Seth Gueko : amour du mot et pétomanie
Au stade du disque, l’auditeur attentif se dit déjà qu’il y a quelque chose. Au stade du concert, le spectateur ne veut plus que ça s’arrête. Alors au stade de l’interview… S’il fallait retenir deux phrases de cette discussion, ce pourraient être celles-ci : « Je tiens le monstre en laisse, là » et « C’est l’amour du mot, en vrai ». Rencontre avec l’homme qui les a prononcées. Rencontre avec La Bête.
Il y a des interviews qui commencent pile au moment où l’on enclenche le dictaphone. Des interviews où l’on peut aisément pointer du doigt l’avant et l’après appui sur la touche [REC]. Seth Gueko, lui, nous a pris de court.
Rendez-vous était pris le vendredi 11 avril à 15h30, quelques heures avant le passage du rappeur au festival L’Original de Lyon. Quand Vincent, son manager, nous ouvre la porte de sa chambre d’hôtel, la figure de proue du label Néochrome émerge péniblement d’une sieste. La tête dans l’oreiller, il a le visage rougi par le sommeil.
Deux heures plus tôt, pendant la préparation de l’interview, notre question était de savoir ce qui nous attendrait à l’hôtel Athena. En fond sonore : Drive By en caravane, ses accents gouailleurs et ses formules coup de poing que l’on se répète à haute voix avec un air hébété et une fascination hilare. A l’écoute du street-CD, notre curiosité monte en flèche. Qui allait-on donc rencontrer ? Une rock-star ? Un rappeur assagi déguisé en cabochard ? Un affreux jojo prêt à en découdre ?
« Salut les p’tits veinards ! »
Notre dictaphone n’est pas encore allumé quand Seth Gueko se redresse d’un bond sur son lit et nous accueille, l’œil vif. Quelque chose nous dit déjà que l’on va passer un bon moment. Sentiment confirmé dans la seconde, quand la tête de Roumain la plus célèbre du rap français nous met définitivement à l’aise avec une réplique qui file directement au rayon de nos meilleurs souvenirs de fans : « Vas-y assied-toi ma couillasse ».
A peine le temps de jeter un œil à nos questions que le rappeur est en roue libre. Il a déjà cité Renaud (« J’suis une bande de jeunes à moi tout seul »), tâte son cou et dégaine une formule bien à lui pour parler de son angine : « J’vais me transformer en rouge-gorge ». Ouf, cette fois-ci, le dictaphone est en marche.
Abcdr du Son : On se posait des questions sur ton inspiration, mais on dirait qu’en fait, ça te vient tout le temps…
Seth Gueko : Ha ouais, tout le temps. Dès que j’ai envie de dire un truc, je veux le dire d’une manière marrante.
A : Et tu écris ou tu t’enregistres sur dictaphone ?
S : Avant j’avais un téléphone, j’avais acheté un tactile. Ça faisait deux ans que je l’avais et j’avais brûlé les touches. Là j’y arrive plus, alors j’ai acheté un cahier, un stylo… pour faire un peu le poète lunaire ! J’essaie de garder les rimes mais j’en perds beaucoup. Là, j’ai au moins deux albums sur mes Memento.
A : Et tu remets le puzzle en place après coup, c’est ça ?
S : Il y a les punchlines, après mes expressions, après les textes sur ma life… Là l’album est enregistré à 75%. J’ai enregistré il y a huit mois, ça m’a donné le recul pour retoucher, repolir… Tu sais, les mecs ils sortent leur album, après ils se disent « putain merde, j’aurais dû faire ça ». Moi j’ai eu du recul de ouf’ ! J’ai fait 75% de l’album avant Drive By, donc j’ai eu le temps de peaufiner au mieux, et après je laisse venir les petits trucs de l’instant présent. Il y a un côté freestyle que je veux qu’on sente à la fin.
A : Dans la chronique de Drive By en caravane sur l’Abcdr, il était question du personnage que tu as créé… Tu es « Seth Gueko » combien d’heures par jour ?
S : C’est constamment. Tu sais, des fois le rappeur c’est la partie un peu noire de la personne, un peu fofolle. Mais moi-même je suis plus ouf que le personnage Seth Gueko. Ceux qui me connaissent me disent « whoah, tu lightes trop ton rappeur, tu lâches pas le vrai boute-en-train de fou que t’es » ! Après, ce personnage, il va être exploité au service de la drague. Dès que je vois des meufs, je me retourne, je sors des punchlines, des ze-pha… Ou quand je suis en famille, pour faire rigoler la daronne, le tit-pe, les potos. C’est l’amour du mot, en vrai.
A : Toujours dans la chronique de Drive By en caravane, je faisais le parallèle avec Roger Federer, qui disait qu’il avait l’impression d’avoir créé un monstre. C’est une impression que tu as aussi ?
S : Oui, mais il est pas aussi fou que le créateur, comme généralement. Dans Frankenstein, par exemple, le docteur est encore plus ouf que la bête qu’il a créée. C’est lui qui la maîtrise, en vrai.
A : Tu vas pas te faire déborder par la créature Seth Gueko ?
S : Jamais. C’est la créature qui va se faire tuer par le maître.
A : Et vis-à-vis des attentes du public ?
S : Le public il m’attend, c’est vrai… Pourtant je trouve que j’ai bien jaugé mon truc. Sur chaque CD, j’ai donné un titre qui était assez perso. J’ai fait « La Famille », un morceau sur mon fils, dans mon maxi. Dans Barillet Plein, j’ai fait « Requiem », « Imagine un monde » et « Prison », qui étaient un peu persos, qui parlaient un peu de oim’. Après j’ai fait « Destins croisés » sur Patate de Forain, pour le côté polar dans l’écriture, montrer que je pouvais mélanger ma vie à un film de fou, pour qu’à la fin tu saches plus où commence la réalité et où elle finit. Tout en sachant qu’il y a des titres que j’ai écrits à l’époque de Barillet Plein, je les ai toujours pas mis dans les projets parce qu’ils n’y avaient pas encore leur place. Et quand je les chante aujourd’hui, tu vas ressentir l’écriture d’avant mais tu vas te dire « Putain mais il écrivait bien à cette époque-là ! » Avec en plus la gouache de maintenant, l’interprétation, le laisser-aller, la maîtrise… Je tiens le monstre en laisse, là.
A : Donc en fait t’as affiné un truc que t’avais en toi depuis vachement longtemps…
S : Voilà. Maintenant, les gens m’attendent sur de la punchline de ouf’. Ça je sais le faire. Ils disent : « C’est quand qu’il va parler de lui ? » Parce que tout le monde attend un peu que les personnages se révèlent. Mais moi je vais leur faire un truc dans lequel je vais me révéler plus que tous les autres rappeurs l’ont jamais fait. Les secrets de famille, je les livre dans mon album. Mais en même temps, faut savoir que le rap, pour moi, c’est « rue », c’est « cité », ça vient du mal-être. Même si tout le monde peut l’utiliser, même en cité pavillonnaire. Mais l’environnement dans lequel tu vis, la couleur de tes bâtiments… Ça sent le mal-être. En vrai, il y a une pudeur à garder sur sa vie. Moi j’avais envie de connaître des choses sur les rappeurs que j’écoutais. Parle-nous de toi ! Là tu vas entendre parler de moi à mon état fœtal, des bruits que j’entendais dans le ventre de ma mère jusqu’aux bruits que j’entendrai à mon enterrement ! Si ça se trouve, je serai encore conscient de ce qui se passe autour de moi. Tous ces bruits-là. Les battements d’ailes de papillons de mes souvenirs, tu vas les entendre. Les odeurs, les réminiscences, tout.
A : Et selon quels critères choisis-tu de garder ou non certains morceaux de côté ? C’est au feeling ?
S : Non, là le morceau il est trop ouf pour que tu le mettes sur une tape et que t’en vendes au maximum 10 000. C’est impossible ! Ce truc-là, je veux que tout le monde le sache. Tu le connais, y a des trucs qui sont prenants.
A : Le critère c’est donc que le plus grand nombre puisse l’écouter ?
S : Ouais, exactement. C’est trop… C’est comme si… Attend, tu veux une comparaison de fou, une punchline de fou ? C’est comme si t’offres une perle à un bébé. Il va la mettre dans sa bouche, ça aura pas de goût pour lui. Donne-lui un caramel… Il va le prendre, ça va être sucré, il va le préférer. Alors que la perle, elle a dix fois plus de valeur. Faut lui expliquer que grâce à la perle, tu peux avoir des millions de caramels. Voilà, je voulais pas donner de la confiture à des cochons !
« Les profs mettaient sur mes bulletins : ‘Un grand pétomane’. »
A : On se demandait si t’avais une stratégie, mais j’ai l’impression que c’est plus profond que ça. Il y a clairement une volonté d’aller étape par étape…
S : Tout est moi, tout est honnête, mais tout est calculé. C’est de l’entertainment. Ça je l’ai compris et les gens de Neochrome aussi. Nous on a vu les grands travailler, savoir monter… L’entertainment, c’est savoir développer un personnage, les produits dérivés que tu peux en tirer…
A : C’est assez peu assumé en France cette dimension du divertissement, non ?
S : Ouais, c’est le piège du « trop sérieux« . C’est aussi qu’il y a beaucoup de gens qui sont rentrés dans le créneau « rap de rue » et qui arrivent plus à dissocier « rap » de « rue« … C’est que du rap de rue maintenant : t’es une caillera, tu rappes… On ne fait plus place à la manière dont le truc est dit. T’es prisonnier. En vrai, caillera c’est une mentalité, un état d’esprit, une vision des choses. Tu peux être caillera en étant tétraplégique dans un fauteuil. Pourtant tu fais rien, mais t’as la mentale. Tu peux être caillera et faire golri, être un dragueur… C’est chacun sa discipline. Y’en a, c’étaient des bagarreurs, ils vivaient à travers les coups, d’autres faisaient leurs intéressants, à vouloir attirer l’attention des gens…
A : C’est souvent ceux dont on se rappelle. Je me souviens au collège, ces types ils sortaient du lot…
S : Ouais, voilà. Moi j’étais le gars qui sortait du lot au collège.
A : D’ailleurs je me demandais, à quoi ressemblait Seth Gueko au collège ? S’il avait été dans ma classe, ça aurait été trop marrant…
S : Laisse tomber. Moi je venais en cours, j’avais rien sur moi. Je demandais une feuille, un stylo. J’écrivais les cours, pour faire style. Le prof, il me demandait : « Mais pourquoi t’écris sur une feuille ?« . Je répondais : « T’inquiète pas, je vais tout recopier chez moi sur le cahier« . Puis à la fin du cours je chiffonnais la feuille en boule et je faisais un panier. Ils m’excluaient, les profs. Je pétais en cours moi, mon gars ! Après ils mettaient sur mes bulletins : « Un grand pétomane« . J’étais la bête noire de la classe, je faisais gol-ri tout le monde. Ils en pouvaient plus, ils y arrivaient plus les profs ! Trop dissipé, ça partait dans tous les sens, ils étaient obligés de me mettre là-bas au fond… Après j’étais un relou aussi, qui charriait tout le temps, qui balançait ses Petits Suisses sur ses têtes de Turcs. Après je suis retombé sur eux, des fois, dans des interviews, dans des radios. Dès qu’ils voyaient que le petit jeu prenait une mauvaise tournure, je prévenais, je disais : « Lui c’est un mec que j’ai connu, sur qui j’ai balancé tous mes couteaux, et là il essaye de les relancer sur moi ! » Alors je reprenais le dessus, ils gagnaient pas. C’était l’arroseur-arrosé, si tu préfères.
A : On a l’impression qu’il y a des cycles dans le rap et que là, en ce moment, il y a des rappeurs, toi et d’autres comme Esco ou Lalcko, qui se sont affranchis des aînés pour créer autre chose.
S : Est-ce que tu comptes Despo dedans ?
A : Oui.
S : OK, je vois ce que tu veux dire. Tout le monde suit un peu le même chemin… Escobar, avec son truc un peu d’outre-tombe, Despo décalé avec son interprétation, Lalcko aussi il a son truc. Je pense que c’est une autre manière de faire, de prendre d’autres chemins, sans qu’il y ait de clash fratricide avec les grands frères. C’est une manière de dire « Y’a des trucs que vous n’avez pas fait« … Ou des trucs que eux aussi ont fait à une certaine époque mais qui se perdent. Comme La Cliqua, qui étaient vachement rue sans non plus le mettre forcément en avant. Les X-Men aussi, des écoles de fous qu’on a perdues. Mais nous ouais, on s’affranchit avec un autre truc encore.
A : Vous êtes en train de créer une école en fait…
S : Ouais. Mais je trouve qu’il y a déjà une école Neochrome de technicité et d’écriture. Puis t’as aussi une école de mecs qui cherchent à se démarquer, des fortes personnalités. Je compterais des gens que t’as cité, comme Despo, Lalcko, Nessbeal aussi a ce truc un peu décalé, de son côté. Histoire de pas reproduire le schéma des autres, mais atteindre le même but et réussir dans sa discipline et s’ouvrir… Tu sais, le rap, c’est une fenêtre… Là, je suis en train de construire une maison, le rap c’est que le Velux. Quand tu rentres, t’atterris le pied devant les toilettes turques, direct !
A : De la même façon que le 113 est arrivé avec ce délire d' »Arabes de cité », et débarquent en 504 Break sur le plateau des Victoires de la Musique, toi tu apportes plein de références un peu franchouillardes, genre « des avant-bras de déménageurs bretons ». C’est quelque chose qui était absent du rap, quelque part…
S : Ouais ouais, c’est parce que dans le rap, tout le monde camoufle un peu son côté français. Même moi, j’ai eu cette période où t’es français, mais nan, tu t’inventes une origine ! C’est un peu honteux, alors tu t’inventes une origine pour ne pas te faire marcher sur les pieds. Comme s’il fallait prouver beaucoup plus quand t’es français ou blanc… Mais nan ! Je me suis toujours imposé, moi, dans tous les milieux. Dans des milieux kainf’, moi j’étais un Blanc, j’suis venu… Ça dépend de ta personnalité, alors j’me suis dit « profite d’être quelqu’un qui se laisse pas faire et impose-toi ». Nous on mangeait des coquillettes, c’est génération poisson pané-purée, tartines de Nesquick au beurre, barbeucs, caravane ! D’ailleurs tout le monde a compris que c’était un délire la façon dont j’ai utilisé la caravane de Drive By. C’est un délire gitan que j’ai bien maîtrisé, et tout le monde en veut encore. Comme je suis honnête envers moi-même, je connais le truc, je le fais bien. Y a pas d’histoire, y a pas un Gitan qui est venu me dire « Ouais t’es pas un Gitan« . Quand tu fais un truc bien, t’as pas de soucis. Après, y a des détracteurs qui inventent des trucs, qui veulent te titiller, mais tu pourras pas me kicker en essayant de me tester sur ça. Moi j’ai grandi avec une caravane, j’ai déjà fait les campings de Franck Dubosc ! Je connais ça, je triche pas.
A : C’est toi qui a eu l’idée du canevas du clip de ‘Cabochard’ ?
S : J’ai eu l’idée quand j’ai fait ‘Hein mon zincou’, le délire de parler à la Snatch, après c’était de la mise en image. Quand Guy Ritchie a tourné le film, je me suis dit que j’aurais pu être chacun des personnages : Tête de Plomb, Turkish, Tommy, Mickey le Gitan, Glorious Georges le boxeur. J’aurais pu être tous les personnages de ce film-là parce que je me trouvais un point commun avec chacun. On a trouvé le truc gitan, et faire ce clip-là c’était le moyen d’enfoncer le clou. Et ce serait pas totalement mon titre à moi : je suis venu parrainer mon 25G, un mec que j’ai rencontré. J’ai écouté, j’aimais bien. Il est venu à la relance plusieurs fois, il m’a dit « moi aussi j’ai ce délire là ! » Comme je suis humain, sensible à certains trucs, le gars je lui donne un coup de main. Fusion d’esprit : y a des gens, comme ça, ils t’inspirent de ouf. Ils comprennent ton délire donc ça fusionne quand on est dans la même pièce. « Regarde on va faire ça, ça, ça !« . Une effervescence d’idées. Je me rappelle, au sein de la Mafia K’1 Fry ça existait, ça. Des grosses personnalités : l’un polit l’idée, l’autre la travaille et à la fin ça donne des idées de fou, comme ‘Cabochard’. Moi, quand même, je garde un certain recul dans le clip, tout en gardant le côté « parrain » qui parraine le délire…
A : … avec la bouteille de Pastis…
S : Sans le bob ! Ce qui veut dire que je suis un gros pichtronneau, parce que ça, au soleil… Salement pété de la tronche ! Une vraie réclame pour Casanis.
A : « Drive By en caravane » n’est pas à un paradoxe près. Tu peux à la fois citer des gens comme Twin Gambino et Big Noyd, et en même temps…
S : … des fois tirer sur le rap américain, ouais. Vraiment, dans le rap américain, ce que j’ai écouté, ce qui m’a vraiment influencé, c’étaient des timbres de voix, des ambiances, des atmosphères. Mobb Deep, des trucs vachement dark, des boucles de samples que j’ai retournées. Ça m’a parlé en terme de musicalité.
A : Sans forcément chercher à comprendre les textes ?
S : Sans forcément chercher à comprendre, sachant que c’est des punchliners, ils ont de la ze-pha, des retombées mathématiques de flow… Je suis pas un gars qui est allé décortiquer le truc en anglais, je maîtrise pas trop. Après, ce que j’aime pas dans le rap américain, c’est la surexploitation des meufs, le côté « chair » qu’ils mettent en avant… J’aime pas trop…
A : C’est aussi ce qu’on voit dans le clip ‘Les fils de Jack Mess’, pourtant…
S : Ouais mais c’est décalé quand même. J’ai mis une meuf dodue qui a un gros bras. Tout le monde me dit « elle est bonne« , mais moi… C’était pas une meuf de ouf en vrai ! Tu vois c’que j’veux dire ou pas ? Pour dire, le clip : on me l’a imposée, cette scène-là, je l’ai pas demandée…
A : C’était par rapport à la rime d’ouverture du morceau, « une go qu’aime griffer les hommes »…
S : Voilà, c’est parti de ça, et truc, et tout… Moi, le clip, je l’aurais fait sur un voilier avec Charlie Bauer. En col blanc, sur une terrasse de café marseillais entrain de négocier des affaires. Mais après, le clip se justifie avec le braquage : d’un seul coup, t’as rien, puis t’as beaucoup de sous, et je pense que quand tu passes ce cap, tu l’exhibes avec des marques estampillées en gros, avec des nanas super bonnes… Alors que souvent, ce mec-là, qui montre des belles femmes, chez lui il a une femme complètement normale. C’est une exposition, une manière de s’affirmer, de dire « Moi j’ai ».
Pour revenir au rap américain, en soi, j’m’en bats les couilles en vrai. Tout le monde en fait tout un truc… En France on a des gros poètes, des lyricistes de fou, et les gens achètent plus de CD cainris que des CD français. Pis tout le monde tape sur les doigts à Sarko, moi j’tape sur les doigts du rap américain. Ce que je fais, c’est complètement à contre-pied du rap américain. Peut-être Eminem l’a fait à sa manière…
A : Quand on parlait de ces histoires de cycle, on a l’impression que toi et d’autres arrivez dans une espèce de no man’s land, avec des thématiques inexploitées jusque là. Vous mettez les pieds dedans.
S : Ouais, il y a des thèmes qui ont été abordés, ça tournera tout le temps en rond. Depuis la nuit des temps, les morceaux c’est sur la mort, l’amour, « j’ai vécu mon passé », etc. Mais on a trouvé une nouvelle stratégie, d’autres points de vue. Trouver d’autres manières d’aborder le truc, avec de l’humour et une autre manière de te situer. Par exemple, l’histoire d’un meurtre. Les mecs, aujourd’hui, ils se mettent toujours à la place du tueur. Ben là, à l’inverse, tu peux te mettre dans la peau du mec qui se fait tuer. Faire des trucs de composition. Tu peux être une caillera en étant celui qui meurt. Tout le monde veut être celui qui tire, moi je veux être celui qui meurt.
A : Pour pas toujours avoir le beau rôle…
S : Il est où le beau rôle ? Tout est décalé en banlieue. Le beau rôle, c’est le méchant, le dealeur. Le mauvais rôle, c’est celui qui se fait marcher dessus. C’est comme moi : j’ai donné le beau rôle à Mesrine, alors qu’en soi il a fait des choses mal, il a tué des gens quand même. Mais c’est un symbole, ce côté hors-la-loi qui nous attire. Donc déjà là, y a un truc qui n’est pas respecté dans le bon rôle. Là, il y a un street-film qui s’appelle Cramé qui va sortir. Tout le monde aurait voulu jouer le rôle du dealeur dedans. Moi j’ai dit non, moi je serai un consommateur de drogues. Tout le monde aura peur, ça effraie tout le monde, plein de gens consomment de la drogue mais ils le feront jamais voir ! Donc j’ai joué le rôle d’un Yougo qui prend de la coke, des ecsta, qui vend des armes… Pour rester quand même dans mon personnage de youv’, Guigui. Je suis influencé par les films à la Scarface, Les Affranchis, tout ce qui est un peu mafieux. Même petite caillera, c’est ce que tu vises dans ton échelon, dans ta hiérarchie tu vises d’être un voyou. Tu pars de ghetto youth, petit, agressif, petite délinquance, arrivée grand banditisme. C’est l’ouvrier qui devient patron. Ça reste dans la culture de parler de ce côté « chef de gang ».
A : Côté influences, niveau films justement…
S : Tu vois, j’aime bien Scarface. Il tue, Scarface. Mais en vrai, notre Scarface à nous c’est Jacques Mesrine. J’ai commencé par connaître des films comme Boyz in the hood, Menace II Society, j’ai aimé parce que c’était la grande époque. Mais après je grandis, je mûris, je m’affirme. J’ai mes propres goûts. Moi j’ai grandi avec des Jean Lefebvre, et je vois des attitudes dix fois plus cailleras dans des films comme Le magnifique avec Bebel, quand il rêve de fumer Jean Lefebvre en compteur EDF. Ça me parle plus. Après, je trouve mieux mes repères dans la culture dans laquelle j’ai grandi : j’aime bien le rap américain, mais en vrai, c’est Claude François qu’il y avait chez moi. C’est Cabrel que ma mère écoutait dans son 33 tours.
A : On a interviewé récemment JR Ewing. Il nous expliquait que dans le rap français, il y avait un complexe des rappeurs par rapport à la maman, la famille. Son truc, c’était de dire que les Cainris se foutent de choquer leurs parents, mais qu’en France, il y a une certaine pudeur. Ne pas être capable de faire écouter ses morceaux à sa propre mère… Toi, comment tu perçois ça ?
S : Je sais pas… Nous, il y a un truc désinhibé dans les familles. Après, peut-être c’est dans les familles de Blancs… Ma mère, elle m’a entendu écouter de la musique jusqu’à tard le soir, elle m’a vu essayer de prétendre être rappeur. Dès mon premier CD chez Néochrome, elle a collé le sticker sur la porte de notre appart’ en gros, en plein milieu de l’œil de Judas. Aujourd’hui elle est fière ! En vrai, j’en suis sûr qu’elle a entendu « Tête de Roumain, zgueg de poulain« , « Un babtou avec une bite de val-cheu« … Elle ça doit la faire gol-ri ! Parce qu’une mère, en vrai, en soi, quand elle fait un petit garçon, elle a envie que son fils séduise plein de femmes, qu’il ait une grosse bite et qu’il fasse du mal aux meufs si on lui a fait du mal à elle. En vrai, je suis sa partie masculine. Tu pourrais croire que ça la gêne, ou que ça la vexe, mais ça peut la faire sourire. Après, on n’en parle pas trop, mais je sais qu’elle sait. Dans ma famille, si elle veut embrayer sur un humour un peu beauf qui dérape sur une blague un peu cul, je vais lui faire « chut ! tais-toi, qu’est-ce tu dis là ! » Après elle rigole, et quand on rit, c’est notre manière de dire « j’ai compris ta blague, ça me fait gol-ri, mais tais-toi maman, j’aime pas trop« . Faut se marquer nos propres limites, parce qu’après c’est la porte ouverte à du n’importe quoi.
Pour parler de mon album, j’ai fait un morceau super perso. Tout le monde a fait le morceau ‘Je t’aime maman’. Moi, j’ai fait un morceau qui va à contre-pied de tout ça. Je vais pas trop t’en parler pour pas que tu sois déçu, tu vas plus le kiffer, mais ma mère a écouté le titre, et ça l’a plus touché que si j’avais dit « Je t’aime maman« . Et il est hyper hardcore de ouf’. Elle a un certain âge, et je voulais que ce titre-là sorte commercialement. Ma mère a fait une grande chaîne d’enfants, je suis le dernier, le sixième. La continuité, elle est à travers les enfants que j’ai fait. Le jour où ce morceau sortira, maintenant qu’elle l’a entendu, elle pourra se dire qu’elle peut partir tranquille.
Vincent, son manager : On vous a ouvert un peu la porte de l’album, là !
« J’aime bien le rap américain, mais en vrai, c’est Claude François qu’il y avait chez moi. »
A : On sent que, sous l’univers Seth Gueko, il y a des choses qui demandent à sortir… Et on n’a presque pas envie de les demander en interview pour pouvoir les découvrir lorsque le moment sera venu.
S : Ouais, il y a plein de trucs…
V : Et musicalement aussi, vous allez savoir, là c’est un album, pas un street-CD…
S : Aujourd’hui, ma famille me dit « Tu vois, le morceau que t’as fait pour le petit, tu devrais le refaire pour l’album, il a pas été exploité ! » Et là, tu vois, je regrette car j’avais donné un morceau important dans ma carrière. Mais l’album va jeter la lumière sur moi, et après l’album je vais pouvoir rebalancer la lumière un peu partout et ressortir tous les trucs que j’ai fait : un coffret avec Barillet plein, le maxi, Patate de forain, Drive By plus peut-être un autre CD d’inédits.
A : Et sinon les mecs qui font des featurings avec toi, ils arrivent à exister quand même ?
S : Je sais mon potentiel, je sais jusqu’où je peux aller, mais je vais dériver trop loin après. Je peux même m’écarter du peu-ra, partir sur du… Je sais pas, j’ai trop d’idées. Je sais pas comment t’expliquer, faut qu’on me contienne pour que je reste peu-ra, parce que si je m’écoute, je vais explorer des contrées où personne n’est allé. Mais les gens vont kiffer hein, même les gens qui écoutent du rap ! Mais je m’éparpille (sic) de que je voulais dire…
A : On parlait du fait que tu peux bouffer tes invités…
S : Dans Barillet plein, plutôt que d’inviter des amis, il y avait des têtes connues. Je voyais ça comme de la compète. « Ramène-moi toute la crème de maintenant, et regarde ce que j’en fais. J’la chacale ! ».
Fin de l’interview. La discussion se poursuit pendant que le rappeur et son manager se préparent à filer pour la scène du Transbordeur. Anthokadi, auteur de la chronique de Drive By en caravane, a droit à des félicitations toutes personnelles : « C’est pas sorti des couilles d’Erwan ta chronique ! » Erwan ? « Tu sais, la fille qui a une bite dans Secret Story« . Anthokadi concède : « Ha, j’ai pas suivi l’émission« . Le dictaphone tourne toujours, et on parle cette fois-ci des lyrics que l’on souhaiterait publier sur le site. Vincent nous conseille d’aller les piocher sur le blog Néochrome, et Seth confie : « Sur le net, quand je retombe sur certaines rimes qui sont en signature chez des gens sur MSN, je deviens ouf’ ! Je te dis ça sans aucune prétention, mais c’est un truc de ouf’ les conneries que je peux sortir ! Le truc, il a trop de sens ! Et même des phrases toutes simples que je trouve nulles, on me dit qu’elles tuent ! »
Dans la foulée, il nous raconte qu’il aimerait sortir un livre dans lequel chacun de ses textes serait expliqué : « Toutes les roles-pa, toutes les techniques de rimes, à cette époque là je faisais ça, ça, ça… » On est déjà prêt à l’acheter les yeux fermés quand Vincent nous laisse un CD d’Aka, « un p’tit du 95 » présent dans Drive By et qui, le soir, aura la tâche d’accompagner Seth Gueko sur scène.
Arrivés dans le couloir, Seth s’absente, le temps pour nous d’échanger quelques mots avec Vincent à propos des médias et du coaching qu’il impose à l’artiste d’un support à l’autre. Le backeur et le DJ nous rejoignent. Puis Anthokadi évoque le maître : Booba. Réaction de Seth Gueko : « J‘étais vexé que dans les magazines, il parle pas de moi. Mais après il l’a fait, il a craché le morceau ! » L’ascenseur descend, discussion autour du concert. « On sera dans la fosse tout à l’heure », prévient Anthokadi.
Poignées de mains, remerciements chaleureux, dernier clin d’œil de Seth Gueko, et une ultime réplique que le dictaphone peut mémoriser :
« On est des chasseurs de têtes ! »
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