SoFly & Nius, le rêve américain
Ils sont français et ont produit quelques-uns des plus gros succès de Justin Bieber, Enrique Iglesias et Flo Rida. Billboard, Grammy Awards et tubes planétaires : bienvenue dans le monde de SoFly & Nius.
Abcdr du Son : Il y a un sujet qu’il vaut mieux aborder tout de suite. Nius, avant de travailler avec SoFLY, tu avais fait parler de toi à cause d’une embrouille avec le collectif Get Large qui t’avait reproché de les avoir plus ou moins escroqués…
Nius : Pour remettre les choses dans leur contexte, j’étais mineur à l’époque et je n’étais donc lié par aucun contrat. Ne voyant rien se concrétiser avec eux, j’ai décidé de voir ailleurs. C’est à ce moment qu’ils ont mené une vraie opération de nuisance et de destruction de carrière en racontant partout que je volais des sons et les présentais en mon nom, que je ne faisais strictement rien… Tout ceci a engendré un grand commérage de la part de tout le monde. A ce moment-là, j’avais délibérément fait le choix de ne pas m’exprimer sur ce sujet car je pensais qu’il n’y avait rien à dire. L’Abcdr m’avait d’ailleurs contacté pour un droit de réponse et j’avais décliné. J’avais seize ou dix-sept ans, je n’avais rien sorti officiellement et seul mon CV allait déterminer ce que j’étais vraiment. J’avais beau essayer de prouver par A+B que les rumeurs étaient fausses, ça ne servait à rien. J’avais pensé à l’époque faire une vidéo de beatmaking pour « prouver »… Mais je me suis dit : « à quoi bon ? » J’avais compris que les gens adoraient la version du « gamin/génie/mytho/voleur ». Je me suis dit que de parler de tout cela n’aurait fait qu’alimenter cette polémique, et qu’il valait mieux faire profil bas, se faire oublier et bosser dans l’ombre.
A : Qu’est-ce que tu retiens de tout ça aujourd’hui ?
N : C’était très formateur, une très grande expérience de vie avec le recul. Je vais même aller loin : je pense que je ne serais pas là ou j’en suis sans ces histoires. J’ai gagné du temps et j’ai vite mis de l’ordre dans ma stratégie. Ça m’a permis de savoir me remettre en question rapidement, de comprendre que c’était uniquement de la musique et de ne pas me prendre pour un surhomme. Juste avant les histoires, on me décrivait comme un génie, on disait que j’allais faire des hits… Le fait d’avoir eu cette expérience, ou soudainement tout le monde t’appelle, euphorique de te voir échouer, te permet de rester humble, de ne pas t’emballer et de réfléchir différemment quand d’un coup les gens se remettent à te dire que tu es extraordinaire. Ce que j’ai appris aussi, c’est de ne pas me soucier des autres dans ce travail et à me concentrer exclusivement sur ma propre personne. Quand j’ai vu tous ces gens avec qui je partageais un objectif et un but commun, qui ont dépensé tout ce temps, toute cette énergie à appeler les professionnels des maisons de disques et des magazines pour des articles, à faire des vidéos, à créer des sujets sur tous les forums du net, à faire des faux myspace pour essayer de me couler… J’ai compris quel chemin il fallait prendre pour espérer arriver un jour à mon objectif.
SoFLY : Ce qui est fou c’est qu’on me parle encore de cette histoire aujourd’hui quand les gens apprennent que je bosse avec Nius. Avant même de connaître Nius, j’avais envoyé un message à Get Large sur Myspace en leur disant : « OK, c’est un petit con, il vous l’a mise à l’envers. Mais arrêtez de perdre votre temps et votre énergie à parler de ça pendant des mois. » Les mecs étaient adultes à l’époque, Nius avait seize ans !
A : Tu étais très jeune quand c’est arrivé. Tu as eu du mal à t’en remettre ?
N : Je ne vais pas rentrer dans les détails mais cette histoire est allée très loin et ça a pris de grosses proportions dès lors qu’ils se sont exprimés sur ma famille à travers leurs vidéos. Ça a été vraiment dur car ma famille a été impliquée dans tout ça. On s’est mis à appeler mes parents pour leur dire des trucs terribles : « vous savez la carrière de votre fils n’a même pas commencé qu’elle est terminée, on l’a grillé dans tout le milieu, c’est fini pour lui… » C’était encore plus dur quand j’ai compris que mes parents aussi étaient inquiets. Je n’avais ni l’expérience, ni la maturité pour gérer ça à l’époque. Je ne pensais pas que les gens de maisons de disque, les professionnels allaient prendre cette histoire aussi sérieusement. Je prenais des rendez-vous et les gens avaient un air narquois, je faisais écouter des productions mais ça ne menait nulle part… Et quand je demandais concrètement d’être en studio avec l’artiste, on me faisait comprendre que le doute qui régnait avec les rumeurs rendait les choses compliquées. J’ai eu ensuite la chance de rencontrer Samy Damak qui m’a vraiment poussé à travailler et à reprendre confiance. Il a commencé à démarcher des artistes avec mes sons mais en utilisant mon vrai nom parce que celui de Nius était grillé. Bizarrement, avec mon nom, il n’y avait pas de problèmes. [sourire] Dans la continuité, j’ai rencontré soFLY avec qui ça a directement collé musicalement et humainement parlant. On bosse exclusivement en duo aujourd’hui.
A : Avant de rencontrer Nius, quel était ton parcours SoFLY ?
S : On s’est rencontrés en 2009 mais j’avais commencé le son vers 2004. C’était plus un jeu jusqu’au jour où j’ai rencontré des rappeurs locaux. Je m’étais essayé au rap mais je me suis vite rendu compte que ça n’était pas pour moi. Mais j’étais vraiment à fond dans le hip-hop à cette époque et j’avais envie d’apporter ma pierre à l’édifice. J’ai commencé à tisser ma toile, à rencontrer des gens, avec des bonnes et des mauvaises rencontres… rien d’aussi toxique que ce qui est arrivé à mon acolyte. Mais les mauvaises rencontres te forgent aussi et aujourd’hui, je peux presque remercier les gens qui m’ont mis des bâtons dans les roues. Mon premier vrai placement de prods, ça a été pour la Mafia K’1 Fry sur l’album Jusqu’à la Mort [NDLR : sur le titre « Tu Vois »] en 2006 suivi de Suis-Je Le Gardien De Mon Frère de Sefyu [NDLR : sur le titre « Plus »]. Ensuite, j’ai fait quelques morceaux avec Sat dont un avec Akhenaton et Soprano [NDLR : sur le titre « Plus que de la musique »] avant de rencontrer Vicelow via Myspace. Rencontre importante puisque c’est vite devenu un sidekick et c’est encore le cas aujourd’hui. J’ai quasiment produit tout ce qu’il a sorti depuis qu’il a quitté le Saïan.
A : Question simple : comment on passe de Vicelow à Justin Bieber ou Enrique Iglesias, c’est à dire d’un son très rap à quelque chose de résolument pop ?
N : En fait quand on s’est rencontrés avec soFLY, on bossait surtout au feeling, beaucoup de hip-hop, et c’est petit à petit qu’on a essayé de faire autre chose, de pousser nos limites et de faire des sons dans une direction différente. C’est plus le côté technique qui nous a attiré dans ces expériences pop que le kiff musical.
A : Vous aviez les États-Unis en tête dès le départ ?
N : Je pense qu’on l’a tous en tête, qu’on a tous ce rêve-là. Pour être honnête, on a beaucoup réfléchi sur la stratégie à adopter. Quand on a commencé à bosser ensemble, on ne se posait pas trop de questions. On rêvait d’aller un jour aux US mais on n’en parlait pas vraiment, on savait que ce n’était pas le moment. Au bout de six mois, on s’est dit, « OK on commence à avoir des trucs costauds pour les US, parlons-en. » On a pris des cas concrets et on a analysé les réussites et les échecs de certains. Qui est parti de rien et a réussi à se faire un nom rapidement? On a étudié plusieurs cas et on a trouvé APG [NDLR : Artist Publishing Group] qui avait Kane Beatz ou DJ Frank-E qui avait fait, entre autres, « Right Round » de Flo Rida et « Airplanes » de B.O.B. Clairement, c’était les exemples à suivre. A eux deux, ils avaient des noms allant de Kanye à Lil Wayne en passant par les Black Eyed Peas ou Madonna. Notre raisonnement logique a été de nous dire qu’il fallait qu’on intègre l’écurie APG. On s’est donc posé une autre question : qu’est-ce qu’on peut amener musicalement à cette écurie ? On s’est rendu compte qu’ils n’avaient personne qui se situait à mi-chemin entre l’urbain et la pop. On savait que ça ne servait à rien d’envoyer des beats électro, ils avaient déjà DJ Frank-E qui faisait des trucs super carrés.
S : Beaucoup de gens ne comprennent pas ça et se demandent pourquoi ils n’arrivent pas à placer de sons là-bas alors qu’ils font aussi bien que certains beatmakers. Si tu fais seulement « aussi bien », il y a déjà des gens en place avec un nom qui représente une marque et qui seront forcément prioritaires. Bon, ceci dit, quand on est arrivé là-bas, on était aussi super naïfs et on n’avait pas conscience de tout ça non plus. .
A : Une fois APG ciblé, quelles ont été les étapes suivantes ?
S : On voulait APG mais on ne s’est pas uniquement concentré là-dessus et on a envoyé nos sons un peu partout. On a fait un vrai travail d’équipe en sourçant les différents éditeurs, personnages-clés du game là-bas. On ne s’est d’ailleurs pas focalisé sur les noms ou structures « évidentes » au premier abord. On a vraiment creusé pour chercher à lister les gens qui font un vrai travail de fond.
N : On a réussi à se mettre en contact avec Mike Caren. Nous avons fini par signer chez APG, la boîte de publishing qu’il a monté à côté de ses autres activités. Au départ, ça a été très compliqué puisqu’on l’a contacté et qu’il ne nous a jamais répondu. Dans le même temps, on avait envoyé des choses un peu partout et on avait eu de bons retours. De là, on a booké un voyage aux États-Unis un peu à l’arrache. On a rencontré plusieurs managers locaux qui pouvaient nous aider et on a eu des rendez-vous avec des majors. On se disait que c’était cool parce qu’il y avait des choses à faire mais on sentait le risque de se perdre dans une grosse machine en signant là-bas.
S : Soit dit en passant, les offres que ces majors nous faisaient était très intéressantes. Et elles ont encore augmenté considérablement dès qu’APG a commencé à se manifester et à montrer de l’intérêt pour nous.
N : Malgré ces rencontres, on avait toujours en tête de collaborer avec APG. En les contactant, on s’était vraiment présenté comme des « petits » et on n’a pas du tout voulu jouer la carte des mecs qui avaient déjà fait plein de trucs en France. Par contre, on leur a fait comprendre qu’on avait la dalle et qu’on pensait qu’on avait le potentiel. On avait envoyé uniquement deux sons, un truc très hip-hop avec une légère ouverture pop et un truc complètement pop. Même si d’autres rendez-vous se passaient bien, on savait que c’était ces mecs qu’il nous fallait. D’ailleurs… [Il hésite]… Est-ce qu’on raconte la vraie histoire ?
S : Apparemment, t’es parti pour ! [rires]
« Parfois, c’est limite si on n’attend pas que l’album soit en précommande pour lire le tracklisting et voir si on est bien dessus ! »
SoFly
N : La veille de notre départ aux États-Unis, on a un rendez-vous qui est annulé.
S : On peut le dire, c’était un rendez-vous avec des auteurs d’Atlanta qui s’appellent Rock City et avec qui on bosse maintenant d’ailleurs. Ils voulaient nous signer mais on s’est rendu compte en les suivant sur Twitter qu’ils quittaient la ville le jour de notre arrivée alors qu’on avait mis toutes nos thunes dans le voyage pour les rencontrer !
N : On s’est retrouvés comme des cons à devoir aller à Atlanta, en rageant et en se disant que les autres mecs n’auraient pas été comme ça.
S : Heureusement qu’il restait l’étape Los Angeles parce que sans ça, notre voyage n’aurait pas vraiment été fructueux. Il y a mieux comme destination qu’Atlanta pour des vacances ! [rires]
N : N’ayant reçu aucune réponse de la part d’APG on s’est dit deux choses : soit ils n’ont pas kiffé nos tracks mais on était assez confiants et on ne croyait pas à cette option, soit nos beats se sont noyés dans le flot de mails qu’ils reçoivent tous les jours. En cherchant un peu, on a trouvé le second de Mike, Ben Maddahi. On a fait un copier-coller du mail envoyé à Mike et on lui a envoyé. Très rapidement, Ben Maddahi nous envoie un mail en nous demandant un numéro de téléphone. Le mec nous appelle et nous dit : « les deux morceaux que j’ai écoutés sont super costauds. Par contre, j’ai besoin d’être sûr que ce ne sont pas vos deux seuls bons morceaux. Envoyez-moi vos vingt meilleurs et on verra. » On lui envoie vingt morceaux et à peine arrivés à L.A, Ben nous rappelle en disant qu’il est avec Mike : « on est à New-York, on arrive dans trois jours et on se rencontrera chez Mike. » Une fois en face de lui, on se rend très vite compte que ce n’est absolument pas le mec qui arrive en parlant fort et qui te dit qu’on va tout exploser ensemble. Au contraire, c’est quelqu’un de très réservé et pragmatique. Son discours, c’était plutôt : « bon, c’est bien, vous avez le potentiel. Par contre, je ne sais pas en combien de temps vous avez fait ces morceaux. Quand je bosse avec des gens, j’ai besoin qu’ils soient super réactifs et capables de bosser à la commande. C’est la raison pour laquelle je vais vous tester avant de vous proposer un contrat. » On n’avait jamais travaillé comme ça.
S : On rentre en France… Et il commence à nous enchaîner : « pour le prochain album de B.O.B, on a besoin de sons comme ça. Utilisez tel sample pour le refrain », etc. C’était des exercices, une mise à l’épreuve.
N : Il est auteur-compositeur à la base, il a une vraie oreille et il sait de quoi il parle. Ce qui fait qu’il pouvait nous dire qu’il adorait la mélodie d’un morceau mais qu’il en détestait les drums. Étant donné qu’il travaille avec tout le monde, il sait exactement ce qu’il se passe dans le game.
S : C’est là où son côté directeur artistique a été important et nous a permis de progresser techniquement. Il a toujours besoin d’apporter le son de demain à ses artistes. Il faut savoir que ces exercices ont duré trois mois. C’était super frustrant parce qu’on ne savait pas où on allait alors qu’on était euphorique en sortant de chez lui. En tout cas, sur tous les sons qu’on lui a envoyés, il y en a certains qu’il n’a pas aimés. Mais il a vu qu’on en voulait.
N : Au bout de trois mois, il nous dit qu’on a le potentiel et nous fait une proposition qui était très basse. On devait faire un choix important parce que c’était notre porte vers les États-Unis et la prise de décision de signer avec la bonne ou la mauvaise personne est déterminante.
S : Il nous fait cette proposition sachant qu’il y avait trois majors qui nous avaient déjà fait des offres bien plus élevées à côté en termes financiers. On avait aussi une proposition de Rodney Jerkins mais on savait qu’il fallait éviter de signer derrière un producteur, c’était un coup à prendre beaucoup d’argent à la signature et à rester dans la cuisine ensuite.
N : APG sont les seuls capables de prendre un inconnu et de le faire rapidement grimper. En attendant, accepter leur deal quasi non-négociable signifiait qu’il fallait qu’on sorte un gros truc dans l’année sous peine d’être dans la merde.
S : On se mettait en danger financièrement alors que les autres propositions nous permettaient de voir venir.
N : Le pire c’est que c’est devenu la folie quand on a dit aux autres qu’APG voulait nous signer. Les sommes augmentaient comme si nos noms étaient déjà installés. Samy a négocié des conditions dignes de producteurs confirmés. On se disait que cela influencerait APG pour augmenter un peu, mais pas du tout au final. On savait tous les trois avec Samy que la différence était vraiment dans le discours. Les autres n’arrêtaient pas de nous dire qu’on allait faire des trucs de dingues alors que Mike n’a jamais dévié sur le plan financier de sa première proposition. Il cherche à s’entourer de personnes intelligentes capables de se projeter avec lui sur le long terme. On savait qu’il avait raison dans le fond mais on se posait quand même la question. Assez rapidement, on s’est quand même dit qu’on avait envie de bosser avec lui. On a signé avec lui en mars 2011.
A : Vous disiez qu’il vous fallait sortir un hit rapidement. C’est ce que vous avez fait avec « Wild Ones » de Flo Rida & Sia ?
S : C’est ça, en sachant que c’était aussi notre premier vrai placement aux États-Unis.
N : L’histoire de ce morceau est marrante aussi. APG nous avait intégrés plus pour le côté urbain que pop, ils trouvaient qu’ils avaient déjà des gens qui étaient plus doués que nous là-dessus. Je pense qu’ils nous voyaient surtout bosser avec des gens comme B.O.B ou Lupe Fiasco. Au final, quand t’arrives là-bas et que tu te rends compte que tu es signé dans un endroit qui produit chaque année des hits qui tournent dans le monde entier, ça fait envie. Du coup, on s’est dit qu’on allait essayer de faire des choses plus pop et mainstream. Même si Mike n’était pas trop chaud à la base, on lui a envoyé la maquette de « Wild Ones ». Il a trouvé ça cool et a décidé de le faire écouter à des auteurs. La maquette arrive dans les oreilles de Sia qui fait immédiatement la mélodie. Il nous rappelle et nous dit : « bon, on a un hit international là. »
S : On était sur Paris à ce moment-là et on s’appelle sur Skype alors qu’il était avec Flo Rida & Sia. Ils nous disent que le son est mortel… mais qu’il y a encore beaucoup de boulot.
N : Après cet appel, on a bossé pendant trois mois dessus. Il y a eu quarante-cinq versions de l’instrumental… On n’en pouvait plus de cette prod ! Mike et Ben avaient une idée très précise en tête. Ils ne voulaient pas qu’en écoutant le morceau les gens pensent qu’ils avaient déjà entendu le synthé quelque part. Le synthé devait devenir le gimmick du son. Il fallait trouver une nouvelle sonorité de synthé qui sonne bien et qui soit identifiable… Il y a bien eu quarante versions qui étaient de vrais déchets. [rires] Parfois, on expérimentait des trucs… OK, c’était nouveau mais totalement inaudible.
A : D’après ce que vous dites, vous êtes presque dans l’obligation de sortir systématiquement des tubes. Est-ce que vous n’avez pas envie de temps en temps de sortir juste un bon morceau, sans vous soucier de ces considérations ?
N : Ce qui s’est passé c’est que, quand on a fait ce morceau, ça a cartonné et ça nous a ouvert toutes les portes. Du coup, tout le monde voulait ce son. On a fait la moitié de l’album de Flo Rida et tout s’est enchainé avec les collaborations avec Enrique Iglesias, Justin Bieber, Pitbull…
S : Tout le monde voulait son « Wild Ones ».
N : Un artiste de ce calibre-là va bosser sur soixante morceaux et en garder quinze. Durant ces sessions, les managers vont booker tous les producteurs qui ont déjà eu des hits. C’est pour ça qu’on a bossé avec énormément de gens à cette période. On ne va pas faire de name-dropping mais il y a vraiment eu des trucs de fous.
S : On s’est aussi enfermés pendant une semaine en studio avec B.O.B et on a fait quasiment l’équivalent d’un album ensemble. Au final, il n’a gardé qu’un morceau sur son album.
N : Justement, au bout d’un moment, on saturait et on avait besoin de faire autre chose. Après « Wild Ones », on a eu « I Cry » de Flo Rida qui a super bien marché. On a commencé à avoir le luxe de refuser des choses pour pouvoir kiffer un peu plus. On a fait du Rich Gang, on a beaucoup bossé avec Detail ce qui nous a permis de produire pour Future, on a fait Action Bronson… [NDLR : le morceau n’est pas encore sorti] Ce n’est pas du tout la même approche et ça nous permet de couper complètement.
A : C’est pas une question piège : en tant qu’auditeur, est-ce que vous écoutez la musique de Flo Rida ?
S : On mentirait si on te disait qu’il s’agit du type de musique qu’on écoute en voiture. On a aussi une autre approche en tant que producteur, forcément différente de celle de l’auditeur. Quand on va écouter un album, ça va nous arriver fréquemment d’écouter les quinze premières secondes, de faire un clic dans le premier couplet et un clic dans le refrain et de passer à la suite si ça ne nous plaît pas. Franchement, si on avait écouté l’album de Flo Rida dans ces conditions, je suis sûr qu’on aurait été agréablement étonné par la qualité de production.
N : Il y a deux côtés : un côté où tu vas kiffer, bosser beaucoup plus au feeling sans te prendre la tête et un côté qui va être beaucoup plus mathématique. Dans cette deuxième partie, il y a aussi tout le versant « auteur » qu’on n’avait pas du tout en tête au départ. Tu peux légitimement penser que dès que tu as un bon son, une bonne mélodie, le boulot est fini… Alors que pas du tout ! C’est ce qu’on a appris avec « Wild Ones ». On s’est rendu compte que c’était presque mathématique de parvenir à trouver des mots que tout le monde peut dire et qui vont parler à la planète entière. Au départ, le refrain de « Wild Ones » parlait de bad guys, ce qui signifie qu’il n’y avait que les meufs et les gays qui pouvaient le chanter. Il fallait trouver un terme qui puisse toucher les deux sexes. On a vraiment pris beaucoup de plaisir à construire ce track, autant que n’importe quel autre. Ce titre nous a permis également de participer aux Grammy Awards grâce à sa nomination.
A : Combien d’auteurs vont travailler sur un tube comme celui-ci ?
S : Il y a eu cinq auteurs en tout dont Ben Maddahi. Avec à chaque fois des petits mots qui changent, des gimmicks ajoutés… Ce genre de morceau, c’est une recette en construction. Tu modifies ou ajoutes un ingrédient jusqu’à ce que ce soit parfait. Il n’y a pas de spontanéité mais on a énormément appris avec ce titre.
A : Vous travaillez comment ? Chacun de votre côté ? Vous avez une organisation particulière ?
S : On a en fait une résidence/home studio à Los Angeles. On la partage avec d’autres producteurs et ça permet de toujours se motiver et d’être très réactif par rapport aux demandes qui tombent. On a aussi notre studio chez Atlantic pour travailler et recevoir les artistes qui passent là-bas. On n’a pas de méthodes de travail fixes fixe : on peut bosser des idées ensemble ou chacun de notre côté. En général, l’un commence une idée et l’autre la termine, c’est comme ça qu’on est le plus efficace. Avec cette organisation et ce rythme, on n’a même pas le temps de travailler sur toutes les demandes d’APG. C’est la raison pour laquelle on a récemment signé deux compositeurs talentueux : Yoan « Oddfellow » Chirescu et Sébastien Drumeaux. Ils vivent encore à Montreuil où on les a aidé à monter un studio et ils viennent aussi pour des sessions à Los Angeles. Ils ont des formations musicales style conservatoire. Ils apportent un plus à ce que nous savons déjà faire avec ce parcours d’instrumentistes. D’ailleurs « Oddfellow » est co-producteur avec nous sur le Future, Kid ink et B.o.B par exemple. Sébastien Drumeaux a composé un morceau sur le score de Fast & Furious 7. On s’était dit avec Samy que ce serait bien d’aider à développer des nouveaux talents en leur évitant le parcours sinueux et les mauvais choix qu’on a pu faire au début de nos carrières.
A : Comment a eu lieu la rencontre avec Future ?
S : Via Detail de Young Money. Au départ, l’instru n’avait pas été faite pour ce projet. Le beat a beaucoup voyagé et a longtemps été retenu par Eminem avant qu’on ne nous dise quelque mois plus tard que ce n’était plus la direction que prenait l’album. On l’a ensuite envoyée à Detail qui en fait le morceau « Side Effect », enregistré quelques jours après par Lil Wayne. Pendant une séance d’écoute, Future a pété un câble sur le morceau et Lil Wayne lui en a finalement fait cadeau.
N : D’ailleurs, on n’a jamais entendu la version de Lil Wayne !
A : C’est assez dingue de se dire que votre prod a transité d’Eminem à Future en passant par Lil Wayne.
S : Honnêtement, on ne va pas balancer tous les noms mais on a parfois eu des frustrations de dingues parce que des artistes avec lesquels on rêvait de bosser depuis des années enregistraient sur nos prods. Parfois, les morceaux étaient vraiment sur le point de sortir et ça ne se faisait pas au dernier moment.
N : Dans le sens inverse, on a envoyé un morceau à la dernière minute à Justin Bieber qui s’est retrouvé sur son dernier album, sachant qu’il travaillait dessus depuis un an avec tous les plus grands producteurs.
S : Parfois, c’est limite si on n’attend pas que l’album soit en précommande pour lire le tracklisting et voir si on est bien dessus !
N : Il y a encore des histoires plus folles. Un producteur de chez APG venait récemment de signer son deal sans avoir encore de placement. Il apprend qu’il a le prochain single de Detox pour Dre juste après « Kush ». Son morceau a été posé et masterisé et il y avait Dre, Eminem et Lady Gaga dessus. Au dernier moment, ils ont préféré balancer « I Need A Doctor » avec Skylar Grey et, compte tenu des mauvaises retombées sur ce morceau et étant donné que l’autre titre avec Gaga était encore plus pop, ils ont préféré ne pas le sortir. Le morceau n’a jamais vu le jour. Il y a de quoi perdre vingt kilos après une histoire comme ça… C’est pour ça qu’on a appris à enchaîner les travaux et à zapper une fois que c’est fait.
S : Se prendre la tête et harceler les gens pour savoir si tu seras sur le projet ne changera rien à l’affaire.
A : Les gros artistes dont on parle, ce sont systématiquement eux qui ont le final cut sur leurs albums ?
N : Ouais. Après, tu as l’entourage qui joue beaucoup. Sur l’exemple de Future, je sais que beaucoup de gens se sont demandés comment on avait atterri dessus parce que Future préfère bosser en famille. Nous, on a juste eu la chance d’être bien pote avec Detail et je pense qu’il a une relation privilégiée avec Future, qu’il est capable de le convaincre quand il a un doute. Après, tu as des artistes comme Rihanna qui aura le dernier mot sur chaque sortie. Elle écoute les morceaux dans son iPod et si elle se réveille un matin en ne kiffant plus une prod qu’elle aimait la veille, elle la dégage directement.
A : Votre collaboration rêvée ?
[Ils répondent en chœur] Jay Z et Beyoncé. [rires]
A : Est-ce que ça vous intéresserait de revenir en France pour produire ponctuellement pour des artistes français ?
S : On est toujours à l’écoute, on reçoit régulièrement des offres pour participer à des projets, on ne snobe absolument personne et ça nous est arrivé de discuter avec plusieurs artistes.
N : Il y a des gens dans le rap avec qui on aimerait bosser. Spontanément, je dirais Nemir, qu’on devait capter d’ailleurs.
S : Booba également, ce serait cool.
« On nous a dit un truc un peu dur : ‘tant que vous n’avez pas un morceau dans le top 10 Billboard, vous n’êtes personne.’ »
Nius
A : Est-ce que vous pensez que vous pourriez faire en France ce que vous faites aux États-Unis ?
S : Je pense qu’il y a des gens qui savent bien mieux faire des hits en France que nous parce que la formule française est très spécifique. Maître Gims squatte les ondes depuis des mois et il n’en a rien à faire de travailler avec soFLY & Nius. La France est un marché différent. Tout comme on travaille dur pour avoir un son qui corresponde au marché international, il faut aussi travailler dur dans des directions différentes pour faire des hits francophones.
A : Parmi tous les artistes avec lesquels vous avez travaillé, lequel vous a le plus impressionné ?
N : B.O.B qui est extrêmement productif, Sia pour son talent hors norme et Enrique Iglesias.
S : Ce qui nous a impressionnés chez Enrique c’est son humilité. On l’a rencontré lors d’un writing camp. C’est à dire qu’un label va booker un ensemble de studios pendant une ou plusieurs semaines en présence de l’artiste qui va aller de studio en studio. Dans ces studios, on retrouvera les producteurs et les songwriters. Quand on est arrivé, le mec s’est dit « honoré » de notre présence… T’es sérieux toi ? [rires]
N : Il nous disait qu’on pouvait bosser avec n’importe qui après « Wild Ones » et nous remerciait d’accepter de bosser avec lui. Mec, tu remplissais des stades quand j’étais encore un gamin ! Au final, un seul morceau avait été retenu alors qu’on en a produit énormément pour lui. Ce qu’il faut savoir, et c’est aussi vrai pour les gros producteurs, c’est qu’il y aura pratiquement 90 % de déchets parmi toutes les productions que tu vas proposer aux États-Unis. Bon, après, rien ne se perd et tout se transforme. On a eu de la chance parce qu’on a signé en mars et « Wild Ones » est sorti en décembre. Quand on est arrivé, on était chaud, on voulait bosser avec tout le monde. On nous a dit un truc un peu dur : « tant que vous n’avez pas un morceau dans le top 10 Billboard, vous n’êtes personne. C’est bien si vous avez le numéro 11 mais c’est pas suffisant. » On a eu de la chance puisque « Wild Ones » a été dans le top 10, même dans le top 5 pendant plusieurs semaines et cela nous a ouvert des portes. Après, on nous a dit « un c’est bien mais deux c’est mieux. » On a eu la chance d’avoir un deuxième avec « I Cry ». Ceci dit, ce qu’on décrit n’est pas la seule manière d’exister. Il y a plein de gens qui font de la musique, qui en vivent, qui s’éclatent, s’épanouissent et qui ne passent pas leur temps à penser au Billboard.
Encore un interview super lourd qui, perso, m’en apprend pas mal sur la manière de faire un hit aux states. Rares sont les webmédia à avoir cette qualité d’interview. Restez comme vous êtes l’ABCDR!
Dommage quand tu es capable de faire d’excellentes prods hip-hop, d’aller faire des sons pop inaudibles pour le pognon
Tout simplement mortel! Merci pour l’interview!
Cool l’itw, bel exemple de réussite.
Vous n’auriez pas un lien/liste de leurs prods notables?
Merci