Show (D.I.T.C.)
Le 9 février dernier marquait le neuvième anniversaire de la mort Big L. En son hommage, notre Main Invisible a réalisé une série d’interviews avec les producteurs du D.I.T.C. C’est Show (de Show & A.G.) qui ouvre la marche. Il nous parle de son parcours, sa technique et évoque la mémoire de Lamont « Big L » Coleman.
Abcdrduson : Je ne suis pas sûr que tu aies vraiment à te présenter mais peux-tu le faire pour nos plus jeunes lecteurs ?
Show : Je suis Show du DITC, le crew légendaire. Origine Bronx, New York. Je fais ce job depuis plus de dix ans.
A : Quelle a été ton éducation musicale ?
S : J’ai connu le hip-hop à ses premiers pas, dans le South Bronx, du temps où il n’existait que dans les parcs. En grandissant j’ai appris à être DJ avec l’aide de mes cousins. Je faisais des fêtes dans tous les coins du quartier et des petits shows à droite à gauche. Et puis Marley Marl a débarqué avec un sampler SP 1200 et de là j’ai commencé à bosser côté production.
A : En quoi le fait d’être DJ t’a permis d’être un meilleur producteur ?
S : Quand tu es DJ, tu passes ton temps immergé dans la musique. Tu en entends tout le temps, alors elle t’accompagne. C’est un peu comme un joueur de basket : s’il passe son temps sur les terrains, il ne peut que s’améliorer. Avec la musique, c’est pareil : plus tu baignes dans la musique, mieux tu comprends la façon dont elle se fait et comment elle est structurée. D’ailleurs, les meilleurs producteurs ont d’abord été DJ : si tu fais des DJ-set ou des soirées en club, tu auras une longueur d’avance sur quelqu’un qui n’a jamais touché des platines.
A : Quelle était ton approche en entrant dans le rap ?
S : A l’époque, l’approche c’était d’avoir de grosses rythmiques, il fallait que ça rebondisse. Donc il fallait mettre l’accent sur ta programmation de batterie et ta ligne de basse plus que tout autre chose.
A : A tes débuts, il y avait beaucoup de styles différents dans le hip-hop. C’était difficile de te faire un nom à l’époque ?
S : En fait, je n’essayais pas de me faire un nom. C’est un concours de circonstances. Je faisais de la musique pour que les gens l’écoutent. Je n’imaginais pas une seconde que ça puisse avoir un quelconque impact. Finesse a sorti un disque, c’était un bon pote à moi dans le quartier. Non, vraiment, je voulais juste qu’on écoute ma musique.
A : Comment as-tu rencontré A.G. ?
S : Je l’ai rencontré par l’intermédiaire de Lord Finesse. Il l’avait vu lors d’une battle de MC’s et il avait kiffé. Ils sont devenus amis et quand Finesse a commencé à bosser sur son album, il a invité A.G. à y participer. J’étais aussi dessus, et c’est là qu’on a fait connaissance.
A : Comment est né l’idée du DITC ?
S : Diamond et moi, on a lancé la production DITC à force de faire du son et d’aller à la recherche de disques ensemble. Diggin’ In The Crates Production vient de là. Dès qu’on s’est lancé, on a donné le nom à tous les gens qui nous étaient liés.
A : J’imagine que le fait de travailler avec Diamond, Buckwild et Lord Finesse, ça a du t’aider à progresser…
S : Carrément ! Quand on était tous ensemble, on était les meilleurs parce que chacun apportait son style et ses idées. A ce stade, je ne serais pas le même producteur si je n’avais pas connu Diamond et Diamond serait aussi un autre s’il ne m’avait pas connu. On tient toujours la route mais on était meilleur quand on travaillait ensemble. Quand tu restes au contact de gens très créatifs, toi aussi tu deviens créatif. C’était une compétition amicale qui te pousse à te concentrer sur ton travail de producteur.
« Big L était aussi bien du genre à foutre la merde en studio pour voir qui allait se mettre en colère après lui. C’était un sacré personnage, vraiment intéressant. »
A : Le mois dernier a marqué le neuvième anniversaire de la mort de Big L. C’est toi qui a produit son premier titre, ‘Devil Son’. Peux-tu nous raconter comment tu l’as rencontré ?
S : Je l’ai rencontré via Lord Finesse. Finesse était dans un magasin de disques et Big L l’a approché en lui disant qu’il savait rapper. Lord Finesse l’a écouté, il lui a dit qu’il avait bien apprécié et juste après il m’a passé un coup de fil en me disant « Il faut que ce mec sorte ! ». C’est donc Finesse et moi qui l’avons envoyé en studio.
A : Qu’est-ce que tu as vu en lui la première fois que tu l’as entendu rapper ?
S : J’ai tout de suite su qu’il était né pour faire du rap car il sortait du lot, son flow était mortel et il avait une grande confiance en lui. Il avait tous les ingrédients nécessaires à un MC au moment où il est arrivé.
A : Tu aurais une histoire marrante à son sujet quand tu te retrouvais en studio avec lui ?
S : Je ne pourrais pas te raconter une seule histoire marrante, parce qu’à chaque fois qu’il débarquait en studio il en avait une ! C’était tout lui. A chaque fois qu’il était dans les parages, il nous racontait une histoire qui lui était arrivé dans son quartier. Il était aussi bien du genre à foutre la merde en studio pour voir qui allait se mettre en colère après lui. C’était un sacré personnage, vraiment intéressant.
A : On raconte que le DITC s’apprêterait à sortir un nouvel album. Il y a du vrai là-dedans ?
S : Non, c’est une rumeur. Par contre il y a effectivement un album commun d’O.C. et A.G. en préparation. Finesse, E Blaze et moi allons produire.
A : La dernière fois que je suis allé à New York, je t’ai croisé au magasin Sound Library & A-1. C’est vrai que tu as quitté New York pendant plusieurs années ?
S : Ouais. Je fais encore des allers-retours.
A : Qu’est-ce qui t’a poussé à revenir ?
S : C’est chez moi, c’est là que vit ma famille mais j’ai aussi des proches en dehors de New York alors je vais et je viens. New York a une atmosphère différente, c’est là que je suis né et où j’ai grandi. J’aime d’autres endroits mais c’est toujours ici que je reviendrai.
A : Tu travailles désormais à l’intérieur du studio HeadQcourter’s. Quelle importance ça a pour toi de travailler à cet endroit ?
S : Je suis reconnaissant envers DJ Premier de m’avoir donné l’opportunité de m’installer là-bas car je me retrouve avec des gens créatifs et qui, en plus, connaissent leur histoire. Ce bâtiment occupe une place importante dans l’histoire du hip-hop, les plus grands sont venus enregistrer ici. C’est une bénédiction de prolonger l’héritage de ce studio. Et puis c’est un endroit cool : on passe du bon temps, on joue notre musique, on écoute celle des autres, on discute. Je suis chanceux, donc merci à Preemo de nous avoir laissé occuper une pièce là-bas.
A : Comment décrirais-tu ton style de production ?
S : En ce moment, je veux arriver avec un son qui sera vraiment imposant. Aujourd’hui les gamins écoutent du gros son, les samples ont une meilleure qualité grâce aux instruments et aux samplers actuels. C’est ça que j’essaie de maîtriser actuellement. Il y a dix ans tu pouvais sortir un son du moment qu’il avait du swing mais désormais, vu la technologie, il faut gonfler ta musique pour pouvoir être compétitif avec les producteurs du moment.
A : Quel producteur te donne envie de retourner à tes machines à chaque fois quand tu entends un de ses sons ?
S : Timbaland, parce qu’il est l’un des mecs les plus créatifs à avoir jamais fait du hip-hop. Il a pris beaucoup de risques, un peu comme J Dilla. Rest In Peace J Dilla. Il s’est attaqué à des styles de production que beaucoup d’autres avaient peur d’aborder. Mais il y a aussi pas mal d’autres producteurs comme Just Blaze et DJ Premier qui me donnent envie de retourner en studio.
« Avant je ne cherchais rien d’autre que des grosses lignes de basse ou quelques sons tordus dans des bandes originales. Désormais, je suis à la recherche de sons très différents. »
A : Quel est ton processus créatif pour faire des sons ?
S : Parfois l’idée vient de la rythmique alors tu pars de là. Une autre fois ce sera une ligne de basse que tu as en tête, ou alors tu cherches un disque qui contient une ligne de basse, et ce sera ton point de départ.
A : Tu utilises toujours des samples ?
S : Oui ! J’arrête pas ! Les seules fois où je vais m’éloigner des samples c’est quand je bosse sur des projets annexes de R&B. Mais je suis toujours à la recherche de samples !
A : Quels sont les genres musicaux que tu préfères sampler ?
S : J’aime beaucoup sampler des trucs de l’étranger : des bandes originales de dessins animés japonais, des trucs français, internationaux. Je n’aime pas trop sampler des disques américains car souvent les producteurs ont les mêmes disques dans leur collection. Bien sûr, tu peux utiliser un morceau identique et le travailler d’une meilleure façon mais je préfère me dire que quand je sors un son, personne n’aura le même disque que moi.
A : Que penses-tu de l’utilisation d’instruments live ?
S : C’est quelque chose qui me plaît mais je vais d’abord utiliser un sample et je placerai les instruments en dessous. Je ne ferai jamais un album sans sample.
A : Comment a évolué ton style au fil du temps ?
S : Et bien, avant je n’allais pas utiliser d’instruments live sous mes samples pour les étoffer. Je suis plus ouvert pour utiliser des sons que je n’utilisais pas avant. Avant je ne cherchais rien d’autre que des grosses lignes de basse ou quelques sons tordus dans des bandes originales. Désormais, je suis à la recherche de sons très différents.
A : Que penses-tu de cette nouvelle génération de producteurs qui utilise des ordinateurs pour produire ?
S : Il n’y a rien de mal à ça, du moment que ton son est bon. Je ne peux pas dicter à quelqu’un la manière de faire du son. Si ta musique cartonne, elle devient indéniable. Tu fais un beat mortel depuis une Playstation ? Je respecte ça ! 9th Wonder fait des sons sur son PC et ça ne pose problème à personne !
A : Tu viens de sortir un EP appelé The Show & A Experience. De quoi s’agit-il ?
S : C’est juste une poignée de morceaux dans lesquels on prend un peu la température. Juste des beats et des rimes, pas vraiment un projet dans lequel on a mis beaucoup de réflexion. AG avait rappé sur plusieurs sons à moi et on s’est dit qu’on pouvait les rendre publics.
A : C’était difficile pour vous deux de retrouver votre alchimie ?
S : Concrètement, nos vies ne sont plus les mêmes alors ce n’est pas dur, mais c’est un défi. Je veux avoir une approche plus musicale et je pense que lui est encore dans le boom-bap pur et dur. Mon but est d’évoluer en tant que producteur, être plus créatif avec le son. Mais c’est cool de se retrouver, on a un album de prévu cette année chez Nature Sound et tu peux t’attendre à ce qu’on donne le meilleur de nous-mêmes. C’est un projet de pur créativité donc ça va nous prendre du temps pour le finaliser. On veut que notre musique résiste au temps.
A : On m’a dit que tu avais formé une nouvelle équipe de production. Tu peux m’en dire quelques mots ?
S : Ce nouveau crew, c’est moi, E Blaze et Ahmed. E Blaze est vraiment l’un des producteurs les plus brillants que j’ai rencontré, très créatif, avec un son bien à lui. Mon pote Ahmed a grandi avec moi, c’est un mec très créatif également. On va laisser parler la musique à notre place.
A : Dans les prochains mois, on va t’entendre sur quels projets ?
S : Il y aura l’album de OC et AG, ainsi qu’un nouvel album de Big L à partir de titres inédits. Il y aura aussi le solo de OC, l’album Show & AG et celui de D Flow.
A : Tu peux nous en dire plus sur cet album de Big L ?
S : Sur le projet Big L, on retrouvera des enregistrements méconnus ou complètement inédits réalisés quand il était plus jeune ou juste avant sa mort. C’est Finesse qui s’occupe de la majorité de la production. Ca devrait sortir dans le courant de l’année.
A : Parmi la nouvelle génération, quels sont les artistes avec qui tu aimerais travailler ?
S : J’aime bien Joell Ortiz mais on a déjà bossé ensemble. J’aime bien Skyzoo. Enfin, il y a beaucoup de nouveaux rappeurs qui tiennent la route mais je ne pourrais pas te citer un nouveau venu avec qui j’aurais vraiment envie de travailler. Si, il y a aussi Cory Gunz parce qu’il vient du Bronx et qu’il défonce. Et quelques mecs ici et là.
A : Ton avis sur l’état de la scène new-yorkaise ?
S : La scène musicale à New-York, c’est mort. Il faut que la ville retrouve sa voie. Je n’ai rien contre le Sud ou la côte ouest mais quand des new-yorkais font de la musique sudiste je ne comprend pas : on a pas le même genre de bagnoles, de femmes ou d’argot. On a le bitume, la rue, toute cette merde ! Je pense que New York cherche un moyen de revenir sur le devant de la scène car on s’est perdu pendant un moment. Cela dit faut pas oublier que les artistes qui vendent le plus et les plus gros labels sont toujours basés à New York.
A : Et ton avis sur le hip-hop en général ?
S : C’est toujours aussi beau. Les clashs et les bagarres sont le seul bémol, mais il y a toujours eu beaucoup de diversité dans le hip-hop. Tu peux faire du son pour la radio ou du son pour l’underground. Tout ça est une bonne chose car les gens peuvent s’exprimer de manières différentes. Avant il y avait Stetsasonic, Public Enemy ou A Tribe Called Quest. La musique de chacun reflétait l’endroit d’où il venait. La violence, les embrouilles et les divisions sont le gros problème aujourd’hui. Dès qu’il y a un mort, tout le monde veut jouer l’unité et faire les Nelson Mandela. Mais juste avant, ils racontent tous des conneries et font les malins avec leurs flingues. C’est vraiment minable !
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