Sameer Ahmad, l’interview cinéma
Perdants Magnifiques, le dernier album en date de Sameer Ahmad, est sorti en décembre 2014 mais une partie de la rédaction est toujours obsédée par ce disque et ses multiples références. Conversation cinéphile avec un comédien dans l’âme.
Abcdr du Son : Dès l’introduction de Perdants Magnifiques on entend Donnie Brasco mais il y aussi le sifflement d’Omar de The Wire. Dans quelle mesure The Wire t’a obsédé ?
Sameer Ahmad : J’aime beaucoup le côté fataliste de la série. Quoi que tu fasses, c’est inéluctable. Premièrement, le héros de la série, ce n’est ni le Grec, ni Method Man : c’est Baltimore. C’est vraiment le côté malédiction urbaine où tout est lié, tout est compliqué sans être manichéen, qui m’a touché. Dans cette série, il y a un éternel recommencement où, quoi que tu fasses, ça ne changera pas. Quand tu vois Marlo Stanfield qui veut se ranger après la mort de Stringer Bell, en oubliant la rue, tu le vois comme une machine sans état d’âme, comme une personnification de Baltimore. Je suis vraiment impressionné quand je regarde The Wire, c’est du génie.
A : Ta saison préférée ?
S.A : Celle avec les enfants, la 4.
A : Omar, c’est un perdant magnifique ?
S.A : Omar ? Non quand même pas. C’est plus un Robin des Bois, une véritable entité. C’est comme Marlo Stanfield, c’est une métaphore. C’est une série qui est vraiment impressionnante. Pour moi ils ont réussi ce qui a été complètement raté par le film American Gangster. Ce qui est dommage c’est qu’en France on est capable de faire une chose aussi bien, mais on ne le fait pas. Le problème, c’est que le cinéma français est devenu trop parisien. Il n’y a que des comédies, des comédies romantiques qui se passent à Paris où on voit des gens au chômage habiter dans des appartements Haussmanniens.
A : Tu penses qu’il n’y a plus d’exception aujourd’hui dans le cinéma français ?
S.A : Si, il y a Audiard. Le problème c’est l’accessibilité qu’on avait dans les années 60-70, même aux Etats-Unis avec Scorsese par exemple. Il avait dit que, s’il voulait réaliser Taxi Driver aujourd’hui, personne ne lui donnerait de fonds. Il y avait une liberté qui venait de la France et de L’Italie. Ce n’est pas que c’était mieux avant mais je pense que dans la culture et dans le mode de pensée, nous sommes en période de transition. Nous sommes un peu comme un trait d’union entre deux époques et, cette prochaine époque, c’est nous qui allons la construire. On est un peu comme une adolescence de la culture française : on a des boutons, on est moche, on éjacule pour un rien mais on va vers un âge adulte qui rendra la culture plus belle.
A : C’est drôle on a l’impression qu’il y a une peur de la phrase « c’était mieux avant ».
S.A : Je ne dis pas que c’était mieux avant. Après, il y avait des choses qui étaient vraiment mieux et des trucs non. C’est comme tes souvenirs. Lorsque je regarde les dessins animés de ma fille et que je les compare avec les miens… Je me dis que les miens étaient vraiment mieux ! Je ne suis pas quelqu’un qui est dans le passé et je déteste ce genre d’attitude mais, si tu regardes le cinéma français, ce qui se faisait à l’époque était vraiment bien. Il y a des choses intemporelles, des choses qui nous ont marqués et des choses qui étaient vraiment mieux. Si tu prends aujourd’hui un des plus grands films de tout les temps qui est Le Bon La Brute et Le Truand, c’est un film hyper moderne et qui est mieux que le dernier Mad Max qui reste pourtant très cool.
A : Oui, mais c’est pas forcément mieux que Django, qui est récent.
S.A : Pour moi Django, c’est une sorte de petit frère de Le Bon La Brute et Le Truand qui a réussi. Mais il n’a pas le ton politiquement incorrect de Le Bon La Brute et Le Truand.
A : Comment ça ?
S.A : Si tu regardes bien, “le bon” n’est même pas bon, tu n’as aucune histoire de femme… C’est un film sans morale. Le seul but est de trouver l’argent. Alors que dans Django, il y a une cause noble. Dans Le Bon La Brute et le Truand, il n’y aucune belle chose.
A : C’est un de tes films préférés de Sergio Leone ?
S.A : Oui, c’est même un de mes films préférés tout court, et c’est le plus grand Sergio Leone pour moi. Il est simplement incroyable. J’ai même voulu faire du cinéma et j’avais vraiment envie de réaliser des westerns.
« On est un peu comme une adolescence de la culture française : on a des boutons, on est moche, on éjacule pour un rien mais on va vers un âge adulte qui rendra la culture plus belle. »
A : J’ai vu que tu avais fait des études de cinéma. Que voulais-tu faire exactement ?
S.A : J’ai fait du théâtre pendant 9 ans, avec Joël Bui notamment. J’ai fait l’Actors studio à Montpellier et Paris. Mais le théâtre c’était vraiment mon truc avant le rap. C’est toujours une passion. J’ai d’ailleurs connu Tahar Rahim à Montpellier, qui lui a joué le jeu et a su faire quelques concessions, ce que je n’ai pas forcément fait. Mais il est très fort et c’est d’ailleurs très bien qu’il ait eu ce parcours. Il y a un mec qui est plutôt bon là-dedans mais qui s’est abimé, c’est Romain Duris. Je sais qu’il y en a plein qui le détestent mais c’était un peu le PNL du cinéma français, il donnait très peu d’interviews. Il était très sélectif au début… Après il faut payer les impôts [Rires]. Mais il y a très peu de gars comme ça et, malheureusement, très peu de renouvellement.
A : Même si tu as fait du théâtre, je trouve qu’il n’y a pas beaucoup de clips de toi. Même lorsqu’il y en a un, tu ne te mets pas tant en scène que ça et on ne ressent pas vraiment ton côté acteur.
S.A : Pour moi, le concept d’un clip, ça doit être moi. Quand tu fais un clip, tu retombes en enfance, c’est comme un jeu. Par exemple, quand on a fait « Siwak », on a mis du bleu, du rouge, les crips, les bloods mais, dans le clip, c’est que moi. Les clips avec un scénario sont rarement réussis. Sauf chez les Américains parce que tu as une sorte de distance mais, en France, c’est compliqué. On ne peut pas le faire, on n’a pas le même état d’esprit et c’est souvent ringard et rigolo. Moi, ce que je vais aimer, ce sont vraiment les clips simples. J’aime beaucoup lorsque tu n’oublies pas la musique. Quand je regarde un clip de Lomepal par exemple, je vais oublier la musique. Alors que « King Kuta », c’est vraiment un clip qui fait revivre la musique. En France on est dans une surenchère du clip. En même temps, on a des réalisateurs formidables comme Valentin Petit. Je trouve dommage que ces personnes là, très talentueuses, n’arrivent pas à homogénéiser un clip avec sa musique. Par exemple le clip de Lomepal où il joue un tueur en série, tu n’écoutes même plus le son, tu suis trop l’histoire ! Prenons le clip « 99 problems » de Jay-Z. Il avait les moyens de faire un clip hors normes mais il a préféré aller dans le brut et c’est ça que je préfère. Tu n’as rien, juste lui qui rap. C’est une œuvre d’art. Pour moi le clip par excellence c’est “L’aurore sur les Lauriers”. Il ne faut pas faire ça tout le temps, mais dans ce clip tu retrouves l’essentiel et tu n’oublies rien.
A : On parlait de cinéma français et tu cites plusieurs films comme Touche pas au Grisbi ou Les Valseuses. Tu cites également Truffaut. Quand tu nous parlais de ce qui était mieux avant, c’est justement ce cinéma-là qui te manque ?
S.A : Oui, mais il n’y a pas que moi qui vais te dire ça. Si tu parles avec des mecs comme Tarantino ou Scorsese, ils vont te dire la même chose. Le rap ça change, ça connaît des périodes tandis que le cinéma, mis à part les moyens techniques, ça ne change pas. C’est vrai que c’était mieux avant mais, aujourd’hui, tu as beaucoup de contraintes économiques et ça rend les choses plus compliquées. Il n’y a plus cette liberté puisque, dans le passé, on ne pensait pas directement à la rentabilité. Mais, pour moi, le cinéma français de l’époque était simplement exceptionnel. En France, ce qui me gêne, et cela dans n’importe quel domaine, c’est le manque de culture de la part du public et l’uniformisation des choses qui nivellent les œuvres vers le bas. Si tu regardes Leone, il a pris les codes du Western américain en les sublimant, en les exagérant pour créer le Western italien. Si on observe son travail, la majeure partie de ses œuvres sont inspirées d’œuvres étrangères mais il a su rendre ses films purement italiens en se les appropriant. Il garde tout de même une partie de la culture originale de l’œuvre, par exemple en prenant Clint Eastwood. Si tu regardes aussi La Haine, tu peux retrouver du Bon la Brute et le Truand, et c’est ça que je trouve formidable.
Le gros problème du cinéma français aujourd’hui est le même que celui du rap : c’est beaucoup trop monoforme. Une comédie est une comédie, un drame est un drame. Si on prend un exemple musical, un mec comme SchoolBoy Q va te parler de sa fille, de politique et faire une vanne… Tout ça dans la même chanson. Joe Lucazz arrive à faire des choses comme ça. Après, on peut dire que mettre une culture multiforme en avant est élitiste mais c’est faux. Aujourd’hui, on a nivelé le public vers le bas. Avant tu avais Time Bomb et Oxmo livrait des textes très violents mais hyper travaillés et référencés. Et ça ne gênait personne.
A : Tu parles de prendre les codes américains et de le faire à « la Française ». C’est ce que tu essaies de faire ?
S.A : Oui, c’est ce que j’essaie de faire. En même temps, le rap c’est américain, il ne faut pas négliger cet aspect. Par exemple, l’Animalerie, je respecte ce qu’ils font, mais il y a une forme de déni de l’aspect américain et une volonté de trop franciser leur rap. Pour moi, il ne faut pas que ce soit réfléchi, il faut que ce soit instinctif.
A : Tu parles de ce côté instinctif mais, lorsqu’on écoute ton travail, on a vraiment l’impression que c’est réfléchi en amont. Si on regarde ce que tu as pu faire avant, il y a une évolution qui semble découler d’une réflexion en amont.
S.A : Non ce n’est pas ça. Je pense que c’est plus une prise de confiance, tu acquiers de la technique. Au début, je fournissais de l’énergie pure. Si tu regardes des mecs comme Deen Burbigo, qui ont une réflexion très mathématique, leur but est de montrer leur technique, même si c’est moins le cas aujourd’hui. Je pense qu’il faut englober cette technique et ne plus essayer de la montrer puisqu’elle vient instinctivement. C’est exactement comme au cinéma. Dans Les Affranchis, tu as ce fameux travelling qui semble ne servir à rien et être uniquement là pour te montrer la maîtrise technique. Sauf qu’il permet de te montrer que Ray Liotta contrôle complètement les choses. C’est là que cette scène devient utile puisqu’avec ce travelling, il t’en montre plus qu’avec une longue scène contenant plein de dialogues. Dans le rap, quand tu fais du multisyllabique et que tu le soulignes au marqueur juste pour le montrer que tu sais le faire, c’est la que la chose devient moins belle. Il ne faut pas que ça se voit. Le rap n’est pas visuel, c’est quelque chose qui s’écoute. Moi je n’écris pas, j’ai des notes, je préfère rapper tout le temps. Mon travail me permet d’avoir beaucoup de temps libre et j’ai cette chance de pouvoir travailler mon rap très fréquemment.
A : Tu te considères comme un artiste ?
S.A : Artiste, non je ne sais pas… non.
A : C’est un gros mot ?
S.A : Non, mais avec quatre albums de rap, tu ne peux pas te considérer comme artiste.
A : Je me souviens que Jacques Weber disait : « Il est bien trop prétentieux de se dire artiste, je travaille pour devenir un artiste. Peut être qu’à la fin de ma vie, je pourrai dire que je suis un artiste.«
S.A : Oui je suis assez d’accord.
A : C’est drôle parce que, dans les sphères artistiques, on a tendance à dire même que les premiers films et les premiers albums sont les meilleurs. Et on cite souvent Kassovitz et Nas. Pour toi c’est l’inverse.
S.A : Oui… Comme Sergio Leone [Rires]. C’est une personne qui a vraiment progressé au fur et à mesure de sa carrière, comme Melville. Je pense que c’était une époque où tu apprenais en faisant, tu tombais et tu te relevais. Aujourd’hui c’est plus dur parce qu’on ne te donne pas de deuxième chance. J’ai la chance de ne pas être condamné par un échec, d’avoir énormément de temps libre et assez d’argent. Moi, ce que je veux, c’est faire le mieux possible. Si je tombe dans un délire artiste et que je démissionne de mon travail, ça n’ira plus. J’estime avoir choisi la sécurité avec, à côté, une grande part de liberté. Lorsque je regarde des amis qui travaillent, je me dis que j’ai beaucoup de chance. À l’époque de mon premier album, j’avais encore des rêves. Après tu te ranges et les circonstances ont fait que je suis arrivé à l’enseignement.
A : Tu enseignes quoi ?
S.A : J’enseigne à des enfants de Grande Section et de CP, et également le FLE (Français Langue Etrangère) à des primo arrivants qui sont souvent des réfugiés politiques. C’est également ce que j’ai eu lorsque je suis arrivé en France. J’ai eu la chance d’avoir une compagne qui s’est faite elle-même, issue d’une famille marocaine ne parlant pas le français, et qui m’a toujours poussé. Elle a toujours été débrouillarde, elle a fait de grandes études, elle est aujourd’hui laborantine et elle ne s’est jamais plainte du système. Elle a un discours que j’adore, pas forcément audible pour tout le monde, très américain.
A : Dans ton discours, on sent une forme d’admiration pour ta femme. Tu penses que c’est nécessaire dans une relation ?
S.A : Oui, tu as tout fait raison. Et c’est important. J’en parle souvent, c’est ce qui m’a aidé. Ça va faire 16 ans que je la connais. Elle n’est pas du tout artiste, elle me canalise, et j’en ai vraiment besoin. Toutes proportions gardées, si tu regardes les grands couples, tu as toujours ça. Un artiste ça ne marche jamais seul.
A : Quand on regarde Booba, on a vraiment l’impression qu’il est seul par exemple.
S.A : Booba je l’ai un tout petit peu connu parce que j’ai un ami du Pont de Sèvre qui jouait souvent au basket avec lui. Je ne l’avais pas trouvé très solitaire. Il y a toujours sa maman qui gère ses affaires, il est toujours en famille. Si tu regardes bien, il est vachement rangé. Il a son personnage qui sert à sa communication, mais, d’un autre côté, il sait se protéger et n’a plus trop de démons. Booba ce n’est pas Jim Morrison, il n’est pas Rock ‘n’ Roll du tout. Il est plus proche de Daniel Auteuil que de Jim Morrison. Après il en joue bien et c’est un grand communicant.
A : Tu as beaucoup de références américaines et on te sent bercé par cette culture. Parfois, on te sent même imprégné d’une culture très années 50.
S.A : Je n’idéalise pas du tout le côté « vieille France ». Mais, politiquement, culturellement… c’était la France. Je sais que je suis Irakien mais ça ne m’empêche pas d’apprécier le Japon, les USA, ou bien encore la France des années 50-60. Il y avait des choses de caractère qui avaient de la classe.
A : C’est drôle de voir comment certaines icônes du passé ont vieilli. Je pense à Bardot ou à Delon.
S.A : Oui c’est triste. Bardot, je ne la défends absolument pas, mais c’est important de transcender sa position pour pouvoir comprendre. Avant de juger, il faut savoir qu’elle a connu les années 60. Une époque où il y avait très peu d’immigrés, le plein emploi, une ascension culturelle exceptionnelle, la libération des mœurs… Je pense que sa réaction vient de là. Elle vient de la France du trou normand et on lui demande de comprendre celle-là. Elle ne comprend rien, elle n’a pas les codes. Du coup, ces gens-là se trouvent un bouc émissaire. C’est un peu ce que font les immigrés d’aujourd’hui avec les Roms. Bardot et Delon sont comme les vieilles prises, ils n’ont plus de jus. Donc ils reculent mentalement et physiquement.
A : Tu n’as pas peur de vieillir toi ?
S.A : Non clairement pas, c’est le jeu. Dans la vieillesse il y a des belles choses. Lorsque je vois ma mère, elle profite de la vie comme une dame de 60 ans. Après ce qui est dur, c’est qu’il faille toujours paraître jeune. Même dans le rap, tu regardes Big Flo et Oli et c’est comme une marque : « Ils ont 19 et 22 ans !« . On s’en fout. Joe Lucazz il a 40 ans, Q-Tip a 45 ans. On s’en fout, c’est un nombre. Aux Etats-Unis, ils sont en train de dépasser ça. Georges Miller vient de réaliser Mad Max et il a 70 ans. En France, on estime que l’entertainment c’est pour les jeunes. C’est bête et dommage de penser comme ça. A Tribe Called Quest disait que, dans le rap, tu ne peux que progresser. Ce n’est pas comme dans le sport ou tu finis par t’user et régresser.
A : Comme Scorsese dans le cinéma qui ne semble pas souffrir de l’âge.
S.A : Exactement. Des mecs comme Jay Z ou Q-Tip vont être un peu plus fatigués. Mais ce n’est pas une question de niveau mais de niveau de vie. C’est le niveau de vie qui rentre en jeu. Tu regardes Sean Price, il était clairement à la page alors qu’il avait 43 ans. Il était plus à la page qu’un Joey Badass.
« En France, on estime que l’entertainment c’est pour les jeunes. C’est bête et dommage de penser comme ça. »
A : Dans l’album, tu cites également L’Impasse. Carlito, c’est un Perdant Magnifique ?
S.A : Oui complètement. Rocky également est un Perdant Magnifique.
A : Tous les films ?
S.A : Non pas tous, mais le premier est un vrai chef d’œuvre. J’ai pété un câble, j’ai failli redoubler à cause de ce film. À l’époque, lorsque tu étais gamin, ce film te rendait fou. Le cinéma m’a vraiment bousillé !
A : Pour toi, c’est le cinéma avant le Rap ?
S.A : Ah oui clairement ! Pour revenir à L’impasse, c’est énormément shakespearien, et c’est dans ce genre de choses que tu reconnais les chefs d’œuvres. C’est intemporel, comme Sergio Leone. Un chef d’œuvre n’est jamais daté pour moi. Il y a une odeur d’époque mais c’est transposable tout le temps. Comme Star Wars, c’est une tragédie grecque. Ça prend l’air du temps et c’est transcendant. Je trouve L’Impasse exceptionnel à ce niveau là. De plus Carlito est un grand personnage.
A : Il y a beaucoup de moments de ma vie où je me suis demandé : « qu’est-ce que Carlito ferait à ma place ?«
S.A : C’est le mec qui a vécu, l’ancienne racaille qui n’est pas devenu le grand frère à la con comme il y en a plein, ceux qui sont subventionnés par la mairie. C’est le mec qui connaît l’histoire, qui se bat contre ses démons. C’est formidable. On le compare beaucoup à Scarface qui est un film que je n’ai pas très bien compris la première fois que je l’ai vu. Je n’aime pas ce côté super riche du personnage de Tony, je préfère les mecs comme Donnie Brasco, les mecs d’en bas, qui rêvent d’être en haut, parce que ça te ressemble plus. L’Impasse c’est Scarface mais qui s’est fait prendre, et qui a été remis en bas. Là, il y a des remises en question. Ce n’est pas l’homme qui devient une machine à fric. Scarface, au début tu as une belle histoire mais ça devient vite une machine sans cœur. Je préfère les personnages auxquels je m’attache.
A : L’autre grande référence de ton album, c’est Illmatic.
S.A : C’est assez marrant cet album puisque, lorsque tu l’écoutais à l’époque, c’était un album street du New-York sombre. Si tu l’écoutes maintenant, c’est devenu un album sympa et jazzy. Pour revenir à Illmatic et à son influence sur mon projet, c’est un album qui m’a énormément marqué et que j’ai vraiment étudié. The Low End Theory d’A Tribe Called Quest m’a aussi marqué. On le retrouve aussi dans les influences de Jusqu’à l’amour des Sages Po. Mais Illmatic, étant donné que je ne suis pas quelqu’un qui écrit énormément, je me suis dit : « 10 titres c’est nickel« . Et si on me dit que c’est trop court, je parle d’Illmatic qui contenait aussi 10 titres. [Rires].
A : C’était quoi ton morceau préféré sur Illmatic ?
S.A : Ça dépend des jours. Lorsque « One Love » est sorti, je ne l’avais pas compris. Ce morceau avait un sample jazz très particulier de Q-Tip et, si tu le regardes aujourd’hui, il n’a pas pris une ride. C’est comme quand tu écoutes Midnight Marauders. L’été, j’aime beaucoup écouter du old school, je trouve qu’il n’y a rien de mieux pour te détendre. Ces albums-là ne vieillissent pas, ils prennent une autre couleur en quelques sorte.
A : Si on sort du cinéma et qu’on imagine deux minutes qu’un gros label souhaite te signer. Est-ce que ça te tenterait ?
S.A : Ça dépend de ce qu’ils proposent. Est-ce que je garde mon travail ? C’est quelque chose qui est très important pour moi aujourd’hui. Je leur dirais qu’on vient de sortir Perdants Magnifiques, un projet qui s’est bien vendu à notre échelle, qui nous a permis de faire de bons bénéfices. C’est un album qui a été satisfaisant, financièrement et artistiquement. Mais il n’a pas eu la même exposition que celui de Joke par exemple. Alors je leur dirais : on remasterise l’album et montrez moi comment on le défend. C’est donnant-donnant. Si tu me signes, c’est qu’il y a une raison, que tu as apprécié mon travail et que tu veux l’upgrader. Alors allons-y, cet album est encore frais, défendons-le. On peut aller dans les campings, ça ne me pose pas de souci… Mais montre-moi comment tu travailles. Personnellement, je n’ai pas besoin d’un label pour gagner ma vie ou pour sortir un disque. Mon but n’est pas de gagner de l’argent avec la musique pendant 3 ans. Mon but, c’est de rapper. Je ne pourrai jamais m’arrêter de rapper. Je pense que je terminerai comme ces amis qui jouent de la guitare en vacances… C’est évident que je serai comme ça à 40-50 ans. Mais c’est ça que j’aime, que ça plaise ou non. C’est ce que j’aime et je continuerai à faire ce que j’aime.
Très intéressante cette interview ! Et le « meilleur » Leone est « Et pour quelques dollars de plus », rien que pour L’indien