Diamond in the Rough

Twinztrack

Notamment mis en lumière par leurs productions pour Set&Match et A2H, les Twinztrack sautent le pas du premier projet avec VIIIO8. Rencontre.

Abcdr du Son : Faire un EP instrumental, c’est une envie de longue date ou aussi un désir de s’extirper de la catégorie « beatmakers à rappeurs » ?

Yezdi : Le but de l’EP, c’était de fournir un travail pour nous, sans dépendre des MC. C’est excitant d’évoluer, de sortir de la case. On prend exemple sur ces très bons beatmakers comme Akeda, Myth Syzer ou Stwo qui sont justement sortis de cette case et réalisent leurs propres projets. C’est une expérience pour passer un cap. C’est toujours dans un délire de reconnaissance. Quand tu as la sensation d’avoir fait une prod’ qui tue, tu n’as pas envie de la laisser mourir dans le PC, d’être obligé de la placer à un MC qui la sortira dans six mois ou peut-être jamais. Et ça permet d’étoffer certains tracks, de les pousser plus loin.

Ben : Ça permet d’être autonome, d’éviter de faire des concessions. La pire chose que tu puisses nous demander, c’est : « Fais nous une prod’ dans tel style, à la untel« … Quand tu rentres dans ce délire, tu perds ta touche. C’est le problème de beaucoup de beatmakers. Ça m’est arrivé. Pendant une semaine, je me suis cassé le cul. Je la donne au mec et ça ne lui convient pas… Et au final, ce n’est même plus ma touche.

Y : Tu vas te prendre la tête parce que tu n’auras pas le bon feeling et le rendu ne sera pas bon.

B : Mais on adore travailler avec les MC. Il y a beaucoup d’avantages. On a juste envie de créer notre propre identité avec cet EP. Quand tu es beatmaker, tu n’as pas beaucoup de retours. Tu vas faire un son à 200 000 vues et tu vas gagner quarante fans. C’est bien mais c’est frustrant. Personnellement, j’ai envie de faire du live, de mixer, d’avoir un projet à nous, pas d’être juste le beatmaker lambda qui compose des sons pour les rappeurs dans sa chambre. C’était aussi un défi car quand tu as l’habitude de taffer un son façon seize mesures, refrain, etc, c’est difficile de se détacher de ça.

A : Est-ce que certains sons prévus à l’origine pour l’EP ont finalement été récupérés par des rappeurs ?

B : A la base, « MTP » était pour l’EP, il était taffé pour. Ça s’entend d’ailleurs. Mais Set&Match ont kiffé dessus. J’ai épuré le beat qui était un peu trop fou fou et mis de l’espace pour les voix. Je suis content d’avoir fait ça avec eux. Ils ont apporté un vrai plus à la track. Tu as peu de rappeurs français qui rappent sur ce genre de beats. Avec eux, on n’a pas besoin de se forcer, on a le même feeling, ils respectent notre instinct.

A : Vous avez déjà un regard critique sur votre propre travail et son évolution ?

B : J’ai des prod’ qui ont un an et demi, je ne peux plus les écouter. J’ai eu un déclic avec le morceau « Résolutions », c’est là que j’ai commencé à m’éclater dans le son. J’ai passé six mois à ne faire que ça et j’ai beaucoup progressé. Je marche par palier. Je vais faire vingt prod’ du même level jusqu’à franchir une étape.

Y : J’ai ressorti un dossier d’anciennes prod’ récemment, je vois l’évolution. Je me souviens de certains tracks où je me prenais par exemple la tête pour avoir une attaque bien précise au niveau de mon rendu, alors que je le fais avec facilité maintenant.

A : Quelles ont été vos influences ?

B : J’ai été traumatisé par Pharell et Timbaland. Il y a eu un avant et un après Timbo. J’écoutais en boucle ses prod’ pour essayer de les refaire.

Y : Le Under Construction Part II avec le « Indian Flute », j’avais pris une baffe. Il a toujours eu sa touche, reconnaissable. On était dingues de Swizz Beatz aussi, ses instru’ pour Ruff Ryders… J’ai aussi eu ma période Kajmir Royale, même si j’en suis moins fan maintenant. Aujourd’hui, on aime bien des mecs comme Cashmere Cat, Mr. Carmack, So Fly… On a aussi eu une période Cool Kids. On aimait beaucoup le côté minimaliste de Chuck Inglish. C’est pas forcément très compliqué à faire mais il a sa touche. On adorait l’univers. Et puis Swiff D, grand producteur, présent notamment sur les albums de Pac Div.

B : Cashmere Cat, on s’éloigne vraiment du hip-hop, on est déjà dans la musique électronique. Mais c’est ce vers quoi on tend. On aime bien le trap aussi parce que ça reste hip-hop et c’est super large. Je pense que c’est un des styles les plus variés. Quand tu te lances dedans, t’as une liberté de fou. C’est moins fermé que le reste. Ça finira par s’épuiser comme tout style mais, aujourd’hui, ça nous semble illimité.

A : Vous pensez quoi de toute cette vague « boom bap » très présente chez les mecs de votre âge ?

Y : Je ne vais pas te mentir, j’en ai fait des beats comme ça. Il y a de bonnes choses mais beaucoup d’autres très simples, trop propres. Limite, quitte à faire du boom bap, je préfère entendre un vieux breakbeat bien crade à la Onyx, agressif.

A : Vous utilisez quand même du sample ?

Y : On a des morceaux de compo pure mais on utilise encore du sample. Si t’as envie d’avoir une bonne guitare bien samplée, tu ne vas pas te priver. C’est dur à définir : certains samples de violons peuvent me plaire et d’autres vont me gaver, m’assommer. Quand on utilise du sample, on compose souvent par dessus parce que le sample peut vite t’endormir. Après, ça dépend beaucoup de ce qu’apporte le MC. Il peut te magnifier quelque chose de très simple s’il a le talent pour.

A : Vous avez une méthode de travail particulière ?

Y : C’est selon l’humeur, au feeling. Je taffe toujours mon beat en premier. L’instru’ va me plaire avant tout grâce à la partie rythmique, plus qu’à la partie mélodie. Je suis très attaché à la rythmique.

B : Ça se sent quand tu écoutes nos prod’. On accorde beaucoup plus d’importance aux percu’ et au beat qu’à la mélo’. Parce que si le beat ne pète pas… Dans nos fichiers, on a des milliards de beats sans mélo’.

A : Votre manière d’écouter la musique a évolué depuis que vous en faîtes ?

B : C’est un truc de fou. Aujourd’hui, on prête attention à des choses dont on se foutait avant et ça peut nous gâcher l’écoute. Surtout si des éléments auxquels on accorde beaucoup d’importance dans notre travail comportent des défauts. J’analyse tout, je n’ai plus la même fougue qu’avant. Mes potes me disent que je n’aime plus rien [Sourire].

Y : Mais ça a aussi du bon parce que comme on progresse dans l’analyse, on progresse aussi dans notre façon de travailler. Et on est parfois beaucoup moins impressionnés par certaines prod’ qui pouvaient nous paraître insurmontables avant alors qu’elles ne le sont pas. Quand on réécoute des beats de Kajmir Royale par exemple, on kiffe toujours mais on entend plein d’imperfections qui ne nous gênaient pas à l’époque.

B : On devient plus exigeants, forcément. On écoute surtout des mecs très forts techniquement maintenant. Et quand un son me fout une baffe, je vais me demander : « Putain, comment il a fait ça !? » Puis je vais taffer, pas pour le copier mais pour savoir faire ce qu’il fait et passer un palier.

A : Il y a une durée de travail moyenne pour concevoir une prod’ ?

B : C’est aléatoire et ça dépend de la façon dont tu travailles avec le MC. Un mec comme A2H [NDLR : les Twinztrack ont produit deux morceaux sur l’album Bipolaire d’A2H : « Presque comme toi » et « Rimes et coins de rues »], tu lui envoies la prod’ et il fait tout lui-même. Il pose, fait les arrangements… Il est autonome. C’est un gain de temps appréciable. Mais je préfère quand même travailler sur l’édit de la prod’. Ça t’implique davantage. Pour Set&Match par exemple, j’ai pu passer simplement deux heures à faire une prod’ mais une vingtaine d’autres à la retravailler, à la fignoler par rapport à l’a cappella. On kiffe parce que ça nous donne l’impression que ce sont vraiment nos morceaux. Il y a un travail de symbiose. La connexion avec Set&Match, c’est du partage. Ce n’est pas juste « Je t’envoie le beat et on se rappelle quand c’est fini« . Je vais aller avec eux en studio, ils vont me demander mon avis… C’est une connexion qui est partie pour durer.

A : Vous utilisez quel matos ?

Y : L’outil de base, c’est Fruity Loops. On fait tout ce qu’on veut avec ça. Pour moi, le software, c’est 10% et l’inspiration, 90%.

B : T’as une aisance dessus qui te permet de visualiser tes idées très rapidement. On y viendra sûrement mais on n’accorde pas beaucoup d’importance à l’analogique. On n’a pas appris avec ça. Mais c’est vrai qu’il y a un rendu, un grain en plus avec l’analogique. Le software, c’est une base de travail. Du moment que tu maîtrises ton logiciel… Ça me fait rire quand la première question qui vient aux gens est « Tu travailles avec quel logiciel ?« . C’est pas à ça que tu juges un beatmaker. C’est pas ça qui fait la différence sur la création, la base même de ton son. Après, quand tu passes au mixage et au mastering, c’est important d’avoir du bon matos.

A : Votre premier projet sorti, vous aspirez à quoi désormais ?

Y : On réfléchit à d’autres projets et on se concentre également sur le live. C’est notre prochain défi : aller au contact du public, partager notre musique de différentes façons. On a lâché quelques remix sur notre soundcloud récemment aussi. C’est une facette intéressante, qui permet de se jauger et de donner des repères à ceux qui nous découvrent. Ça leur offre un élément de comparaison, un point de départ et d’arrivée. Et, bien sûr, on continue de bosser avec Set&Match !

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