet.

K : Pour moi, il y a surtout beaucoup de spontanéité dans cette mixtape. Je suis par exemple les gens qui font du shitpost sur Twitter parce que je ne sais jamais ce qu’ils vont poster. C’est ce qui leur traverse la tête à un moment donné. Et c’est ce que j’essaye de faire dans les propositions qu’on a fait dans cette mixtape.

A : Shitpost, ça ne veut pas forcément dire à l’arrache ?

K : Non, jamais. Au début oui, mais après il faut en faire quelque chose de bien.

R : Quand on a sorti le premier single beaucoup de gens disaient « Putain c’est pas de la merde en fait leur truc », on avait surpris les gens.

P : Je pense que le but c’était ça : que ça ait l’air gol-mon, mais trop fort pour toi.

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