Tacite
Interview

Tacite

Parallèlement à sa trajectoire de rappeur, Tacite, ancien membre du groupe La Fronde, a derrière lui un paquet d’années de radio associative, de Toulouse à Lille. Un paquet de souvenirs aussi, dont celui d’un Kool Keith jouant d’abord le cravateux snob, avant de menacer de convertir son concert en partouze géante. Pour la sortie de son premier album solo, « Vivre tue », Tacite a décidé de la jouer plus sobre.

Abcdr du Son : Ton premier contact avec le rap, américain ou français ?

Tacite : J’étais au collège, c’était Radio Nova. Même pas : c’était des cassettes de Radio Nova, même pas la radio, c’était des gars qui l’enregistraient. Donc j’écoutais du rap mais sans vraiment savoir ce que c’était… Le premier contact c’était ça. Il n’y avait pas Internet à l’époque, donc pour écouter du rap, fallait chercher quoi. C’est pour ça qu’il y avait pas mal de cassettes qui tournaient : t’es collégien, tu te passes des cassettes avec un son pourri… Après j’ai commencé à acheter mes premiers albums et à écouter les groupes ricains : Public Enemy, Run DMC, BDP, NWA…

Et il y avait Rapline heureusement, l’émission d’Olivier Cachin sur M6, c’est par là qu’on a commencé à écouter du rap en français et qu’on a vu les anciens du rap démarrer. Il y avait une grosse attente d’un album de rap en français ; un album qu’on comprend, parce que moi j’avais pas un niveau d’anglais énorme, donc… Et le premier album c’était Lionel D. Donc bon, t’étais content parce que c’était en français, mais c’était pas… c’était pas forcément ce que t’attendais quoi ! [rires] Donc pareil pour le rap français, j’étais pas sur Paris donc j’écoutais des cassettes de Nova où les rappeurs parisiens passaient à l’émission de Dee Nasty. Après il a fallu attendre Rapattitude, avec NTM, Assassin, et d’autres qu’on a peut-être oublié, Daddy Yod, EJM…

A. : À l’époque tu es ici à Lille ou… ?

T. : Non, à Toulouse. J’ai grandi à Cergy, mais je suis arrivé à Toulouse à 16 ans. Il y avait des radios locales, mais elles passaient pas vraiment de rap. Ils étaient restés au punk. Mais bon, il y avait quand même quelques trucs, du freestyle, les balbutiements.

A : Et tu t’y mets comment concrètement ?

T. : Je m’y mets parce que voilà : j’écoute du rap, je me suis mis au tag, je fais trois pas de danse pourris avec des potes… bref je m’imprègne de cette culture là. On s’y met entre potes, on se dit qu’on va enregistrer des cassettes, etc. Mais c’est du genre : on écrit un texte à plusieurs, et puis après personne veut le rapper, alors c’est moi qui le rappe ; ou alors on a écrit un texte, mais quand on se retrouve dans une émission de radio personne veut aller au micro, du coup c’est pour ma pomme. C’est venu comme ça, au début c’est pour déconner, et puis par la force des choses, comme c’est toujours toi qui t’y colles, au final tu finis par t’y mettre pour de bon. A la radio (encore une fois il n’y avait pas Internet, donc il fallait des émissions comme ça pour entendre du rap) c’était pareil : pour diffuser des morceaux, tout le monde était OK, ou pour amener ses disques, mais par contre pour parler au micro il y avait plus personne !

Moi j’étais à Toulouse, et un de mes amis d’enfance rencontré au lycée, Martin [Nabis], avec qui on a commencé à faire du tag, à s’échanger des albums, lui est reparti là où il était né : à Lille. De mon côté, après la fac, je me suis dit : la musique on a fait ça un peu pour déconner, mais j’aimerais faire un truc plus sérieux, plus poussé. Donc je suis venu rejoindre mon pote, qui venait de créer le collectif La Fronde, du coup je suis venu pour l’intégrer. Nabis s’y est mis en 1992 : après avoir rappé un peu il s’est acheté un sampler, il a commencé à bidouiller son sampler, plus tard il s’est acheté un DAT pour les concerts, etc. Ça vient petit à petit : le peu que tu gagnes en concert part au pot commun et tu achètes du matos comme ça.

« Au départ j’étais dans le truc à 100 %, du rap sur les oreilles toute la journée. »

A : Sur ton profil Myspace, tu mentionnes dans tes influences une galerie rap classique des années 90, mais ensuite ça va aussi de Brel à Urban Dance Squad en passant par Weather Report. C’est le rap qui t’a mis à d’autres musiques ou depuis toujours tu as des goûts variés ?

T. : Non non, c’est pour ça que c’est mis dans cet ordre là, c’est d’abord beaucoup beaucoup de rap et après d’autres trucs aussi. Je suis vraiment arrivé à la musique par le rap. Au début disons « black music« , un peu de reggae, un peu de soul, mais dès que j’ai découvert le rap, je me suis dit : oh putain ça y est, c’est ça, c’est ça ma musique ! Avec beaucoup de rap ricain, et un côté un peu « fasciste » comme on peut l’être quand on est ado : le rap sinon rien, le rap ça déchire et le reste c’est de la merde, la pop c’est à vomir, les Béru c’est horrible… Alors que maintenant j’écoute les Béru, mais bon… Mais au départ j’étais dans le truc à 100 %, du rap sur les oreilles toute la journée.

C’est seulement au bout d’un moment que j’ai commencé à me lasser de certains trucs, qu’à certains moments je trouvais que ça tournait en rond, quand je tombais sur des trucs déjà écoutés mille fois… Là je me suis mis à écouter d’autres musiques, du reggae, du jazz… J’avais pas du tout la culture rock, la guitare électrique ça m’horripilait, il a fallu des groupes comme les Beastie Boys ou Urban Dance Squad pour que je commence à apprécier et que je finisse par écouter des trucs de punk !

C’est aussi grâce à la radio associative. J’y ai tellement traîné que j’ai rencontré des passionnés, et je me voyais plus de points communs avec un punk passionné qu’avec un rappeur qui n’y connaissait rien. Quand t’as des passionnés en face, peu importe qu’ils te mettent du punk, du blues, de la drum, de la tech, etc., t’écoutes que du bon. Donc t’as vite fait de t’ouvrir la tête et de te faire une discothèque de fou, pour finir par écouter des solos de Jimi Hendrix alors qu’au départ t’étais complètement hermétique.

A. : Sur le site de JustLike, la présentation de La Fronde fait un rapprochement avec La Rumeur et Anfalsh. Je t’avoue que j’ai pas encore écouté les disques de La Fronde, mais à l’écoute de ton album le rapprochement est très loin de venir à l’esprit. Tu penses quoi de ce petit descriptif ?

T. : Je pense que c’est parce qu’à l’époque de La Fronde, on avait des textes engagés. Et puis les journalistes vont au raccourci : Mickey avait un léger cheveu sur la langue, comme Ekoué, donc ils sont pas allés chercher plus loin. C’est aussi lié à l’époque, La Rumeur ça faisait du bruit donc voilà, c’est sûrement venu naturellement.

A part moi la Fronde réunissait Nabis, qui faisait les sons, et qui a produit trois sons sur « Vivre tue », Mickey, qui a fondé le groupe avec lui, DJ Asfalte, qui est d’Armentières et qui officie depuis presque quinze ans dans la région, et puis deux frangins avec nous sur scène, Danakill et Halfneg, pour faire les backeurs : 4 micros et 1 DJ sur scène.

A. : Et quel est l’état de la scène lilloise à l’époque (et maintenant ?). A priori on se dit que la ville a tout pour devenir une ville de rap, et pourtant…

T. : C’est ce que personne n’arrive à comprendre dans la région ! Parce que la scène rap, ici, elle existe depuis perpète. Quand j’arrive en 1996, il y avait déjà je sais pas combien de groupes, des sessions freestyle en radio, plein de MC, des mecs avec du niveau. Mais c’est vrai qu’il n’y a pas eu vraiment un groupe qui a réussi à percer nationalement, pour que toute la France se dise que dans le Nord aussi il y a du rap, alors que c’est une scène où il y a un gros public et énormément de groupes, que la population est jeune. Les gros vendeurs du rap français des années 90, ils faisaient une bonne partie de leur chiffre avec le Nord. C’est vrai que tout le monde se demandait un peu quand ça allait arriver. Alors pourquoi… Je sais pas trop.

A : C’est le passage à l’enregistrement l’obstacle principal ? Au stade de l’album ou même du maxi ? Ou un manque de featurings marquants qui peuvent mettre un artiste ou un groupe en avant ?

T. : Ouais, c’est peut-être aussi un problème de promo, de marketing. C’est peut-être là où c’était pas au niveau. Tout le monde mettait toute son énergie à la prise, mais pour le reste on était peut-être pas assez organisés. Aujourd’hui, des groupes, il y en a toujours, mais encore personne qui a réussi à percer vraiment. Il y a des mecs comme Pépite, qui a sorti un album d’un très bon niveau, l’underground le connaît, à Paris on sait qui c’est, mais le grand public pas trop. Peut-être qu’on n’est pas des très bons commerciaux dans le Nord, à mon avis il y a un peu de ça ! [rires].

Sinon j’ai toujours trouvé que la connexion province/province marchait assez bien en France, notamment dans le rap. Toulouse/Marseille, Marseille/Lille, à la limite ça fonctionne presque plus facilement que Lille/Paris, Toulouse/Paris ou Marseille/Paris. Et puis à un moment joue une forme de snobisme, le modèle à la française : il y a Paris et ses « alentours »… Donc au bout d’un moment les alentours préfèrent se parler entre eux plutôt que passer par la case Paris.

A. : Venons-en à l’album Vivre tue. Première approche, la couverture, dont on sent qu’elle a été travaillée. Comment s’est fait le choix de la pochette, avec ses différents éléments ? Et celui du titre ?

T. : Je voulais une pochette qui interpelle. Comme dans mes textes j’aime bien aborder les choses comme j’en ai envie, sans me mettre des limites ou des figures imposées, et que je pense avoir un rap un peu différent, je voulais que ça se sente dès la pochette. C’est venu naturellement parce que quand je bossais à FMR, une radio associative à Toulouse, du même réseau Férarock [Fédération des radios associatives rock] dont fait partie RCV [radio associative lilloise], c’est à cette époque que sont sortis les « Fumer tue », tous les messages sur les paquets de clopes. Nous, d’entrée de jeu, on avait sorti plein de conneries. Comme on était en pleine affaire Baudis, mon préféré c’était « Les pratiques sadomasochistes provoquent le cancer du notable » ! [rires].

J’ai repensé à ça et je trouvais que ça résumait assez bien ma philosophie de vie, ce que je disais dans l’album, et ce qui me saoulait dans l’univers ambiant, où il faudrait avoir peur de tout, être bien dans le droit chemin, ne rien choper… Et dans ce cas là, effectivement, « vivre tue »… Mais en ayant une vie terne, on risque aussi de mourir en traversant la route, au bout d’un moment faut arrêter de se foutre de notre gueule. Donc à la fois ça résumait mon coup de gueule et ça rappelait mon histoire et le délire avec des potes à l’époque de la radio. D’où l’idée du paquet de clopes, en le mettant en situation, en l’installant dans un décor avec plein de petites choses liées soit à ma vie, soit à l’univers de l’album. Les éléments reprennent un peu les morceaux de l’album, par exemple en référence à ‘La France d’après’ : voilà, la France d’après je la trouve sécuritaire et bling-bling, donc j’ai mis un CRS et une bimbo, au milieu d’autres éléments de mon univers. D’ailleurs ça va, je voulais que ça interpelle et j’ai des bons retours.

 A. : L’album est très varié dans les styles dans la forme et la construction : du sampling mais aussi des sons synthétiques, différents types de refrains… Manifestement ça diffère pas mal de l’époque de La Fronde.

T. : C’est à la fois volontaire et venu au fur et à mesure. Il faut dire que sur l’album il y a quatre producteurs différents, donc quatre sensibilités différentes ; même si moi je suis allé piocher les sons dans les univers de chacun et qu’on peut trouver un certain liant, enfin j’espère, c’est un peu le but ! Et puis c’est pas le même exercice qu’avec La Fronde, où il y a eu deux maxis (j’ai participé qu’au premier) où on « balance » comme ça cinq morceaux. Là il y a treize morceaux, sachant qu’au début je pensais en mettre quinze. Au fur et à mesure que j’écoute les maquettes, même si tel morceau tout seul j’en suis content, le même mis avant ou après tel ou tel autre morceau, on se dit : couplets/refrains ça va bien deux secondes, ou on se rend compte que ça commence toujours de la même façon… Et là on se dit qu’il va falloir varier la forme. Parce que moi, quand j’écoute un album, j’aime bien être surpris. Et c’est quand l’album prend plus ou moins forme qu’on se rend vraiment compte des manques ou des répétitions. Les derniers morceaux de l’album se font plus en réaction aux autres, au moins dans la construction.

Ça permet aussi d’écrire d’autres types de morceaux. Pour certains la forme est venue du producteur. Par exemple, pour ‘Alice au pays des friends’, c’est Xavier qui a fait le son, après on a fait quelques petits arrangements, mais la structure est restée telle quelle. C’était un son un peu délirant, moi ça faisait des semaines que j’avais envie d’écrire un truc sur myspace, ça s’y prêtait, et lui au lieu de faire seize mesures de couplets puis le refrain etc., là il avait construit des plages de trente secondes qui pouvaient servir de couplets et/ou de refrains. Au lieu de tout chambouler, j’ai écrit en fonction de ce qu’il avait fait, et forcément on se retrouve avec un truc écrit autrement, qui change un peu par rapport à quelque chose de plus basique. Pour d’autres morceaux, comme ‘T’entends la ménagerie’, c’est un texte que j’ai écrit comme ça, j’avais pas envie de refrain, c’était plus dans un esprit de performance pour rapper un long truc…

« Je me suis rendu compte aussi que mes premiers textes étaient très « bruts de décoffrage », avec un côté un peu glauque. Je voulais que l’album soit imprégné de ça, parce que c’est une partie de moi-même. »

A. : La prod’ est d’ailleurs une des meilleures de l’album, avec la variation de l’instru en cours de route, qui fait monter le truc…

T. : C’est pour aérer quand même : je voulais pas de refrain, mais fallait quand même relancer le truc pour que le morceau soit pas chiant, tout simplement ; ça remplace l’aération du refrain, mais autrement.

A. : Puisque les morceaux se construisent aussi au fur et à mesure les uns par rapport aux autres, comment tu fixes le tracklisting final de l’album ?

T. : Quatre mois avant qu’on ait à peu près tout, je me demandais déjà dans quel ordre j’allais mettre les morceaux. Des fois je galérais… Mais ‘Un cri venu des sous-sols’ c’était obligatoirement le premier. Parce que pour quelqu’un qui me connaît pas, qui m’a jamais entendu, ça fait une bonne entrée en matière.

A : Et pourquoi terminer par ‘Seul’ ?

T. : Pour deux raisons. Une raison temporelle : le morceau à la base faisait partie de « Plébiscite », une compilation du label, un truc fait avec les T-Roro en un mois et demi en 2005. C’était une manière de relancer la machine créatrice et aussi l’intérêt des gens, pour faire des concerts et tout. Et c’est un morceau qui a bien marché, sauf que ce disque, pas grand monde l’a écouté, c’est resté très underground comme souvent. Mais le morceau faisait l’unanimité, alors qu’on l’a fait sans réfléchir…

A. : C’était exactement la même version dans la compil’ ?

T. : Ouais, il y avait déjà le featuring de Persée, on a juste réarrangé des trucs parce qu’il avait été fait dans l’urgence : on a rafraîchi la basse, des petits détails. Au départ je voulais pas le mettre dans l’album solo, parce que ça faisait partie d’un autre projet. Mais les avis extérieurs me disaient que j’étais un peu con de pas vouloir le mettre, notamment pour les gens qui allaient me découvrir avec ce disque… Donc j’ai dit OK, mais alors plutôt vers la fin, pour que les gens qui connaissent déjà « rentrent » pas dans l’album avec ce morceau. Et au final, ça s’est imposé que ça devait être le dernier morceau, dans le cheminement de la pensée… ‘Roger’ venait se placer là, mais je pouvais pas finir avec ça, parce que c’est pas moi qui parle [dans le morceau, Tacite se met dans la peau d’un contremaitre, un pauvre mec, mais content de lui, NDLR], c’est moi qui rappe mais c’est un personnage qui parle, et en plus un personnage un peu « triste ». C’est la deuxième raison : il fallait que je termine sur quelque chose que je pense vraiment. Et ça bouclait bien. Pour l’ordre des morceaux, il faut se faire plaisir, et en même temps pas faire l’autiste, savoir se mettre à la place de l’auditeur, lui permettre de rentrer dans l’album. Tu peux commencer avec un morceau comme ‘Un cri venu des sous-sols’, où j’ai pas l’impression de rien dire mais où ça reste quand même assez léger comme texte, et amener les gens dans l’univers. J’allais pas commencer avec ‘Dune’ par exemple…

A. : Justement, comment tu as trouvé l’angle de ce morceau ?

T. : Déjà, c’est une référence, un film qui m’a marqué quand j’étais gamin. Là c’est venu du son, à une époque où je bossais à distance avec Nabis qui m’envoyait des sons, quand moi je posais des morceaux sur des compils. Et ce son là, bien dark, ça m’a mis un truc filmique en tête, je cherchais le texte qui pourrait coller à ça. Un soir où j’étais chez moi, je fumais un joint, je me suis dit : t’as les yeux défoncés, on dirait un Fremen ; et les premières rimes me sont venues, j’ai trouvé ça marrant. Je me disais que ce serait bien si je pouvais faire un morceau avec l’imagerie de Dune mais sans parler de Dune, en parlant de la vie mais à partir du film… A la fin du premier couplet, je me suis dit : bon, ça tient à peu près la route [rires], maintenant faut que je trouve un refrain. C’était un peu un défi, parce qu’au début je me disais que je tiendrai pas tout un morceau comme ça…

A. : Le morceau a l’air de traiter d’un thème rebattu, avec une accroche qui commence par « Mon épice c’est le THC », et en fait le texte prend une dimension plus large…

T. : Ouais, c’est l’entrée en matière, le parallèle avec le Fremen, les yeux etc., mais surtout ça parle en général de l’état de conscience différent qu’amène la fumette, mais ça peut être autre chose : « ton épice quelle qu’elle soit« , que ce soit l’adrénaline, l’alcool, l’amour, tout ce qui te met dans un état un peu second, ou qui te permet de prendre conscience de choses essentielles auxquelles on prend pas forcément le temps de faire attention.

Je me suis rendu compte aussi que mes premiers textes étaient très « bruts de décoffrage » dans leur manière de dire les choses, avec un côté un peu glauque. Je voulais que l’album soit imprégné de ça, parce que c’est une partie de moi-même, mais aussi trouver l’équilibre pour que ça devienne pas indigeste, qu’il y ait du rythme, qu’on se laisse emporter sur des sons différents. Il fallait qu’à la fin, quand l’album s’arrête, on se dise : ah ouais déjà ? Que ça passe tout seul… Parce que moi je l’ai ressenti en tant qu’auditeur, la musique c’est ma passion depuis que j’ai douze ans, certains albums j’ai pu les écouter cinq cents fois, donc à la fin j’étais sensible aux petits sons, à un son qu’on n’entend qu’une seule fois sur l’album mais qui finit un morceau, ou qui est entre deux morceaux… Bref, un album où plus on l’écoute, plus on découvre des petits machins, et en même temps plus on se rend compte que ça fait un tout. Surtout à l’ère de iTunes où les gens ont tendance à acheter les deux singles et après on s’en branle… C’est aussi parce que j’étais attaché à ça que dans le disque il y a les paroles. Je voulais un bel objet : il y a un graphiste qui a bossé, le livret c’est une décomposition de l’univers de l’album, et si on se demande ce que je dis, pas besoin d’avoir une connexion Internet, il y a qu’à lire le livret.

A. : Dans l’album il y a des extraits de films dans certains morceaux, et aussi la participation de Polemix & La Voix off , comment s’est passée la rencontre ?

T. : Ça fait quinze ans que je fais de la radio associative, quand j’ai été salarié il y a eu des fois où je faisais une émission quasiment tous les jours, et c’est une pratique que j’aime bien, utiliser des voix pour détourner des trucs, ou simplement faire de l’habillage radio, pas être obligé de prendre le micro, pouvoir dire des choses sans ouvrir la bouche. C’est quelque chose que j’aime bien dans le rap aussi, qu’on entendait fréquemment dans le rap des années 90. Je voulais qu’il y ait un ou deux morceaux dans cet esprit là. Polemix & La Voix off, j’utilisais beaucoup ce qu’ils faisaient dans mes émissions. On les a rencontrés à Tours, quand avec les T-Roro on a joué pour les vingt ans de Radio Béton. Quand j’ai commencé à écrire ‘La France d’après’, trois jours après l’élection de Sarkozy, je me demandais ce que je pouvais mettre comme refrain, et je me suis dit que ce serait marrant, donc quand j’ai maquetté le morceau je leur ai envoyé pour savoir si ça les bottait que je reprenne des choses à eux tout en les bidouillant à ma sauce. Ça leur allait donc pas de problème. C’était un hommage à eux et aussi au monde de la radio associative, à mon parcours un peu atypique lié à ça. Et aussi à la gratuité du geste de plein de gars. Combien de gars font de la musique, des détournements, mais gagnent rien avec ça, le font juste parce qu’ils en ont envie, pour se sentir vivant, par passion ? C’était une manière de leur rendre hommage aussi.

A : Tu peux présenter les différents producteurs qui t’accompagnent sur l’album ?

T. : D’abord Nabis à la prod’, que je connais depuis plus de vingt ans maintenant : en fait, au départ, on devait faire l’album à deux, une formule un rappeur/un producteur. Mais pour raisons professionnelles il a plus eu le temps, donc le projet s’est retrouvé au point mort. Moi je voulais pas lâcher donc je suis allé chercher d’autres gens, et finalement c’est pas plus mal, au sens où on aurait peut-être trop fait un album de potes nostalgiques du rap de 1992, sans se rendre compte qu’on faisait de la redite, peut-être… Comme ça en tout cas l’album est plus riche. Ensuite X-Clam a fait d’autres sons et on a enregistré l’album ensemble. J’avais déjà posé sur des sons à lui sur Plébiscite. Il y a Fianso que je connais depuis longtemps, qui a été super actif sur la scène hip-hop, un vrai passionné. On était pas forcément d’accord sur tout artistiquement mais c’est un vrai mec droit, sans faux-semblants, que je respectais dans la démarche, qui sait ce que c’est que le geste gratuit et la musique pour la musique. Là j’ai bloqué sur l’instru de ‘Même flamme même feu’, où j’ai demandé à D-Lud, une chanteuse de Lille, de participer. Le quatrième producteur c’est Edwood, un compositeur de Roubaix très personnel dans la démarche, d’ailleurs selon l’inspiration il change de pseudo. C’est un bidouilleur, sans autocensure : des fois il sort des sons che-lous, tu te dis que tu pourras rien faire avec ça ! [rires]. Et des fois ça tombe pile et en plus t’as jamais entendu un truc qui sonne comme ça. On se connaissait à peine, mais on a vite vu qu’on était sur la même longueur d’ondes.

A. : On trouve dans l’album de bonnes phases de scratches sur plusieurs morceaux. Dans ‘T’entends la ménagerie’ par exemple, il y a un clin d’œil à ‘Back to the grill again’. C’est une tradition qui se perd. Là ça vient seulement des producteurs ou de toi aussi ?

T. : Ah ouais, de moi aussi, il fallait qu’il y ait du scratch. Pas dans tous les morceaux, parce que je voulais pas non plus que ça devienne systématique, mais évidemment il fallait du scratch, et puis pas seulement un scratch au refrain mais des moments où on entend un DJ se lâcher. Ça me paraissait indispensable. Le premier album, c’est une manière aussi de donner une définition du rap, comment on voit le hip-hop, donc forcément… Je savais à peu près sur quels morceaux il fallait des scratches, sur ‘T’entends la ménagerie’ je voulais le passage de MC Serch et d’autres références américaines, mais après je laissais les DJ scratcher ce qu’ils voulaient. Si parfois je trouvais que la phrase choisie collait mal au texte, je demandais à changer, c’est tout.

Après, la disparition progressive, je sais pas trop pourquoi. Les rappeurs plus récents sont peut-être moins habitués, ont moins envie de voir un DJ. En tout cas je suis sûr que le contraire est vrai. Beaucoup de DJ m’ont dit qu’ils en avaient ras-le-bol de bosser avec des rappeurs. C’est des passionnés de musique, ils ont pas envie de perdre leur temps, alors bosser avec des groupes un peu branleurs qui les font poireauter des heures pour poser trois scratches, au bout d’un moment ils s’y retrouvaient plus quoi !

A. : Parmi les thèmes récurrents, on trouve notamment la solitude/la solidarité, le conformisme/l’originalité, avec des morceaux à thèmes mais aussi des thèmes distribués sur plusieurs morceaux… Comment se déroule le processus de l’écriture ? On se doute que c’est un peu improvisé, mais un peu prémédité aussi…

T. : Ben pas vraiment en fait. A part quelques morceaux, où je suis parti direct, la plupart du temps c’est plutôt viscéral, ça part comme pour ‘Dune’, sur les trois premières phrases, parce que ça me fait du bien ou que j’ai envie de parler de ça à ce moment-là. Mais à ce moment-là le refrain j’en sais rien, est-ce que ça fera un morceau non plus, faut trouver un deuxième couplet, parfois ça marche, parfois non… Le puzzle se fait une fois que tu as toutes les pièces : c’est après coup que me suis rendu compte qu’il y avait des thèmes récurrents, et que j’ai tenté de rééquilibrer sur la fin.

A. Pour ‘Roger’, par exemple, comment l’idée t’est venue ?

T. : C’était la volonté de… J’en avais marre de dire « je« . C’est souvent dans le rap, et je me rends compte que moi aussi j’ai ce… j’allais dire ce « travers« , non, mais disons cette démarche du « je« . C’est une manière de s’engager, ça vient de là je pense, « moi je fais ci, moi je pense ça« … Contrairement aux trois quarts des textes des autres musiques où c’est « on », « il » ou bien « je » mais à travers un personnage autre que l’auteur lui-même. Dans la chanson il y a souvent ça chez Brel par exemple, il se met dans la peau d’un personnage, il le fait trop bien, et par le texte et par l’interprétation les mots prennent un poids monumental. Comme j’avais envie d’essayer d’écrire autrement, le morceau est venu comme ça : ça te permet d’employer d’autres mots, de trouver d’autres rimes. Tu peux te le permettre parce que c’est quelqu’un d’autre qui parle. Moi je me prends quand même pas mal la tête sur ce que je dis, j’essaie de coller au mieux à ce que je pense et à ce que je suis… Et d’ailleurs écrire des textes ça m’a permis d’affiner mes raisonnements. Au fur et à mesure, tu réalises que tu te contredis par exemple, donc t’es obligé de te demander ce que tu penses vraiment. Ou il y a des trucs que je raye parce que je fais un raccourci qui me va pas, je cherche autre chose. Et en fait une fois trouvé cet angle, c’est presque plus facile à écrire, il y a moins d’autocensure qu’avec le « je ».

A. : Est-ce qu’il y a des morceaux que tu as écartés pour des raisons d’écriture, parce que tu voulais traiter un thème mais que tu trouvais que textuellement, c’était pas à la hauteur ?

T. : Ouais, il y a un morceau qui a dégagé alors qu’au niveau de la forme je l’aimais bien, ça mettait autre chose au niveau du son, un truc assez entraînant. Mais en fait je me suis aperçu que les deux tiers des gens comprenaient l’inverse de ce que je voulais dire. Or ça traitait du SIDA et tout… C’était un texte que j’avais écrit comme ça, en coup de vent, en sortant d’un énième test HIV. [Il rappe le début ] « Encore un matin où je sors de l’hosto / car du genre crétin un peu costaud / j’ai encore déconné… », je racontais comment c’est débile de baiser sans capote, mais qu’en même temps on n’est que de pauvres humains et que ça sert à rien de nous faire la morale. Une manière de dire : vous faites chier avec votre morale. Ce que je disais dans le morceau, c’était : OK c’est pas bien, mais on fait tous des conneries, sauf que la plupart des gens avaient l’impression que je faisais l’apologie du fait de baiser sans capote alors que c’était pas du tout ça. Si le son était un peu joyeux, c’était aussi parce que je me foutais de moi, du fait que je faisais toujours les mêmes erreurs, dans un état alcoolique plus qu’avancé… Il y avait un ton un peu léger ou ironique, mais ça a été mal interprété, bref ça a raté, c’est pas grave.

A : Et un morceau humoristique comme ‘La chanson déprimée’ ?

T : Lui pour le coup il est venu d’une traite. C’est un peu comme ‘Alice…’ quand j’ai découvert les réseaux sociaux et que je comprenais pas trop, les « amis » etc., jusqu’à ce que je me dise que myspace c’était juste une vitrine et qu’il fallait en jouer et puis c’est tout. Pour ‘La chanson déprimée’, c’était : moi et mes 35 balais, la passion de la musique, les disques, la quête du disque, or avec Internet maintenant c’est un tel raz-de-marée que t’as pas assez de 24h pour écouter tout ce que tu pourrais écouter. Je me disais : le disque c’est trop dead, la musique on nous en propose tellement qu’on est noyés dans la masse… Quand j’ai entendu le son, ça m’est venu : si je me mettais à la place d’une chanson déprimée sur IPod ? J’ai trouvé les premières rimes sans prise de tête. Au départ c’était sur un autre son mais on a changé, par rapport au reste de l’album justement, X-Clam a trouvé la bonne boucle. Ce qui fait que j’ai essayé après de faire un « vrai » morceau vu que c’était court. Et puis en fait je perdais tout le naturel du truc : il fallait justement qu’il n’y ait pas de refrain, fallait que ça s’arrête comme ça avait commencé. Là encore, ça te permet de dire les choses autrement, de façon plus légère que directement à la première personne. Tu sais bien ce que ça vaut, que ce que tu mets dans la musique c’est une goutte d’eau dans l’océan, si tu continues à en faire c’est juste que ça te fait du bien.

A : Sur ‘Hip-Hop Dialecte’ il y a en featuring un rappeur italien, comment s’est faite la connexion ?

T. : Un week-end sur Paris, Nabis et moi on est allés voir un de ses potes dans une boîte qui fait des courts-métrages, et il y avait un Italien, un Sarde, en stage, qui faisait du rap en même temps que des études vidéo. On a discuté, sachant que nous on venait de sortir Plébiscite, et que ‘Seul’, qui plaisait à plein de gens, quand on l’a fait écouter à Paris, en gros on nous a dit que c’était bien, mais que c’est ce qui se faisait il y a dix ans. Ouais, d’accord… Pour Giocca, c’était un peu la même : c’est un passionné et il a un putain de niveau, mais comme il a un flow old school et il est pas dans la hype… donc il était un peu vexé. Alors on lui a dit : allez viens on s’en branle, t’as qu’à venir à Lille, tu verras les Lillois c’est pas des Parisiens, ils sont tranquilles ! [rires] Donc un week-end il est venu, on lui avait envoyé une instru avant, avec un truc à l’ancienne, on s’y est mis. Et puis il s’est mis à faire un truc à la Grandmaster Flash, mais avec un accent italien à couper au couteau grave, ça nous a fait taper des barres, donc à l’enregistrement on lui a demandé de refaire un truc dans le même délire, c’est pour ça que ça sonne un peu comme un hymne à la old school. C’est vraiment le genre de morceau qui se fait « comme ça« . Et comme c’est un truc sur la passion au-delà des langues, on a demandé à sa copine qui a vécu aux États-Unis de compléter vu son accent ricain impeccable, et voilà.

Du coup pendant l’été il nous a organisé une mini-tournée, on a fait quatre dates en Sardaigne, c’était super, merci Ryan Air ! On a reçu un accueil de fou. Parce que là-bas, pour eux le rap français c’est les champions avec le rap américain, ils trouvent qu’on défonce. Alors que moi quand je les entends rapper, je trouve qu’ils déchirent, c’est l’italien, ça donne une facilité entre le rap et le chant, c’est moins « droit » qu’en français. On s’est retrouvé dans des petits clubs à Sassari avec 80 italiens au taquet, dans certains bars il y avait même pas de scène donc on finissait au milieu des mecs collés à nous ! J’avais l’image des insulaires un peu renfermés, mais en fait non, les gars qui ont entre 18 et 35 ans l’été ils sont là, mais l’hiver ils vont bosser ailleurs, à Liège, à Barcelone, à Paris, à Berlin… Au final des mecs excellents, super ouverts au monde, un super séjour.

A. : Avant ça, ça t’arrivait d’écouter du rap ni en anglais ni en français ?

T. : Un petit peu. Au tout début des années 90 c’était un peu dur, au niveau du flow c’était just et pareil pour les enregistrements, mais ensuite il y a eu des mecs comme Torch [rappeur et producteur allemand parmi les fondateur du rap en Allemagne, adoubé par Afrika Bambaataa himself, NDLR], ça rigole pas. Ça m’a toujours intéressé. A un moment, j’avais même bloqué sur du rap inuit ! Je passais ça à la radio, je sais plus comment s’appelait le groupe, mais c’était pas mal du tout, ça faisait vraiment des sonorités autres. Au niveau du flow ça permet d’aller chercheur autre chose. Parce que souvent, t’es tellement bluffé par les Ricains, dans le rap… voilà quoi. Surtout si comme moi tu te prends la tête sur ce que tu veux dire et quand tu fais un truc un peu creux – même si ça fait partie du rap des morceaux où on joue simplement avec les mots sans chercher forcément à être profond. C’est vrai que j’ai plus de mal à faire ça. Je me sens obligé d’aller chercher un truc, du sens… Alors que les Ricains, pour certains on a l’impression qu’ils rappent dès qu’ils parlent, il y a un rythme dans la langue. C’est moins évident en français, c’est pour ça que j’aime bien écouter ce que donnent les autres langues pour savoir ce qu’ils arrivent à trouver.

« J’accorde beaucoup d’importance à tenter de mettre ma pensée, mes paroles et mes actes en adéquation et c’est pour moi une forme d’engagement. »

A. : À propos du « sens », tu a évoqué tout à l’heure les textes « engagés » de l’époque de La Fronde, mais une interview récente, tu disais que tu ne te considérais pas comme un « rappeur engagé ». En même temps, plusieurs de tes textes ont une dimension politique (au sens large), et la bio de la promo te présente, parmi d’autres identités, comme « diplômé en sciences politiques ». On aurait pu s’attendre à ce que tu assumes plus frontalement cet aspect. Il y a une connotation dans le mot « engagé » qui te dérange ? Même chose pour l’expression de « rap conscient » qui s’est imposée ?

T. : C’est vrai que le terme d’artiste engagé me dérange un peu, parce que c’est galvaudé comme terme. Pour moi, s’engager c’est avant tout s’investir dans des actions concrètes sur le terrain, pas juste écrire des textes, même s’ils ont une dimension sociale. Combien d’artistes vivent dans une opulence qui les déconnecte de la réalité alors que les journalistes les définissent comme engagés ? C’est pour ça que j’ai du mal à me définir comme ça. Je ne suis pas un militant au sens strict du terme, même si je m’investis beaucoup dans le milieu des radios associatives. En même temps j’accorde beaucoup d’importance à tenter de mettre ma pensée, mes paroles et mes actes en adéquation et c’est pour moi une forme d’engagement. Quand j’écris un texte je ne triche pas, je dis ce que je suis et ce que je pense. Alors le choix du terme est difficile, à part artiste engagé on peut dire quoi ? Artiste responsable ? [rires] Je ne sais pas trop. Moi j’ai tendance à dire que je fais du rap sensé, sensible et sincère.

Pour ce qui est du « rap conscient » c’est pareil, le terme est utilisé pour décrire un MC avec des textes responsables qui ne fait pas l’acteur au micro en faisant l’apologie de l’argent facile et de la violence… mais au final, est ce qu’il existe du rap « inconscient » ? Je ne crois pas. Du rap de clowns peut-être, ou du rap de droite comme dirait IAM…

A. : Quelles sont tes activités à la radio, en ce moment ?

T. : En ce moment je suis bénévole sur RCV . Je fais une émission tous les vendredis qui s’appelle « What’s up ». Il y a une émission tous les jours, mais faite par un animateur différent. Le principe c’est de rendre compte des nouveautés, des disques, mais aussi des concerts dans la région. Comme je veux pas être esclave des nouveautés, je me permets de glisser quelques vieilleries qui collent avec les morceaux neufs, de ressortir des trucs du placard que personne connaît ou pas entendus depuis longtemps. Je passe de tout : du rock, du punk, du métal, du trip-hop, de la drum n’bass, du hip-hop… C’est le principe, de ne pas faire une émission spé. C’est entre 18h et 19h30, les gens sont dans leurs bagnoles, rentrent du taf, c’est le bon moment. J’en ai fait beaucoup des émissions purement hip-hop, où je recevais les groupes, avec des freestyles etc., j’avais plus envie de ça. J’aime bien sortir le rap du « ghetto » des émissions spé, en essayant d’être pointu sur les autres genres, pour faire découvrir des trucs et mettre le rap dans une prog’ générale. Tout le monde peut écouter de tout. Il suffit de donner envie.

A. : En 2009 tu as fait une grande scène en première partie d’Assassin, qu’est-ce que tu en as retiré ?

T. : Un grand kif, c’est clair. C’est pas tous les jours que tu joues dans une salle complète, là le Grand Mix était blindé, avec des gens qui sont a priori susceptibles d’être sensibles à ton univers, et ça a pas loupé, j’ai même été surpris : même les morceaux plus calmes ça a bien marché, ça braillait au taquet. C’était aussi le premier concert que je faisais avec la nouvelle formation : batterie, basse, guitare, DJ Asfalte et Persée de T-Roro qui fait backeur et MC sur les morceaux en commun. Ça amène autre chose visuellement et dans l’intensité, et ça a super bien fonctionné.

A. : Des projets d’enregistrement en studio avec cette formation ?

T. : Non, la suite c’est plusieurs résidences à partir du mois de mars : à l’ARA [Autour des Rythmes Actuels], dans une boîte en Belgique (mais on n’est pas encore sûrs de laquelle), et aussi à la Maison Folie de Wazemmes [quartier populaire de Lille] au mois d’avril. Ça risque d’être assez court mais c’est pas grave, on n’y va pas pour bosser les morceaux, mais pour utiliser la scène, l’éclairage, régler le son, et faire des concerts de fin de résidence. Le but c’est d’enregistrer, en pistes séparées, ces concerts là. Le prochain projet c’est pas un deuxième album, plutôt un enregistrement live, avec des morceaux de l’album mais différents, parce que réinterprétés, ou les mêmes textes mais avec une instru qui n’a rien à voir, ou des nouveaux textes, etc. C’est long à faire un album, alors pourquoi pas se faire plaisir ?

En plus on a signé avec Believe, donc on sera sur itunes, Deezer et compagnie. A l’heure de l’apéro chez les gens maintenant, ils sont tous sur Deezer, si tu veux exister, t’as intérêt à y être. Pour prospecter pour les live aussi, les instruments c’est une force, parce que ça intéresse plus que le rap « normal » vu que pas mal de programmateurs ne connaissent pas grand-chose au hip-hop, mais comme on leur parle en général de manière abstraite de ce qu’on veut faire, donc autant avoir un enregistrement de ce qu’on fait sur scène. Et puis évidemment c’est une envie personnelle, je veux voir comment ça sonne en concert, pas seulement en sortie de console où tu peux pas te faire une idée : c’est le réglage de la salle, donc au niveau de la voix t’as l’impression de rapper dans tes chiottes, si tu fais écouter ça faut faire abstraction des conditions, donc ça suffit pas.

A : Pour revenir à ton émission, il y a des nouveautés qui t’ont marqué dernièrement ?

T. : Pas mal de trucs… [Il réfléchit] Les Crown City Rockers, que je connaissais pas, j’ai juste entendu un maxi mais il y a un morceau, ‘Astroshocks’, que je trouve vraiment excellent. Du rap avec des instruments joués, avec un feeling que j’adore, ça reste smooth et en même temps ça rentre dans le tas. Le dernier album que je kiffe c’est BlackRoc, les Black Keys avec plein de rappeurs, Q-Tip, Mos Def, RZA, Pharoahe Monch, Ludacris, et même des vieilles pistes de ODB pour mettre dessus [rires]. Le projet est énorme, dans le genre fusion rock-rap. Dans le genre il y a aussi le projet Binary Audio Misfits, réunion de deux groupes, Experience, un groupe de Toulouse, groupe de rock toujours inspiré par le rap (ils avaient fait un album de reprises fusion de NTM, P.E., etc.), et de The Word Association, un groupe de rappeurs texans. Ils avaient sortis un maxi et maintenant un album, c’est assez barré. Un côté rap bien électro avec de la guitare, des voix en ricain et en français, c’est assez che-lou, j’aime bien. Et puis il y a le dernier Mos Def, qui est pas mal.

Le rap français j’en écoute, mais… pas trop en fait. Je trouve pas souvent la came que je kiffe, et rarement les textes qui m’intéressent, même si au niveau de la forme il y a des trucs qui peuvent envoyer. C’est du français, je comprends un peu trop bien [rires]. Il y a plein de rappeurs ricains, j’aurais un meilleur niveau je pourrais pas les écouter, mais bon je kiffe le… [il claque des doigts]… la façon de poser, l’instru. NWA, quand tu comprends t’écoutes pas, enfin tu comprends en gros mais ça peut te passer au-dessus. Il y a des mecs que j’adore, comme Rocé qui est une des plus belles plumes du rap français, il y a pas à chier, ou des morceaux de Kery qui sont énormes. Mais c’est vrai que j’en écoute pas beaucoup. C’est aussi une manière de pas trop se laisser influencer, de laisser fonctionner son propre imaginaire. Des fois ça joue des tours, tu te rends pas compte que t’as repris deux rimes de machin, même sorties de leur contexte, t’enregistres ton morceau, et puis quand tu le réécoutes, tu te dis : oh putain, merde ! Et là t’es vert, parce que t’es bon pour changer ton texte et réenregistrer ta prise.

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