Riky Rick ou la nouvelle vague du rap sud-africain
Interview

Riky Rick ou la nouvelle vague du rap sud-africain

Depuis la sortie de son premier album Family Values, Riky Rick est devenu l’un des nouveaux visages du rap dans son pays. Rencontre avec le « Boss Zonke » qui réinvente le rap sud-africain.

Zonke signifie « tout » en zoulou, la langue maternelle de Riky. Avec ce surnom « Boss Zonke », Rikhado Makhado, 28 ans, est bien décidé à le prouver : il est aujourd’hui l’un des meilleurs, un tueur. Mais rapporté à l’histoire du hip-hop dans son pays, Riky Rick est un peu plus que ça. Au même titre qu’Okmalumkoolkat ou Cassper Nyovest, il est l’incarnation de cette nouvelle vague rap Mzansi débordante de créativité. Leur vision s’exprime dans les styles, les rimes et les esthétiques des vidéos et puise son inspiration dans le Kwaito, mouvement culturel né dans une Afrique du Sud post-apartheid. « Ceci n’est pas juste un clip. C’est un témoignage de ce qui se passe dans les rues d’Afrique du Sud, et plus particulièrement à Johannesburg« , pour reprendre l’accroche d’Okmalumkoolkat dans « Mswenkofontein ». Alors on a voulu en savoir plus. Et c’est à Riky Rick que nous nous sommes adressés.

L’histoire commence par un Face Time avec sa manageur. À l’autre bout de la ligne, à près de 13 000 kilomètres, une jeune femme très souriante nous fait patienter. Nous sommes pendant les vacances scolaires, le rappeur a donné un concert à Soweto dans le cadre d’un festival et vient tout juste de sortir de scène. Le public était au rendez-vous mais Riky n’a performé que dix minutes à cause des nombreuses coupures de courant. Nous craignons alors que la connexion internet ne nous joue des tours et qu’il nous faille envisager de remettre à plus tard cet entretien. Il n’en sera rien : passé les quelques soucis des débuts, la voix de Riky restera claire durant toute la conversation.

A : J’ai envie qu’on commence avec « Sudlokotini » parce que c’est le dernier morceau que tu as sorti. Ce mot, il veut dire quoi ? 

RR : En anglais, ça voudrait dire un truc du style on a « le coton dans le sang« . On est des tueurs niveau mode. On a grandi en vénérant le style à la française. Et les gangsters chez nous portaient toujours de beaux costumes avec des chaussures italiennes. Donc on a gardé cette tradition parce que le style a toujours eu une grande importance dans notre culture.

A : Et il y a ce twist à l’africaine aussi ? 

RR : Ouais, carrément. Après, on ne porte pas vêtements traditionnels. En Afrique du Sud, on est hyper influencé par ce qui vient d’Europe et des États-Unis. Quand c’était la mode du sportswear, on s’y est mis. Quand c’est passé aux chemises italiennes avec les chaînes en or, le look un peu mafioso, on a repris ça aussi. Mais nous, on met beaucoup de vêtements très colorés et on aime bien les imprimés à fleurs. Ça, c’est vraiment le truc très marqué Afrique du Sud dans la sape.

A : Dans votre rap, il y a aussi ce truc très sud-africain : le kwaito. Vous utilisez même l’expression « New Age Kwaito » pour parler de votre musique. Ça veut dire quoi ?

RR : Quand on parle de New Age kwaito, c’est juste pour dire qu’on revient en force avec le kwaito. Cette culture date de la fin des années 80, début des années 90. A l’époque, être kwaito voulait dire être différent, en marge du système. Il y avait aussi ce côté très revendicateur qu’on a beaucoup moins aujourd’hui. Mais c’était le son de la rue. On peut même dire que c’était notre hip-hop à nous. C’était un peu comme du rap mais en moins compliqué au niveau de la technique et de la rythmique. Les productions étaient assez simples mais il y avait toujours ce beat un peu hip-hop dans l’esprit.

A : Mais comment tu décrirais ce son de façon plus précise ? 

RR : Il y a toujours cette ligne de basse. Ce tempo à 94 bpm, ça va de 94 à 100 bpm. Et ces percussions qui reviennent pour marquer les temps. Après, ça m’arrive de partir d’une phrase. Un truc que j’ai dans la tête, du style : « I’m Feeling Good » [NDLR : il mime les instruments]. Je commence comme ça, je garde le même tempo tout le long – les percussions sons là pour ça d’ailleurs – et je finis par la ligne de basse. La basse, elle doit te donner l’impression que tu es sur le point de voler un truc, que tu es en train d’échapper au flic dans une course poursuite ou même que tu chilles avec tes potes à un barbecue. Si t’as trouvé la bonne ligne de basse, t’as plié le son.

A : Échapper au flic ou chiller à un barbecue : est-ce qu’on n’a pas là deux illustrations qui collent à l’imaginaire du Township ?

RR : Avec la musique, tout est une question de nostalgie. Ce qu’on écoutait gamins, entre 7 et 13 ans, a été très important dans notre construction. C’est beaucoup de jolis souvenirs et moi, ça me ramène au Kwaito. J’ai grandi avec cette musique-là. A l’époque, c’était la bande-son du ghetto, une musique de Tsosti [NDLR :gangster]. L’alcool, la teuf… Maintenant ça a changé. On a encore pas mal de films et de séries sur ça à la télé. Mais la criminalité n’est plus autant un sujet de société parce que la pays s’est pas mal développé.

A : Et la musique pour toi, ça commence quand ? 
RR : Vers l’âge de 19 ans. J’ai appris à faire du son tout seul dans ma chambre avec une drum Machine et un sampler. Au début, j’essayais de copier ce que faisait les cainris. A cette époque, j’écoutais pas mal Cam’ron. J’étais vraiment super fan de ce mec. Il y avait aussi Kanye West. C’était mes influences quand j’ai commencé.

A : Le kwaito est venu tout de suite ? 
RR : Pas vraiment. Au bout de 5 ou 6 ans, je me suis rendu compte qu’en faisant de la musique comme ça, ça ne m’amènerait nulle part. Alors j’ai fait un break. A un moment, j’ai réalisé que quelque chose manquait. La plupart des artistes ici essayaient de copier ce que faisaient les ricains. J’ai donc décidé de revenir, j’ai laissé tombé le sampling et j’ai commencé à faire des beats kwaito. Il m’a fallu pas mal de temps avant d’avoir assez confiance pour les sortir. Et puis en 2014, j’ai enfin réussi à trouver une sorte de compromis : faire à la fois des trucs hip-hop et kwaito avec mon premier album. C’est là que tout a explosé.

A : Cette explosion coïncide d’ailleurs avec ce que l’on a qualifié à l’étranger de nouvelle vague du rap sud-africain…

RR : C’est assez dingue que tu parles de ça parce qu’on a récemment shooté avec Noisey pour un documentaire sur la scène sud-africaine. C’est génial, le monde commence à nous regarder. Jusqu’à présent, on voyait des docs sur les scènes hip-hop du monde entier mais il n’y avait jamais rien sur l’Afrique du Sud. Les Nigérians par exemple, ils sont partout. Leur musique a inondé le marché alors que bon, niveau hip-hop, on est quand même les meilleurs en Afrique du Sud. Après, le Nigeria c’est un pays tellement peuplé et avec une grosse diaspora à l’étranger. Nous, les Sud-africains, on n’est pas comme ça. On n’est pas un pays de voyageurs. C’est peut-être aussi parce qu’on est situé au sud, sud de l’Afrique. Mais nous, on ne quitte pas notre pays. C’est tout ce qu’on a.

A : N’est-ce pas lié à l’histoire de l’Afrique du sud aussi ? [NDLR : La fin de l’Apartheid remonte à 1991, les premières élections multiraciales et démocratiques gagnées par Mandela ont lieu en 1994

RR : Si, aussi. On s’était fait à notre condition. On n’avait pas le droit de quitter le territoire. On s’était habitué à ne pas faire un pas de travers, à être docile, à ne pas dépasser les lignes [NDLR : durant l’Apartheid, les populations sont classées en quatre catégories : les blancs, les indiens, les métis et les noirs. Les villes sont réservées aux blancs, les autres sont parqués dans les ghettos] parce qu’ils avaient fait en sorte qu’on ne puisse pas bouger. Je crois que ce truc plane encore au-dessus de nos têtes. Les gens ont encore la trouille de partir de là où ils viennent. C’est assez triste mais ça commence à changer.

A : Et le fait de rapper en vernac [NDLR : argot utilisé pour expliquer l’utilisation dans le rap d’une ou plusieurs des 10 langues maternelles qui sont aussi des langues officielles au même titre que l’anglais], est-ce une façon de dire qu’à présent vous êtes libres d’être sud-africains dans sa représentation diversifiée? 

RR : Carrément. Je parle anglais couramment parce que mes parents ont travaillé dur pour que j’ai une bonne éducation. Mais quand j’utilise le vernac, je le fais pour que mes gars puissent se reconnaître dans ce que je raconte [NDLR : le zoulou est la langue maternelle la plus parlée, suivi par le xhosa. L’anglais progresse mais reste une seconde langue, celle des affaires et de la communication]. Que ça leur donne confiance. Tu peux devenir quelqu’un en parlant ta langue. T’as pas forcément besoin de l’anglais. Après c’est important pour moi qu’il y ait toujours un équilibre. Parce qu’il ne faut quand même pas oublier qu’il y a beaucoup de blancs et d’indiens aussi. Donc ça doit être 50% anglais, 50% vernac. Et même en vernac, il faut mixer pour être compris par le plus grand nombre parce qu’on a quand même 11 langues dans le pays. Après le truc cool à Joburg, c’est que personne ne vient vraiment d’ici. Alors aujourd’hui le langage y est super mélangé et tout le monde se comprend.

A : Au sujet de To Pimp A Butterfly, Kendrik Lamar parle d’ailleurs de l’Afrique du Sud comme une influence majeure. Il dit avoir été frappé par la beauté du métissage, dans les couleurs de peau et dans toutes ces langues qui se rencontrent en ce même endroit.

RR : C’est génial d’entendre ça. Après tu sais, dans les flows du rap U.S., l’Afrique est partout. Ca se sent, ils transposent en anglais nos façons de parler, nos rythmes, nos intonations sans même en être conscients la plupart du temps. Pour te donner un autre exemple, un artiste comme Kid Cudi a Paul Simon dans ses influences [NDLR : Kid Cudi a repris Paul Simon sur son projet 50 Ways to Make a Record sorti en 2008]. Et lui, il a fait de la musique avec des artistes sud-africains dans les années 80. Donc je me dis que Cudi a dû écouter notre musique. Mais tu sais, parfois les cainris viennent en Afrique, ils ont le déclic et nous remercient. Parfois pas. La vérité c’est que beaucoup regardent l’Afrique parce qu’ils se sont rendus compte que c’était un énorme marché. On a joué avec Nicki Minaj ce week-end. Après s’être produit sur la même scène qu’elle, on a dû dégager des backstages. Ils nous ont laissé 5 minutes pour quitter les lieux. Imagine le truc.

A : C’est souvent l’entourage qui les rend intouchables aussi.

RR : Je pense qu’il y a différents types de personnes. Skrillex, il est super lourd aussi mais, quand il est venu, on a passé du temps ensemble. On a fait du son. Son entourage était super. Et tu sentais qu’ils étaient là pour capter les vibes du pays. C’est pour ça que sa musique défonce. Ses voyages lui permettent de découvrir différentes cultures et s’il décide de s’en inspirer, il va aller vers ceux qui la font. Il est dans le partage. On n’est pas juste juste dans un truc où le mec vient dépouiller les autres et prendre son oseille.

A : Pour en revenir à ton histoire, c’est avec le titre « Nafukwa » que tu as été révélé. « Nafukwa », ça veut dire quoi ? 

RR : J’avais sorti « Amantombazane » [NDLR :Riky a également sorti une version remix de ce titre où il invite de nombreux artistes de la nouvelle scène à ses côtés] avant qui avait bien marché mais « Nafukwa » est mon premier vrai hit. Ce mot, il n’existe pas. On a ce groupe ici, Die Antwoord et ils sont très anti-système. Pour « Nafukwa », je me suis inspiré de leur titre « Fok Julle Naaiers » [NDLR : comprendre Fuck All You Motherfuckers]. A ce moment, je traversais une sale période, j’en avais assez de chercher à faire un hit, je ne savais pas vers où aller. Ce morceau est sorti au bon moment, c’est ce que la jeunesse voulait entendre. Et même si ce titre n’est pas joué en radio ou à la télé à cause des gros mots, il est devenu un hymne. Ca reste le titre qui fout le bordel quand je le joue sur scène.

A : Après ça, tu as sorti quelques vidéos dont la dernière, « Exodus », où tu racontes ta vie de façon plus métaphorique. Ca arrive un peu comme pour clore le chapitre du premier album aussi…

RR : Je ne sais pas si j’aurai la chance de sortir un nouvel album. Alors dans Family Values, j’avais envie de raconter tout ce que je suis. Cet album, c’est tout ce que j’ai traversé dans la vie. Mes relations avec mon père, le fait de le devenir, l’amitié, l’amour… Tu sais, avant que tout ceci n’arrive, que ma vie change et que mon fils naisse, j’étais dans une très grande solitude. J’avais vécu beaucoup d’échecs et la musique est ce qui m’a tenu en vie. Si tu regardes la vidéo, le dernier chapitre représente l’endroit où je souhaite arriver, je veux être un God. Quand je le dis, ça n’est pas dans le sens religieux. Je veux pas devenir Dieu, cette force supérieure qui contrôle le monde. C’est plus dans une idée de réussir pleinement à s’accomplir. Ca peut commencer dans des recoins très sombres mais on ne sait jamais où la route peut nous conduire.

A : T’es peut-être pas encore un God mais tu es le « Boss Zonke » !

RR : Ca, ça vient au départ d’une ligne dans une chanson où je disais que j’étais le boss du style, le boss dans les médias, la musique etc. Et derrière ça les gens ont commencé à me surnommer « Boss Zonke ». Quand je marchais dans la rue, les gens ne m’appelaient plus Riky mais « Boss Zonke » et c’est ce qui m’a donné l’idée pour cette chanson. Mais c’est très étrange la célébrité. Au départ, la musique tenait juste à ma petite personne. Je ne pensais pas aux à cotés – sortir des titres, les faire grimper dans les charts – ni même à l’accueil que le public pourrait leur réserver. La simple idée de faire de la musique me suffisait. Les gens nous voient en photos, tout sourire, pensent qu’on est toujours très heureux. Et dans la rue, les gamins veulent que tu leur files ton t-shit ou ta casquette. Donc j’essaie de leur expliquer que ce n’est pas ça qui compte. A un concert, il y avait ce mec qui voulait absolument qu’on lui file une veste. C’est toujours cool de porter une belle fringue, d’être beau aux yeux des autres mais c’est pas ça qui va changer ta vie. Donc j’essayais de lui faire comprendre que cette veste, elle ne valait rien. Mais il ne voulait rien entendre. On a passé près de 30 minutes sur cette veste alors qu’on aurait pu avoir une vraie conversation. Beaucoup de gens se perdent sur le chemin et oublient les choses essentielles.

A : Quelles sont justement ces choses essentielles pour toi aujourd’hui en tant qu’artiste ?

RR : Je veux simplifier les choses. Faire de belles vidéos et de beaux visuels m’a demandé tellement de temps et beaucoup trop d’argent. Mais je me suis rendu compte que ce n’était pas ça l’important. On n’a pas à essayer de concurrencer les majors. Laissons-les faire ce qu’elles savent faire, on peut exister à notre façon. On a gagné ce prix aux MTV Africa Music Awards en 2015 pour « Nafukwa » et ça, ça veut dire qu’un média comme MTV reconnaît notre mouvement qui est encore très underground. Je n’avais jamais gagné de récompenses avant celle-ci. On était passé à côté de tellement de prix. Cette cérémonie, j’y suis limite allé histoire de me mettre sur mon 31. En plus, je donnais une fête pour mon anniversaire le même soir. Je ne m’attendais pas à gagner quoi que ce soit. Mais aujourd’hui je veux faire des choses pour la rue, retourner au délire des mixtapes. Je crois d’ailleurs que je ne vais faire que des EP’s et des mixtapes maintenant. Je vois plus l’intérêt de sortir un album aujourd’hui.

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