The Alchemist présente Welcome to Los Santos (GTA V)
The Alchemist et Oh No sortent demain Welcome to Los Santos : un album inspiré par la bande originale de Grand Theft Auto V. Présentation de ce projet ambitieux par le plus fumeux des alchimistes.
Samedi 14 mars, au fin fond du vingtième arrondissement parisien. Juste en face du Mama Shelter, l’hôtel préféré des rappeurs et DJs cainris de passage dans la capitale. Il doit être 14 heures du matin pour The Alchemist. Il y a quelques heures, il agitait une Bellevilloise surchauffée avec une sélection non-exhaustive – forcément non-exhaustive – de ses meilleurs bangers. La soirée d’hier à peine achevée, Alan Maman, éternel charbonneur, prépare déjà la suite. Encore encapuchonné, il ingurgite une belle pizza napolitaine avant d’exploser un énorme joint de Jack Herer. Un régime d’épicurien pour un homme de goût.
Une petite heure de pause avant d’embarquer son baluchon de baroudeur direction Cologne. Les traits tirés, ALC est fidèle à notre souvenir : volontiers blagueur, mais surtout déterminé. Évidemment, on aurait pu, une nouvelle fois, revenir sur ses vestiges passés et sa discographie de tyrannosaure. Mais inutile de ressasser encore une fois le passé quand on continue à aller encore et toujours de l’avant. Si Alchemist a toujours trois projets en cours, on a pris le parti de se concentrer sur le proche : Welcome to Los Santos. Un nouveau long format né autour du supra-classique Grand Theft Auto et concocté, une nouvelle fois, avec Oh No. Histoire et présentation avec un homme pressé.
Abcdr Du Son : Est-ce que tu joues à GTA ?
The Alchemist : Pas professionnellement ! [rires] Ça m’arrive de jouer quand même. Mon pote Oh No est un super champion par contre. C’est une putain de légende dans le monde des jeux vidéo. Il a toutes les consoles, c’est une partie importante de sa vie. Il a probablement samplé la musique de la plupart de tes jeux préférés pour en faire des beats mortels. De nous deux, c’est lui le professionnel.
A : Comment s’est présenté le projet Welcome to Los Santos ?
Al : Au départ, on est venus nous voir pour faire la musique de Grand Theft Auto V. On était quatre à faire partie de ce projet : Oh No et moi, Woody Jackson, un musicien très talentueux, et Edgar Foese qui est mort il y a peu. Qu’il repose en paix. Edgar faisait partie du groupe légendaire Tangerine Dream. On avait énormément bossé pour sortir cette bande-son. On avait beaucoup plus de sons que ce qu’il fallait pour le jeu. Certains trucs étaient bouclés, d’autres pas. Une fois le jeu sorti, on s’est tous dit qu’on ne pouvait pas balancer toutes ces musiques. On avait bossé une année complète là-dessus. À un moment, on s’est dit qu’on pourrait faire un bon projet avec ça, qu’on trouverait des mecs pour rapper là-dessus ou autre chose.
On a une très bonne relation avec Rockstar [NDLR : la boîte qui a développé et édité GTA V]. On avait fait des trucs avec Oh No sur GTA III et Chinatown Wars [NDLR : autre épisode de GTA sorti en 2009]. Ce sont des gens vraiment créatifs, ils sont très bons dans ce qu’ils font. Ils ont des goûts vraiment solides, ce ne sont pas des putains d’escrocs. D’ailleurs, ils ne voulaient surtout pas qu’on ramène juste des rappeurs qui poseraient des mots clefs ici et là. Ils voulaient combiner notre style avec celui de Woody Jackson, qui est une vraie valeur sûre dans le rock. Quand on leur a présenté le projet aux gars de Rockstar, ils ont très vite été d’accord. En fait, avec la sortie sur PC, le timing était parfait. Quand tu sors un jeu de ce calibre sur PC, c’est toujours un évènement [NDLR : GTA V est d’abord sorti sur consoles : Playstation et X-Box, avant de sortir, enfin sur PC]. Les graphismes sont un cran au-dessus et tout. Grand Theft Auto, c’est tout sauf un jeu underground. C’est un des plus grands jeux de l’histoire. Il fallait que la musique soit au niveau. On était tous conscient de ça et ça nous a incités à faire encore mieux. En plus du jeu, on a voulu que ça sorte plus tard comme un disque à proprement parler.
« GTA, c’est un des plus grands jeux de l’histoire. Il fallait que la musique soit au niveau. »
A : Un jeu comme GTA, c’est tellement dense, que tu peux carrément intégrer des albums entiers dans une partie du jeu.
Al : Putain, ne m’en parle pas ! [enthousiaste] Parfois, tu peux rentrer dans une baraque, t’asseoir sur un canapé et mater la télévision dans ton jeu. Et les mecs, ils ont fait des films, avec des acteurs, des dessins animés juste pour le jeu. Tu rentres dans la pièce, tu cliques sur la télévision et tu peux mater ça. Parfois, je joue et je m’arrête en me disant : « merde, ce jeu, c’est encore mieux que la vraie vie. » Bon, enfin l’idée de base c’était qu’on avait la bande son et du coup on en a profité pour faire un album. Et si l’album sonne comme ça, c’est aussi à cause du jeu et de la façon dont il se déroule.
A : Tu as déjà pas mal bossé avec Oh No, notamment autour des projets Gangrene.
Al : On a fait deux albums Gangrene avec Oh No, et on a vraiment appris à se connaitre comme ça. On avait fait un clip complètement dingue pour « Vodka & Hayahusca ». C’est Jason Goldwatch qui l’avait réalisé. Et même si les ventes des Gangrene n’ont pas été extraordinaires, ça a été l’élément déclencheur pour l’équipe de GTA. Ils nous l’ont dit très clairement : ce clip, c’est ce qui les a poussés à nous demander de réaliser la bande son de GTA V. Parfois, les choses te viennent de façon inattendue.
« Je n’aime pas stagner et faire encore et toujours la même chose. »
A : Vous avez convié de gros invités sur l’album : Killer Mike, Earl Sweatshirt, Freddie Gibbs. Comment est-ce que vous avez choisi les invités ?
Al : C’était une vraie décision collective. On a balancé des noms comme ça, en se disant que certains colleraient très bien avec le projet. Il y a un paquet d’artistes dessus, qui évoluent dans des styles très différents. Tu n’as pas juste des rappeurs. Les gens risquent d’être surpris par la diversité des collaborations.
A : La diversité, c’est aussi un truc qui t’a plu sur ce projet ?
Al : « New shit is good! » Un projet comme ça, il y a dix ans, je pense que j’aurais été incapable de le mener à bien. C’est une forme de défi, une bonne façon de se remettre en question. Je n’aime pas stagner et faire encore et toujours la même chose. Je pourrais reproduire à l’infini un certain style, mais j’essaie de toujours l’améliorer et de m’améliorer. Tu peux combattre toujours sur le même terrain et gagner. Je n’aime pas du tout l’idée que des gens puissent mettre le doigt sur un curseur pour se dire : « lui, il est là, il fait très exactement ça. » Il faut se bouger le cul et être capable de surprendre.
Gangrene x Samuel T.Herring x Earl Sweatshirt « Play It Cool »
A : Vous avez déjà sorti un premier extrait de Welcome to Los Santos : « Play it cool ». Un titre assez hors-format, par sa production mais aussi par l’association entre Earl Sweatshirt et Samuel T.Herring, le chanteur de Future Islands.
Al : « Play it cool », c’est un des derniers morceaux qu’on a sorti en fait. Et c’est le premier extrait que les mecs de Rockstar ont voulu sortir. Je trouve le son assez proche de ce qu’on peut faire pour Gangrene. Le reste de l’album est vraiment très différent de ça. D’ailleurs le nouveau Gangrene est déjà bouclé, on va le sortir aussi sur Mass Appeal, a priori vers juin ou juillet. On a même déjà fait un clip avec Goldwatch, le résultat est mortel. Tu vas halluciner. J’aime toujours autant bosser avec Goldwatch et tu sais ce qu’on dit : « quand tu as une équipe qui marche bien, inutile d’en changer. »
A : Quand on prend un peu de recul et qu’on parcourt l’ensemble de ta discographie, il y a plusieurs évidences qui nous viennent. La première c’est qu’il n’y a pas un seul style Alchemist. Tu as développé avec les années, une palette de styles très différents. La dernière en date, c’est cette influence très rock psychédélique. Quelle est ta prochaine mutation musicale ?
Al : Je passe par différentes phases, mais je ne suis pas du genre à tout prévoir à l’avance. Tout se passe dans ma tête. J’essaie de toujours me motiver en me disant : « j’ai déjà fait plein de sons avec une base de jazz, je vais plutôt essayer de prendre des disques de rock. Et boum ! » Ou je reprends des disques de mecs que j’ai déjà samplés et j’essaie de faire dix nouveaux beats avec ça. Sortir juste un beat isolé comme ça, c’est beaucoup moins drôle. Je me fixe des objectifs, comme des mini-projets. Le résultat final ça peut consister en un simple beat sur un projet là, puis un autre ailleurs. Mais il y a généralement une continuité.
Quand j’ai fait « Wet wipes » [NDLR : pour Cam’Ron sur Killa Season], je découpais des samples sur la MPC en virant les charleys et en pitchant les voix. Ensuite, je plaçais la batterie tout doucement. Dans ma tête, je façonnais une espèce de nouveau style. « Wet wipes » c’était un seul titre, mais il a été suivi par « You ain’t got nuthin' » qui était sur l’album de Lil’ Wayne [NDLR : sur Tha Carter III]. Ensuite, j’ai fait « ALC Theme » qui a fini sur Chemical Warfare, puis « Surgical gloves » pour Raekwon [NDLR : sur Only Built 4 Cuban Linx… Pt. II]. Tous ces morceaux, à mes yeux, c’était un style. C’est par la répétition que j’ai créé un style. Un peu comme un cycle, où tu chopes des disques un peu proches. « De la musique des Philippines ? Allez, c’est parti ! » Quand j’ai été en Russie, j’ai eu envie de sortir un certain type de son. C’est comme ça que j’ai fait l’album Russian Roulette.
Ab : Parmi les nombreux rappeurs qui composent la nouvelle scène, quelles sont ceux que tu retiens ?
Al : J’aime beaucoup Vince Staples. Il va devenir vraiment incontournable sous peu. Son prochain projet va tout casser. O.G. Mack aussi. Je lui avais filé quelques beats et j’ai entendu ce qu’il avait posé dessus, j’étais complètement soufflé. C’est un mec très talentueux.
Ab : Tu sors constamment des projets, on a l’impression que tu es constamment en train d’enregistrer.
Al : Pourquoi est-ce que je m’arrêterais ? J’essaie de constamment sortir des trucs, je veux me construire une énorme discographie. J’aurais été fan d’un mec qui sort régulièrement des disques. Et aujourd’hui, tu as tellement de mecs talentueux, qu’il faut toujours rappeler au public que tu es bel et bien là ! [il s’arrête] Et bon, je ne veux pas avoir de gros trous dans ma discographie. Il faut toujours être bien présent. Toujours.
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