S-Tee, money time
Interview

S-Tee, money time

Repéré il y a quatre ans sur Grünt aux côtés de La Fève, S-Tee a fait du chemin. Toujours guidé par deux maîtres-mots : la foi et la trap.

Photographies n°1 & 2 : Enzo Martin
Photographie n°3 : Jozué Anthony

Cinq minutes avant sa première scène, il y avait la pression et l’excitation. Cinq minutes avant son passage sur Grünt, il y avait sa chaise vide – il était en retard. Et « cinq minutes avant sa date de naissance, il y avait le destin ». S-Tee est quelqu’un de souriant, de naturel. Le jeune rappeur, qui a grandi en région parisienne, n’a jamais marché autrement qu’à l’instinct. C’est comme ça qu’il a écrit son premier texte, comme ça qu’il est parti de chez lui pour se mettre à fond dans le son, comme ça qu’il a rebondi après qu’une de ses mixtapes n’ait pas eu le succès qu’il espérait. Biberonné au rap français, La Fouine, Sexion d’Assaut, tombé adolescent dans la marmite Migos et Future, S-Tee a trouvé racine dans chacune de ses références et a intégré la trap dans sa manière de penser, de vivre, et même de croire. Il voit son parcours comme un exercice d’endurance. Car après tout, la patience, ça le connaît : il est l’aîné de sa famille, le gardien de ses frères, le seul dont il dépend.

Qu’en est-il quand la patience ne suffit pas ? On a toujours la foi. On ne se résigne pas, on redouble d’efforts, on se « professionnalise ». Maintenant qu’il a poli le son qui lui est propre, qu’il s’est constitué cette identité hybride allant du cœur de l’Hexagone à la capitale de la Géorgie, il faut qu’il fasse encore mieux. Il faut qu’il vive de la musique, qu’il fasse du sale, qu’il infiltre et se fasse une place dans les esprits. Comme un « CHEVAL DE TROIE ». Alors S-Tee met de nouveau la main à la trap, le temps d’une mixtape commune avec deux beatmakers de renom : Bricksy & 3G.


Abcdr du Son : Quels sont tes premiers souvenirs de musique ?

S-Tee : Je dirais les darons. Ça écoutait beaucoup de son à la baraque. Ma mère est ivoirienne, donc c’était coupé-décalé, zouglou, tous les sons de Côte d’Ivoire en gros. Mon père est congolais, du coup c’était la rumba congolaise, et du reggae aussi. Beaucoup de styles musicaux dans ce genre. C’est ça qui met l’ambiance à la maison : ça regarde des clips, ça ramène des amis…

A : Est-ce que c’est ça qui t’a sensibilisé à la musique ?

S : On va dire ça, oui. Après, ma mère écoutait aussi beaucoup Tracy Chapman. Petit, j’ai toujours posé beaucoup de questions sur ce style de musique, depuis quand elle en écoutait, etc. Je me familiarisais. Le rap, c’est venu un peu plus tard. J’étais au collège. J’ai grandi à Brie, dans le 77, et on écoutait ça entre potes. Booba, La Fouine, Nessbeal, les trucs de base. Capitale du crime… Après, il y avait ceux de ma ville aussi. LD, Bilnax, tout cet entourage. Et Booba, beaucoup. C’était en 2014, peut-être 2013.

A : Cette période, c’est un peu un âge d’or pour le rap français. Il y a encore Sexion d’assaut…

S : Je suis un ouf, Sexion d’assaut aussi ! Sexion d’assaut, Sefyu… 

A : Ils t’ont marqué ?

S : Oui, L’école des points vitaux, ça m’a marqué. On a grandi avec ça, avec les freestyles de Maître Gims à l’ancienne. Pour Sefyu, « Cocktail Molotov », « 5 minutes ». [Il chantonne] « Cinq minutes avant tu parlais de meurtre et de tuer »Suis-je le gardien de mon frère, c’est un classique aussi.

A : Qu’est-ce que tu aimais bien chez tous les mecs que tu cites ? Les punchlines, le côté hardcore ?

S : Ce que j’aimais bien chez, par exemple, La Fouine, c’est son côté où il s’ouvrait au grand public tout en parlant aussi à la street. Ça m’a beaucoup touché. Et même les mélodies et tout. Mon son préféré, celui que je connaissais par cœur, c’était « Hamdoulah ça va ». Booba, ce que j’ai kiffé chez lui, c’était l’egotrip de zinzin. Ce sont des facettes qui me touchent chez les rappeurs.

A : Tu écoutais du rap US aussi ?

S : J’en écoutais aussi, mais quand j’étais petit c’était vraiment le rap français. Le rap cain-ri, c’est venu au lycée. Je traînais avec des potes qui m’ont ouvert à ce rap là et je suis tombé sur des Migos, Young Thug, Future… Et là, c’était fini. C’est Migos qui m’ont vraiment mis dans le délire. Cette énergie de rap bling bling, visuellement c’était fort. Et c’était universel, ça touchait tout le monde. Je trouvais qu’il y avait une nouvelle énergie qui émanait et qui me parlait beaucoup.

A : C’est ça qui t’a donné envie de faire du rap ?

S : Franchement, ouais. C’est Migos. C’est mon gars Malcolm qui m’a vraiment mis dans ce délire, et moi je me suis plongé dedans. Après, je n’ai pas lâché, j’ai toujours continué à digger. Malcolm rappait aussi vite fait, mais il avait une culture de fou et c’est lui qui m’a branché, qui m’a beaucoup instruit. Parce qu’en vrai, on a toujours besoin d’apprendre de quelqu’un qui nous transmet cette passion, pour pouvoir se découvrir et ensuite la donner aux autres. Et c’est Malcolm qui m’a donné cette envie.

A : Tu te rappelles à quel âge tu as écrit ton premier texte ?

S : [Il marque un temps de réflexion] Mon premier texte ? 16 piges. La story, c’est que je suis allé chez mon poto – je ne savais même pas que j’allais faire un texte ou quoi – et quand je vais dans sa chambre, je vois qu’il est sur l’ordi, sur un type beat tout ça, et il galère. Et je ne sais pas, je lui ai proposé tout simplement de l’aider et c’est parti de là. Il avait commencé, mais je l’ai aidé à rajouter des trucs. Ce n’est pas moi qui rappais. Après, j’y ai pris goût. Je me suis dit “ah ouais, c’est stylé” et j’ai essayé de le faire pour moi. Le premier texte que j’ai rappé, je parlais de Waka Flocka. C’était à la même période, le lendemain ou dans la semaine. J’étais allé chez mon pote parce que du coup, je trouvais qu’il y avait une ambiance d’écriture chez lui. Au fur et à mesure, je commençais à y prendre goût. C’était comme si je sortais pour aller faire du foot. On faisait ça souvent, carrément tous les soirs. Ce n’était pas forcément sérieux au début. Ça l’est devenu, on va dire, quand j’ai commencé à aller au studio et payer moi-même des sessions stud. Là, je me suis dit « bon, on va essayer de faire un truc. » Ça commençait à poster sur SoundCloud, avoir une petite fanbase… 

A : Tu rappais sur quel genre de prods à l’époque ?

S : C’était vraiment sur des typebeat Migos, Waka Flocka, Earl Sweatshirt aussi. On était dans tous les délires.

A : Que des cain-ri, du coup.

S : Oui, c’est ça. Même si j’ai des fondations de rap français, dès que j’ai voulu rapper, je me suis tout de suite dirigé vers ça. On rappait aussi sur de la boom bap, on ne faisait que ça au début. En fait, je mélangeais les deux. Je ne sais pas pourquoi, je trouvais ça plus facile de rapper sur les boom bap. En même temps, on regardait beaucoup les Grünt, on se tuait à ça avec un autre gars à moi, Miky (aujourd’hui son manager, ndlr). J’allais chez lui, on se posait et toute la journée ça ne guettait que des Grünt. J’arrivais à 14 heures, on partait à 20 heures. La boom bap, c’est la base quand tu veux apprendre à rapper – pour ma génération en tout cas.

A : Il y a un événement qui marque un tournant pour toi, c’est ton passage de l’autre côté de l’écran, sur Grünt. Et ça arrive grâce à une rencontre : La Fève. Comment ça s’est fait ?

S : J’avais l’impression que je pouvais mourir après, carrément. [rires] Quand tu regardes ça toute ta jeunesse, tu connais les paroles, tu rappes en même temps que les Nekfeu, Makala, Josman… C’est incroyable ! En fait, moi, je suis au lycée. Je fais mes trucs, je poste sur Soundcloud, et il y a un gars qui m’envoie un message : c’est Dundy. Il me dit « ouais, je fais du rap », « viens passe à la maison. » Donc je passe chez lui, on fait du son – il était dans le secteur où j’habitais. Et Dundy, c’est le meilleur pote de La Fève. Il m’a parlé de lui mais on ne s’est jamais vraiment vus : on se connaissait, on se donnait de la force. On s’est vus deux ans avant le Grünt. On a commencé à se fréquenter, à se voir de temps en temps chez Styco (qui a réalisé de nombreux clips pour S-Tee et d’autres, ndlr). Quand il me propose de participer à son Grünt, c’est naturel. On fait partie du même coin et il a toujours validé ce que je faisais. 

A : Est-ce que tu fais attention aux retours après la publication de la vidéo ?

S : En vrai, j’ai regardé, oui. Il y a beaucoup de gens qui m’ont poussé, beaucoup de gens qui ont apprécié, ça m’a touché. Je suis content de ma performance, je n’ai aucun regret. J’ai rappé comme je voulais que les rappeurs rappent quand je regardais les Grünt. Après ça, tu vois que t’as plus de visibilité et des gens qui t’attendent, donc à l’ancienne, pour BLACK DURAG VS DIO BRANDO, j’ai réuni tous les sons que j’avais, j’ai fait un petit tri et j’ai balancé.

A : Ce qui revient quand on parle de toi, c’est la polyvalence que tu as entre les moments où tu kickes et les envolées mélodiques. Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire les deux ?

S : Les rappeurs que j’écoutais quand j’étais petit, clairement. Même des Booba, La Fouine, Nessbeal… C’était des rappeurs polyvalents, qui pouvaient rapper mais aussi apporter une dimension plus mélodique et parler à plus de gens. Et ça, c’est quelque chose d’important pour moi. C’est ça qui est fort aussi avec les Migos, que j’ai kiffé. Cet entre deux, il est intéressant. Moi, j’ai toujours chanté.

A : Quand t’étais petit, tu chantais ?

S : Beaucoup. Tu viens de me rappeler un souvenir. [rires] Je crois que j’étais en CE2. Il y avait un cours de sport et je m’étais cassé la cheville, du coup je ne pouvais rien faire. Il y avait une meuf qui était avec moi, Camille, elle faisait du violon. En une heure, on a fait un son vite fait. On répétait un refrain et tout.  Et je lui ai dit « bah t’sais quoi Camille, on va demander à la prof si on peut faire un truc devant la classe. » Elle était partante, on a fait le truc et c’est un souvenir de ouf. Je n’ai jamais eu peur de la foule. Moi, j’aime ça. J’aime donner quelque chose aux gens, qu’ils réagissent. Et vas-y, j’ai testé. Bon après, c’était nul. Mais on l’a fait, et c’était marrant.

A : En 2022, tu sors BLACK DURAG 2. Sur le physique de LOWLIFE, il y a un petit carnet où tu confies que le projet était un échec pour toi. Pourquoi ?

S : C’est par rapport à l’énergie que j’ai donnée dans le projet et aux retours. Parce que comme je t’ai dit, BLACK DURAG 1, j’ai mis des sons que j’avais déjà. Il y a même des typebeat. Alors que BLACK DURAG 2, je me suis dit que j’allais construire un truc, j’ai essayé de bosser avec des nouveaux beatmakers, je me suis aussi recherché musicalement. C’est vraiment le projet où j’ai essayé de me professionnaliser. Et quand je vois que ça ne prend pas comme je voulais, ça me met un coup. Mais pour moi, c’est un bon projet. Est-ce que c’est mon préféré ? Non. Mais je m’attendais à ce que ça mette plus de gens d’accord. Après voilà, on continue. Tu peux être déçu : tu fournis un travail et tu n’as pas un certain retour derrière. Mais c’est là que la passion prend le dessus. Je ne vais pas m’arrêter juste parce que ça, ça ne marche pas. Tu te remets en question, tu réfléchis à d’autres trucs, tu essaies de rapper d’une nouvelle manière… C’est toujours ça. Tu changes de forme, t’évolues.

A : C’est pour ça que tu attends aussi longtemps avant de sortir LOWLIFE ?

S : Je voulais construire un truc solide et revenir avec des inspirations qui me parlaient vraiment. Je voulais revenir avec cette énergie qui m’a marqué au lycée tout simplement. C’est ça que j’ai voulu mettre en place : des Migos, Young Thug, Gucci Mane, même Travis Scott. Rodeo m’avait beaucoup touché. Mon intention, c’était de faire des hits avec cette trap. Je pense que c’est l’esquisse de quelque chose de plus grand et de plus fort. Pour moi, c’est encore une tape. J’ai commencé par « THERAPY », que j’ai fait avec Azhur, et de fil en aiguille, j’ai constitué le projet. On cherchait toujours de nouvelles sonorités, même quand je suis allé bosser avec Lyele. Pour le clip de « THERAPY » avec RESPECTOMERTA et le CD, on a essayé d’apporter un truc assez brut, assez street, même dans les sapes, les décors etc. Visuellement, Miky m’a beaucoup aidé. La cover simple, un peu « iconique », elle est inspirée de celle d’un projet de Future, HNDRXX, qui est en noir et blanc.

« Je suis basketteur, et avant les matchs, tu ne sais pas si c’est du stress, de la pression ou de l’excitation. C’est la même énergie au studio.  »

A : Les prods de Lyele sont mes préférées de la tape. « BIFF » et surtout « MAISON HANTÉE », avec les voix de fou derrière… Comment ça s’est passé avec lui ?

S : Ah ouais ? Sale ! C’est moi qui l’ai contacté, il était chaud et il est passé au stud. Il est trop fort. En fait, c’est lourd que même en tant que rappeur, tu puisses toujours être en extase devant des artistes. Je pense que c’est important pour garder la passion. Lyele est venu, il a ouvert son ordi, il m’a fait écouter des prods : que du sale. Il met la première tu te dis « je vais rapper sur ça », il met la deuxième tu te dis « je vais rapper sur ça », etc. Tout était lourd. Donc je lui ai dit « avec ce que tu m’as fait écouter, tu me fais un petit pack que tu m’envoies, mais je pense qu’on va tester de créer un truc. » On est partis sur un délire avec des voix un peu gospel, un peu outre-tombe. Il commence à faire la prod, à faire l’intro, et c’est vraiment quelqu’un qui a un rythme de travail. Il est très cadré, intro, couplet, refrain. Je suis allé dans la cabine et ça a donné « MAISON HANTÉE ». Je crois qu’avec du recul, moi aussi, c’est le son que j’aime le plus.

A : Travailler avec un beatmaker de qui tu es admiratif, ça te met la pression ? Est-ce que tu te dis : « il faut que je me dépasse encore plus » ?

S : Bien sûr. Mais j’appelle ça des bonnes pressions. Tu sais que c’est une pression qui va te permettre de te concentrer et d’être précis dans le travail que tu vas faire. Parce que moi, je suis basketteur, et avant les matchs, tu ne sais pas si c’est du stress, de la pression ou de l’excitation. En vrai, c’est plutôt de l’excitation, parce que tu sais que tu vas commencer le match et tu ne sais pas comment ça va se dérouler, mais tu sais que tu vas devoir performer. C’est la même énergie au studio. Quand t’entends la prod, tu as une forme d’excitation parce que tu te dis « ok, j’ai envie de faire du sale » mais aussi une forme de pression parce que tu as envie de bien faire. Avec Lyele, c’était comme ça. C’est pour ça que « MAISON HANTÉE », je pense que j’ai envoyé.

A : Tu fais toujours beaucoup de basket ?

S : J’ai arrêté un peu là, mais je vais reprendre. Mais franchement, moi, si tu voulais me trouver dehors, c’était au terrain. J’y allais tout seul, je faisais mes trucs. En vrai, je pense que les artistes, on a tous un peu ce truc de « geek ». C’est un gars qui m’a mis dans le basket, Nicolas « NDC », et au début j’étais éclaté. Mais à force de faire, à force d’apprendre, c’est la même chose que la musique en fait : il faut de la patience, de l’exercice et de la passion.

A : Avec Azhur, tu me disais que tu travaillais beaucoup à distance. Est-ce que c’est le cas de manière générale ?

S : En vrai, le problème c’est que Azhur, lui, il habite dans le Sud. Vu qu’il habite loin, c’est chaud de s’attraper en studio alors on s’appelle sur Discord et on fait du son. Et c’est le cas avec d’autres beatmakers. Il fait la prod sur Discord, tu suis le truc en direct, tu peux le rediriger, dire « ça j’aime bien », « ça j’aime pas », « augmente la basse », « baisse les hats »… On construit le truc et soit je pose direct, soit il m’envoie et je pose dans la semaine. Avant, je travaillais beaucoup chez moi, mais maintenant, je suis un mec de studio je crois. Je travaillais beaucoup chez moi parce que j’avais cette énergie, j’écrivais. Mais vu que maintenant, je n’écris plus du tout, je ne travaille plus en studio.

A : Tu n’écris plus du tout ?

S : Non. Je laisse tourner le truc et je rappe comme ça. Je fais phase par phase. Le premier son où j’ai fait ça, c’est « FILS DE DIEU FREESTYLE ». C’était un test pour moi, c’était la première fois que je faisais ça, et les gens ont kiffé. Il n’y a pas de différence quand ça ne s’entend pas. Je suis quelqu’un de spontané et l’écriture, c’est quelque chose de réfléchi. Tu te poses, tu fais ta rime, tu réfléchis à comment tu vas faire rimer. Alors que là, le fait de sortir les choses comme ça, je ne réfléchis pas trop et il y a quand même une cohérence. C’est la magie du truc. Il y en a qui le font et qui écrivent très bien, mais moi, j’ai appris que j’étais plus fort comme ça.

« Je pense qu’on ne « dit » pas à ses parents qu’on veut faire de la musique. Ils entrent dans la chambre et ils voient un gars sur l’ordi, le dos courbé. »

A : En parlant de « FILS DE DIEU FREESTYLE », c’est une thématique qui revient dans quelques sons. Quel est ton rapport à la foi ?

S : Moi, je suis croyant. J’ai grandi dans une famille chrétienne mais il n’y avait que moi qui allais à l’église. J’allais à l’église seul-tout, sans mes darons. Du coup j’ai grandi un peu à l’église, j’ai appris la foi chrétienne. Dans les moments difficiles, c’est toujours important de se blottir contre quelque chose en quoi on croit. Ça m’a donné beaucoup d’énergie, beaucoup d’inspiration. Même dans ma manière de… [il réfléchit, ndlr] J’ai compris ça avec le temps, mais dans ma musique, il y a un peu un délire de motivation. Et je pense que ça vient de là aussi, des versets que j’ai pu lire etc. Même de grandeur ! On est humain et souvent, on a trop tendance à vouloir aller vers les choses absolues. On a trop tendance à vouloir être parfait, tout simplement. Alors que même en tant qu’artiste, je ne suis pas parfait. Je fais des sons, j’en fais plein, il y en a qui ne sont pas bons, il y en a que je garde, parfois je n’ai pas d’inspiration, parfois j’en ai. La foi m’a beaucoup permis de me rendre compte que je suis humain, d’accepter mon humanité et d’accepter aussi mes défauts, mes péchés, et d’avancer avec. De ne pas être défaitiste.

A : Justement, toujours dans le carnet de LOWLIFE, tu expliques que faire du son peut être compliqué dans un contexte familial, et que le morceau « TRAP À LA MORT » était ton état d’esprit quand tu as quitté la maison. Comment on dit à ses parents qu’on veut faire de la musique ? Et comment tu gardes foi en toi quand on te dit que ce n’est pas forcément une bonne idée ?

S : En vrai, je pense qu’on ne le “dit” pas. Ils entrent dans la chambre et ils voient un gars sur l’ordi, le dos courbé. En gros moi, l’école, ce n’était pas trop ça. Moi, c’est la musique et la musique. Jusqu’à aujourd’hui, la chanson n’est pas vraiment entrée dans leur tête, mais je pense qu’ils captent que « c’est un artiste, on va pas l’empêcher de faire ce qu’il veut faire ». « Dans tous les cas, il va le faire, de toute façon ! » « TRAP À LA MORT », ça veut dire : c’est ça que je vais faire, j’ai trouvé ma voie, la trap c’est mon délire, c’est quelque chose qui m’a influencé. Avec BLACK DURAG, j’étais dans une recherche. Et LOWLIFE, il y a une réflexion : je ne sais pas où je vais, mais je sais d’où je viens. Je repensais à Malcolm, à toutes les inspirations qu’il m’a données, et j’ai dit « TRAP À LA MORT ». Je suis un trapeur.

A : Tu es parti quand du foyer parental?

S : Il y a trois ans. C’est récent, en vrai. Ça devenait sérieux, donc j’ai décidé de partir. Les darons écoutaient beaucoup de musique, mais c’est quand même la mentalité africaine. Tu viens ici, il ne faut pas faire le con. Il faut réussir. Donc vas-y, t’es là, tu te mets la musique dans les pattes, tu fais quoi ? Tu vrilles ! Fais des études ! Mais bon, c’est comme ça. Après, il y a les problèmes de la maison qui font qu’on ne peut pas vraiment se concentrer. Je reste un enfant.

A : Il y a une question de génération, aussi. « Le rap, ce n’est pas un métier. »

S : Bien sûr, le rap n’est pas un métier. Même à leur époque. Mon daron, il m’a dit qu’il faisait du son lui aussi, et qu’il avait essayé de faire un groupe de rumba congolaise. Et il m’a dit qu’à Bondy, parfois, c’était galère pour louer des studios, même pour performer, du coup ce n’était pas rentable pour lui. C’était une passion. Donc quand il me voit comme ça, je pense qu’il n’a pas envie que ça se répète, d’une certaine manière. Mais la musique me procure tellement de plaisir que je n’ai pas envie d’arrêter. Je suis passionné au point que, que ça marche ou pas, j’en ferai toujours. Je n’ai pas commencé pour plaire, j’ai fait ça pour moi. Quand j’ai voulu aider mon pote, c’était instinctif. Quand j’y pense, je me dis que je n’arrêterai jamais de faire de la musique. Même si j’essaie par exemple d’apprendre un nouvel instrument, et que je ne rappe plus. Enfin, le jour où j’arrête de rapper, c’est dans longtemps…

A : À l’heure où on parle, tu t’apprêtes justement à sortir une nouvelle mixtape avec deux beatmakers qu’on a pu lire récemment sur l’Abcdr : Bricksy & 3G. Comment les as-tu connus ?

S : J’ai beaucoup entendu parler d’eux. Leurs projets, les morceaux qu’ils ont fait avec La Fève, j’ai kiffé. Ils sont bousillés. Mais bon, à l’ancienne, ils n’étaient pas accessibles. C’était un peu dur de travailler avec eux. Et un jour, je crois que j’ai envoyé un message et on s’est captés à Paname. On a fait deux sons et à partir de là, on s’est dit qu’on allait partir sur un projet. Ils trouvaient qu’il y avait un truc intéressant.

A : C’est la première fois que tu sors un projet commun.

S : Pour moi, les projets communs, ce sont deux visions qui se rencontrent et qui doivent réussir à aller dans la même direction. Donc c’était important que humainement, on se rencontre. Je suis allé à Bordeaux avec Styco et j’ai rencontré les humains, c’était des archi bons, on a bien rigolé, et j’ai vu qu’ils étaient vraiment déter. Ça part sur des deux, trois prods par jour, c’est l’usine. Quand je suis arrivé chez Bricksy & 3G, Bricksy était dans un délire un peu Zaytoven, piano et tout. Naturellement, on est allés vers là. Il y a des sons qui, je trouve, proposent quelque chose. On a essayé de toucher un peu à tout. J’ai fait cinq sons là-bas, en 21 heures. On en a gardé trois, on avait déjà fait deux sons à Paris, et on en a rajouté quelques-uns à distance. 

A : Est-ce qu’ils t’ont suggéré des choses, des propositions sur ta manière de poser ou sur ta voix par exemple ?

S : Au début, il n’y arrivent pas trop. C’est la première fois et parfois, les artistes ont beaucoup d’égo et c’est dur d’arriver en mode « ça, j’ai pas trop aimé. » T’essaies de créer, peut-être, une relation, et vas-y t’en parles plus tard [rires]. On se connait à peine, tu ne vas pas niquer le délire comme ça. Mais il y a des artistes avec qui tu peux franchement dire les choses, et avec eux, ça glissait. On ne s’est jamais vraiment repris, c’est aussi comme ça que la trap se fait, elle est spontanée. On cumule v’là les morceaux et on trie à la fin de la session. On fait des retouches plus tard, sur des instruments qu’on veut faire sonner plus fort, si on veut augmenter la 808, la basse, baisser le clap.

Crédit : Nicolas Jackoutot (Instagram : @jack_o_coutot)

A : Quelle était l’idée derrière la cover ?

S : Il y a plusieurs interprétations : déjà, on a l’impression de voir une couronne, donc il y a le côté « roi sans couronne ». Je vais chercher ce qui me revient de droit. Mais quand on regarde bien, c’est un piège à loup – trap en anglais – pour renforcer l’idée que lorsqu’on court derrière ses rêves, il y a des conséquences qu’il faut assumer, et aussi pour un hommage simple à la trap music.

A : De manière générale, comment tu choisis avec qui tu veux bosser ?

S : Quand j’aime un son, quand j’aime une musique, une proposition, je demande directement.

A : Il y a des artistes actuels avec qui tu aimerais taffer ?

S : Actuellement, j’aime bien Keeqaid. Floki aussi. En vrai, je suis un gars qui fonctionne beaucoup aux relations, donc j’ai du mal à me projeter.

A : Et des featurings pas forcément réalisables ? De « rêve » ?

S : Ateyaba, bien sûr. Et Makala. Il m’a beaucoup influencé dans sa singularité. Je trouve que son art, c’est un message pour les artistes en mode « rester soi-même ». Et que dans sa singularité, il y a un truc vraiment puissant qui fait que le message peut être véhiculé plus facilement. Il y a beaucoup d’artistes qui essaient de se conformer ou de rentrer dans un truc de « pour que mon son sonne bien, il faut que ça soit comme ça. » Ce n’est pas une mauvaise chose, mais on peut perdre son identité en tant qu’artiste. C’est important de garder son truc. Ça passe aussi par apprendre à se connaître, à savoir ce qu’on aime musicalement, et même dans la vie de tous les jours.

A : Ce qui est fort aussi avec Makala, c’est la présence qu’il a sur scène.

S : Ah ouais, c’est un showman. Je ne l’ai jamais vu encore, mais Miky si, il m’a dit. C’est une inspiration. Je m’inspire de cette énergie « donner au public ». Quand j’ai des shows, je répète avant, il n’y a pas de playback. Ce sont des trucs de con, mais ce sont ces détails qui permettent de construire un bon show. Avoir une répétition, jouer avec les lumières, avoir des interactions avec le DJ, des cuts…

« Un album, pour moi, ça doit représenter une étape de ma vie. »

A : Pourquoi HUSTLE ERA ?

S : Pour moi, c’est l’ère des hustlers. Des charbonneurs, ceux qui continuent à bosser, qui se donnent à fond dans leur travail. C’est l’ère des passionnés.

A : Quand on parle de hustler, ça me fait plutôt penser à des mecs comme Rick Ross, qui vivent une vie de luxe. En même temps, j’ai l’impression que ce n’est pas ce à quoi tu aspires. C’est quoi ton rapport à l’argent ?

S : Mon rapport à l’argent, il est simple. Pour moi, il en faut, mais il ne faut pas forcément se perdre dedans. Mais c’est une réalité que quand tu nais pauvre, tu nais pauvre. Si tu as une famille qui a besoin de se nourrir, des frères qui ont besoin de s’habiller, tu dois forcément faire de l’argent pour subvenir à ça. C’est impossible de voir la vie sans argent. Pour moi, c’est important, et réussir à en faire avec la musique, ce serait idéal.

A : Ça a été une source d’angoisse dans ta vie ?

S : Parfois ouais, quand tu veux t’acheter un truc et que tu ne peux pas. Quand ta daronne en vient même parfois à demander des sous, tu te dis qu’il faut que tu bosses, que tu fasses des sous. Tu ne vis pas dans la même réalité que tout le monde. C’est l’argent qui dirige le monde. Il peut y avoir de la frustration.

A : « FORTIFIE » fait un peu écho à cette idée-là, quand tu dis par exemple « ma kichta se stabilise, mes problèmes se volatilisent. » Est-ce que tu te sens soulagé que la musique commence à vraiment marcher pour toi ?

S : [rires] T’es forte, hein. Elle a étudié, elle a étudié. [Il soupire] Pour moi, ça ne marche pas encore. J’ai des revenus, j’arrive à me faire un truc, mais ça ne marche pas. J’ai encore mon taf à côté. Tout lâcher et vivre de la musique, c’est impossible pour l’instant. Même si dire que ça ne marche vraiment pas, ce serait être défaitiste : il y a des gens qui m’écoutent.

A : Tu as beaucoup de doutes ?

S : Bien sûr. Tu fais un projet, tu te demandes si ça va marcher. Mais pour être franc, maintenant, je ne suis plus dans cette gamberge. Je suis plus en mode « je sais de quoi je suis capable. » En fait, chaque projet, tu le vois comme une évolution, une progression. BLACK DURAG, il y avait encore des type beat, des morceaux pas très bien mixés, ok ! Sur le prochain, il n’y aura que des beatmakers et je vais aller au studio. BLACK DURAG 2, ça n’a pas marché comme je voulais, ok ! Je vais essayer de proposer quelque chose de différent. Il y a toujours une évolution dans la musique, quand tu es passionné.

A : Pour l’instant, tu n’as sorti que des tapes. Est-ce que quelque part dans tes projets, tu as envie de sortir un album ?

S : Oui. L’album, pour être franc avec toi, c’est un truc auquel je commence à beaucoup réfléchir. J’ai déjà mon idée, le blase, je sais ce que je veux raconter. Un album, pour moi, ça doit représenter une étape de ma vie. J’ai envie d’arriver avec des thématiques, des choses à raconter qui sont fortes. Les tapes, c’est un format plus libre, où tu peux t’exprimer plus spontanément. C’est marrant que tu me dises ça, parce que je réfléchis vraiment à mon album à partir de là, maintenant. Je ne sais pas dans combien de temps ça va sortir, mais je sais que ça va arriver. Pour moi, dans un album, il y a un mélange d’introspection et musicalement, il faut que ce soit poussé, avec quelque chose de clair et « évident ». Rodeo de Travis Scott par exemple, il y a un univers qui est fort. Les feats, les morceaux sont cohérents. Et même, j’ai envie de parler plus avec mon cœur, de raconter ce que j’ai vécu, d’entrer plus dans les détails. Ça peut être intéressant, même pour les auditeurs. Je commence à y réfléchir, j’ai déjà des notes, carrément. Mais j’ai envie de faire ça comme les anciens : prendre mon temps. Parce que nous, on a une attitude où on va vite. Je vais continuer à sortir des projets, mais continuer à bosser sur l’album à côté.

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