Rejjie Snow, globe-conteur
Interview

Rejjie Snow, globe-conteur

De passage à Paris dans le cadre d’une tournée pour son dernier album, PEACE 2 DA WORLD, Rejjie Snow revient sur son parcours, sa construction artistique et les défis auxquels il doit maintenant faire face en tant qu’adulte, et en tant que père. Rencontre.

et Photographies : Jessica Attia pour l’Abcdr du Son.

Rejjie Snow ne souhaite pas être catalogué. Mais même s’il devait l’être, par où faudrait-il commencer ? Peut-être par son style, mêlant influences R&B alternatif, soul, lo-fi, jazz et rap – entre autres. Ou par son sens du rythme : l’auteur de Dear Annie sait bien faire danser ou planer sans tomber dans l’écueil du déjà-vu. Il se distingue par son approche poétique et introspective. 

Son nouvel album est la bande-son d’un voyage. Car si Rejjie Snow est originaire de Dublin, il est tout sauf monolithique : sa mère est barbadienne, son père nigérian ; quant à lui, il a habité plusieurs années aux États-Unis et a pris l’habitude de se nourrir de ce qui vient d’ailleurs. PEACE 2 DA WORLD est l’occasion pour lui d’explorer de nouvelles sonorités, avec en tête la bossanova et la musique africaine. Défier les attentes, bousculer les frontières du hip-hop et de sa propre intimité – toujours avec calme et sérénité, qui définissent son tempérament. Rejjie Snow est un conteur moderne, un explorateur sonore et un créatif sensible à toutes les formes d’art. « It’s a spiritual experience, you know what I mean ? » (« Poofy Leaves »).


Voyage

Le multiculturalisme a affecté mon esprit, en tant que personne, parce que j’ai grandi à Dublin, vraiment dans la culture irlandaise. Tout ce que je fais maintenant, en termes de création musicale, et tout ce que je suis vient d’autre part et peut-être de mon héritage, je pense. Mon approche de cet album a été d’intégrer doucement des inspirations sonores provenant de différents genres à travers le monde : un peu de bossanova, des schémas de percussions africaines, des choses comme ça. Mais spécifiquement, c’était surtout une influence bossanova, un son brésilien avec une touche afro.

C’était juste pour faire quelque chose de nouveau, essayer un truc différent. Un ami m’a envoyé un album de bossanova et j’en suis littéralement tombé amoureux. Quand je l’ai écouté, j’ai voulu essayer de le copier, de le recréer à ma manière. En fait, j’ai pris des vacances au Brésil avant la création de l’album et j’ai absorbé tous les éléments culturels. Et j’ai tout adoré, absolument tout. Quand je suis rentré, j’étais en train de créer un album et tout avait un air de déjà-vu, donc j’ai voulu me challenger avec des tempos différents, des genres différents. Rahki est un bon ami, donc quand on collabore, on repense tout. C’est vraiment un retour à zéro, puis on avance petit à petit. Son talent et ses réussites parlent pour lui : c’est un producteur très complet. Travailler avec lui est vraiment agréable, parce qu’il n’y a pas de limites à ce qu’il peut faire ni aux directions dans lesquelles on peut aller. Tout est possible.

« J’essaie de transmettre ma vision de la meilleure manière possible à travers l’image. »

Création

Je suis une personne guidée par les visuels. Je pense que j’essaie de transmettre ma vision de la meilleure manière possible à travers l’image. Le synopsis de l’album est en quelque sorte raconté à travers le prisme visuel. Par exemple, le clip est au Brésil. Je devais y aller, je ne pouvais pas recréer ça à Dublin ou à Londres, c’était impossible. Je pense qu’avoir un visuel pour accompagner la musique est très important. C’est une manière de t’emmener dans un voyage, dans un univers. J’aimerais pouvoir en faire davantage, mais c’est difficile ces temps-ci, on a un budget limité. On doit l’utiliser astucieusement. Ça a été plus difficile de réunir un budget pour cet album. J’avais aussi envie d’aller à Tokyo, mais c’était impossible. J’ai quelques projets qui arrivent, faits maison – en mode DIY – ce qui était vraiment fun car ça m’a rappelé les débuts, quand tu fais de ton mieux avec peu. J’allais à l’école de théâtre quand j’étais enfant. J’ai toujours été exposé à ce type de milieu. Quand j’ai commencé la musique, j’ai toujours voulu l’aborder de cette manière, faire un album comme on ferait un opéra, par exemple.

Rejjie Snow accrochant son œuvre Reddims, 2023 (Source : Artnet.com)

J’ai commencé le graffiti quand j’avais 14 ou 15 ans. J’en fais encore, partout, malheureusement. Maintenant, je suis assez adulte pour savoir que je ne devrais pas faire ça, mais c’est comme une dépendance. Ça me suit partout. Parfois, ça se passe mal, parfois bien. La musique et le graffiti sont deux domaines complètement différents. Quand je fais du graffiti, c’est plus comme un sport : c’est l’adrénaline et l’évasion. J’essaie de mener une vie simple, mais je pense que parfois, on a besoin de se laisser aller. Quand je fais du graffiti, je me sens comme une autre personne – mais à mesure que je vieillis et que mes enfants grandissent, je me dis qu’il faudrait que je sois plus responsable.

Engagement

Je pense que tous les sujets liés à la politique, comme le féminisme ou l’antiracisme, demandent un certain niveau de compréhension. Un peu d’intellect, de recherche. Il faut d’abord s’évaluer soi-même avant de parler de quoi que ce soit. Pour moi, là où j’en suis dans ma vie, j’essaie de faire de mon mieux en communiquant avec des gens de tous horizons, genres, etc. Je suis vraiment dans un processus d’apprentissage. Et à mesure que j’apprends, je me sens de plus en plus capable de parler de ces sujets, d’être un véritable allié. L’important, c’est de construire une safe place pour la communication et de ne pas avoir peur de faire des erreurs, de se tromper, de ne pas toujours comprendre. C’est facile de prétendre tout savoir, mais il faut vraiment s’auto-évaluer, parce qu’on hérite de tellement de choses, parfois sans le vouloir, à travers la société, la famille, la manière dont on a été élevé…

« J’aimerais être comme une sorte de DJ pour mes enfants, leur faire découvrir de la bonne musique. »

Paternité

Mes enfants sont libres de faire ce qu’ils veulent, mais je pense que la musique a une grande place dans leur éducation. J’aimerais être comme une sorte de DJ pour eux, leur faire découvrir de la bonne musique. Avoir de bons goûts musicaux, c’est sous-estimé. Un bon goût musical mène à de bons choix de films, et même de personnes. C’est important ! Le plus grand défi que j’ai rencontré en tant que père, c’est-peut être la patience. Apprendre à être plus patient et à comprendre les besoins de l’autre. Apprendre à ne plus être responsable seulement de moi-même, mais à tout donner de moi à quelqu’un d’autre. C’était un vrai défi, mais maintenant, c’est parfait. Je suis plus prudent quand je crée de la musique, plus délicat. Je prends toujours le temps de bien réfléchir au message, surtout. J’essaie de toujours faire les choses bien, parce que j’ai deux personnes qui m’admirent, qui sont obsédées par moi. C’est important que j’essaie toujours d’envoyer des vibrations positives. J’essaie d’être une bonne influence, car la musique est tellement puissante ! Je veux qu’en grandissant, s’ils écoutent ma musique, je représente quelque chose de positif. Peut-être que ceux qui suivent mon parcours verront mon évolution, depuis mon jeune âge jusqu’à maintenant. Je me sens plus complet. Je pense que ça ne peut aller que de mieux en mieux. J’ai beaucoup d’espoir pour l’avenir de mes enfants, mais aussi pas tant d’espoir, parce que je ne sais pas où on va. Je ne contrôle pas tout ça. J’essaie de limiter leur exposition à des choses comme les téléphones. À la maison, c’est assez minimaliste – pour que leur imagination puisse s’épanouir pleinement.

Style

Je suis très influencé par la manière dont Pharell Williams se présente : très cool, pas trop masculin, juste ce qu’il faut. J’essaie parfois d’imiter ce coolness et ce style. Je pense qu’il est un peu la référence de tout le monde à un moment donné.

Rejjie Snow, enfant, aux côtés de Pharell Williams (source : Reddit)

J’ai défilé pour lui [Louis Vuitton Homme Printemps-Été 2024, à Paris, ndlr] et c’était une expérience un peu surréaliste sur le moment, un peu random – j’ai reçu l’e-mail deux jours avant. Je me sens reconnaissant, surtout dans ces moments-là, quand tu repenses aux fois où tu as voulu abandonner. Dix ans plus tard, tu es là, et c’est incroyable, tu te sens béni. Je n’ai pas particulièrement envie de défiler à nouveau, je préfère rester tranquille, chill. Mais pour moi, c’est important, car c’est du travail et de la visibilité. J’aime la mode, mais à ma façon. J’aime observer la mode. Je ne suis pas vraiment quelqu’un qui essaie de m’exprimer à travers mes vêtements. La plupart du temps, j’achète, je garde, mais je ne les porte même pas forcément. J’ai une réelle admiration pour les gens qui créent, qui fabriquent des choses dans leur style, à leur manière.

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