Sinistre
« Sachons dire non », « Cercle Rouge », « 16’30 contre la censure » : il y a dix ans, Sinistre était l’invité régulier d’un rap français militant et engagé. Depuis, le MC de la Malédiction du Nord en est revenu. S’il demeure fidèle à ses convictions et ses influences, il poursuit discrètement un parcours en solo ponctué par la sortie prochaine d’un nouvel album. Rencontre.
Abcdr du Son : Le premier extrait de ton nouveau projet est le titre ‘Historik’, un grand hommage à l’histoire du rap français. Qu’est-ce qui t’a inspiré à choisir ce thème-là ?
Sinistre : Pour un premier extrait, c’est un titre qui définit le mieux l’esprit de l’album. Pas forcément sa couleur musicale mais son état d’esprit. C’est aussi une façon de donner mon CV, mon bagage culturel et historique : je connais mes références, je connais mes classiques, je ne suis pas un nouvel arrivant. Et puis, je tenais à rendre cet hommage car je suis un MC de la scène des années 90, et je suis quand même assez nostalgique de cette époque. C’est l’âge d’or du hip-hop, qu’il soit américain ou français. Du milieu à la fin des années 90, on a eu une force, un esprit très palpable et fondateur des bases du hip-hop actuel. Et c’est des trucs qu’on zappe. J’ai donc cité des MC’s qui, à mon goût, mériteraient de la reconnaissance pour tout ce qu’ils ont apporté. Pour les nouvelles générations, c’était aussi le moyen de remettre un peu les pendules à l’heure ! [rires]
A : Le morceau est un vrai puzzle de références. Parmi tous les artistes cités, lesquels t’ont le plus marqué ?
S : Je ne dirais pas que l’un a été plus marquant que l’autre. Chacun a apporté sa pierre à l’édifice. A la fin du morceau, je parle du « MC anonyme », car je n’ai fait que citer des phases existantes pour former un tout. Après, c’est clair qu’il y a eu des groupes médiatisés comme NTM, Ministère Amer, Oxmo, etc. Mais pour moi, leur contribution au hip-hop n’a pas été plus ou moins importante que celle de gens comme Rost ou Octobre Rouge. Tant qu’on a quelque chose à dire, il y aura quelqu’un, quelque part pour écouter. J’ai cité les disques d’or et ceux qui n’ont sorti qu’un maxi. Ceux qui, à mon sens, ont apporté quelque chose de positif au hip-hop.
A : Tu parles de nostalgie. Tu t’épanouis dans le rap de 2008 ou préfèrerais-tu prendre une machine à remonter le temps ?
S : La machine à remonter, elle ne servirait à rien ! [rires] La musique, les mentalités et les gens évoluent. Le rap de 2008 est ce qu’il est. Il y a des artistes talentueux et des gens qui se reconnaissent dedans. Maintenant, ce rap-là ne me parle pas autant qu’il me parlait il y a dix ans. Il y a un discours que je trouve – à quelques exceptions près – terre à terre et trop facile. La démarche a changé : je viens d’une époque où on rappait pour la performance, être reconnu par ses pairs, avoir la stature du MC. Aujourd’hui, on parle de « game »… C’est 2008 ! J’observe, je vois ce qui m’intéresse ou pas, j’écoute ou pas… En tant que rappeur et amoureux de la musique, je respecte le travail de chacun, je ne vais pas me mettre derrière un micro pour clasher un jeune qui commencerait à rapper aujourd’hui. Ce sont des gens qui croient en ce qu’ils font. ‘Historik’, c’est un morceau « back in a day » : souvenez-vous, le rap que vous faites maintenant, par où il est passé ? Tous nos rêves, qu’est-ce qu’ils sont devenus ? C’est un devoir de mémoire. Nous avons tenu un discours avec une force, avec une conviction, et on dirait qu’on a fait tout ça pour rien. C’est un rappel à l’ordre, mais sans haine.
A : Tu penses que ce discours peut être entendu par de jeunes auditeurs ?
S : Les auditeurs sont de plus en plus jeunes – mon fils de 10 ans, il écoute du rap ! Ce public-là, il ne va pas chercher le son comme nous à l’époque. Aujourd’hui, l’industrie a changé et les jeunes prennent ce que l’on leur apporte : télé, radio, internet, matraquage, buzz… Ils écoutent sans avoir de base culturelle pour pouvoir définir la musique qu’ils sont en train d’écouter. Avec un appui médiatique lourd, et avec l’originalité du clip, ça peut interpeller des personnes, mais il faut l’apporter chez eux ! Je n’ai pas l’habitude de viser un public, mais les gens de ma génération pourront peut-être plus s’y reconnaître.
A : Ton fils de 10 ans, il écoute quoi ?
S : Il écoute Diam’s – du coup je peux plus écouter Diam’s ! Pourtant je la respecte : quelque part, on est un peu de la même génération même si elle est plus jeune que moi, on était sur Sachons Dire Non ensemble… Il écoute Rohff, mais je ne suis pas tout à fait d’accord. Beaucoup de rap américain aussi : Busta Rhymes, il kiffe le côté théâtral… Plus tout ce qui passe à la télé, il fait son tri…Il écoute aussi son papa de temps en temps pour lui faire plaisir ! [rires]
A : Et le fait d’avoir un papa rappeur, ça lui donne envie d’écrire lui aussi ?
S : A première vue, non. Je n’impose pas de choix à mes enfants, je regarde, j’observe, je canalise quand ça va un peu trop loin. Lui, il est plus dans la comédie, je n’ai pas cette influence-là pour lui…
A : L’ambition de Rocé serait que le rap réussisse à « sortir de l’adolescence », qu’en penses-tu ?
S : Pour que le rap sorte de l’adolescence, il faudrait déjà qu’une autre forme musicale vienne séduire les adolescents. Le rap est à la base une musique urbaine, donc proche des jeunes. Elle a ses personnages, comme 50 Cent, et un côté révolté qui séduit. Je pense que le rap doit grandir : des rappeurs comme moi ou mes aînés – la génération Radio Nova – devraient avoir un rapport au hip-hop relatif à leur âge et leur vécu. Si tu arrives à 35 ans pour rapper comme à 15 ans, tu as un problème et ça se ressent. Aux États-Unis, on découvre les premiers rappeurs qui vieillissent ! C’est à ces gens-là de donner une direction, une forme de hip-hop un peu plus mature pour le faire évoluer… Après, les jeunes de 15 ans, eux, pourront rapper avec leur âge et se référer à quelque chose de solide. Les jeunes pourront s’inspirer des plus vieux, au moins pour ne pas répéter les mêmes erreurs. Mieux vaut ça que l’inverse.
A : On voit peu d’anciens accompagner de jeunes rappeurs. L’enjeu ne se situe-t-il justement pas là ? Relier les générations…
S : Oui. Après, si tu es un ancien que tu ramènes des jeunes rappeurs, tu le fais dans quel esprit ? Pour te rajeunir toi-même ou pour assurer la relève ? Quand je vois des labels comme IV My People, la démarche était bien, mais aujourd’hui, qu’est-ce que ça a apporté à mon pote Danyboss ? Kool Shen, lui, il s’en sort bien. Dans BOSS, on n’a vu que Joeystarr, pourtant il y avait du monde autour. En France, il manque un vrai travail de labels. Ca manque atrocement. Aujourd’hui, on devrait avoir des gros labels qui signent du rap, dirigés par des rappeurs, type Akhenaton. On n’ira pas jusqu’à Def Jam, mais on aurait des mecs authentiques et crédibles quand ils signent un artiste. Il y a eu des structures de ce genre par le passé, mais le soufflet est retombé. Pourquoi ?
A : Est-ce que tu crois encore à cette idée d’une grande famille du rap français ?
S : Franchement… [rires] Pour moi, c’est une utopie. Je croirais plus à une communauté d’auditeurs fidèles à certains artistes. Je crois à un public réuni autour de quelque chose. Mais avec la mentalité d’aujourd’hui, franchement, je ne sais pas. Il y a beaucoup de copinage et beaucoup de clashes en même temps. L’unité monétaire, elle existe : si je vois que t’arrives à faire de l’argent, je m’unie avec toi ! Mais l’unité spirituelle, c’est utopique, et je crois qu’on ne l’a jamais vraiment eu.
« Si tu es un ancien que tu ramènes des jeunes rappeurs, tu le fais dans quel esprit ? Pour te rajeunir toi-même ou pour assurer la relève ? »
A : Tu es arrivé en France à l’âge de 14 ans, c’est là que tu as découvert le rap ?
S : Non, mais c’est en France que j’ai su que le rap s’appelait le rap. En Afrique, j’avais la chance d’être scolarisé dans une école française. Mes amis avaient de la famille en Europe ou aux Etats-Unis, il y a des cassettes qui arrivaient. Le premier truc que j’ai écouté, c’était Eric B & Rakim. Pour nous, c’était un truc qui venait des Etats-Unis, on ne voyait même pas la différence avec Michael Jackson ! De l’anglais, un breakbeat, mais là les mecs ne chantent pas… J’avais une sensibilité pour l’écriture depuis très jeune, et là, j’ai découvert que ce truc américain, on pouvait le faire en français. Et bien. C’était une musique proche de la population : on te parlait du métro, du quartier, des références que tu vois tous les jours ! Tout de suite, je me suis senti concerné. J’ai commencé à écrire, faire de l’interprétation, tout seul à la maison… jusqu’à ma rencontre avec Mystik. C’était à Meaux, il était dans un petit groupe. Voir rapper quelqu’un que je croisais tous les jours, que je considérais comme un père, ça m’a mis en confiance. Je me suis dit : « moi aussi je peux le faire ».
J’ai atterri en France dans une cité, à Argenteuil. Par rapport aux jeunes de mon âge à cette époque, j’ai eu la chance de vivre autre chose. Tout ce que je voyais, je pouvais le comparer, je n’étais pas perdu devant un mur. Je savais qu’il y avait pire, je savais qu’il y avait mieux. Je pense que ce travail d’observation – plus qu’un travail d’implication – se ressent beaucoup dans mon écriture. Enfin ça, on me l’a fait remarquer ! [rires] Observation, analyse, conclusion : c’est là que je m’engage, je cautionne ou je dénonce.
A : Tu as grandi dans une famille de musiciens ?
S : Non, je suis le seul, mais j’ai été inspiré par la musique africaine avec laquelle j’ai grandi. Je suis Zaïrois, né en 1975, et à cette époque, on avait de très grands musiciens : Franco, Papa Wemba, Tabu Ley Rochereau qui est le père de Youssoupha… Des mecs qui ont fait l’Olympia ici. Rochereau avait même fait une résidence à l’Olympia, il avait rencontré les stars de l’époque. Musicalement, c’était très riche : beaucoup de sons, beaucoup d’ethnies… C’est une chose que j’ai gardé en moi et j’en parle sur le morceau ‘La Cigale et le MC’.
A : Dans une interview avec le webzine hiphopcore en 2004, tu expliquais ton besoin de prendre le temps pour sortir un disque. Aujourd’hui, quatre ans sont passés depuis « Zone sinistrée », quel bilan en fais-tu par rapport au Sinistre de 2004 ?
S : L’expérience du premier album m’a permis d’aborder avec plus de recul et plus de maturité la construction d’un disque long format. Comment transcender un esprit autour de 12/15 morceaux qui ne se ressemblent pas mais qui vont dans le même sens ? Je ne suis pas très vieux, j’ai l’âge du Christ – 33 ans – mais j’ai voulu m’ouvrir encore plus, inviter des musiciens, des choristes, sans pour autant casser la couleur hip-hop. J’ai aussi compris que si tu n’es pas inspiré, ça ne sert à rien d’écrire, sinon t’es à côté de la plaque. Je préfère travailler spontanément, en prenant le temps, sans me donner une échéance à respecter. Sans pression. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai signé avec le label Lyrikal Bestial : j’avais besoin d’une structure qui aurait les moyens nécessaire pour me permettre d’écrire dans de bonnes conditions. Le label est propriétaire d’un studio, j’y vais quand j’en ai envie, j’enregistre, on garde, on ne garde pas…
A : Ton concert au New Morning doit se faire avec des musiciens. Ce sera 100% live ou simplement des collaborations ponctuelles ?
S : Au départ, on voulait faire un concert 100% live, c’est un vrai kif personnel : ça donnerait une marge énorme pour développer un morceau. C’est ce qui fait la valeur d’un concert, pouvoir donner une dimension unique à tes titres. On a donc fait appel à des musiciens, je les ai auditionnés. Ils ne sont pas mauvais, mais… Quand tu n’as qu’un DJ sur scène, ton morceau est fait. Si le mix est bon, il est bon. A toi de faire la performance. Avec des musiciens, si l’un se loupe, tout s’écroule. A ce niveau-là, j’ai donc été exigeant. Même si je n’ai pas eu de succès commercial, je pense être un « label de qualité » : les gens qui connaissent apprécient, ceux qui ne connaissent pas ne critiquent pas ! Entre mon exigence et la disponibilité des musiciens, la date du 25 septembre tombait trop tôt, donc j’ai fait des modifications. Au final, je ferai venir un guitariste, un percussionniste, peut-être un saxophoniste. Le reste se fera avec mon DJ, Junkaz Lou, il a toujours été là, c’est mon ombre ! L’idéal, à terme, ce serait d’avoir une formation live avec un DJ, mais là, je ne voulais pas courir plus vite que la musique !
A : La frilosité des programmateurs de concert, c’est une donnée que tu as aussi en tête ? La présence des musiciens peut aussi les rassurer…
S : C’est une idée qui a séduit le label, c’est vrai. C’était d’ailleurs l’argument que m’a donné Tony, son responsable. Après, je voulais avoir cette sensation live sur scène. Rapologiquement, ça ne peut que me faire grandir. Après, on peut aussi avoir du mal à faire des concerts parce que les musiciens sont mauvais ! Et on peut aussi avoir des plans parce que l’artiste seul tient la route. Prend les slammeurs : pas de musiciens sur scène, mais le charisme est là. Après, c’est vrai qu’avec un nom comme Sinistre, ça me ferme un peu les portes, mais c’est aussi un défi : faire passer ma verve artistique avec ce nom-là.
A : Tu as été le backeur de Bam’s sur scène. Quels souvenirs gardes-tu de cette expérience ?
S : A mon sens, Bam’s est une artiste exemplaire. Avec elle, j’ai pu roder tous les petits trucs de la scène : gérer les balances, contrôler son souffle, comment se tenir face au public, faire les transitions entre les morceaux… Surtout, on a fait des festivals qui ne programmaient pas forcément du rap. On a côtoyé des rockeurs, des gens de la salsa… Et on s’est trouvé des points communs. Pouvoir amener le rap sur des scènes qui ne sont pas rap, c’est mieux que rapper devant un public conquis d’avance.
« Toutes ces compil’, franchement, on y a cru. En tout cas moi, personnellement, j’y ai cru. »
A : A la fin des années 90, tu as été présent sur des gros projets à portée sociale et politique : « 16’30 contre la censure », « Sachons Dire Non », « Cercle Rouge »… Des concepts qui ont un peu disparu aujourd’hui. Rétrospectivement, quel regard portes-tu sur tout ça ?
S : A l’époque, on était jeunes. Jeunes, coupables et libres [sourire]. Jeunes et ambitieux…
A : Parfois vicieux.
S : [rires] Aujourd’hui, avec le recul, je me dis « Les mecs, ils étaient quand même trop forts ». Toutes ces compil’, franchement, on y a cru. En tout cas moi, personnellement, j’y ai cru. C’était un discours qui allait dans le sens des communautés. Pas une communauté au sens racial ou religieux, mais au sens social. Des gens qui vivent la même chose, ont les mêmes combats à partir des mêmes conditions de vie. J’ai toujours cru à ça : « Faire de la musique comme un éveil communautaire, pour moi c’est ça le rap » – Youssoupha a d’ailleurs repris cette phrase pour me dédicacer. J’ai donc fait Cercle Rouge, déjà parce que les mecs étaient très forts. Travailler avec eux a été une expérience formidable. Le projet de Monsieur R tenait largement la route, et ça m’arrangeait encore plus que ce soit revendicatif et qu’on me le propose. C’était flatteur. Mais aujourd’hui, l’héritage de Cercle Rouge et Sachons Dire Non, je ne le vois pas. Je ne dis pas qu’il fallait découler sur une révolution, mais qu’il y ait quand même un « mieux social ». Alors, est-ce que ce n’était pas simplement du commercial car, en ce temps-là, ce discours était vendeur ? A ce moment-là, quand on écoutait Skyrock, le discours allait dans ce sens-là. Ils diffusaient les ’11’30’. Les mecs sont tout simplement passés à autre chose. Monsieur R est encore là, un coup avec Besançenot… C’est mon pote, tu vois, mais je me demande dans quel but il fait ça…
A : Peut-être pour attirer l’attention des médias qui aiment bien se trouver des rappeurs pour parler politique…
S : Oui, voilà. Après, il y a des artistes qui ne parlent pas du tout de politique. Ils racontent la pluie et le beau temps, mais dans la vie, ils sont très engagés. Ce n’est pas parce que tu en parles dans tes chansons que tu es engagé. Il y avait de ça. Ca me désole un peu. Aujourd’hui, dans le fond, je reste dans cette démarche-là, mais avec plus de simplicité dans la forme.
A : Comment as-tu rencontré Jean-François Richet ?
S : C’était par l’intermédiaire de Mystik. Il était signé chez Cercle Rouge, moi j’avais sorti le maxi Itinéraire d’un Bandit, qui était très « défourailleur des valeurs sociales » [rires]. Le label était intéressé, j’ai eu une proposition de signature, mais je l’ai refusé. Tout le monde m’a dit que j’étais fou. Je me sentais peut-être trop jeune, ou pas assez sûr, mais je n’y voyais pas clair. J’ai voulu me préserver. Et d’ailleurs… Mystik était là-bas, et aujourd’hui…
A : On a l’impression que Cercle Rouge s’est évaporé du jour au lendemain…
S : Ouais, complètement. Les mecs, maintenant ils sont dans autre chose. Je les respecte, ce sont des amis, mais professionnellement et musicalement, l’ampleur qu’ils ont donnée à leur projet n’a servi à rien. Peut-être à eux-mêmes, peut-être qu’ils ont fait de l’argent. Mais par rapport au but premier, communiste à fond… [rires] C’est dommage, mais je prend ça comme une étape. Je ne peux pas renier mon passé, ça fait partie de moi et c’est grâce à ça qu’aujourd’hui je peux encore sortir des disques.
A : Tu as aussi participé à « Liaisons Dangereuses »…
S : Je ne connaissais pas personnellement Doc Gynéco. Je savais que c’était quelqu’un de pas bête et en le rencontrant, j’en ai eu la preuve ! [rires] C’est quelqu’un qui sait exactement ce qu’il fait et où il va. Il joue sur les apparences, son côté nonchalant mais il n’en pense pas moins. C’était une bonne collaboration, il a aimé ce qu’on a fait. On n’a jamais parlé d’argent, tout s’est fait au feeling. On en a parlé avec Virgin, mais pas avec lui. Après, on ne s’est plus revu, on a du se croiser. Quelqu’un de simple. Je ne sais pas si son projet a marché ou pas, mais lui avait vraiment l’envie de booster les autres. Réellement. Je l’ai senti.
A : La Malédiction du Nord, ton groupe, il est toujours d’actualité ?
S : Non. A chaque fois qu’on m’a posé cette question, j’ai répondu « Ouais, on est là ! ». Mais là, je crois qu’on n’est plus là [rires]. Malédiction du Nord, c’est ma plus belle expérience musicale. On avait une vraie symbiose. Chacun avait sa vie, mais on a réussi à se trouver un point commun qui a fait Malédiction du Nord. On a toujours eu cette nonchalance de dire « le bizness c’est le bizness, mais nous on est des kiffeurs ». Le jour où on kiffe plus, on passe à autre chose, et si ça revient, j’en refais, et je déchire ! On ne s’est jamais mis la pression. On n’a jamais démarché de maison de disques. Je ne crache pas sur les maisons de disque ni les radios : ce sont des gens qui ont décidé de produire la musique d’une certaine manière. Si j’avais une radio, j’aurai des choix à faire. Ces choix correspondraient à mes valeurs et mes objectifs. Malédiction et Nord et les maisons de disques, ça ne colle pas, donc pourquoi y aller ? Faire un hold-up et mourir artistiquement ?
A : Plus globalement, tu as été au contact d’artistes qui, par la suite, ont complètement explosé : Richet, Gynéco, Kilomaître Productions… Toi qui es resté dans l’ombre, as-tu des regrets ?
S : Non, je ne peux pas avoir de regrets. J’ai eu des décisions à prendre, je les ai prises en pensant que c’était le bon choix. Peut-être que c’était le mauvais choix, mais je ne le saurai jamais ! Aujourd’hui, je suis là où j’en suis. Toujours dans l’ombre, mais je sors des disques, je vais faire le New Morning. Si j’étais triste, pour me consoler je me dirais que d’autres gens ont été dans la lumière, mais quand elle s’est éteinte, ils ont complètement disparu. Ils ne sont même plus dans l’ombre, ils ne sont plus là. Moi, j’existe encore. Je n’ai pas de plan de carrière, je ne vis pas de la musique, mais je me construis autrement. J’ai une activité professionnelle, je m’occupe de mes enfants. La musique reste une passion et une façon de me contenir. Je peux me confier à un public, à une feuille, à un micro. C’est libérateur.
A : Tu pourrais vivre sans le rap ?
S : Je ne sais pas. J’ai toujours envie d’en faire, pas forcément d’en vendre. Juste le fait de sortir un disque, ça a du sens. Les gens vont écouter, ils vont adhérer ou pas, mais même si une seule personne adhère, c’est énorme pour moi. Avec mes choix, je suis toujours un peu resté à l’écart du « commun rapologique ». Je n’ai jamais appartenu à une famille type Secteur Ä. Je n’ai pas copiné avec untel ou untel. Je me suis protégé par rapport ça, je trouvais ça un peu superficiel. Je me suis préservé pour que ma musique continue d’exister. C’était peut-être une peur de prendre des risques. Dans le bizness de la musique, je n’ai jamais voulu me mouiller dans un truc. Excuse-moi l’expression, mais je n’ai pas mis mes couilles dans un sac et dit à quelqu’un « vas-y, va avec où tu veux ». Non, je les ai gardé avec moi et j’ai fait mon chemin ! Après l’avenir…
A : Justement, je te pose la même question que toi dans le titre ‘Historik’ : « qu’est-ce qu’il devient l’avenir ? »
S : [rires] J’espère que le disque sera apprécié. Que son message sera compris et valorisé. Et dans l’avenir lointain, j’espère continuer à sortir des disques, faire des concerts et pourquoi pas créer mon label pour produire des personnes que j’apprécie. J’espère apporter ma pierre à l’édifice comme ça. Si je ne perce pas, j’espère que d’autres perceront par moi. Je serai passé par une expérience dont je pourrai faire profiter à d’autres. J’ai encore des choses à écrire, tous les jours. Ma seule peur serait de ne pas pouvoir les sortir.
A : En 1998, dans le titre ‘Pas de notre faute’, tu commençais ton couplet en disant que « la route est longue »…
S : C’était déjà un premier petit bilan. Par rapport au thème de Cercle Rouge, c’était une vision sur l’avenir. Changer le cours des choses, changer l’ordre établi. Je dis « La route est longue, elle est longue… / Avoir un but, arriver à ses fins c’est dur et à la longue / Certains finissent par baisser les bras, d’autres persistent avoir ge-ra mais ignorent ce qu’il adviendra de leurs efforts… »
A : Ca résume un peu la carrière de beaucoup de rappeurs…
S : [il éclate de rire] Aussi ! Mais je n’ai jeté l’œil sur personne ! La vie n’est pas un long fleuve tranquille, qu’elle soit musicale ou sociale. La musique, ce n’est pas quelque chose de facile. Ca a l’air beau quand on écoute, mais derrière c’est rempli de requins. Il faut être prudent, savoir où on met les pieds. Et garder la tête sur les épaules. Comme Highlander ! [rires]
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