
Tarik Azzouz, élever les ambitions
Tarik Azzouz, c’est l’histoire d’un passionné parti de rien pour imposer sa patte chez les plus grands. Avec CHAQUE JOUR, il franchit un cap, entre transmission et quête d’excellence. Dans cet entretien, il revient sur son parcours, son son et sa vision du rap.
Il a démarré comme beaucoup : avec un clavier, une envie démesurée et des nuits blanches à traquer la bonne boucle. De ses débuts autodidactes à sa consécration internationale, Tarik Azzouz a su imposer son empreinte auprès des plus grands : DJ Khaled, Lil Wayne, Rick Ross et bien d’autres. Mais avec CHAQUE JOUR, son premier album, le Français franchit une nouvelle étape : celle d’un artiste qui s’affirme en tant qu’architecte sonore et catalyseur d’émotions.
Dans cet entretien, il revient sur son parcours, depuis ses premières expérimentations jusqu’à sa rencontre décisive avec Streetrunner, son mentor aux États-Unis. Il évoque aussi l’évolution de son identité musicale, nourrie par des influences variées allant du rap américain luxueux de Rick Ross à la précision technique de No I.D. ou J.U.S.T.I.C.E. League. Son approche du beatmaking, exigeante et instinctive, illustre une quête perpétuelle d’authenticité et de profondeur.
Mais CHAQUE JOUR ne se résume pas à une simple démonstration de savoir-faire. Cet album marque aussi une volonté de transmission : en collaborant avec une nouvelle génération d’artistes francophones (Tiakola, La Fève, Hamza, Zequin), Tarik Azzouz façonne un pont entre les traditions du rap et ses mutations contemporaines. Il y exprime son attachement à la spontanéité créative, aux liens humains et à l’importance du collectif, valeurs qui l’ont toujours guidé.
Tarik, c’est surtout un artisan qui ne lâche rien. Son approche du son, son rapport à la pression, son ambition de toujours viser plus haut – même jusqu’à une étoile Michelin – tout transpire cette mentalité de bosseur. Entre introspection et ambition, il nous livre une réflexion passionnante sur l’évolution de son art et la place qu’il souhaite occuper dans l’histoire de la musique. Parce qu’au final, c’est ça le vrai délire : avancer chaque jour, en gardant le même feu qu’au premier jour.
Des premières notes aux premiers beats.
Abcdr du Son : Comment la musique est-elle entrée dans ta vie ?
Tarik Azzouz : Si je remonte à mes tout premiers souvenirs musicaux… Purée, il faut que je cherche loin. Très loin [rires]. Mes premiers souvenirs, les tout premiers, ça doit être des comptines, des chansons comme « Une souris verte » ou un truc du genre [rires]. Oui, c’est sûrement ça. Après, il y avait la musique que ma mère écoutait. Beaucoup de variétés françaises, mais aussi des disques rebeus, des artistes comme Khaled, Faudel, Rachid Taha, et bien sûr, 1, 2, 3 Soleils [album live interprété par Khaled, Faudel et Rachid Taha sorti en 1998, NDLR]. C’est dans cet univers-là que mes premières impressions musicales se sont construites.
Mais le tout premier truc que moi j’ai choisi d’aimer, celui qui m’a marqué au point de me dire : « Ça, c’est mon truc, j’ai envie d’écouter ça encore et encore, » c’était l’album Les Princes de la ville de 113. J’avais quoi… neuf ans, je pense. C’est mon premier vrai souvenir musical de quelque chose qui m’a fait vibrer. En parallèle, il y avait aussi 2001 de Dr. Dre avec « The Next Episode » dedans. Si je ne dis pas de bêtises, c’était sorti entre 1999 et 2001. Ces deux albums se sont mêlés ensemble dans ma mémoire, ils sont devenus mes premières références personnelles. Mais Les Princes de la ville… Oui, celui-là, c’est le tout premier album que j’ai acheté. Un classique absolu. Rien à dire.
A : Dans ton entourage, à cette époque, que ce soit dans ta famille ou ailleurs, y avait-il quelqu’un qui faisait de la musique ?
TA : Honnêtement, pas vraiment. J’ai bien un oncle qui jouait de la guitare, d’ailleurs il en joue encore aujourd’hui. Mais ça ne m’a pas particulièrement influencé ou poussé vers la musique. Pour tout te dire, quand j’étais petit, je crois même que je ne savais pas qu’il en jouait. Donc non, je n’ai pas grandi dans une famille de musiciens où tout le monde joue et où la musique est omniprésente. Ce n’était pas vraiment mon cadre. L’ambiance musicale était présente à la maison, mais pas plus que chez d’autres, je dirais. Rien d’exceptionnel, une atmosphère normale.
A : Comme tu l’as déjà mentionné dans plusieurs interviews, tu es pianiste de formation depuis tes douze ans et tu as commencé le beatmaking avec ton ami Pils à vingt ans. Peux-tu nous parler de tes premières expériences en production musicale ? Quelles ont été tes premières tentatives, et quels obstacles as-tu rencontrés sur ton chemin, s’il y en a eu ?
TA : Hum… Ma toute première tentative ? Honnêtement, je ne m’en rendais pas compte à l’époque, mais c’était nul. Vraiment nul [rires]. Ce n’était pas du tout comme si j’étais arrivé et que, d’un coup, tout sonnait incroyable. Non, pas du tout. Mais le truc, c’est que moi, je trouvais ça génial. Parce qu’au début, on est naïf. Quand personne autour de toi ne fait de musique – à part Pils, avec qui j’avais commencé – tu as cette sensation d’avoir accompli quelque chose d’énorme. Juste réussir à produire un son, c’était déjà une victoire. Mais malgré la maladresse des débuts, j’ai tout de suite adoré ça. Vraiment. Et ce qui est drôle, c’est qu’au même moment, j’ai commencé à tomber à fond dans Rick Ross. Bon, évidemment, je connaissais déjà « Hustlin' », et ensuite « The Boss » avec T-Pain sur Trilla [deuxième album studio de Rick Ross sorti en 2008, NDLR].
Mais c’est avec Deeper Than Rap [troisième album studio de Rick Ross, NDLR], en 2009, que ça s’est vraiment joué pour moi. Cet album-là m’a complètement retourné, avec des morceaux comme « Mafia Music » ou « Maybach Music 2 ». À partir de là, j’étais conquis. Rick Ross a une discographie incroyable, mais pour moi, Deeper Than Rap marque vraiment sa transition vers ce style luxueux qui deviendra sa signature. C’est à partir de là qu’il incarne pleinement Rick Ross, The Boss, avec cette esthétique ultra raffinée et cinématographique. Dès mes débuts, j’ai été très influencé par ce son-là. Mais évidemment, impossible pour moi de faire sonner mes productions comme « Maybach Music 2 » ou « Mafia Music ». Je m’acharnais, mon seul objectif était d’atteindre ce niveau, de réussir à donner à mes instrus cette ampleur, cette richesse sonore. Sauf qu’à l’époque, j’ignorais totalement ce qu’était un sample. Beaucoup de morceaux de Rick Ross sont samplés, ce qui leur donne une couleur particulière, et moi, je n’avais pas encore saisi ce procédé. Je bossais sans relâche, pendant un an, un an et demi, à essayer de recréer ce type de son, sans savoir que derrière, il y avait tout un travail d’échantillonnage et de recomposition.
A : Est-ce qu’il y a eu un moment déclencheur qui t’a fait prendre conscience de ça ?
TA : Un soir, chez Pils – parce que j’étais tout le temps chez lui à cette époque pour bosser – il m’a parlé des samples et du site WhoSampled [site web qui répertorie les musiques samplées, reprises ou remixées, NDLR]. Il connaissait déjà, mais ne m’en avait jamais parlé avant, pas par intention, juste parce que ça ne s’était pas présenté. Et là, révélation. Un vrai trésor qui s’ouvre devant moi. Je capte soudain comment tout fonctionne : ces mecs prennent des morceaux existants, les découpent, les transforment, et recomposent par-dessus. C’était une prise de conscience énorme. J’étais déjà content de mes instrus, mais elles n’avaient pas encore cette profondeur, cette texture qui faisait toute la différence. Et quand j’ai commencé à sampler… wow. Ça a tout changé. Mes prods ont pris une autre dimension, et surtout, pour la première fois, j’ai ressenti cette satisfaction : « OK, là, j’y suis presque. Ça commence à sonner comme eux. » Le sampling a aussi éduqué mon oreille. Parce qu’en manipulant des extraits de musique déjà riches et travaillés, j’ai commencé à comprendre comment donner du corps à mes compositions originales. Je voulais que mes morceaux non samplés sonnent aussi bien que ceux qui l’étaient, donc ça m’a poussé à perfectionner mes propres arrangements, à chercher une meilleure qualité sonore. Mais pour revenir à la question de base – désolé, je digresse un peu – au début, non, ce n’était vraiment pas ça. J’étais juste animé par la passion. Je ne réfléchissais pas trop, je voulais juste faire des prods, sans forcément chercher à professionnaliser ma démarche. Je prenais énormément de plaisir à créer, mais avec le recul… Mes premières instrus étaient vraiment, vraiment pas terribles [rires].
A : En 2014, tu fais une rencontre clé avec Streetrunner [producteur américain ayant notamment travaillé avec Lil Wayne, Jay-Z, Ludacris, NDLR] via Blazetrack [réseau social américain permettant d’être en lien avec des professionnels de l’industrie, NDLR]. Qu’est-ce qui t’a poussé à tenter cette approche ?
TA : En 2014, comme tu l’as dit, c’est vraiment le moment où j’ai pris conscience que mes instrus avaient atteint un certain niveau. Je me disais : « si Rick Ross ou la bonne personne entend mes prods, il va forcément se passer quelque chose. » J’étais convaincu que si j’étais en studio avec Ross et qu’il écoutait ce que je faisais, il en prendrait au moins une. C’est à cette période qu’un ami à moi, Nabi, m’a parlé de Blazetrack. Il m’a expliqué le concept, et quand j’ai vu qu’avec cinquante ou soixante dollars, je pouvais faire écouter mes sons directement à des producteurs influents, ça m’a paru évident. J’avais une totale confiance en mon travail. Pour moi, j’étais arrivé au niveau où je pouvais prétendre à travailler avec ces artistes. Il ne me restait plus qu’une chose à faire : leur faire entendre mes productions. Nabi m’en parle cette même année, alors je fonce. Avant même d’envoyer mes instrus à Street [Streetrunner, NDLR], j’ai tenté ma chance avec plusieurs autres producteurs. J’ai envoyé des prods à Bink! [producteur américain reconnu pour ses travaux avec les artistes de Roc-A-Fella Records, NDLR], qui a adoré. Jahlil Beats [producteur américain reconnu pour ses travaux avec Meek Mill, NDLR] aussi a kiffé. J’avais même contacté Black Metaphor [producteur américain ayant composé « Ali Bomaye » de The Game, NDLR] – il a trouvé ça super chaud. Et puis, il y avait Cardiak [producteur américain ayant travaillé avec 50 Cent, DJ Khaled, Fabolous, NDLR]. Son manager était sur le site, et c’est lui qui a pris contact avec moi. Il m’a d’abord envoyé un e-mail avec une réponse vidéo sur Blazetrack. Dans son message, il me dit : « Gros, j’ai rien à te dire, c’est une dinguerie. Et je ne dis pas ça à tout le monde. Va voir mes autres retours, t’es le seul à qui j’ai dit ça. » Ensuite, il me donne son e-mail et me demande de lui envoyer un pack de vingt instrus, en me précisant : « Envoie-moi tes meilleurs sons, comme si tu faisais un pack pour Jay-Z. » Je lui prépare donc une sélection de vingt morceaux. Il me répond dans la foulée : « C’est incroyable. Tiens, prends mon numéro, je veux te manager. » À ce moment-là, dans ma tête, j’étais arrivé. J’avais l’impression que c’était bon, que c’était le début de quelque chose d’énorme. Mais avec le recul, je pense que j’étais trop pressé et que je ne comprenais pas encore bien le business. Son idée, je pense, c’était de me demander des prods régulièrement pour les placer à différents artistes. Il m’avait dit d’attendre un peu, parce qu’il était en plein Grammy Weekend, qu’il y avait beaucoup de mouvement, et qu’il m’enverrait les papiers du contrat plus tard. Mais moi, naïvement, je voyais ça comme un signe de réussite : contrat = succès. Sauf qu’au final, rien ne s’est concrétisé. Il continuait à me demander des prods pour certains artistes, mais comme on n’avait rien signé, j’ai fini par le relancer un peu trop souvent. Je lui envoyais des messages toutes les semaines, pas en mode relou, mais avec des petites relances du genre : « Alors, ça avance ? » Et à un moment, il m’a répondu : « Si ça ne va pas assez vite pour toi, pas de souci, on laisse tomber. » Il n’y avait rien de méchant, mais ça s’est arrêté là. Avec du recul, tant mieux que je n’aie pas signé ce contrat. À l’époque, j’aurais tout signé sans même relire quoi que ce soit. Bref, tout ça pour dire qu’avant même de contacter Street, j’avais déjà envoyé mes sons à pas mal de producteurs, et j’avais eu des retours hyper positifs. Même si rien de concret ne s’était fait après, ça m’a au moins confirmé que je n’étais pas fou, que j’étais sur la bonne voie. J’ai continué, et c’est finalement avec Street que les choses ont vraiment pris une autre dimension.
Abcdr du Son : À quel moment as-tu compris que tu pouvais vraiment vivre de la musique ?
TA : Honnêtement, j’ai mis du temps à comprendre. Parce que, si tu veux, j’avais la tête dans le guidon, focalisé sur un seul objectif : y arriver, coûte que coûte. Ce n’était pas pour l’argent, je te le dis sincèrement, ce n’est pas une posture. Bien sûr, je savais qu’il me fallait gagner ma vie, c’était une évidence, mais ce n’était pas ma motivation première. Je ne me disais pas : « je fais ça pour le bif, il m’en faut maintenant. » Non, j’étais absorbé par ma passion, totalement investi. Et puis, un jour, j’ai commencé à collaborer avec Street. Les placements ont suivi, un, puis deux, puis trois, puis cinq… Je ne faisais pas vraiment attention aux chiffres, et, sans même m’en rendre compte, l’argent était là. C’est arrivé naturellement, sans que je l’ait prémédité. Je dirais que c’est aux alentours de 2011, 2012 que j’ai commencé à envisager d’en vivre. À ce moment-là, je me suis dit : « j’aimerais que ce soit mon métier. » Mais je ne maîtrisais pas encore les rouages économiques du milieu. Je ne réfléchissais même pas à tout ça. Pour moi, l’équation était simple : si je faisais de la musique de qualité, des morceaux puissants, les artistes allaient accrocher, et le reste suivrait. Mon seul moteur : créer de la bonne musique. Et je me disais qu’en produisant des sons marquants, les artistes allaient les adopter, les morceaux allaient marcher, et tout se mettrait en place naturellement.
« Le sampling a aussi éduqué mon oreille. Parce qu’en manipulant des extraits de musique déjà riches et travaillés, j’ai commencé à comprendre comment donner du corps à mes compositions originales. »
Ascension et reconnaissance.
A : Ton premier placement francophone est le morceau « J’AI BU » du rappeur belge Gandhi. Ton premier placement anglophone est le morceau bonus « Street Chains » sur le Free Weezy Album de Lil Wayne en 2015. Qu’as-tu ressenti à ce moment-là ? Surtout après de gros rebondissements émotionnels…
TA : Franchement, j’ai ressenti une fierté immense, un accomplissement profond. En tant qu’homme, me dire que j’avais bossé pendant cinq ans, que je m’étais investi corps et âme, et que ça avait finalement payé… C’était tellement gratifiant, tu vois. Il y a une véritable satisfaction à voir que l’effort a porté ses fruits. Parce que, franchement, si je n’y étais pas parvenu, ça m’aurait fait mal. Émotionnellement, je n’arrive même pas à imaginer à quel point ça aurait été violent. Tu donnes tout ce que tu as, tu t’investis sans compter, et c’est dur. J’ai littéralement dédié ma vie à ça, à mon art. Si ça n’avait pas marché, je crois que ça m’aurait démoli. Mais là, ça m’a apaisé, tu vois. Ça m’a rassuré dans un sens. Me dire : « je ne suis pas fou, j’y ai cru et j’avais raison. » Toutes ces années d’effort, tous ces sacrifices, même ce voyage à Miami, ces deux mois passés là-bas à bosser pour zéro euros, ces cinq années à me saigner sans compter, sans résultat immédiat… Tout ça a pris sens. Tout ce travail en valait la peine. J’ai pu valider ma vision. C’était la réussite que j’attendais. C’est une histoire belle, pas facile, mais belle. J’ai entrepris un chemin semé d’embûches, un rêve qui semblait lointain et presque inaccessible. Et pourtant, je l’ai atteint. Voilà, c’était ma victoire. Et ce n’est pas seulement pour prouver quelque chose aux autres, c’est aussi pour moi-même. Parce que j’y croyais vraiment, profondément. Je savais que j’allais y arriver. Et aujourd’hui, je peux enfin me dire : « tu vois, t’avais raison. » C’est une sensation d’accomplissement total, quelque chose de puissant.
A : En 2016, tu signes chez Universal Music, comment ça se passe ?
TA : Franchement, j’avais une équipe solide, mais les choses ne se sont pas passées comme je l’avais envisagé. Je pensais avoir plus d’opportunités, que ça allait se dérouler autrement. Peut-être que je n’ai pas assez insisté, peut-être que j’ai manqué de certaines démarches, je n’en sais rien. Mais, malgré tout, je n’en garde pas un souvenir catastrophique. C’était juste une situation qui ne m’a pas convenu, un parcours qui n’a pas suivi la trajectoire que j’avais imaginée. On a honoré le contrat de manière équitable, j’ai récupéré mes éditions, et j’ai remboursé l’avance. Et voilà, on est repartis comme ça.
A : Tu donnes énormément d’importance à la vision et la spontanéité dans la création, comment cela se développe ?
TA : La première chose, c’est qu’il faut être sincèrement passionné. Il ne faut pas créer un morceau simplement pour le créer. Si tu n’aimes pas ce que tu fais, ça ne pourra pas fonctionner. Personnellement, je sais que, si je me dis « voilà, c’est ce qui marche en ce moment, je vais essayer de faire comme tout le monde, » mais que ça ne me parle pas, ça ne marchera pas. Il faut que je sois un fan de la musique que je crée. C’est essentiel. Ensuite, il faut en écouter beaucoup, en faire beaucoup. La musique, c’est une éducation continue, un peu comme un sportif qui court. Plus il court, plus il développe son endurance et sa capacité à accomplir des performances de plus en plus impressionnantes. C’est pareil en musique. Plus tu écoutes et expérimentes, plus ton oreille se forme, plus tu apprends à tester et à créer. Je te parlais tout à l’heure de l’importance des samples. Par exemple, quand je fais des instrus samplées, ça améliore la qualité de mes productions. Mais ce que je cherche aussi, c’est d’atteindre ce même niveau de qualité, même quand je n’utilise pas de samples. C’est un challenge constant. C’est ça qui nourrit la créativité, la spontanéité, comme tu le dis. Essayer de nouvelles choses, sortir de sa zone de confort, apprendre de nouvelles techniques, c’est ce qui t’apporte de nouvelles idées et inspirations. En fin de compte, je pense que tout cela est un ensemble : du travail, de l’écoute, de la sincérité, et, avant tout, la volonté de créer la musique qui te ressemble vraiment.
A : Dans ton expérience de producteur, comment as-tu appris à gérer la pression des attentes des artistes et labels ?
TA : Pour être honnête, je n’ai pas vraiment eu de difficultés. Si je prends un peu de recul, bien sûr que ça met une certaine pression, mais j’aime travailler sous pression, vraiment. C’est quelque chose qui me stimule. Et quand je prends du recul, je me dis que peu importe la situation, si une personne veut travailler avec moi, je sais que je vais donner le meilleur de moi-même, que je vais essayer de créer la meilleure musique possible, à mes yeux. Ce que je ne contrôle pas, c’est si ces gens vont aimer, ou si ça deviendra un hit. Ce que je maîtrise, c’est ma propre implication. Je me mets la pression pour moi-même, en me disant : « Ok, tu as l’opportunité de bosser avec telle personne, il faut que tu le fasses bien ». C’est cette pression-là que je ressens. Prenons l’exemple des collaborations aux États-Unis. Par exemple, DJ Khaled peut appeler Street et lui dire : « J’ai un sample pour vous, il faut que vous bossiez dessus et que ce soit prêt ce soir, impératif, ça doit être une dinguerie ». Mais moi, j’aime ce genre de pression. C’est comme un grand match. C’est Khaled qui arrive avec une occasion en or et j’adore ce sentiment. Ça me pousse à me dire : « Ok, c’est moi contre moi ». Si je dois envoyer quelque chose à deux heures du matin, heure française, en partant de seize heures, je sais que c’est à moi de prouver ma valeur. Si je suis assez fort, si je mets toute mon énergie et mon talent dans ce créatif, alors quelque chose de grand va se passer. L’opportunité est entre mes mains. J’aime ce défi. J’aime cette notion de pouvoir gérer la situation à ma manière, de devoir être au meilleur de moi-même. Et quand il y a des urgences comme ça, ou des gens qui veulent vraiment travailler avec moi, ça me pousse à donner le meilleur. C’est comme si je n’avais pas le choix, je me dis : « Là, tu dois être exceptionnel, tout de suite. » Parfois, quand je me lève et que personne ne m’attend, que c’est moi qui décide de faire de la musique, je suis peut-être un peu moins stimulé, parce qu’il n’y a pas de pression extérieure. Mais quand quelqu’un comme Khaled veut écouter ce que j’ai à lui offrir, et qu’il pourrait potentiellement l’envoyer à Nas, Jay-Z ou Future, là, je sais que c’est le moment d’être à la hauteur. Comme je te l’ai dit, c’est moi contre moi-même. Ça me donne le pouvoir de gérer la situation, de façon à être vraiment créatif et de prouver ce que je vaux. C’est ce qui me motive, et je trouve ça vraiment stimulant. Au fond, je ne me mets pas vraiment de pression, parce que j’ai cette confiance en moi et cette envie de faire toujours mieux.
« La musique, c’est une éducation continue, un peu comme un sportif qui court. Plus il court, plus il développe son endurance et sa capacité à accomplir des performances de plus en plus impressionnantes. »
A : Comment fait-on pour ne pas prendre l’obtention d’un Grammy [obtenu en 2020 pour le morceau « Higher » de Nipsey Hussle, DJ Khaled et John Legend, NDLR] comme une finalité et continuer à s’améliorer ?
TA : Comme je te le disais tout à l’heure, je pense que tout repose sur la passion. Moi, je ne suis absolument pas blasé par ce que je fais. Je ne me dis pas que j’ai atteint mon sommet, ni que mon parcours est terminé. Bien sûr, je suis très fier de tout ce que j’ai accompli jusqu’à présent, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais j’ai encore cette envie de faire mieux, d’aller plus loin. On en a gagné un ? Pourquoi pas en gagner deux ? J’ai toujours cette volonté de prouver, non pas pour répondre à une quelconque critique, mais parce que j’aime cette dynamique du encore. Ce moment où l’on se dit : « Ah ouais, il l’a encore fait ! », c’est un sentiment qui me motive énormément. Toute proportion gardée, c’est un peu comme quand Messi enchaînait les triplés. À chaque exploit, tu te disais : « Mais ce mec ne s’arrête jamais ! » C’est ça qui me pousse, cette quête permanente d’excellence. La musique, c’est essentiel pour moi. Je veux continuer à en faire, à créer les meilleurs morceaux possibles. J’aime profondément ce processus : l’impact que ça peut avoir, le fait de composer quelque chose d’incroyable, l’écouter et me dire : « Putain, c’est chaud. » Recevoir les retours des gens, voir qu’ils kiffent, c’est aussi une source de motivation énorme. C’est aussi pour ça que je travaille sur un projet, parce que je ne me considère pas comme étant arrivé au bout de quoi que ce soit. Chaque nouveau défi me stimule, me pousse à franchir de nouvelles étapes. C’est une manière d’évoluer, de continuer à grandir. Au fond, tout ça, c’est simplement une histoire d’amour avec la musique.
A : Est-ce que tu as eu des moments de doute ?
TA : Le doute fait partie du métier. Pour moi, c’est même un élément essentiel, parce que c’est ce qui permet de se remettre en question et d’avancer. Mais de véritables moments de doute, au point de tout remettre en cause et de me dire que je devrais arrêter la musique ? Non, je ne pense pas en avoir vécu. Bien sûr, il y a des jours où je me lève en me sentant invincible, persuadé d’être le meilleur du monde. Et puis, le lendemain, je fais une prod qui ne me plaît pas du tout et je me dis : « Putain, en fait, t’as eu de la chance jusque-là… » Mais ça ne dure qu’un temps, une journée au maximum. Le jour suivant, je compose un morceau que je trouve incroyable et l’enthousiasme revient aussitôt. C’est un cycle perpétuel : des hauts, des bas. Quand l’inspiration est là, tout semble facile, fluide, et je suis en totale confiance. Mais quand elle disparaît, le doute s’installe, et la confiance vacille. Cela dit, avec le temps, j’ai appris à ne plus m’inquiéter de ces périodes creuses. Avant, ça me stressait, mais aujourd’hui, je sais que ça fait juste partie du processus. Je ne peux pas être au top tous les jours, c’est normal. Certains jours, je serai moins inspiré. Et paradoxalement, ces moments de faiblesse sont souvent ceux qui me font progresser. Parce que quand je galère, je teste de nouvelles choses, j’explore des terrains inconnus. Et même si sur le moment, le résultat n’est pas terrible, il arrive qu’une idée née dans ces périodes-là me débloque des mois plus tard et aboutisse à quelque chose de vraiment fort. En fin de compte, c’est ça : un processus. Faire des choses moins bonnes fait partie du cheminement. Je me remets sans cesse en question, parce que j’estime avoir encore énormément à apprendre, mais je n’ai jamais eu de doute profond sur ma place dans la musique.
A : Peux-tu nous raconter une anecdote marquante d’une session studio ? Que tu peux partager bien sûr ! [rires]
TA : Ouais, t’as raison de préciser. [rires] Mon anecdote la plus marquante… Franchement, l’un des moments les plus marquants de ma carrière, c’est la création du morceau « X » avec Tiako [morceau de Tiakola sorti en mars 2024]. Un morceau incroyable. Ce qui rend cette anecdote spéciale, c’est qu’on l’a fait le soir même de notre arrivée à Berlin. On était là-bas spécialement pour bosser sur l’EP X. À peine arrivés, on s’installe dans notre Airbnb, on pose nos affaires, on mange un bout… puis direction le studio. Et là, en une heure, la prod était bouclée. Tiako l’a retravaillée après, bien sûr, mais l’idée principale, la maquette, ce qui constitue 80% du morceau final, tout s’est fait d’un seul coup, d’une fluidité incroyable. Ikaz [Ikaz Boi, NDLR] a sorti l’ordi, a trouvé le bon son, a joué la mélodie, on s’est regardés, c’était ça. On a enchaîné les drums, tout s’est emboîté parfaitement. Tiako, dans sa bulle, « revenir sous X, capuché… » et c’était réglé. Bien sûr, on a peaufiné après, on a ajusté quelques détails… mais l’essence du morceau, l’énergie qu’il dégage, tout était déjà là en une heure. Et ce qui m’a encore plus marqué, c’est de voir l’ampleur qu’a pris X par la suite. Un vrai phénomène. Quand j’y repense, je me dis : « Putain, on a fait ça en un claquement de doigts. » C’est ça, la magie de la musique. Parfois, tu ne contrôles rien, ça te dépasse.
A : On a parlé de « X » de Tiakola donc je pense qu’il en fait partie… Quels sont les morceaux dont tu es le plus fier ?
TA : Ouais, « X », « GOD DID », « Higher », « Free Enterprise », « 24 » de La Fève … En vrai, tout mon album. Je suis fier de ce projet, vraiment, du début à la fin. Et puis, « Street Chains », mon premier morceau avec Lil Wayne… Ça compte. Je pourrais t’en citer plein d’autres : « SORRY NOT SORRY » avec Jay-Z et Nas, « What’s Free », « Rainy Days » avec Boogie et Eminem… « Trop tôt pour mourir » avec Dosseh, « Zidane », « #JesuispasséchezSo : Épisode 12 » avec Sofiane… Franchement, j’en ai plein. Ce sont tous mes petits bébés. Là, je t’ai donné une bonne liste, mais c’est sûr que j’en oublie.
A : Y a-t-il une collaboration que tu rêves de réaliser ?
TA : Ouais, il y en a plusieurs, vraiment plusieurs. Déjà, Kendrick, Drake, J. Cole… Ce sont trois artistes majeurs aux États-Unis avec qui je n’ai pas encore collaboré, mais que j’espère pouvoir produire un jour. En France, il y en a plein aussi. SDM, Josman… Booba, par exemple, je n’ai jamais travaillé avec lui. Ou encore Shay, Céline Dion… Il y a tellement d’artistes avec qui j’aimerais créer quelque chose.
A : Tu as failli créer quelque chose avec Lara Fabian aussi !
TA : Lara Fabian, oui, carrément ! Peut-être pour un futur projet, qui sait, peut-être sur son prochain album… si album il y a. Mais franchement, c’était un moment fou. Elle m’envoyait des audios, et là, j’avoue, j’étais sous le choc. Au début, par message écrit, je me disais : « ok, c’est Lara Fabian », mais dans un coin de ma tête, je me disais aussi que c’était peut-être sa manageuse qui écrivait. Mais quand j’ai entendu sa voix me dire : « Tarik, je suis ravie que tu me contactes », là, c’était réel, c’était dingue. J’aimerais vraiment collaborer avec elle un jour. Et au-delà de ça, il y a encore tellement d’artistes avec qui j’aimerais travailler, mais aussi avec qui j’aimerais retravailler. Je t’en ai cité quelques-uns, mais il y en a encore plein, en France comme ailleurs.
« Je tiens absolument à ce que chaque instrument ait une sonorité réaliste, authentique, qu’il soit perçu comme réel et vibrant. »
L’ADN sonore de Tarik Azzouz.
A : Un de tes morceaux préférés est « Devil In A New Dress » de Kanye West en featuring avec Rick Ross sur Beautiful Dark Twisted Fantasy. Tu aimes le travail de NO I.D, J.U.S.T.I.C.E League, Lee Major, Bink!… En quoi leur approche de la production t’a influencée dans ta manière de travailler ?
TA : Ce sont des artistes qui ont précisément ce son dont je te parlais tout à l’heure. Un son qui te saisit instantanément, qui dégage une puissance immédiate. Leur production a ce fameux effet « waouh », une sorte de grandiose musical, à la fois impressionnant, beau et percutant. Et surtout, je trouve que leur musique traverse le temps sans prendre une ride. Elle garde toute sa force et son impact, ce qui la rend intemporelle. C’est quelque chose qui me touche profondément. Spontanément et sincèrement, je suis attiré par cette dimension. Quand j’entends ce type de morceaux, je les trouve incroyables, puissants. J’ai envie de m’en imprégner, de les comprendre et de les réinterpréter à ma manière, de les adapter à mon univers. Ce sont des œuvres marquantes, qui ont une vraie ampleur et une force musicale indéniable. Et c’est exactement ce que je cherche à insuffler dans ma propre musique.
A : Comment adaptes-tu ces inspirations pour créer un son unique à ta signature ?
TA : Honnêtement, je ne saurais pas vraiment l’expliquer avec précision. Pour moi, c’est comme si nous puisions tous dans la même source, mais que notre sensibilité, notre personnalité et notre manière d’être faisaient que nous l’exprimions différemment. Un peu comme un cuisinier qui utilise les mêmes ingrédients qu’un autre, mais qui crée une recette à sa façon, avec sa propre touche. Je pense que c’est avant tout ma sensibilité innée, ma personnalité, qui donnent cette couleur particulière à ce que je fais. Chacun a sa propre méthode, et de mon côté, ma formation de pianiste influence forcément ma manière de travailler. J’ai sans doute des références et des inspirations différentes des leurs, tout comme ils en ont que je n’ai pas. C’est ce mélange unique qui façonne notre singularité. Finalement, c’est en pratiquant, en explorant, que j’ai trouvé mon angle, celui qui me permet d’exprimer les choses à ma manière. Mais définir précisément pourquoi ça sonne « Tarik » quand c’est moi qui le fais… ça, c’est plus difficile à expliquer. C’est une question profonde, en réalité. Peut-être que d’autres seraient mieux placés que moi pour en parler, pour faire la comparaison. Ils auraient sans doute plus de recul, là où moi, il m’est difficile d’en avoir sur moi-même.
A : Ton style soulful est reconnaissable. Comment travailles-tu tes sonorités ?
TA : Je m’efforce de faire en sorte que chaque morceau sonne de la meilleure manière possible, vraiment. Surtout que mes compositions intègrent souvent des instruments réels. Ce que je veux dire, c’est que bien que j’utilise parfois des synthétiseurs, les instruments dont je parle ici sont des guitares, des pianos, des violons… des instruments qui ont une existence propre. C’est pourquoi je les place au cœur de ma composition. Je tiens absolument à ce que chaque instrument ait une sonorité réaliste, authentique, qu’il soit perçu comme réel et vibrant. C’est un premier point. Ensuite, je cherche à ce que ma musique raconte quelque chose sur le plan émotionnel. Mes mélodies doivent toucher l’auditeur, provoquer une émotion, un sentiment qui ne laisse personne indifférent. Il s’agit d’une connexion profonde, que la musique t’emporte, qu’elle te prenne au corps. En gros, je cherche à faire de la musique que j’aurais envie d’écouter. Prenons l’exemple de Rick Ross. Moi, je suis fan de cet artiste. Et quand l’opportunité se présente de créer un morceau pour lui, je me demande ce que, en tant que fan, j’aimerais entendre sur son prochain album. Je réfléchis ainsi, en m’imaginant dans sa peau, et ensuite, je compose ce que j’aimerais qu’il entende. Puis, je fais en sorte que cette vision sonore prenne forme, que ça sonne exactement comme je l’imagine, au meilleur de sa forme.
A : Avec l’essor de l’intelligence artificielle dans les nouvelles technologies, vois-tu l’IA comme une menace ou une opportunité dans la production ?
TA : Non, je la perçois davantage comme une opportunité. Pour moi, l’intelligence artificielle doit rester un outil, au même titre qu’Internet l’est devenu, comme tant d’autres technologies avant elle. Le véritable problème, à mes yeux, apparaît lorsque l’on se repose entièrement sur l’IA pour créer de la musique, au point de ne plus être capable d’en produire sans elle. Si elle cesse d’être un simple outil pour devenir une finalité en soi, alors oui, il y a un souci. En revanche, se servir de l’IA pour… [réfléchit]
A : Te booster ?
TA : Oui, non, ce n’est même pas une question de facilité. L’IA ne rend pas nécessairement les choses plus simples, elle permet surtout de les aborder différemment. C’est pour ça que j’emploie le mot outil. Regarde, quand des plateformes comme Splice [plateforme comprenant des bibliothèques de samples et des plugins audio, NDLR] sont apparues, elles ont été perçues comme des outils. C’est exactement la même logique. L’important, c’est que ça le reste. Tu me demandais tout à l’heure comment ma musique devient du “Tarik”. Eh bien, si je me contentais d’une création 100 % générée par l’IA, ça ne sonnerait pas comme moi. En revanche, si je prends un sample généré par une intelligence artificielle, que je le travaille, que je le modifie, que je lui ajoute ma patte… Là, c’est autre chose. Là, je l’utilise comme un élément de création, et c’est ce qui en fait un véritable outil. C’est pour cette raison que je ne vois pas l’IA comme une menace. Je suis convaincu que l’humain aura toujours le dernier mot. Quand j’écoute un album, j’ai envie d’entendre ce que l’artiste a à dire, d’entrer dans son univers. Je n’ai pas envie d’écouter ce qu’un ordinateur a à me raconter. C’est comme en peinture : ce qui me touche, c’est de savoir qu’une main humaine a tracé chaque ligne, choisi chaque couleur. Peu importe qu’une machine puisse produire quelque chose de techniquement parfait, ce n’est pas ça qui est intéressant. D’ailleurs, imagine : si tu montres une image imprimée à quelqu’un, il dira peut-être ok. Mais si tu lui révèles qu’un être humain l’a réalisée à la main, alors son regard change, il est impressionné, intrigué. Il voit l’œuvre sous un autre angle. C’est précisément cette dimension humaine qui nous touche. Une machine, elle, ne pourra jamais retranscrire cette essence-là. Donc non, l’IA ne m’inquiète pas.
A : Et le fait que des maisons de disque puissent s’emparer de cet outil pour faire de l’argent avec des artistes qui n’existent pas ?
TA : Je pense que ça existera, c’est certain. Mais de là à imaginer de véritables stars issues de l’IA, des carrières durables et impactantes… J’ai du mal à y croire. Peut-être que je me trompe, et honnêtement, j’espère que non. Mais ils ont déjà essayé, et jusqu’ici, ça n’a pas vraiment pris. Pour moi, l’art repose sur une dimension profondément humaine, une vérité sincère qui touche le public. Une IA, par définition, est totalement digitalisée et, surtout, les gens savent qu’elle est avant tout un outil commercial, conçu pour générer de l’argent. Et c’est là que ça coince. Je ne pense pas qu’un public puisse adhérer à quelque chose qui n’existe que pour le profit, sans âme ni vécu authentique. Tout a ses limites. Personne n’a envie d’être un simple rouage dans une machine, de consommer un produit formaté juste pour faire tourner un business. Ce qui nous touche, c’est le récit derrière l’œuvre, l’histoire de celui ou celle qui la crée. L’art, c’est aussi une connexion. On a besoin de s’identifier à l’artiste, de se sentir proche de lui, de partager quelque chose de sincère avec lui. C’est d’ailleurs ce qui fait la force des plus grands artistes : leur lien avec leur communauté. Et ce lien, avant d’être une question de talent ou de technique, c’est avant tout une affaire d’humain.
« Pour moi, l’art repose sur une dimension profondément humaine, une vérité sincère qui touche le public. »
CHAQUE JOUR : UN ALBUM, UNE VIE QUI VA AVEC.
A : Après toutes ces réussites en tant que producteur sur les albums d’artistes notables, qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans la conception de ton premier album ?
TA : Tout s’est construit progressivement, à mesure que je me suis mis à travailler avec des artistes français. Peu à peu, certains sont même devenus des amis. À travers eux, l’idée de concrétiser un projet est devenue tangible. Même si en vrai, peut-être que je suis fou, mais j’aurais pu collaborer avec des artistes sans même les connaître. Je n’en sais rien. Mais j’ai toujours préféré établir un lien humain avant de me lancer pleinement dans une aventure artistique. J’en parlais déjà depuis un moment avec Amine Farsi [producteur français qui a notamment travaillé avec PNL et Ninho, NDLR]. Lui-même avait déjà franchi ce cap en sortant un EP en 2022, FARSI. Il me répétait sans cesse : « Franchement, tu devrais te lancer. » Et moi aussi, au fond, je le savais. Alors, au fil des discussions avec lui, en multipliant les collaborations, en me rendant compte que tout cela était à portée de main, je me suis dit : « Ok, je peux le faire. » Et puis, tout s’est enchaîné. Un morceau, puis un deuxième, puis un troisième… jusqu’au moment où je me suis rendu compte que le projet prenait réellement forme. Tout s’est fait de manière instinctive. J’en avais envie, on m’y encourageait, et surtout, j’étais prêt. J’ai commencé en mars dernier, en me disant simplement : « Allez, je vais commencer à faire des morceaux dans le but de débuter un projet. » Et plus j’avançais, plus je prenais goût au processus, avant même d’avoir une direction artistique claire. C’est là que j’ai compris : ce que je croyais être une simple envie était en réalité une certitude.
A : Comment as-tu géré ton emploi du temps et celui des artistes dans la conception de l’album ?
TA : Mon emploi du temps s’est aligné sur celui des artistes, tout simplement. Quand l’un d’eux me disait « je suis disponible tel jour, » alors j’étais disponible ce jour-là. Je ne me laissais pas vraiment le choix. Leur planning est souvent très chargé, d’autant plus que beaucoup travaillaient sur leur propre projet en parallèle. J’ai donc fait en sorte de m’adapter à leur rythme, parce que ce projet était ma priorité. Et quand eux étaient prêts, alors moi aussi.
A : Pourquoi avoir choisi « BIG BODY », le morceau d’Hamza et La Fève en premier single ?
TA : Avant tout, j’aime vraiment ce morceau. C’est un titre qui me plaît énormément, et au-delà de ça, c’était une collaboration inédite, très attendue. Je trouvais que cela créait un effet d’annonce fort et marquant. D’autant plus que, jusque-là, je n’avais jamais communiqué sur le fait que je travaillais sur un projet. Arriver avec un « Eh les gars, je fais un projet ! Boum, premier single : Hamza et La Fève, » c’était percutant. Comme je te le disais, j’aime marquer les esprits, créer des moments forts. Et ce titre avait tout le potentiel pour en être un. En plus, musicalement, je le trouvais tout simplement incroyable.
A : J’ai l’impression que depuis la sortie de l’album, « CHAQUE JOUR » avec Zequin a marqué les esprits, est-ce que tu t’y attendais ?
TA : Franchement, non, je ne m’y attendais pas. Je savais que la performance allait être incroyable, que l’impact serait fort et que les gens se diraient « Wesh, il est vraiment fort, le poto. » Mais la portée que ça a eue… Je ne m’y attendais vraiment pas. C’est un vrai boucan, et c’est fou. Après, il est difficile de prendre du recul, tu vois, parce que quand je vois ça sur mon Twitter, je me dis que c’est normal d’avoir l’impression que tout le monde en parle. Mais quand je regarde autour de moi, même au-delà de mes recommandations et de mon cercle, je réalise que les gens en parlent vraiment beaucoup. Honnêtement, je suis super content, parce que c’était une vraie interrogation pour moi. Je me demandais jusqu’où un morceau comme celui-là pouvait aller en France, à quel point il pouvait marquer les esprits. Est-ce qu’il y a un public pour ça ? Est-ce que les gens sont prêts à entendre ça ? Et je dois dire que j’ai été agréablement surpris et tellement content de voir que ce morceau-là, parmi tant d’autres, ressortait. C’est un peu mon son signature, tu vois. Ce qui est fou aussi, c’est qu’il n’y a même pas de sample sur ce morceau. Et ça, c’est quelque chose que je t’avais déjà dit, j’essaye toujours de faire sonner mes compositions aussi bien qu’un sample. Là, c’est que de la composition, et réussir à faire un morceau comme ça, qui représente tout ce que j’aime dans le rap, avec Zequin qui brille dessus… Franchement, ce n’est pas juste « bien pour un Français », c’est bien tout court. Et c’est là que je me dis : « Ok, je n’étais pas fou. » J’avais une vision, et elle s’est concrétisée. Clairement. Je voulais absolument Zequin sur ce morceau, je ne voulais pas quelqu’un d’autre, et il a vraiment délivré ce qu’il fallait comme je le voulais. Vraiment, je suis super content de la réception, et je suis content pour lui aussi. J’espère que ça va aussi l’aider à franchir un cap. Mais… j’étais quand même surpris. Il y a une semaine, je ne t’aurais pas dit « Les gens vont péter leur tête quand ça sort. » Je savais que certains allaient être impressionnés, mais je ne pensais pas à ce point. Je ne pensais pas que ça allait autant secouer.
A : Et toi, quel morceau pensais-tu être celui qui marquerait le plus ?
TA : Celui-là, clairement, je me le disais. Jolagreen aussi, c’était un morceau que j’attendais beaucoup. C’était compliqué à définir, en réalité. Tiako, ben c’est Tiako, tu vois. Mais j’ai eu du mal à cerner quel morceau allait vraiment marquer les esprits. C’est pour ça que j’avais tellement hâte que ça sorte, pour voir comment les gens allaient réagir, à la fois sur le projet dans son ensemble et sur les morceaux qui allaient ressortir. Je savais qu’il y aurait des surprises. Le Zed, par exemple, je savais que c’était fort. Et Dinos, Dosseh… Franchement, j’aime vraiment chaque morceau, et ce n’est pas juste pour faire plaisir, c’est la vérité. Mais j’étais impatient de voir quel morceau allait le plus impacter, et à quel point. Et au final, j’ai l’impression que chacun a trouvé son compte, tu vois. J’ai déjà reçu des retours incroyables. « MONTECRISTO », je ne pensais pas qu’ils allaient performer à ce niveau-là. C’est fou, vraiment. Je n’avais aucune idée de où je me situais par rapport à tout ça. Mais comme je t’ai dit, j’étais pressé que ça sorte pour pouvoir me dire « OK, voilà où on en est. »
A : Tu as également Sonny Rave et Monsieur Nov qui ouvrent et ferment l’album. Quel est ton lien avec le R&B ?
TA : Je ne me suis pas dit : « Et si je mettais du R&B à l’entrée et à la sortie ? » Non, les choses se sont faites naturellement. C’était un véritable choix artistique, instinctif. J’ai simplement ressenti que commencer l’album ainsi avait quelque chose de puissant, presque évident. L’intro me paraissait magnifique dans cette forme, et l’outro trouvait parfaitement sa place en écho. Ce n’était pas une réflexion préméditée sur la structure, mais plutôt une certitude : ce morceau devait ouvrir l’album, et cet autre devait le conclure.
A : Sur « T’EN DIS QUOI » avec La Fève, j’ai l’impression que tu reprends le même sample que « SORRY NOT SORRY » que tu avais déjà en partie produit pour DJ Khaled.
TA : Non, je n’ai pas réutilisé ce sample-là. Mais c’est vrai que, dans la couleur des accords, il y a une certaine ressemblance. Pourtant, ici encore, ce n’est pas un sample. C’est quelque chose que nous avons entièrement créé, de zéro. D’ailleurs, c’est Yseult qui fait les voix. Il faut dire que certaines suites d’accords reviennent souvent comme dans « SORRY NOT SORRY » et bien d’autres morceaux. Ce sont des progressions harmoniques que je trouve sublimes, et j’avais envie de les exploiter à mon tour. C’était presque un jeu, un plaisir musical. On a conçu ce sample sans penser à un projet précis. Mais quand j’ai appelé Fève dessus, ça m’a frappé : c’était magnifique. J’ai adoré, alors je l’ai gardé. Ce n’était pas prémédité, juste une évidence. Mais non, ce n’est pas le même sample.
A : La cover au Plaza Athénée fait le lien entre musique et gastronomie. Tu aimes énormément cuisiner. Peux-tu nous parler de ce lien entre cuisine et beatmaking ?
TA : Pour moi, la cuisine et la musique, c’est exactement la même chose. C’est comme savoir mettre les bons ingrédients au bon endroit, doser ce qu’il faut, tu vois ? C’est pas être au service de soi-même, mais au service de ce que tu es en train de faire. En musique, tu peux vouloir mettre trop de trucs, trop d’éléments, pareil en cuisine. Il faut être humble, savoir où mettre chaque chose, et pas en faire trop. C’est ça qui fait que pour moi, ça se rejoint tellement. Ce sont deux arts différents, bien sûr, mais l’état d’esprit, la philosophie derrière, c’est tellement similaire. Moi, j’ai commencé à cuisiner parce que je bossais à la maison. Je me suis dit : « Tiens, pourquoi ne pas commencer à préparer des trucs pour le soir ? » Et puis, peu à peu, j’ai commencé à kiffer. À mariner des viandes, à faire mes bouillons, mes poissons, mes fonds de veau, tout ça. Et en le faisant, je me suis dit : « Mais en fait, c’est la même chose que la musique ! » C’est vraiment dans l’action que je me suis rendu compte de ça.
A : Tu as fait combien de morceaux au total pour la conception de l’album ?
TA : Les treize morceaux, c’était directement ceux-là. Dès le départ, j’avais une idée précise de ce que je voulais, tout était réfléchi en amont. Et j’ai eu de la chance, parce que les artistes ont fait un travail remarquable sur chacun des morceaux. Franchement, je me serais mal vu leur dire : « Bon les gars, ce que vous m’avez fait, c’est pas terrible. » C’est jamais facile, tu vois, c’est un peu délicat, un peu tendu. Mais malgré tout, je n’ai pas eu de surprises. Rien n’a été fait et rejeté ensuite. Tout ce que j’ai voulu y mettre, c’est resté.
A : Quelle a été la session studio la plus marquante de l’album ?
TA : La plus marquante de l’album… [réfléchit] Hamza et La Fève. C’était totalement imprévu, tu vois. Rien n’était planifié pour ce featuring. Pour te raconter l’histoire, je me rappelle qu’on allait à Bruxelles et j’étais avec S.Téban, le rappeur. J’étais en voiture avec S.Té, je l’avais récupéré à l’aéroport, et on se dirigeait chez moi, avec Russell, l’ingé son, qui était aussi avec nous pour ce voyage.
Et là, je commence à leur dire : « Les gars, j’ai envie de demander à Hamza de passer » parce que je voulais vraiment le faire participer au projet, mais je voulais d’abord lui en parler, puis discuter avec Oz [producteur, co-fondateur de la structure Street Fabulous, NDLR] etc. Tu vois, c’était un processus. Et là, je me dis : « Qu’est-ce que je fais ? » Je leur demande : « Vous pensez que je devrais lui envoyer un message ? » Et eux me répondent : « Bien sûr, envoie-lui un message, ça va le faire. » Alors, je lui envoie un message pour lui dire : « On sera à ICP [studios au cœur de Bruxelles, NDLR] ce soir, avec Tiako et La Fève, viens nous voir. » Il me répond : « Ok, mais ce soir je peux pas, par contre demain je passe. » Et là, tu te rends compte à quel point c’est un pur hasard, parce que moi je pensais qu’il viendrait ce soir-là, mais il me dit qu’il ne peut pas. Bref, le lendemain, il arrive et, par chance, La Fève est en train de bosser sur ce morceau que je voulais absolument pour mon projet. Ce morceau, je l’avais déjà pensé pour lui. Mais moi, je ne pensais pas du tout à Hamza à ce moment-là. Je me disais : « Si Hamza accepte de participer, c’est déjà une bonne chose, et ensuite on verra comment on le capte pour poser dessus. » Mais, là, Hamza arrive, il écoute le morceau, il kiffe la prod et me dit : « C’est trop lourd, ce morceau, il faut que je pose dessus. Laisse-moi poser quelque chose. » Je lui dis : « Vas-y, fais-toi plaisir. » Et en quinze, vingt minutes, il avait posé son truc. Je me retrouve donc avec La Fève et Hamza sur le même morceau. Pour moi, c’était déjà un luxe, parce que j’étais à ICP, je commençais mon projet, et je savais que j’allais repartir avec des morceaux de Tiako et de La Fève. On a même fait « T’EN DIS QUOI » là-bas, donc c’était déjà une grosse opportunité. Et là, Hamza débarque, il kiffe la vibe et me dit : « C’est une dinguerie, je pose dessus. » C’est à ce moment-là que je me suis dit : « Waouh, je suis là, à ICP, je repars avec un morceau de La Fève, un de Tiako, et maintenant un de Hamza. » Je n’avais vraiment pas vu ça venir. C’était un bénéfice incroyable, un vrai cadeau. Et je me rappelle, comme je te disais tout à l’heure, que j’aime bien marquer le coup. Là, je savais que, quand je reviendrais, j’allais avoir quelque chose de fort à annoncer avec ce projet. J’avais vraiment un impact, un effet d’annonce. Ça m’a marqué de fou. Quand Hamza est parti, je me suis dit : « C’est réel ce qui vient de se passer ? » Je n’arrivais pas à y croire. Mais c’était ouf, vraiment. Et ça, ça m’a marqué profondément.
« Pour moi, la cuisine et la musique, c’est exactement la même chose. C’est comme savoir mettre les bons ingrédients au bon endroit, doser ce qu’il faut, tu vois ? »
FINAL CUT : COMPOSER SON PROPRE HÉRITAGE.
A : Entre le rap US et FR, quelles sont les plus grosses différences en tant que producteur ?
TA : Les différences les plus marquantes, tout d’abord, se trouvent dans les cachets. Aux États-Unis, c’est clair, ça paye beaucoup plus. Mais bon, le marché est aussi bien plus vaste, donc c’est normal. En revanche, en ce qui concerne les éditions, je trouve qu’en France, ça fonctionne vraiment bien aussi. Si tu sors un gros morceau ici, c’est bien plus avantageux que de sortir quelque chose de moyen aux États-Unis, même avec un grand artiste. Mais pour moi, ce qui fait vraiment la différence, c’est la proximité que j’ai avec les artistes. Ici, on est vraiment amis, on se voit souvent, tu vois ? C’est une ambiance plus intime. Et puis, la France, c’est un pays plus petit, ce qui te permet de tisser un réseau beaucoup plus rapidement. C’est un aspect que je trouve vraiment chouette.
A : Le rapport à l’argent dans la musique, c’est un sujet que tu as déjà abordé. Comment gères-tu cet aspect de ta carrière ?
TA : En ce qui me concerne, je gère moi-même toutes mes éditions, elles m’appartiennent entièrement. Cependant, je suis affilié à Cobalt, qui s’occupe de la gestion de mon catalogue. Quant à la partie américaine, c’est Street qui prend en charge cette gestion. En France, c’est moi qui m’occupe de la gestion de mes cachets, mais globalement, je fais les choses de manière assez simple. Je suis payé par cachet, je possède mes éditions, et Cobalt se charge de la gestion de celles-ci. C’est aussi simple que ça, en réalité.
A : Comment gères-tu ton temps entre toutes tes collaborations et projets persos ?
TA : J’ai appris à jongler avec tout ça, mais franchement, c’est très compliqué. Je ne sais pas si je gère vraiment, je fais simplement de mon mieux. Cette année, par exemple, jongler entre les projets français, les projets cainris et mon propre projet, c’était une véritable folie. Je fais ce que je peux, j’essaie de maximiser mon temps et d’être aussi efficace que possible, tout en prenant aussi des moments pour moi et pour mes proches. Mais honnêtement, je n’ai pas de recette miracle, je compose simplement avec ce que j’ai et je fais de mon mieux. Je n’aime pas dire non non plus, parce que je ne veux pas passer à côté de projets, de ces moments où un projet sort et que je me dis que j’aurais bien voulu y être, mais que finalement je n’y suis pas. C’est important pour moi, ce n’est même pas une question de rancune, c’est purement artistique. Donc, j’essaie de jongler, mais ce n’est vraiment pas facile. Là, on a sorti l’album, donc ça va un peu se calmer. Je vais pouvoir passer en mode composition pour les autres, au maximum. Maintenant, je pense un peu plus en termes de planification annuelle : je me dis qu’entre tel mois et tel mois, je vais être en mode compo pour les autres. Et si un autre projet arrive, je m’y consacrerai entre telle période et telle période. Il faut aussi que je trouve du temps pour certains artistes, car je sais qu’ils seront sur leurs projets à ce moment-là. Je me fais des calendriers dans ma tête, mais bien sûr, il y a ce que je planifie et puis il y a la réalité des choses. Donc voilà, je jongle, comme d’habitude.
A : Est-ce que la production à distance avec Streetrunner t’a aidé à maîtriser une éthique de travail particulière ?
TA : Je pense que oui. Franchement, je ne sais pas si c’est dû au fait de travailler à distance ou à autre chose, mais en tout cas, j’ai développé une éthique de travail assez tôt, même avant que ce ne devienne mon métier. Comme je te l’ai dit plus tôt, je consacrais déjà tout mon temps à ça, et aujourd’hui, il me semble normal de me lever chaque matin et d’aller au studio. Pour moi, c’est une routine. Je vais au studio, je fais de la musique. Cela dit, il ne faut pas non plus tomber dans l’excès. Il faut savoir doser, parce qu’aller à fond tout le temps peut devenir contre-productif. Ce n’est pas une question de se lever pour travailler à tout prix, mais plutôt de maintenir une certaine rigueur. Je m’impose une discipline, une exigence de résultats. Par exemple, cela fait deux ou trois semaines que je suis tellement pris par la promo que j’ai moins de temps pour travailler sur des instrumentaux. Mais je sais que c’est temporaire, et que dans quelques semaines, lorsque je serai sorti de cette phase, je mettrai vraiment la barre très haute. Ce mois-ci était nécessaire, mais ensuite, je reprendrai mon travail avec encore plus de rigueur. Il faudra que ce soit solide, que je livre des choses qui ont du poids. C’est cette exigence que je m’impose constamment. Je mets la barre haute tout le temps, parce que je prends mon travail très au sérieux.
A : Ton studio est toujours chez tes parents à Aulnay-sous-Bois. Pourquoi garder cette connexion avec tes racines ?
TA : C’est une question assez profonde, en réalité. La réponse est simple : j’en ai envie. Je ne me vois pas ailleurs, je suis heureux ici. Et il y a tellement de gens, ici, à qui je tiens. Quand je parle d’ici, je parle de la France, bien sûr, et d’Aulnay en particulier, où se trouve ma famille. J’ai besoin de ces gens dans ma vie, et je pense qu’ils ont besoin de moi dans la leur. À partir de là, il n’y a pas vraiment de doute. Qu’est-ce que j’aurais à gagner en partant, à part peut-être un peu plus d’argent ? Mais au fond, ce n’est même pas ça qui compte. C’est aussi simple que ça : j’ai envie d’être ici, avec les gens qui m’entourent, je veux rester près d’eux, et je sens qu’eux aussi veulent que je sois là. C’est une histoire de lien humain, tu vois. Je ne me vois pas vivre sans ces personnes-là, et c’est pour ça que je reste.
A : Comment vois-tu l’évolution de ton son dans les prochaines années ?
TA : C’est une question difficile à répondre, en réalité. Franchement, je me laisse porter par ce que j’écoute, par ce que j’ai envie de faire, et par les nouveautés qui m’inspirent. Cela peut venir de nouveaux artistes, que ce soit ceux que j’écoute ou ceux avec qui j’ai envie de collaborer, ou même ceux qui souhaitent travailler avec moi. J’ai toujours cette volonté d’apprendre, d’explorer de nouvelles sonorités, de découvrir de nouvelles influences. Je ne peux pas vraiment dire dans quelle direction cela va m’emmener. Ce que je sais, c’est que je vais toujours chercher à impacter, comme je t’en parlais tout à l’heure, en apportant cet esprit particulier dans ma musique. Après, cette volonté d’impacter peut prendre des formes très diverses dans le domaine musical. Il existe une multitude de façons de concrétiser cela, mais le fond reste le même : je veux continuer d’évoluer, de proposer des choses nouvelles, tout en restant fidèle à moi-même, sans tomber dans la redondance. C’est important pour moi de ne pas me répéter.
A : Être le seul producteur français à avoir un Grammy et une étoile au guide Michelin, reste ton rêve ?
TA : Le seul humain je pense même [rires]. Et honnêtement, je dis ça avec humilité, mais obtenir une étoile, je crois que c’est le travail d’une vie. C’est pas quelque chose que tu fais comme ça. Bien sûr, je ne vais pas me pointer et penser à l’obtenir du jour au lendemain. Mais si, un jour, à quarante ans, je me lance sérieusement dans cette quête, eh bien, ça ne me dérange pas de décrocher une étoile à cinquante cinq ans. Ce n’est pas un problème pour moi. C’est une idée qui trotte dans ma tête, tu vois. Je ne peux pas te dire que demain, je vais me lancer dans cette aventure. Mais je te jure que j’aimerais bien le faire, même juste pour le défi. Ce n’est pas une question d’égo, ce n’est pas juste pour pouvoir dire que je suis le seul à l’avoir fait. Je plaisante un peu, mais au fond, c’est vrai. Ce qui me passionne, c’est l’idée de relever ce défi. Et si, un jour, je veux faire autre chose, ça pourrait être la bonne direction, car ce serait une nouvelle série de défis. C’est comme entamer une deuxième vie, tu vois ? J’aimerais vraiment tenter de relever ce challenge. C’est un nouveau niveau d’excellence à atteindre, dans quelque chose de totalement différent. Peu importe si je le fais à quarante cinq ans, même à la moitié de ma vie, ce serait une aventure excitante.
A : Avec du recul, est-ce qu’il y a des choses que tu ferais différemment dans ta carrière ?
TA : Franchement, non. Bien sûr, je n’ai pas tout fait parfaitement. Je ne vais pas prétendre que je n’ai pas fait d’erreurs, c’est évident. Mais, en toute honnêteté, je n’aurais rien fait différemment. C’est peut-être un peu cliché, mais chaque étape de mon parcours m’a conduit là où je suis aujourd’hui. Les erreurs que j’ai commises m’ont appris des leçons précieuses. Aujourd’hui, alors que je sors mon album, j’ai la sensation que c’est le moment idéal, que tout s’aligne parfaitement. Et, franchement, je n’aurais pas voulu que ça se passe autrement. Je crois que chaque décision, qu’elle soit bonne ou mauvaise, m’a conduit à l’étape suivante et m’a permis de grandir. C’est pour cela que je te dis que je ne changerais rien. Je suis vraiment content de la manière dont tout s’est déroulé. Si, il y a dix ans, quelqu’un m’avait montré tout ça, je ne l’aurais probablement pas cru. Mais, non, franchement, je n’aurais rien changé.
A : Comment veux-tu qu’on se souvienne de Tarik Azzouz ?
TA : Franchement, ce que je veux, c’est qu’on se souvienne de moi comme d’un vrai gars, tu vois ? Simplement, que ce soit à travers la musique que j’ai faite ou la manière dont j’ai vécu, je veux qu’on puisse dire : « Ouais, Tarik, c’était un bon. » Je veux laisser une empreinte positive, une trace qui compte. Mais pas dans un sens égoïste, comme « Tarik, il était trop fort », ou « Si Tarik avait eu l’opportunité de faire ça ou ça aux États-Unis, il aurait tout déchiré. » Non, ce que je veux, c’est que les gens se disent : « Ouais, Tarik, c’était un vrai gars. » Et si, le jour où je pars, les gens pensent ça de moi, même longtemps après, alors là, je serai serein. Pour moi, ce serait une victoire, une réussite dans ma tête.
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