Sur la planche de Beniblanc
En sortant Selfie Mobile puis Selfie Center ces derniers mois, Beniblanc a offert deux EPs très plaisants, transposant un vécu intense en musique délicate. Retour sur vingt ans de carrière et un renouveau salvateur.
Avoir un nom de scène est presque systématique lorsque l’on est rappeur, rares sont ceux à choisir de conserver leur identité civile lorsqu’ils entrent en studio et montent sur scène. Mais qu’est-ce qu’un nom d’artiste ? S’agit-il d’une extension de soi ? Est-ce au contraire un alter ego, dont on assume que partiellement les agissements et propos ? Il y a matière à réflexion, le sujet est vaste et mérite probablement une analyse au long court. Et pourquoi arrive-t-il à certains de muer en cours de carrière ? Abandonner un nom, en choisir un nouveau est un acte significatif, mais quel sens doit-on lui donner ?
Dès les premières lignes de cet entretien, Beniblanc, qui pendant longtemps était Mr White, donne les motivations de sa propre décision. Actif (plus ou moins selon les périodes) depuis une vingtaine d’années, le Genevois a entamé un cycle nouveau dans sa carrière avec l’EP Selfie Mobile en 2019. Remotivé, plus en phase avec lui-même, il a décidé de laisser son nom de scène derrière lui, comme un vieux démon. Pour autant, jeter un coup d’œil dans le rétroviseur est toujours instructif pour mieux saisir sur quoi repose sa musique actuelle. Sa parole étant plutôt rare, il fallait saisir l’opportunité d’échanger avec cette figure de Marekage Streetz, en complément de nos interview de Mr Bil et A’s, ses compères d’alors. Il est revenu sur son parcours en dents-de-scie, sa quête d’équilibre, ses choix de vie. Pudiquement mais sincèrement, le rappeur donne non sans rire des clés de compréhension quant à sa carrière, et surtout confirme ce que laissent deviner ses dernières sorties : si Mr White est tombé de la planche, Beniblanc est remonté dessus, en osmose avec la vague.
Abcdrduson : Tu viens de sortir ton deuxième EP sous le nom de Beniblanc, avant ça ton nom de scène était Mr White. Pourquoi ce changement ?
Beniblanc : Je n’ai pas été productif pendant longtemps, je n’ai pas fait grand-chose, et je voulais un renouveau après ça. En un sens aussi, je voulais voir si ce que je faisais aurait du succès en le faisant sous un autre nom. L’idée de ce changement, c’était de repartir à zéro.
A : Qu’est-ce qui explique ces années creuses ?
B : Le taff, les baisses de motivation, l’absence de structure… Je dirais que de n’avoir aucune structure pour enregistrer et sortir du son explique mon absence. Rien ne m’amenait à faire des projets propres finalement.
A : Et qu’est-ce qui t’a remotivé en 2019 ?
B : Bobby m’a mis en contact avec les gars de Nightscale, ça a été le déclic. Quand j’ai entendu les mixes qu’ils faisaient, j’ai été motivé, je kiffais leur travail et ça correspondait à ce que je voulais en matière de son. Avant, je n’étais jamais satisfait, vraiment jamais. C’était un tout, ça me demandait un investissement énorme ne serait-ce que d’avoir un titre bien mixé. Il fallait courir après les gens sans arrêt. Donc avoir la structure de Bobby (Milfranc Suisse, NDLR) a été motivant parce que les sons sortaient propres et sortaient vite.
A : Revenons à tes tout début. Ton ancien nom de scène Mr White date du collectif Paintball auquel tu appartenais, quels sont tes souvenirs de l’époque ?
B : Je n’en garde que des bons souvenirs en tout cas. Mr Green rappait fort ! C’est grâce à lui que j’ai eu envie de rapper, il m’a un peu mis le pied à l’étrier. Il rappait tellement bien, c’était super motivant. Puis il y avait Mr Blue aussi, avec qui j’allais à droite à gauche, on partait à travers la Suisse enregistrer du son… C’était vraiment cool ! Après mes souvenirs quant à la formation du collectif sont flous, ça remonte. Blue avait fait une mixtape et avait formé le groupe avec Green à ce moment-là, au début ils étaient qu’eux deux puis Blue m’emmenant toujours en studio avec lui, à force de traîner ensemble je me suis greffé au groupe. Ça s’est fait sur le tard.
A : Avant de fréquenter les studios, tu rappais dehors ou pas du tout ?
B : J’ai rappé assez jeune, à partir de quatorze, quinze ans. Enfin je “rappouillais” ! Après je n’ai pas été vachement actif durant toutes ces années depuis l’époque. Je n’ai pas toujours été à fond, il y a eu des période d’une ou deux années de suite pendant lesquelles je n’ai même pas fait un seul morceau. Par contre les temps durant lesquels je n’ai pas fait de son du tout sont rares, parce que je faisais quand même des instrus. Ce qui ne veut pas dire que ça sortait, tout n’aboutissait pas.
A : Encore avant ça, avant de rapper, tu écoutais beaucoup de son ?
B : Oui, j’écoutais pas mal de musique ! Gamin, j’écoutais beaucoup de rap francophone : La Haine, L432, toutes ces compiles-là… Hostile Hip Hop ! J’achetais vachement les Groove aussi, il y avait des putains de CDs avec parfois des exclus. D’ailleurs je cherche encore un son du 113 que j’avais trouvé dessus, une version de “Ouais gros” sortie avant l’album et un peu différente. J’avais préféré la version du Groove, je ne l’ai jamais retrouvée ! Je me souviens quand l’album était sorti j’étais content “Ouah, il y a le son du Groove !” et en fait ils l’avaient réenregistré, ils avaient ajouté des backs et l’instru était un peu plus électronique. J’avais moins aimé que la première version.
A : Jamais entendu, on va essayer de remettre la main là-dessus !
B : Ah ouais ! “Camille Groult star et l’équipe, ouais gros, pas d’indic…” Bah justement, dans la version de base il n’y a pas “ouais gros” à ce moment, ça fait “Camille Groult star et l’équipe, pas d’indic, pas d’indic, didic, didic, qui carbure au shit!” Ils ont ajouté le “ouais gros” dans la deuxième version, pour l’anecdote ! (Après recherche, il s’agit du morceau « Camille Groult Starr » sur le maxi Espion de DJ Mehdi, NDLR)
« Des gens voient la vie comme un sprint, d’autres comme une course de fond, moi je la vois comme une balade. »
A : Tu disais avoir commencé à rapper assez tôt, comment est-ce que c’est venu ?
B : Je crois qu’un jour, puisque j’écoutais du rap depuis un moment, je me suis juste dit “je vais écrire, moi aussi j’ai envie de faire ça.”
A : C’est donc plutôt l’écriture qui t’attirait, tu avais des aptitudes scolaires pour ça, les rédactions par exemple ?
B : Ouais, j’étais pas mauvais à ce niveau là, j’avais pas mal d’imagination je crois. Après, au tout début, quand j’ai voulu me mettre à rapper, je crois que c’est un grand qui m’a écrit mes premiers trucs pour que je capte les mesures. Enfin je ne crois pas d’ailleurs, j’en suis sûr ! Il m’avait écrit quatre-vingt pourcent du truc, pour m’aider à comprendre le fonctionnement, c’était Paul Position, le cousin d’A’s !
A : C’était comment pour toi le rap à Genève au début des années 2000 ?
B : La plus grande différence qu’il y a entre l’époque et maintenant, c’est qu’il fallait vraiment être validé en rappant. Il ne suffisait pas de sortir un son, mais bien de rapper physiquement, devant les gens ! Quand tu faisais ça, tu pouvais être validé. En un sens il fallait avoir le bagout pour montrer ton premier truc devant quinze mecs que tu ne connaissais pas forcément. C’était des bails un peu plus pressionnant que d’enregistrer un morceau dans sa chambre et d’appuyer sur upload. Mais après, je ne dis pas du tout ça en dénigrant le fonctionnement d’aujourd’hui, j’aime ce qui se fait et carrément j’aurais aimé ne pas avoir besoin de passer par tout ça ! [Rires]
A : Tu évoquais le 113 et les compiles à l’ancienne, il y a une influence que je crois entendre dans ce que tu faisais au début : Néochrome. C’est une école que tu écoutais ?
B : Ah ouais ! Moi j’écoutais Salif de ouf ! Je pense qu’à un moment j’étais imprégné de sa musique. Je réécoute des trucs que j’ai fait à l’époque, je me dis “ah ouais, ça se voit que j‘écoutais Salif !” Ça me laisse penser que lorsque tu fais du rap en français, il vaut mieux ne pas trop en écouter, parce que tu peux reproduire des trucs même sans le vouloir, inconsciemment tu reprends des intonations, des choses comme ça. Tu es imprégné, et moi j’écoutais énormément Salif. Il était beaucoup trop chaud !
A : Puisque nous sommes sur tes influences, il faut forcément évoquer Max ! Max B, tu l’as beaucoup écouté, non ?
B : Oui je l’ai pas mal écouté ! Ce que je trouve hyper cool avec Max, c’est que c’est une éponge new-yorkaise, dans ses sons il y a tellement d’influences que pour moi je n’ai pas besoin d’écouter tout ce qui se fait, j’ai juste à l’écouter lui ! [Rires] Et il y a un truc que je surkiffe chez lui, au delà de son flow c’est son débit. Il a un débit qui lui est propre. Ce que j’aime bien aussi, ce sont ses imperfections, elles font sa personne, ce n’est pas de la musique trop léchée, c’est un produit brut. Ce côté-là de sa musique me rappelle certains trucs qu’on a pu faire avec Marekage Streetz, une vibe pure.
A : Comme si une authenticité naissait des imperfections ?
B : Exactement ! Et enfin, j’aime bien le fait qu’on ne soit finalement pas énormément à apprécier ce qu’il fait. Finalement, j’aime encore plus ce qu’il fait à cause de ça. C’est vraiment un cercle vicieux Max.
A : Tu as posé à quelques reprises sur des beats d’Araab Muzik, c’est une autre de tes inspirations ?
B : Ouais, ce sont des trucs qui à l’époque me parlaient à fond ! Enfin, ça me parle toujours d’ailleurs. C’est hyper simpliste. Je pense que c’est Mr Bil qui m’avait mis à propos de ça ! Il y avait des boucles bien faciles, des batteries qui tapaient fort, et des BPM qui me parlaient.
A : D’ailleurs tu as commencé à composer en même temps que tu t’es mis au rap ?
B : Non c’est venu plus tard, je devais avoir vingt deux ou vingt trois ans. J’en avais ras le bol de courir après des gens… Souvent en studio, quand les gars faisaient des instrus j’avais envie d’aller vers le piano, ça me donnait des idées. J’ai appris en autodidacte on peut dire, enfin j’ai quand même été aidé par plein de personnes autour de moi qui m’ont donné des clés.
A : Donc les prods signées Beni Blanco c’était les tiennes en fait ?
B : Ouais ! Enfin il n’y en a pas deux-cent mille ! [Rires]
« Avec les années je deviens un peu perso, je fais les trucs à ma guise et je m’en tape un peu du reste. »
A : Aussi bien à l’écoute de ta discographie qu’en discutant avec ton entourage, j’ai l’impression que le rap t’a toujours interessé, mais en même temps que tu ne l’as pratiqué qu’en dilettante. Est-ce juste ?
B : Tout à fait. C’est à la fois une question de possibilités et de ce que ça t’apporte directement… Que ce soit financièrement, ou au niveau du temps investi sur ça. J’ai assez vite vu que le retour se limitait à des félicitations, un peu de reconnaissance mais pas plus que ça. Il y avait aussi le problème de la recherche d’instrus, et les tendances qui ont avancé très vite. Je viens des cassettes tu sais, et j’ai à peine eu le temps de me dire “je dois sortir un cd” qu’on était passé au mp3 ! [Rires] À chaque fois que je me mets à la page sur un truc on me dit “mais mec, c’est plus ça !” C’est pour ça qu’il fallait que je m’entoure. Il y a eu un moment pendant lequel je m’étais dit que j’allais tout faire seul, mais tu perds un temps monstrueux….Voilà, il y a plein de trucs pour expliquer le pourquoi de la dilettante. Il y aussi eu des monstres pannes d’écriture, sur des années ! Quand je travaillais en supermarché, je n’avais rien envie de raconter. Tout est une question de dynamique, quand je bosse sur un projet, j’ai besoin d’échanger en ping-pong avec des gens, d’être rassuré sur la direction dans laquelle je vais, puis si je n’ai pas ça, je n’avance pas. Depuis le premier EP Selfie, j’ai une méthodologie de travail qui me plaît, et une dynamique qui s’est installée dans laquelle je me sens libre. Je fais mes projets sans prétention, pour mes potes.
A : Mr Bil nous avait dit avoir ressenti une trop grande exposition après Comme un poizon dans le Rhône, partages-tu cette sensation ?
B :Franchement, pas forcément. Bil a eu beaucoup, beaucoup de flash sur lui. Il en a eu plus que moi je pense, et ce n’est pas quelque chose que j’ai ressenti. Il y a eu une attente sur nous, et ça j’a trouvé ça cool. Les gens demandaient “c’est quand qu’il y a ci ou ça ?”
A : Sur cet album, tes passages sont assez sombres… Tu revenais de loin non ?
B :[Rires] Ma vie c’est vraiment en dents-de-scie : j’ai des périodes très sombres et après des périodes très bien. Ce n’est jamais l’entre-deux. Avant Comme un poizon dans le Rhône, laisse tomber… Ma vie c’était énormément d’alcool, quelque chose de violent, c’était fou.
A : On le perçoit dans ta musique.
B : Quand je posais à l’époque, j’avais besoin de pousser ma voix au maximum. Les émotions doivent être transmises par ça je pense aussi.
A : L’album est présenté comme un gros classique de la scène genevoise, comment le vois-tu un peu plus de dix ans après ?
B : C’est un beau projet franchement. Je l’ai réécouté et je suis fier de ce truc. On m’en parle souvent, d’ailleurs les gens ne font référence qu’à ça encore aujourd’hui. Pour l’époque, je trouve que le projet est bien huilé, il a de bonnes prods. Il est marqueur d’une époque.
A : Par la suite, avec Marekage Streetz vous développez un son orienté dope boy blues, avec d’ailleurs un projet intitulé ainsi. Tu écoutais les mecs de la Bay Area ?
B : J’ai écouté à travers Bil, mais pas de ouf non plus. Je pense que cet aspect-là est venu de lui. Il m’a fait écouté des trucs de fou, que j’ai grave kiffés. Si ce sont ceux à qui je pense, ils sont un peu les darons de Max, non ?
A : Il y a de ça oui, à fond.
B : C’est abusé ! Justement on revient à ce que je disais, quand Bil m’a fait écouter ça, j’ai compris aussi que Max était une méga éponge. C’est comme si j’avais déjà entendu sans avoir écouté. Après, dans le projet Dope Boy blues il y a des trucs vraiment beaux mais… C’est sombre. J’aime beaucoup “Super wavy”, et la guitare dessus. Mais avec du recul je trouve le tout très sombre.
A : Il y a une image assez récurrente dans tes textes, c’est toi qui passe d’un hall à un hôtel…
B : [Il coupe] Ouais ! Je pense que c’est propre à Genève ça. Il y a une mixité sociale et économique ici qui est violente. Dans une classe tu as toutes les classes sociales, et à Genève on a vachement la possibilité de bouger je pense. Quand tu es bloqué dans une tess’ en France, tu es loin. Géographiquement il faut déjà que tu fasses quarante-cinq minutes pour aller ailleurs… Ici en dix minutes tu arrives dans les coins riches, ça facilite le truc. Ensuite, habitant ici, ayant eu toutes les couches sociales autour de nous, il faut vraiment le vouloir pour rester bloqué. Ici on a des ponts vers toutes les classes. Donc c’est sûr moi je me balade partout. Des gens voient la vie comme un sprint, d’autres comme une course de fond, et moi je la vois comme une balade.
A : Tu as beaucoup voyagé ? As-tu déjà songé à quitter ta ville ?
B : J’ai pas mal voyagé oui. J’ai songé à quitter Genève, j’y songe souvent même. En fait, j’y pense surtout dans l’optique où j’aurais des enfants, je ne suis pas sûr de vouloir qu’ils passent leurs premières années ici. La ville va vite, elle met la pression. Il faut savoir prendre son temps.
A : En 2012 tu sors une mixtape : Free Mr White. Tu sortais de prison ?
B : Non, non, je ne sortais pas de taule, c’était du second degré. Au départ le titre est venu du fait que le CD était gratuit, on a dit que c’était Free Mr Whte. Puis après c’est parti sur un délire : on a fait une campagne d’affichage, comme si j’avais disparu. C’était des affiches comme sur les briques de lait, et on me cherchait partout, on en avait mis dans toute la ville. “Libérez-le” ce n’était pas le llibérer de taule, c’était libérez-le de cette histoire.
A : Et la tape était gratuite, on la trouvait dans un tabac de Genève, c’est ça ?
B : Oui, et il y avait eu des bons retours ! On avait même mis un numéro comme une hotline avec une messagerie où la meuf disait “vous êtes en communication avec le truc de recherche…” Des gens laissaient des messages et tout. Une fois il y a un gars du bled, un Guinéen qui m’a chopé : “White j’ai vu tes photos partout, cache-toi, la police te cherche” je lui avais expliqué que non mais il insistait : “tu comprends pas White j’ai vu les affiches !” Le gars buggait ! [Rires]
A : Pour teaser la mixtape vous aviez fait une vidéo où A’s reçoit un coup de fil de quelqu’un à ta recherche et il répond “non je ne sais pas où il est ce gars-là, peut-être en Russie, en Italie, va savoir !” Cela rejoint autre chose que j’ai entendu à ton propos : tu es particulièrement insaisissable et tu peux disparaître à tout moment.
B : Ouais… Je suis un peu comme ça moi. [Rires] En fait, quand j’ai la possibilité de partir je pars, sans me poser plus de questions. Après en plus, comme c’est dit par les projets Selfie, avec les années je deviens un peu perso, je fais les trucs à ma guise et je m’en tape un peu du reste. Je ne vais pas forcément prévenir, disons que je vais partir sans le dire et appeler après. Plutôt que te dire “dans deux semaines j’y vais” je te dirai “regarde où je suis” une fois que j‘y serai !
A : On parle d’instabilité et tu évoques les Selfie, j’ai noté que sur ces deux dernier projets, tu tendais quand même à plus d’équilibre, tu dégages quelque chose de plus posé. Tu le perçois comme ça ?
B : C’est totalement ça, exactement ! Je m’approche… Je m’approche d’un équilibre, tranquillement mais sûrement. Ça va doucement, mais ça va vers le haut.
A : Il y a quelques années, sur ta mixtape Boulevard Helvetriche tu disais : “j’veux pas d’un boulot à La Poste, White cherche le putain de déclic qui changera la donne !” Tu pensais à quel genre de déclic, c’était financier ?
B : Non, non, pas juste financier. Je pense vraiment que… Sans faire le monstre philosophe, mais je pense que le bonheur c’est une part des choses entre tout ça. Je ne vais pas dire que sans argent, si tu n’as rien t’es heureux, il faut jouer le jeu mais pas à fond. Je préfère bosser à mi-temps et avoir un petit peu moins que bosser à plein temps, avoir plus de choses et moins de temps à moi. C’est à ce niveau-là que ça se passe.
A : Comme beaucoup d’entre nous ces derniers temps, tu utilises pas mal l’adjectif “wavy”. Peux-tu en donner ta définition personnelle ?
B : Être wavy c’est éviter le creux de la vague, c’est le principal déjà. Quand tu tombes de ta planche, évite le creux de la vague. Parce que de toute façon on tombe, on se casse la gueule, et quand ça arrive il faut garder la tête hors de l’eau. Si tu évites le creux de la vague, tu es wavy.
A : Pour le coup, tu es plus wavy sur tes deux derniers EPs alors.
B : [Rires] Ça c’est gentil, voilà une gentille remarque ! Effectivement, ça va mieux sur le plan personnel, donc peut-être que ça se ressent.
A : Le premier EP c’est Selfie Mobile, le deuxième Selfie Center, pourquoi “selfie” ?
B : Ce sont des projets où je parle de moi concrètement. Je ne vais pas chercher des sujets hyper deep, ça tourne autour de moi, de ma vie, de ma vision du truc.
A : C’est aussi ce qui explique l’absence d’invités ?
B : Bah oui, dans l’idée je me regarde moi-même, je ne regarde pas les autres ! [Rires] Des featurings j’en ai faits beaucoup, des trucs à droite à gauche avec beaucoup de gens. C’est ce que j’ai fait toute ma vie en fait, sans me consacrer à mon truc personnel, à moi ! Sans m’écouter finalement, tu vois ce que je veux dire ? Là maintenant ça avance gentiment, mais au moins ça avance. Et tant que ça va comme ça, je continue. Le jour où ça stagnera, je me poserai des questions.
A : Le visuel du premier EP est une carte prépayée, et d’ailleurs les exemplaires physiques sont des cartes USB sur ce format, quant à celui du deuxième EP c’est un smartphone. C’est une réflexion sur les temps traversés ou est-ce que j’affabule ?
B : [Perplexe] Après ça c’est peut-être plus avec Ivan qu’il faut en parler (IvanLaVague, graphiste l’origine des visuels, NDLR) mais c’est un peu comme ça que je le vois aussi. Le selfie c’est un concept qui tourne autour du téléphone aussi forcément… Mais après, oui tu peux le voir comme ça !
A :Je parlais de traverser les époques mais quel âge as-tu d’ailleurs ?
B : J’ai trente… [Il hésite] Trente sept ? Ou trente six ? Je ne sais pas pour te dire. Maintenant que tu poses la question, je me le demande. Mais je n’ai pas trop envie de savoir en vrai.
A : Finalement de l’époque il ne reste qu’A’s et toi qui êtes actifs, et plutôt dans le coup ! Du coup puisque tu repars presque de zéro comme tu disais au début, quelle dynamique veux-tu enclencher ?
B : Derniers survivants, ça fait plaisir ! [Rires] Mon but est clair, et c’est ce que j’ai toujours voulu : faire de la musique pour jouer avec des musiciens. Quand j’étais gamin j’ai eu ce plaisir de jouer avec des musiciens à Artamis, un truc qu’on avait au quartier, une zone avec des bars, des espèces de boîtes de nuit, des artistes, un truc style squat. Le mercredi il y avait des jam sessions et j’y suis allé quelques fois avec des musiciens marocains et c’est un truc dont je me rappelle encore aujourd’hui, j’avais un plaisir monstrueux. Et les fois où j’ai joué avec des guitaristes par exemple dans des soirées ou autres, c’est ça que je kiffe !
A : Tu n’as jamais joué d’un instrument toi ?
B : Non ! Je compose avec mon ordi, et je fais des accords avec mon piano, mais je n’ai aucune dextérité. Je crois que je suis dyslexique du corps un peu. [Rires]
A : Parmi les retours que j’ai vu passer sur tes EPs, j’ai notamment relevé des éloges sur tes mélodies et spécifiquement celles des refrains. Tu as travaillé sur ce point et quelles sont tes références en la matière ?
B : Franchement, je n’en ai pas trop. Ce sont mes mélodies justement ! [Rires] Je crois que c’est ce que je préfère faire, de jolies mélodies : coller un bon refrain sur un bel instru, qu’il arrive au bon moment après le bon break, je kiffe ! C’est ça mon del’ ! Maintenant, je commence à m’amuser avec les temps, dans les couplets… Je maîtrise plus, donc je m’amuse plus et forcément ça m’ouvre la porte à plein de trucs.
A : Puisque c’est quelque chose que tu aimes faire, ne serais-tu pas chaud pour travailler avec d’autres artistes, faire de la topline par exemple puisque c’est très en vogue ?
B : Pourquoi pas ? Si quelqu’un vient vers moi avec un bon instru et me demande de lui trouver une mélodie, ce n’est pas compliqué pour moi. Je le ferais assez naturellement, je pense avoir les aptitudes à le faire et je n’ai rien contre, mais ce n’est pas dans mes objectifs. Quoique… Si ça peut rapporter un peu.
A : Justement en ce moment…
B : Oui j’ai vu un peu. J’ai écouté Meryl récemment, j’avais écouté “Béni” à même pas quarante milles vues, c’est monté vite ! Elle est forte. Du coup je me suis intéressé à cette histoire de topline récemment, il y a même pas deux semaines, c’est marrant que tu m’en parles. Je me disais que ça pouvait être intéressant.
A : Du coup te concernant, quelle est la suite immédiate ?
B : Un troisième EP arrivera… quand il arrivera ! Les trois projets créeront comme un album finalement, et je vais les faire vivre un peu et essayer de trouver des moyens de bosser sur des visuels originaux. Je veux tout sauf faire tout ce qui se fait. Je préfère ne pas faire de clip qu’en faire un en bas du hall avec l’équipe.
A : Tout à l’heure nous parlions du retour principal que tu avais sur ton investissement dans la musique : la reconnaissance. Est-ce qu’à ce jour tu cherches la reconnaissance, la lumière et éventuellement l’argent ou seulement ton plaisir ?
B : Mon seul objectif maintenant c’est de faire mon troisième projet, puis de faire de la scène avec ces trois EP. Avec des musiciens. Mon objectif est là. Après ça, je me fixerai d’autres objectifs mais maintenant mon histoire c’est que les objectifs que je me mets sont réalisables, et que je ne m’en donne d’autres qu’une fois ceux-ci atteints. Je ne parle plus de ce qui n’a pas lieu d’être.
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