Rémy, le terrain en héritage
Entretien avec Rémy, le jeune rappeur d’Aubervilliers qui a décidé que le terme « rap conscient » ne devait pas fuir le quartier ni être considéré comme un gros mot.
Deuxième semestre 2017, un rappeur français affublé de son prénom en guise de pseudonyme secoue le rap français. Sa méthode ? Revenir à ce que certains considèrent comme l’essentiel, d’autres comme dépassé : des instrumentaux mélancoliques couleur « violon-piano », loin des tissus synthétiques en vogue ces dernières années. Des textes à la conscience hargneuse qui portent de véritables portraits de la rue et du quartier. Enfin, une attitude de bouffeur de micro, à la diction soigneusement articulée et aux placements qui font mouche. C’est ainsi que Rémy sort des studios de Mac Tyer, son mentor. Une filiation q’il ne cache pas. Au même moment, les portes du label Def Jam, succursale rap de l’une des plus grandes majors, s’ouvrent à lui. De son côté, le public le repère à travers ses vidéos ou encore ses apparitions à des Planète Rap, dont celui de Kaaris ou encore le titre « Réminem ». Une ascension éclair et un peu à contre-courant des canons du genre ces dernières années qui donne naissance à un album de dix-sept titres.
Dévoilé il y a une dizaine de jours, il est accompagné d’un plan média ultra rodé. Ces dernières semaines, Rémy est partout ou presque au point d’avoir donné plus d’interviews que certains rappeurs pourront en donner durant toute leur carrière. Assis dans les locaux de sa maison de disques, celui qui se décrit d’un naturel réservé une fois qu’il s’éloigne d’un micro ou d’un cahier de rimes reconnaît que l’exercice a d’abord été un peu pénible. Le rapport à sa mère, le piano-violon, Aubervilliers, son mentor Mac Tyer, autant de sujets visités et revisités au gré des entretiens. C’est donc avec l’appréhension de la redite que nous avons abordé cette rencontre avec l’auteur du sobrement intitulé C’est Rémy. Quarante-cinq avec un jeune rappeur déterminé mais parfois évasif, qui allie franchise sans détour, qui remet toujours le rap et le terrain au coeur de son discours et qui fait preuve de retenue dès qu’il s’agit d’aborder un sujet qu’il ne maîtrise peu. Ainsi est Rémy, que ce soit sur disque, dans la vie de tous les jours ou en interview.
Abcdr du Son : Dans les nombreux entretiens que tu as donné ces derniers jours, tu as expliqué qu’à tes débuts, le freestyle prenait beaucoup de place. Tu précisais au micro de l’émission La Sauce que le freestyle te forçait à mettre la barre haute pour impressionner tes potes devant lesquels tu rappais au quartier. Cette notion de performance est-elle centrale dans ton rap ?
Rémy : Oui et non. En faisant des freestyles, en les écrivant, je voulais vraiment montrer que je savais rapper. Mais j’écrivais aussi déjà des morceaux en parallèle, sur des instrus. Et dans le freestyle, je n’ai jamais vraiment improvisé, par exemple. J’en ai fait avec des potes, pour rigoler, mais pas plus. Il y a des gens qui sont incapables d’écrire un morceau mais qui sont redoutables en improvisation. À l’inverse, tu as des gens qui savent écrire mais ne sont pas des improvisateurs. Je fais plutôt partie de la seconde catégorie.
A : As-tu directement appris à écrire sur des instrus ?
R : J’ai toujours écrit sur des instrus. Pour moi, c’est impossible d’écrire sans instru. C’est l’instrumental qui me donne envie d’écrire, sa mélodie me donne envie de parler. Au départ, c’était soit des trucs lourds et connus pour les freestyles, soit des productions que je trouvais sur Youtube, notamment chez un mec qui mettait en ligne des instrus assez mélancoliques. J’étais assez loin de ce que les petits d’aujourd’hui chantent maintenant.
A : Tu démarres en étant très influencé rap français, tu cites notamment la compilation Planète Rap 2008 comme un marqueur de tes écoutes et influences. Tu avais onze ans lorsqu’elle est sortie, et pour des gens comme moi plus âgés que toi, c’est typiquement le genre de disque qui symbolise une période un peu creuse du rap français, un moment où il était en déclin et tournait un peu en rond. Comment percevais-tu le rap à cette époque, puisque tu dis dans l’album « je suis revenu faire du rap français » ?
R : À ce moment-là, je ne connaissais rien, donc dès que j’écoutais, c’était lourd ! Quelqu’un comme toi avait plus de recul, une expérience, donc tu percevais des choses que moi je ne pouvais pas percevoir. Aujourd’hui certains de ces sons peuvent faire partie de mes classiques, seulement ils ne le sont pas aux yeux de tout le monde. Pourquoi ? Parce que nous on a grandi avec, ce sont des sons qui nous rappellent quelque chose. Automatiquement, ça devient un classique, pour les souvenirs qu’ils représentent, pour l’influence qu’ils ont eue. Les sons que j’écoutais petit, si je les réécoute aujourd’hui, ce sont toujours des classiques pour moi.
A : Tu n’écoutais que très peu d’albums je crois.
R : Oui, pratiquement pas.
A : Et tu te lances avec un album, un format que tu n’écoutais pratiquement pas. Comment as-tu appréhendé cet exercice du coup ?
R : Je n’ai pas été me renseigner, je n’ai pas eu de modèles. J’ai écouté des albums entre le moment où j’ai commencé à rapper et celui où j’ai fait mon album évidemment. Plus jeune, le seul album que j’écoutais, c’était L’Apogée de Sexion d’Assaut car mon pote l’avait, tout simplement, donc on l’a saigné. Mais je n’ai pas vraiment eu de modèle ou d’album en tête en faisant le mien. J’ai juste écrit, écrit et écrit puis quand j’ai eu assez de sons, on est partis sur un album. J’ai envie de dire que c’est un projet qui s’est fait tout seul, par lui-même. Par contre, maintenant que j’ai fait un premier album, j’ai une ligne directrice pour le second. Je sais d’ores et déjà dans quoi je m’embarque et dans quoi je veux aller pour le prochain. Mais pour l’instant, C’est Rémy dans les bacs ! [Rires]
A : Dans « Mon frérot », tu parles du grand frère de ton pote qui passait du son toute la journée. Quel rap c’était ?
R : Oui, que des sons énervés, genre « À la parisienne » de Bilel. Des sons hardcores, ça sonnait dans la baraque, ça faisait trembler les murs ! [Sourire]
A : Tu utilises le mot hardcore. Ta ville et Mac Tyer, dont tu es très proche, ont eu « 93 Hardcore » de Tandem. Le morceau avait marqué tout le monde, et même en dehors du rap, notamment avec son clip et la phrase « je baiserai la France jusqu’à ce qu’elle m’aime », phrase que tout le monde n’avait pas vraiment goûté hors du milieu rap. Quel est ton regard sur ce titre ?
R : C’est un son comme on en sort maintenant en réalité, et c’est un morceau de la rue. Moi c’est un de mes classiques. Toi tu en parles comme un son qui a choqué les gens en bien autant qu’en mal. Mais quand tu sors un clip comme ça, il y a toujours des gens qui seront choqués. Moi, quand je parle de « baiser la France » dans mon disque, ce n’est pas une passerelle vers Tandem. Mais ça reste un son lourd. Quant à la phrase que tu cites, c’est à Mac Tyer d’expliquer sa valeur. Par contre l’idée de représenter est évidemment forte, et elle est dans mon disque. Si nous ou notre musique pouvons sortir du quartier, on se doit de dire qu’il existe. C’est important de le représenter.
A : Dans la façon dont tu abordes le quartier, il y a aussi la galère et la solitude. L’album laisse ressentir ses moments seuls à tenir les murs dans un hall ou à être assis en pleine nuit sur la dalle de la cité, sans avoir rien à faire. Ces moments-là sont-ils des moments d’inspiration, où tu « préécris » dans ta tête ?
R : Non, mais ce sont évidemment des moments de réflexion. Tu es posé, tu ne fais rien, alors évidemment, tu finis par te demander ce que tu fais là. De fil en aiguille, tu te poses des questions sur toi même. Et au final, une fois chez toi, tu écris des sons qui ont un peu ce vécu. Chez moi, ça donne des titres comme « Du haut de ma tour » ou « Notes de piano ». On a tous des moments comme ça, personnellement, je pense que j’en ai eus beaucoup.
A : Quel est ton rapport à la solitude également, thème présent dans ton disque ? Écris-tu encore uniquement seul chez toi ?
R : Je commence un tout petit peu à écrire hors de chez moi, mais c’est vraiment rare. J’ai besoin de me sentir chez moi quand j’écris. D’être seul aussi. Mais la solitude, elle est vraiment dans nos vies privées. On se sent seuls au fond de nous car il nous manque quelque chose. Pour certains, ce sera une déception amoureuse, pour d’autres par manque d’amitiés. Chacun a sa solitude. Moi je me sens seul mais je ne sais pas pourquoi. J’ai eu beaucoup de chose dans ma vie où je me suis accroché aux gens. C’est limite il fallait quelqu’un pour faire ci ou ça. Je faisais rien sans les gens, ou presque. Mais j’ai compris que les gens ne peuvent pas t’aider si toi-même tu ne veux pas faire quelque chose. Il y a un moment, tu comprends ça, tu gagnes en maturité.
« Plus que le quartier, je dirais que ce sont les problèmes qui font grandir. »
A : L’album a cette idée que le quartier fait parfois grandir très vite.
R : Plus que le quartier, je dirais que ce sont les problèmes qui font grandir, et vite. Et les quartiers ce n’est pas non plus que des problèmes. Et il y a des gens bourrés de problèmes qui restent des gamins. Moi, les problèmes m’ont fait grandir, ils m’ont permis de me rendre compte de la vie. Ne serait-ce que le coût des choses.
A : Un détail qui m’a marqué dans le disque : tu parles énormément de la BST [Brigade de police lancée durant le mandat de Nicolas Sarkozy, transformant le principe de « police de proximité » en une « police de patrouille et d’intervention », connue pour être particulièrement répressive, NDLR], encore plus que de la BAC. Peux-tu développer ?
R : La Brigade de Sécurité de Terrain [Brigade Spécialisée de Terrain pour la terminologie exacte, NDLR]. Ce sont des keufs qu’ils ont mis chez nous, il y a je ne sais plus combien de temps, et ce sont des mauvais flics. Il y a des bons et des mauvais flics partout, mais là-dedans, il n’y a que des mauvais flics, vraiment. Les mecs n’ont aucune gentillesse au fond d’eux, tu le sens qu’ils sont mauvais. Tout ce qui les intéresse, c’est nous foutre la misère. C’est tellement des mauvais flics que tu as même pas mal de flics qui quittent cette brigade parce que même pour certains d’entre eux, ce n’est pas supportable. Ils font du mal aux gens. Toute la journée ils frappent des gens. Ils font leur loi, décident de te prendre des trucs même quand tu n’as rien à te reprocher. Et à qui tu veux te plaindre de ça ? À la police ? [Il rit jaune] Pour moi, ils sont dans l’illégalité et surtout, ils représentent l’injustice. Les problèmes entre mecs de cité et la police, ça a toujours existé. Mais avec la BST, c’est encore différent. Avec cette brigade là, le fait de dire que ce sont toujours les mecs de cité qui sont en tort, ça ne tient plus. Chez nous, on a des exemples très clairs avec cette police qui montrent qu’ils se comportent comme des bandits. Mais ça ne sert à rien de parler de tout ça. Ça ne changera jamais.
A : Tu penses que ça ne sert à rien d’en parler ? Tu es résigné ?
R : Je ne suis pas un mec qui fait de la politique, je ne suis pas un mec qui dénonce, parce que ça n’a jamais rien changé. Ce sont des combats qui n’ont pas de fin. J’en parle dans mes textes parce qu’on le vit, mais j’irais pas dans un journal ou à la télé pour parler de ça. Mais en tous cas, la BST, s’ils pouvaient changer, ce serait bien. Surtout que je pense que les jeunes ces dernières années se sont ouverts d’esprit. Avant, la police, elle ne rentrait pas dans tous les quartiers. Aujourd’hui, on la voit plus. Et alors que nous on est plus ouverts d’esprit, eux le sont moins. Les mecs se comportent comme dans une dictature : pour un oui pour un non, tu prends un coup ou ils te volent un truc. C’est vraiment propre à la BST ce comportement. Chez les autres flics, il y a aussi des mauvais, mais il y en a aussi des bons. Un flic, à la base, c’est un mec comme tout le monde. Ça m’arrive de tomber sur des bons flics, certains même qui écoutent ma musique, c’est aussi mon public.
A : Il y a des flics qui écoutent ta musique ?
R : Ouais ! Dans ma ville, certains, ils me croisent : [Il prend sa voix éraillée] « Ben alors ! Rémy ! » [Rires] Et certains sont tranquilles, ils ne transforment pas un petit truc où tu n’es pas en règle en véritable règlement de compte.
A : Tu cites La Frette dans nombre de tes interviews, tu les as d’ailleurs ramenés à ton Planète Rap sur Skyrock. C’est une volonté de mettre en valeur des gens d’Aubervilliers, y compris qui avaient un peu ralenti le rythme, arrêté ?
R : Je suis quelqu’un de redevable, c’est surtout ça, et La Frette m’a aidé. Je ne veux pas oublier ce qu’on a fait pour moi. Ça ne marchait pas pour moi dans la musique et eux m’ont soutenu. Ils m’ont soutenu pour mon bien, pas par calcul. Ils étaient trois, aujourd’hui, ils sont plus que deux, et encore, c’est surtout Djima qui est surtout là. Les autres travaillent, font leur vie. Ce sont des gens que j’écoutais quand j’étais petit, beaucoup. L’un d’entre eux avait fait un son avec moi alors que j’étais encore gamin, il n’était pas obligé. Aujourd’hui, j’ai la chance d’être là où je suis et c’était naturel de les inviter eux, mais aussi de faire croquer Aubervilliers.
A : Revers de la médaille, tu parles aussi des trahisons, du fait que dans la rue, ça se divise, que les petits frères te créent des problèmes une fois que t’as le dos tourné…
R : Je parle de ça parce que ça existe. Des « faux frères » ? Je ne sais pas si j’utiliserais ce terme car c’est plus complexe que ça. On se bat entre nous pour l’argent en fait. Dès qu’il y a de l’argent en jeu, ça peut déraper. C’est une réalité, je l’ai vue. C’est dommage. Mais c’est l’un des mauvais côtés de la rue, et il faut le dire. Si j’ai un côté en moi qui n’aime pas la rue, c’est notamment à cause de ça. Tous, d’un côté on aime la rue, on y est attachés, et d’un autre côté, on ne l’aime pas. Même le plus grand voyou de la rue est comme ça. Il a envie d’arrêter à certains moments. Pour l’argent, il y a un moment où les gens perdent leur âme. J’avoue que sans argent tu ne fais rien dans la vie, mais ça ne mérite pas de planter un couteau dans le dos à quelqu’un que tu aimes bien. Et dans la rue, c’est souvent ça. Il faut garder des valeurs.
A : Justement, toi qui connais une forme de réussite en ce moment, as-tu l’impression que le regard change vis à vis de toi ?
R : Évidemment. Il y a des profiteurs, des opportunistes, bien sûr. Mais je retiens ceux qui viennent car ils aiment ma musique, qui me soutiennent et me donnent de la force. Je garde le bon. La rue a aussi beaucoup des bonnes valeurs et parmi elles, tu as la solidarité. J’ai cette solidarité autour de moi. Parce que tu sais quoi ? Pour quelqu’un d’Aubervilliers, si un mec de chez eux réussit, c’est une fierté, c’est un peu comme si eux réussissaient avec toi. Je comprends ça car je sais que si ça n’avait pas été moi qui réussirais en ce moment, je serais pareil : solidaire du MC de ma ville. Ce sont des bonnes ondes. Après, la jalousie, il y en aura toujours, il faut juste faire avec.
« La rue c’est à la fois un frein et une grande source de force »
A : Tu dis dans l’album une belle phrase : « j’avais écrit mes rêves à la craie, les larmes de la rue les ont effacés. » C’est très bateau comme question, mais quels étaient tes rêves ?
R : Ce ne sont pas mes rêves qui sont importants, ce sont les larmes de la rue qui les effacent qui comptent. Parce que quand tu viens de la rue, il y a énormément de portes qui se ferment. Quand tu cherches un travail par exemple… La rue c’est un frein, mais en même temps, elle donne une grande force. C’est compliqué à expliquer mais tu gagnes une force de caractère dans la rue. Le problème, c’est que la rue est devenue une bulle, une bulle dans laquelle on finit par se faire enfermer. C’est ça qui est dommage.
A : On parlait de la « cruauté » parfois de la rue, tu dis « on a grandi sans cœur mais t’essaies encore de me vexer »…
R : [Il coupe] Quand j’étais petit, je me suis fait tailler, comme tout le monde sûrement. Mais je n’ai jamais lâché, je n’ai pas montré de faiblesse. Je ne dirais pas que j’ai souffert, mais ça m’a appris à prouver et à ne jamais lâcher l’affaire. Aujourd’hui du coup, plus grand-chose ne me surprend. J’ai vu tellement de choses petit, vécu des choses désagréables qu’aujourd’hui…
A : [Le coupant] Il y a beaucoup de cœur dans ta musique pourtant.
R : Oui, pour ça justement, parce qu’on manque de ça ! Il n y a que dans ma musique que je le montre. Au fond de nous, même si dans la rue on ne montre pas nos sentiments, on a un cœur, des choses qu’on a besoin d’entendre. Quand j’ai sorti « J’ai vu », dans la cité les gens me disaient : mais pourquoi tu racontes ça ? Qui va écouter ça ? Parce que dans la cité, écouter ça, c’est quelque part dévoiler quelque chose que tu ne veux pas montrer à la rue. Mais les mêmes personnes, qui une fois seules chez elles réécoutent le morceau au calme, finissent par venir me revoir pour me dire : « OK j’ai capté. » Il y a aussi du cœur dans la rue, même si tout le monde le cache.
A : Et tu penses que c’est important de plus le montrer ?
R : Et pourquoi pas ?
A : Le rap a plus montré son cœur justement ces derniers temps, son côté plus fragile. Notamment de la part d’artistes ayant recours à des styles de flows et de productions très différents du tien. Je pense à Jul qui parle vraiment de ce qu’il ressent, de PNL aussi dans une autre approche…
R : J’ai ressenti ça aussi, que les gens voulaient plus s’ouvrir. Avant, on était moins ouverts niveau sentiments [Il interpelle son manager] Toi aussi tu ressens ça non ? Aujourd’hui, un rappeur va te dire qu’il a pleuré et ça paraît normal. Alors qu’avant tu ne pouvais pas le dire je pense. Mais pour moi, c’est normal de pouvoir dire ça. Il faut s’ouvrir plus, je pense que c’est bien.
A : Le fait d’avoir été en surpoids quand tu étais jeune, ça fait partie de ce que tu évoques quand tu parles de « grandir sans cœur » ?
R : Oui, bien sûr, ça a été dur au début. Mais je suis sorti de ce truc là. Au final, ça m’a donné de la force mentale. Il y a un moment où ce qu’on te dit là-dessus ne t’atteint plus.
A : Être dans le métro, sur des affiches pour des pubs Nike comme j’ai pu le voir en venant ici aujourd’hui, c’est une revanche ?
R : [Il sourit] Non, je ne fais pas la guerre avec moi-même. On fait un combat ensemble, on monte ! [Rires] C’est sûr que ça fait plaisir de faire un shooting avec Nike, quand des potes m’envoient des photos de moi sur des affiches dans le RER, ça me touche. Ce qui est fou, c’est que déjà que je n’aime pas mettre des photos sur Facebook alors tu m’aurais dit il y a deux ans que je serais sur des affiches dans le métro… Mais t’es fou toi ! [Rires]
A : Ça va trop vite tout ça ?
R : Ça a été vite mais il y a eu beaucoup de travail en coulisses avant. J’ai aussi eu le temps de prendre du recul, beaucoup. Le travail fourni en amont m’a aussi permis de réfléchir à tout ça, de me préparer à toutes les éventualités, y compris la défaite.
A : Mac Tyer a été un mentor. Musicalement, a-t-il aussi été un réalisateur ? Je pense notamment au travail de backs et d’adlibs sur « Memento Mori » par exemple.
R : Si aujourd’hui j’écris comme ça, c’est qu’il m’a donné des bons conseils. Mais c’est difficile de répondre à ta question. Sans lui, je ne ferais pas la même musique, je ne serais pas sur les mêmes productions, je ne serais sûrement pas là à parler avec toi. Mais ce n’est pas un album de Rémy et Mac Tyer. C’est moi ce disque. Mais il m’a clairement donné des recettes, des techniques. Surtout que j’analyse beaucoup les gens et ce qu’ils me disent. Mac Tyer, je sais que ce qu’il me dit c’est vrai, c’est juste. De toute façon, je ne pourrai pas le renier puisque chaque conseil qu’il m’a donné, j’ai fini par en voir les résultats.
« Être normal, être soi, ce n’est pas évident dans une musique où dès que tu arrives, on essaie de te donner une image. »
A : Qu’écoutes-tu comme rap aujourd’hui ?
R : Du rap cainri en ce moment, beaucoup.
A : Ça y est, tu as basculé ?
R : [Sourire] Non, parce que j’écoute de tout en réalité, même de la funk ou un bon son de zouk. Mais j’ai un problème, c’est que je suis un auditeur flemmard. [Sourire] Il faut que je prenne Deezer ! Soit j’ai une playlist, soit je laisse tourner, mais je ne suis pas là à me dire il faut que j’écoute ceci, que je découvre cela, ni que je suive la tendance. J’écoute encore du Mac Tyer à l’ancienne ou du Salif autant que des trucs récents.
A : Tu parles de zouk, de funk…
R : C’est souvent par des potes. J’ai un pote d’enfance qui écoute beaucoup beaucoup de funk. À force de l’entendre écouter ça, je m’y suis pris. Mais tu vois, je ne connais pas les titres par exemple, ce sont des choses que j’entends à la volée.
A : Même si tu produis pas, niveau sample, ça t’inspire, te donne envie d’autres choses ?
R : Non dans le sens où j’ai besoin de ce truc rap, ce beat qui me permettra de rapper. Me diversifier oui, mais j’ai besoin d’un beat pour le concevoir. J’ai besoin de sentir que je vais garder mon truc à moi.
A : Un instrumental m’a marqué dans l’album, c’est celui de « Toujours au quartier ». Il a ce côté piano, mais piano presque jazz…
R : Un peu chill oui ! C’était une instru de Rjacks Prodz et il y a Guez, qui fait des mélodies dans l’album, qui travaille avec Mohand, qui est venu au studio et a rajouté ces notes de piano. Il a révolutionné l’instru en faisant ça. Ça chez moi, c’est peu commun mais ça montre que je veux être ouvert.
A : Et cet aspect chant, surtout présent sur les refrains, est-ce que ça a demandé un travail spécifique ?
R : Le chant ce n’est pas quelque chose de nouveau dans mon rap et mon écriture. Du coup, ce n’est pas quelque chose que j’ai travaillé spécifiquement. Le travail portait plus sur le rap. Le rap américain m’a aidé à travailler le rap, pour les flows, les systèmes de refrain. Il y a aussi eu un travail d’exigence sur l’écriture.
A : En rap américain, tu cites Akon en interview, mais aussi des artistes plus datés comme Eminem ou Nas. Tu es retourné loin en arrière ?
R : Non, je te dis je suis un flemmard ! [Sourire] Mais en réalité, il faut que je le fasse, c’est quelque chose qu’il faut faire. Depuis que je travaille sur cet album, j’écoute de toute façon beaucoup moins de musique.
A : Pourquoi ? Tu as peur que ça t’influence ?
R : Mais ça t’influence que tu le veuilles ou non. C’est automatique. Alors je fais attention, je me préserve un peu. C’est ça aussi le métier.
A : C’est un métier pour toi le rap maintenant ?
R : Oui, c’est un métier et une passion à la fois. C’est une vraie chance : tu te lèves le matin et ça ne te saoule pas. Après, il y a évidemment des petits côtés relous, mais c’est pareil dans tous les métiers et celui-là doit être le dernier à plaindre.
A : Tu m’as dit ne pas être là pour faire de la politique mais permets moi de partir de l’une des lignes les plus reprises de l’album : « pur produit français comme la carte vitale ». La carte vitale est le symbole du système social français. En ce moment, il y a pas mal de choses qui bougent à ce niveau-là, où une partie du système social français est remis en cause. Quel regard tu portes sur ce qu’il se passe en ce moment, sur ce morceau de réalité sociale ?
R : Je n’aime pas parler de ce que je ne connais pas ou mal et sur ces sujets je ne suis pas vraiment bien informé. Pour te le dire même, je pense que je m’en fous. Il faut s’en préoccuper, mais ça me semble tellement à côté… Pour l’instant je travaille ma musique alors parler de ça ? Souvent ça ne revient qu’à en parler. Parler pour faire quoi ? Ça ne changera rien. Ceux qui se battent savent ce qu’ils font.
A : Pourtant tu évoques des choses politiques globales dans ton disque. Par petites touches certes. Mais par exemple, tu parles des migrants, de l’exil des zones de guerre, notamment dans « J’ai vu ».
R : Je parle de choses globales, des observations globales sur ce qui va mal. C’est quelque chose que j’ai en tête, dont je suis conscient, et qui à un moment revient quand je suis devant ma feuille. Je le dis. Mais ce n’est pas moi qui vais débattre sur l’immigration, les réfugiés ou les guerres. Je dis juste des choses que je vois ou observe. Et des gens qui meurent en mer pour rejoindre un pays comme la France, je trouve que c’est un truc de fou qui ne devrait pas exister en 2018. C’est pas normal et c’est tout, j’ai rien à dire de plus en fait.
A : Pour terminer, je lisais dans les commentaires de l’une de tes vidéos quelqu’un qui disait du bien de toi, de ta simplicité, ta franchise et ton authenticité. Il te prédisait une belle longévité et il concluait en disant : « être normal, c’est devenu un luxe ». Qu’est-ce que cela t’inspire ?
R : Ça me fait plaisir parce qu’il voit le travail, mais aussi parce que j’ai réalisé qu’il y a des gens qui ne comprennent pas ça. Être normal, être soi, ce n’est pas évident dans une musique où dès que tu arrives, on essaie de te donner une image. Ma manière d’être, ce que je veux montrer, c’est moi et rien d’autre. Je n’essaie pas de me donner une image mais que les gens me voient comme je suis vraiment. Rémy le rappeur et Rémy tout court, c’est la même personne. C’est un prénom, celui d’un gars qui est là pour faire du rap, pas une image. Je ne suis pas là pour trouver un pseudo ou montrer des trucs alors que je suis d’un naturel réservé. Je suis là pour rapper et être comme je suis.
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