Prince Waly, cuir véritable
Après avoir guéri d’un cancer à l’issue au départ incertaine, Prince Waly a fouillé en lui pour créer une musique plus personnelle et inspirante pour son album Moussa.
C’était une discussion des plus normales, entre deux personnes attablées dans un café, en fin de matinée. Les liens paraissaient déjà exister alors qu’il s’agissait d’une première rencontre. Il faut dire que le sourire de Prince Waly a le don de mettre tout de suite à l’aise, quand sa voix enrobe l’atmosphère de sa bienveillance. Lors de sa release party, la veille de la sortie de son premier album, l’artiste était près de l’entrée, prenant le temps de saluer chaque convive, échanger, prendre des photos. Celui qui aime les images soignées et le beau textile préfère les interviews écrites aux vidéos : « J’aime ces discussions, on parle du projet mais on y inclut la vie, c’est trop beau. »
L’artiste a mis son cœur sur la table et ouvert plusieurs chapitres de sa vie, retraçant ses trois dernières années et remontant plus loin dans son enfance. C’est Moussa qui s’est livré sur son combat contre le cancer, ses liens familiaux, les regrets qu’il nourrissait, ses déceptions professionnelles. C’est Moussa qui se présente aujourd’hui sans ego, en paix avec lui-même, avec son entourage, avec sa spiritualité. C’est Moussa qui délivre un premier album sans filtres, avec une vision artistique affûtée et un discours des plus sincères. Et cet album ne pouvait être qu’éponyme. Moussa.
« Les pieds prisonniers par l’attraction de ce monde. Seul l’esprit peut en faire l’abstraction. Appelle ça l’éveil ou l’élévation. » (Ali, Chaos et harmonie, « La Vérité reste la vérité »)
I. La Traversée du désert
Abcdr du Son : Tu te souviens de la première fois où tu as parlé publiquement de ta maladie ?
Prince Waly : C’était un ou deux mois après la sortie de BO Y Z, [NDLR : EP sorti le 18 janvier 2019] j’avais déjà perdu ma voix. J’ai fait un premier post Instagram dans lequel je disais avoir des soucis et que je devais reporter mes dates de concerts. Je ne savais pas encore ce que j’avais exactement, je pensais que c’était une extinction de voix. Après deux ou trois mois, on a su que c’était un cancer. Et là, j’ai annoncé en post que j’avais des problèmes de santé, que je mettais ma carrière de côté, sans savoir pour combien de temps.
La première fois où j’ai vraiment mis un mot publiquement sur la maladie, c’était il y a une ou deux semaines, lors de l’interview vidéo Le Code. Parce qu’au début, c’est très bizarre, mais je culpabilisais un peu. Ce n’était pas de la honte mais je voulais le cacher, je ne voulais pas exposer mes faiblesses, ça m’appartient, c’est mon histoire, je décide de ce que je veux montrer aux gens. Mais en réalité, il y a plein de gens qui me soutiennent, qui me poussent, Prince Waly est devenu une personnalité publique, donc cette histoire leur appartient aussi.
J’avais vraiment coupé tous les réseaux ensuite, pendant un an et demi, deux ans, j’avais disparu. Quand j’étais en période de rémission, la première année, c’est-à-dire quand on est sur la guérison mais qu’on surveille, j’avais recommencé à faire de la musique, à poster des trucs. Puis j’ai disparu de nouveau avant de revenir, c’était les montagnes russes un peu, une sacrée période.
A : Comment tu as vécu ça au début ?
PW : Au début, j’ai perdu ma voix pendant deux mois et demi, c’était ouf. Je l’ai pris comme rien de grave, juste une extinction de voix, je minimisais. La veille, je parlais comme on parle en ce moment, et le lendemain matin, plus rien. Je vais voir un généraliste qui me dit que c’est une laryngite et que ça ira mieux dans une semaine. Il me donne des traitements qui ne marchent pas. Au bout de deux semaines, je vais voir un spécialiste qui gère les cordes vocales, un phoniatre. Il met une caméra dans ma gorge et voit qu’une corde vocale est paralysée, il me dit de faire comme de la gymnastique mais sans poser de diagnostic. J’allais le voir pendant un mois, sans résultat. Je me suis finalement retourné vers un autre professionnel avec lequel on a fait toute une batterie d’examens, scanner, IRM, et c’est comme ça qu’on a découvert que j’avais un thymome : un cancer du thymus. C’est une glande entre les deux poumons, qu’on a tous quand on est nourrisson, qui gère l’immunité. C’est un peu comme l’appendicite et les amygdales, plus on grandit et moins ça sert. Sauf que, malheureusement, mon thymus était encore là et c’est devenu tumoral. Le spécialiste m’a dit que j’ai eu énormément de chance car c’est un cancer sans symptômes, on peut vivre avec plusieurs années, il se développe très lentement. Mais la tumeur que j’avais était placée sur un nerf qui gère les cordes vocales, c’est pour ça que j’ai perdu ma voix. J’aurais pu vivre avec pendant encore deux ans sans savoir que j’en étais atteint.
A : À quoi tu t’es accroché durant cette période ?
PW : Je suis religieux, je suis musulman, j’ai toujours cru en Dieu. Par moments, dans l’adolescence, j’ai pu faire un peu des conneries, m’en éloigner un peu… mais j’ai toujours vu les choses comme si on m’envoyait des signes, c’est forcément pour une raison. Je me disais : « Si t’arrives à surmonter ce genre d’épreuves, ce qui va arriver après sera encore plus ouf. » J’ai toujours eu des trucs comme ça dans ma vie, depuis que je suis petit, des coups durs que j’ai toujours su surmonter. Je me répétais : « Tu vas réussir de toute façon, comme d’habitude, tu vas gagner, tu vas aller jusqu’au bout, tu vas t’adapter, ça va être dur mais tu vas le faire et la récompense sera beaucoup plus belle. » Et c’est ce que j’estime avoir gagné. Aujourd’hui, je suis vraiment en paix avec la personne que je suis devenue. Avec du recul, je n’aimais pas trop la personne que je devenais en 2018, 2019.
A : À cause de la musique ou en général ?
PW : En général. J’estime avoir toujours été quelqu’un de bien et de bon, en tout cas j’espère. J’ai toujours été éduqué dans le respect. Mais la musique est un milieu traître. Elle m’a apporté plein de bonheur et plein de mauvaises choses en même temps. En réalité, quand j’ai fait le projet BO Y Z, je n’étais pas vraiment dans un bon état d’esprit, c’est pour ça que je l’ai rejeté à un moment, je l’assimilais à cette période-là alors qu’il est génial, il m’a un peu changé la vie.
Donc oui, la spiritualité, c’est vraiment à ça que je me suis accroché. La famille évidemment. Julia, ma copine, je me disais que je ne pouvais pas lui faire ça, rentrer dans sa vie avec tout mon bazar et repartir en la laissant en plan. Du coup, je me suis accroché. Et ma mère surtout, elle a déjà perdu un fils, je ne voulais pas qu’elle en perde un deuxième. Moi, à la limite, je peux surmonter, je connais mon corps, je sais de quoi je suis capable mais c’est dur pour les proches. Pour une mère, ça doit être horrible de voir son fils souffrir d’un cancer. C’est un mot qui fait peur, il fait directement penser à la mort même si on peut en guérir.
« Aujourd’hui, je suis vraiment en paix avec la personne que je suis devenue. »
A : C’est ta mère qu’on entend à la fin de l’album ?
PW : Exactement, c’est sa voix sur « Mercy ». C’était pendant la période où j’étais vraiment dans le mal, quand je faisais des chimiothérapies. Pendant presque un an, je ne répondais jamais au téléphone, ça me faisait mal à la tête, j’étais trop dans un mauvais mood. Ma mère m’appelait et quand je ne décrochais pas, elle laissait des messages, et c’est un de ses messages. Elle parle en soninke – mes parents sont du Sénégal et je parle en soninke avec ma mère – elle dit : « Moussa, ça fait deux semaines que j’essaie de t’appeler, tu ne me réponds pas, je m’inquiète. J’espère que tu vas bien. N’hésite pas à me dire si tu ne vas pas bien. Tu es un homme, ok, mais tu es aussi mon fils, donc j’ai besoin de savoir si tu ne vas pas bien. Ne t’inquiète pas, Dieu t’aime, tu vas réussir, tu vas guérir. J’espère que tu prends soin de toi, appelle-moi dès que tu peux, al salam aaleykoum. » C’est ma mère, je l’aime trop. C’est tellement une femme forte, elle a surmonté tellement de choses. Je me dis que ce que je vis moi, ce n’est rien à côté de ce qu’elle a vécu. Elle est venue du Sénégal, elle a laissé toute sa famille derrière elle, elle a déjà perdu un fils… comment on peut surmonter ça ? On est neuf enfants et elle nous a tous bien éduqués, on se retrouve tous les week-ends. J’ai trop de respect pour elle. J’aurais dû m’appeler Prince Fatoumata en fait. [Rires]
Prince Waly - Mercy
A : On dit en islam que Dieu éprouve ceux qu’il aime. Ta mère te dit que Dieu t’aime et à la fin de l’album tu dis toi-même « Quand Dieu est en colère, on obéit. » Tu es dans l’acceptation de ce qui t’arrive.
PW : Bien sûr, on est dans l’acceptation au final. Ça a été une chance pour moi d’avoir un coin religieux. Tout ce qui m’arrive, c’est le destin. Les épreuves sont faites pour être surmontées. Ça a fonctionné pour moi, ça peut fonctionner pour plein de gens. Comme disait mon médecin, c’était vraiment critique, on ne savait pas combien de temps il me restait parce que c’était généralisé. Quand on a un entourage et l’esprit aussi. L’esprit joue énormément dans ces moments-là, ça peut prendre le dessus sur le corps. Aujourd’hui, je ne ressens plus de stress par exemple, avant je stressais beaucoup, pour tout et n’importe quoi.
A : Alors que de l’extérieur, quand on ne te connaît pas, tu donnes l’image d’un mec très chill, limite deux de tension. [Rires]
PW : [Rires]. De fou. Bizarrement je ressentais pas mal de stress que je gardais en moi. Quand j’ai des mauvaises énergies, que je ne me sens pas bien, je préfère rester chez moi plutôt que de les véhiculer aux gens. J’avais appris à maîtriser mon stress, je faisais semblant, c’était un peu une vitrine. Un pote avait ce dicton : « Ça ne sert à rien de chialer si t’es sûr d’y aller. » Et il a grave raison.
II. Positive énergie
A : Cette période t’as permis de remettre de l’ordre dans ta vie ?
PW : Totalement. Cette période m’a vraiment permis de filtrer les gens. J’ai eu deux ans pour me remettre en question, j’étais tous les jours chez moi quand j’étais sous traitement. Même sortir acheter une baguette était une épreuve à cause de la fatigue. J’ai perdu tous mes cheveux, toute ma pilosité, j’ai perdu vingt-cinq kilos. Je cogitais beaucoup, je me parlais à moi-même. Je me suis demandé : « Qu’est-ce qui est bon pour toi aujourd’hui ? » Je me suis rendu compte qu’on s’accrochait à des amitiés d’enfance parce qu’elles sont là plus longtemps. Mais au final, c’est peut-être ces choses-là qui te ralentissent ou qui ne te font pas forcément du bien. Certaines personnes malsaines ne se rendent même pas compte qu’elles te font du mal, et c’est encore plus triste.
J’ai beaucoup discuté avec ma famille aussi, on a soulevé des non-dits qui traînent depuis vingt ans. Je n’ai jamais autant discuté avec mon père que durant cette période-là, vraiment d’égal à égal. Dans mon éducation, c’est très hiérarchisé, je trouve ça très bien pour le respect mais il faut aussi donner la parole aux plus jeunes. J’ai plein de neveux et nièces, ma nièce de huit ans par exemple, si elle a des choses à dire aux adultes, elle a le droit de s’exprimer. C’est ce que j’ai instauré dans mon cercle familial et ça va beaucoup mieux. Aujourd’hui, je suis vraiment en paix avec toutes les personnes que je côtoie.
A : Tu as aussi changé d’entourage professionnel ?
PW : Aussi oui. On avait notre collectif, Exepoq Organisation, et mon groupe Big Budha Cheez en faisait partie. Et malheureusement, à partir du moment où on a commencé à avoir un semblant de notoriété, on a rencontré des gens qui se sont placés en tant que managers et qui n’ont fait que des mauvais choix pour nous. Ils nous ont un peu bridés. En gros, on a sorti un premier album, c’était cool. Ensuite, quand je voulais sortir des trucs en solo, on me disait que ça allait faire de l’ombre au groupe, donc je me suis retenu. J’étais libre, je pouvais dire non, mais je ne voulais pas faire du mal aux gens. Et finalement, ça s’est avéré mortel pour le groupe, ce sont eux qui l’ont tué. C’est le genre de relations auxquelles j’ai mis un terme. Je suis toujours méga proche de mon gars Fiasko Proximo, c’est mon frère, mais on ne se voit plus pour faire du son. Il n’écoute même plus de rap et ça fait quatre ans qu’il ne fait plus d’instrus, à cause de l’entourage justement qui l’a dégoûté alors que c’était un passionné. C’est vraiment lui qui m’a mis le pied à l’étrier en plus, il m’a fait découvrir Time Bomb. Mais il commence à reprendre goût à la scène, récemment, il vient avec moi en tournée.
Il y avait beaucoup problèmes d’ego aussi, c’est toujours compliqué de faire ce que tu veux dans un groupe, tu n’as pas forcément les mêmes idées que tout le monde. On n’arrivait pas à accepter que ça ne fonctionnait pas, on se forçait, et ça ne donnait rien de bon. Et l’ego c’est vraiment un poison dans le domaine artistique.
A : À quel moment tu estimes avoir tué ton ego ?
PW : À partir de décembre 2021, lorsque j’ai su qu’il n’était plus question que je meure du cancer, j’ai commencé à reprendre la musique. C’est JayJay, le beatmaker de Don Dada, qui m’a remis dedans et m’a un peu aidé dans tout ce processus de création. J’avais encore un peu d’ego en moi à ce moment, dans le sens où quand on faisait des sons qui n’étaient pas à la hauteur de mes capacités, il me disait : « T’es pas là, t’es pas à 100%, va travailler le texte et après tu reviens. » J’avais du mal à accepter qu’on me dise que ce que je faisais n’était pas bien. Mais j’ai réussi à travailler dessus, à accepter que c’était pour mon bien. Je retournais à la maison, je retravaillais, jusqu’au moment où on est arrivés à un résultat vraiment satisfaisant pour tous les deux. J’ai compris que pour aller jusqu’au bout des choses, il ne fallait pas mettre d’ego dans sa créativité. Et aujourd’hui, vraiment, quand je crée, je n’ai pas de mal à déléguer ou à prendre les idées à gauche, à droite, chose que je ne pouvais pas faire avant.
A : « J’ai noyé mon ennemi numéro un mon ego » (Ali, Le Rassemblement, « Tsunami »).
PW : [Avec des étoiles dans les yeux] Ali… c’est la rencontre la plus incroyable que j’ai pu faire ces dix dernières années. JayJay voulait essayer de l’avoir sur un morceau. Je lui ai répondu : « Mec, le jour où je fais un morceau avec Ali, j’arrête le rap », je lui ai dit ça, mot pour mot. Trois jours après, Ali était au studio avec nous… Il est impressionnant, il dégage une aura incroyable. C’est très rare les gens qui dégagent vraiment quelque chose, une énergie. Au début, quand il est arrivé au studio, on se disait avec JayJay qu’il ne fallait pas trop qu’on fasse les fans, sinon il va nous regarder bizarre mais on n’arrivait pas. [Rires] Je disais à Ali : « Tu sais pas à quel point je suis admiratif face à ton travail » et il me répondait : « Même moi, tu sais pas comment je suis admiratif devant ce que tu fais. », c’est encore plus ouf !
La première chose qu’il fait : il pose sa main sur mon cœur et me demande comment ça va. Je réponds : « Ça va beaucoup mieux, al hamdoulillah, merci. » Il me prend dans ses bras et me dit : « Ça va aller, tout va bien. » Je me souviens encore cette scène, ça m’a carrément donné des frissons ! On se pose au studio et même avant de parler musique, on parle de la vie, tout simplement, il me pose plein de questions, moi aussi, je suis curieux, sa vie et sa carrière m’intéressent. De fil en aiguille, je lui fais écouter des trucs, au feeling, ça s’est fait très naturellement.
« L’ego est vraiment un poison dans le domaine artistique. »
A : En plus des références évidentes à Lunatic, on ressent vraiment une ambiance à la Ali. Ton morceau « Messe » me fait penser à son morceau « Mon âme pleure » sur Le Rassemblement. Il dit d’ailleurs dans ce titre : « Prêcher dans le désert, là où les cœurs ne cessent de sécher, tachée par l’excès de clichés à pleurer, mon âme ne peut s’empêcher […] Ma voix prend de l’amplitude, ma foi prend de l’ampleur, quand mon âme pleure. » C’est toi dans ton album.
PW : [Grand sourire]. Mais vraiment, c’est incroyable ! Cette phrase est magique ! Ali, c’est mon mentor spirituel dans le rap, C’est quand même le premier gars que j’ai écouté quand j’étais petit, j’avais huit ans. La première voix que j’entends, c’est celle d’Ali sur « La Lettre ». Vingt ans après, je me retrouve avec lui. C’est un signe. Il m’a éduqué indirectement, je l’ai écouté toute mon adolescence et ma vie de jeune adulte. Pendant toute ma vie, je me suis interdit d’avoir des regrets parce qu’Ali a dit « Pas le temps pour les regrets ». [Rires] Je ne savais pas qu’un artiste pouvait autant matrixer un auditeur. Quand il dit par exemple « L’excès de haine anesthésie les sens » sur « Mauvais œil », c’est juste dingue, c’est vrai : quand on est rempli de haine, on fait n’importe quoi. Il y a plein de phrases de lui que je me répète dans ma tête quand je suis prêt à faire quelque chose : « Attends, Ali, il a dit quoi déjà ? » [Rires] Ma vie est rythmée comme ça, je le remercie tous les jours d’avoir dit ces choses-là, ça a fait grandir des mecs comme moi et je pense que ça a même sauvé la vie de pas mal d’entre eux.
Aujourd’hui, dans la vie, il me donne beaucoup de bons conseils. On s’appelle régulièrement, il prend de mes nouvelles. C’est vraiment quelqu’un que je porte dans mon cœur, c’est devenu un proche, réellement, je pourrais le ramener chez ma mère pour manger un thieb. Ali est quelqu’un d’extraordinaire. Je remercie le rap et la vie pour ça. Ali m’a appris qu’il fallait toujours être dans la pureté pour n’importe quel message que tu peux véhiculer. Il faut se servir des choses et en faire du positif à chaque fois. Et lui le fait trop bien !
C’est marrant parce que quand on arrive au studio, le premier morceau que je lui ai fait écouter, c’était « Messe » justement. Je lui ai dit : « Si c’est un son que t’aimes bien, n’hésite pas si tu veux être dessus », avant même « Rottweiler ». Mais il m’a répondu : « Faut pas toucher ce son, il est incroyable, il faut le laisser tel quel, faut rien ajouter. » « Messe » est son morceau préféré de l’album.
Prince Waly - Messe
Il y a une phrase dans notre feat qui dit : « Laisse-les médisants médire, laisse-les aboyer. » Les gens ont essayé de le salir ou de le mettre dans des cases qui ne lui correspondent pas mais il s’en fout. Tant qu’il sait pourquoi il œuvre et où il veut amener son truc. C’était une période où, justement, je faisais trop attention à ce que disaient les gens, alors que tu es tout seul dans ta tête, tu es le seul à savoir ce que tu veux, donc laissent les médisants médire. Et depuis, je me répète cette phrase.
A : Il t’a respecté sur le feat.
PW : Mais oui, c’est hardcore, une dinguerie. [Rires] Il commence son couplet par la phrase « Qu’est-ce que tu croyais ? Qu’on allait rester là à se laisser noyer ? », comme sur « Le Crime paie » ! Quand on a entendu ça au studio avec JayJay, on voulait crier. On n’avait pas encore entendu son couplet, il voulait venir au studio nous le faire en direct. Avec JayJay on se regarde, en mode « mais c’est un truc de ouf ce qui se passe ». Et je pense que cette phrase ne laisse pas indifférent tout connaisseur et amoureux de rap. Franchement, c’est ce que tout le monde m’a dit, exactement comme tu le dis, il m’a tellement respecté… Il a mis une véritable énergie sur « Rottweiler ». C’est vraiment le Ali que j’aime. Il m’a béni.
A : Quel est ton album préféré d’Ali ?
PW : Je crois que c’est Chaos et harmonie, vraiment pour la transition, c’est la suite logique de Mauvais œil. Les messages et même l’énergie qu’il dégage tout simplement. C’est un album que j’aurais aimé écrire et que j’aurais pu faire aussi.
III. Premier album
A : Ton album commence par « Moïse a traversé l’enfer, la mer » et termine par « Nul n’est prophète dans son pays ». À quel moment cette image est venue dans la construction de ton album ? [NDLR : dans le Coran, Moïse se prénomme Moussa]
PW : À la base, l’album devait s’appeler Walygator, par rapport au slogan « la peau dure, le sang-froid » : les cicatrices, la combativité, garder son sang-froid même dans des situations hardcores. Mais on s’est rendu compte que ce n’était pas vraiment ce qui définissait tout l’album et en plus, il y a un parc d’attraction qui s’appelle Walygator, dans l’Est de la France, et la marque est déposée. J’ai ensuite pensé à l’appeler Moïse, c’est comme ça que mon père me surnomme depuis petit. Même si c’est quand même lourd à porter, ça pouvait le faire. De fil en aiguille, j’ai commencé à me dire : « C’est tout bête, appelle-le Moussa. Tu n’as jamais autant parlé de toi sur des sons, les gens vont apprendre à te découvrir toi Moussa, pas Prince Waly. » C’est devenu une évidence. Sachant qu’Enchantée Julia avait fait un morceau intitulé « Moussa » qui est sorti avant et qui parle de nous, et de moi. [NDLR : le titre est sorti le 17 février 2022 et se trouve sur l’EP LONGO MAÏ sorti le 3 juin] Il se trouve que ça faisait écho et que c’était une belle histoire. Comme je suis très religieux, tout ce fil conducteur des épreuves, Moïse qui a traversé le désert, la mer, ça me parle. Sachant qu’Arthur Teboul aussi est quelqu’un de religieux.
A : Comment t’est venue cette idée de l’inviter sur l’intro « Bleu » ?
PW : Arthur Teboul est le chanteur du groupe Feu! Chatterton, on avait collaboré sur le morceau « BO Y Z ». C’est sa voix qu’on entend en dernier sur l’EP du même nom et je trouvais ça trop bien qu’il revienne sur l’album, comme s’il ouvrait un nouveau chapitre. Lui aussi c’est une rencontre incroyable, humaine avant tout. En 2016, j’avais fait un concert au Petit bain et le groupe Feu! Chatterton avait payé sa place pour venir me voir et personne n’était au courant, sauf que des gens les ont reconnus dans le public. C’est un groupe qui vient du rock français et je trouvais ça incroyable que des mecs comme ça s’intéressent à mon univers et kiffent mes sons. Du coup, avec mon équipe, on leur a écrit pour les remercier et ils nous ont dit : « On aime trop ce que fait Waly » et c’est comme ça que s’est faite la connexion. Un coup de cœur humain et musical. « BO Y Z » est l’un des morceaux que les gens aiment le plus. C’est un des premiers où il y a vraiment ce truc d’émancipation, de motiver un peu les gens : « Si vous avez des rêves, allez jusqu’au bout, ne laissez personne vous mettre des bâtons dans les roues. » Je voulais retrouver cette énergie-là sur Moussa et c’est pour ça que j’ai appelé Arthur, avec sa magnifique voix. Et il est arrivé sur l’intro « Bleu ».
Prince Waly - Bleu
A : C’est comme un prêche.
PW : Exactement. J’avais écrit le texte mais je ne me voyais pas l’interpréter moi-même. Arthur est venu au studio, on a parlé de la vie pendant trois heures. Et avant de l’interpréter, il a fait une petite prière, il s’est concentré et ça a donné ce que ça a donné. Il s’est vraiment approprié le texte, il l’a modifié et le résultat est trop beau ! C’est lui qui a ajouté « Il arrive » et « Le Walygator continué son marathon ».
A : Toi qui viens d’une génération d’auditeurs pour qui le premier album est important. En tant que rappeur, comment tu imaginais le tien ?
PW : Avant, et même pendant la maladie, je ne me voyais même pas faire un album, je te jure. Pour moi je ne ferai que des EPs et des mixtapes faciles à consommer. Les premiers albums de mes artistes favoris sont tellement des chefs d’œuvres que ça me paraissait impossible de faire un album dans le sens où j’étais un rappeur un peu à vitrine. Je ne parlais que de mode, de marques, de cinéma, je n’avais pas grand-chose à raconter à part ça. Enfin c’est ce que je pensais. Je ne voulais pas saouler les gens avec ma vie. Quand je sors de la maladie, le premier morceau que je fais, c’est « Avertisseurs (Part II) ». C’est un egotrip où juste je rappe, je montre ce que je sais faire, que je suis encore technique. Ce sont mes gars qui me disent : « Gros, tu viens de passer deux ans dans le fond du trou, tu peux pas revenir avec juste des sons comme ça. Parle de toi, raconte ta vie. Ça peut aider certaines personnes, le fait d’avoir surmonté cette maladie, de montrer que ce n’est pas impossible. Et ça va te servir à toi, c’est une thérapie. » Effectivement, je me suis rendu compte que ça me faisait du bien d’en parler. De base, je suis pudique et timide. C’était très compliqué de parler de moi dans ma musique, je faisais beaucoup de storytelling. Il y a eu une période où je parlais souvent à la troisième personne, c’était une façon de raconter ma vie mais à travers des filtres.
A : Tu as pu te dévoiler facilement ?
PW : Ça a fait remonter des souvenirs, je raconte des trucs de quand j’étais petit, la galère à la maison, la précarité, la vie en cité. Mais du coup j’ai commencé à faire des sons qui donnaient envie de se tirer une balle dans le crâne. [Rires] Quand j’avais enregistré le morceau « Miroir » au studio Noble, [NDLR : studio lié au label Orfèvre, créé par Espiiem] il y avait Jazzy Bazz avec moi ce jour-là, j’avais fait un autre son qui s’appelait « Cuir » qui racontait vraiment en détails la période de maladie. Jazzy Bazz écoute « Miroir », il prend une claque, puis il écoute « Cuir ». Pendant le morceau, il met ses lunettes, je vois qu’il a les larmes aux yeux. Il me dit : « Gros, tu m’as fait pleurer avec ce morceau. » Et comme je ne voulais pas plonger les gens dans la tristesse justement, je l’ai retiré de l’album. J’ai ensuite fait des morceaux un peu plus abordables, comme « Broke » et « Messe ». Aayhasis était présent dans le studio, ce même jour, et il a mis une prod, comme ça, pour l’ambiance. Et je vois que Jazzy Bazz bouge la tête sur le son. Je lui dis : « Viens on fait un son » et c’est comme ça qu’est né le morceau « Cra$h ».
IV. À cœur ouvert
A : On ressent cette volonté de ne pas faire pleurer les gens parce que ton récit personnel est entremêlé d’egotrip, d’extraits de films, de storytelling. Parfois sur un même morceau, comme « Messe ». Comment tu trouves l’équilibre sur ces morceaux hybrides ?
PW : En vrai, je pense que c’est un peu inconscient, j’aime la spontanéité. En général, j’ai la prod et j’écris toujours avant d’aller au studio. Quand j’arrive, je pose toutes les idées, l’atmosphère, ce que j’ai envie de ressentir, et les extraits de films viennent après. Sur « Messe », c’est un extrait de Ma 6-T va crak-er. En fait, j’ai un dossier avec tous les extraits de films qui me marquent et que je stocke pour les utiliser au bon moment. Mettre cet extrait me semblait trop logique : les mecs s’embrouillent au début sur le banc dans leur cité, autour d’une histoire de drogues, de transactions qui se passent mal. Il y a le bruit de flingue à la fin. Et ça continue avec la phrase : « Un homme noir dans la cuisine, un dealer sorti d’un four. » Ce son est un de ceux que je préfère de l’album, en termes de ce que je veux raconter et d’ambiance. Ça fait vraiment écho à plein de choses qui se sont passées entre les années 1990 et aujourd’hui : les bavures policières, les mecs de quartier qui s’entretuent ; on n’a pas besoin de la police en réalité pour s’entretuer, je le dis dans l’intro d’ailleurs « On leur mâche le boulot quand les flics cessent. » C’était vraiment cette énergie-là que je voulais mettre sur « Messe ». J’espère avoir réussi à entremêler la fiction et la réalité. Parce qu’au final, la frontière est très fine entre les deux, la réalité peut même être plus ouf que la fiction.
A : Ça permet aussi de casser un aspect solennel qui aurait pu créer un côté moralisateur.
PW : Oui, je pense vraiment. C’est un truc qui justement me faisait peur aussi, ce côté donneur de leçons que je ne voulais pas avoir. Mais si je peux faire passer des messages, autant y aller, il faut en profiter. Le rap est devenu un courant musical où tout le monde s’y retrouve, faire la fête c’est cool mais il y a aussi des aspects qui peuvent éduquer et faire grandir, comme ça a été le cas pour moi. Donc si je peux aider certaines personnes à des moments de leur vie, les motiver, les empêcher de faire des conneries. D’ailleurs je reçois plein de messages de gars qui me disent : « Tel son, quand tu dis ça dans tel morceau, ça m’a aidé à des périodes de ma vie, ça m’a fait grandir. »
« Il y a des aspects dans le rap qui peuvent éduquer et faire grandir, comme ça a été le cas pour moi. »
A : T’as commencé par citer un morceau puis un autre, tu es un artiste qui s’autoréférence énormément. Je pense à la phase « Mon frère a passé plus de temps en prison que mon neveu en a passé à l’école » [NDLR : phase qu’on entend sur le feat avec Souffrance et Cenza « Matrice », sur l’album de Souffrance »] et d’autres.
PW : Ce sont des choses que j’ai tellement enfouies au fond de moi-même que les avoir avouées a été comme une libération. Donc je suis en mode : « C’est bon tu l’as déjà dit, tu peux le redire. » [Rires] Je n’ai plus de honte à parler de ma vie, dire que j’étais pauvre, que j’ai un frère qui a fait des conneries et qui est allé en prison, ça fait partie de mon histoire, de Moussa tout simplement. En plus, ce sont des références que j’ai pu piqué à certains artistes dont je suis fan.
A : Les alligators, le polo, etc.
PW : Exactement. Donc au final, j’ai des références qui m’appartiennent mais qui ont appartenu à des gens avant moi, et qui vont peut-être appartenir à des personnes après moi. Ça me fait du bien de me les répéter, c’est aussi une façon de me souvenir. Booba a dit : « Tatoué pour que je me souvienne », et moi, la répétition est une ma façon de me souvenir de mon parcours. Ça crée aussi de la cohérence dans l’album.
A : On sent aussi un lâcher-prise par rapport à la technique, plus d’attention à la musicalité, plus de spontanéité.
PW : J’estime avoir déjà prouvé que je sais rapper, les gens ont vu mes freestyles, mes sons techniques, très rapides, s’il faut de la rime pour la rime, je sais le faire. Mais je ne voulais pas me cantonner qu’à ça. Mon artiste favori c’est Michael Jackson et le mec faisait de la musique tout simplement. Par la mélodie ou par même l’instrumental, on est capable de transmettre des émotions aussi. Les mots, c’est très fort, mais la musique peut être encore plus fort. Surtout avec le message un peu triste et important que je veux faire passer. Donc comment amener un peu de gaieté et de chaleur dans tout ça ? Par la musicalité. Et du coup, j’ai travaillé avec des beatmakers, Crayon et Aayhasis, qui sont de très bons musiciens, qui jouent des instruments : piano, guitare, violon. Je voulais explorer certains endroits que je n’avais pas encore exploré. Le morceau « BBF » par exemple, où je parle de rupture amoureuse, est quand même un peu dansant. Je pense que j’ai trouvé le bon équilibre.
A : Tu leur donnais des indications ?
PW : Clairement. Pour « BBF », j’avais une première version que je n’ai pas gardée, sauf les voix. Je les avais enregistrées pendant le confinement dans une maison avec un micro avec Julia. Par la suite, j’ai essayé de refaire les voix mais il n’y avait pas la même énergie que la première fois, c’est pour ça que je les ai gardées. Je vais voir Crayon, je lui dis : « Mec j’ai des a cappella, j’aime trop les voix et j’aimerais bien que tu crées autour. » Crayon commence à jouer quelques notes de piano, c’était incroyable, ça aurait pu être un piano-voix, mais il manquait quelque chose. Je lui dis d’essayer de mettre une batterie dessus. Là encore, il manquait quelque chose : on a donc changé la structure, on a mis une partie du son au début. À la base, l’intro, c’était le pont dans le morceau, on l’a déplacé. Mais il manquait encore un truc. [Rires] J’écoutais à ce moment-là beaucoup Kendrick Lamar, notamment le morceau « Money Trees », que j’aime beaucoup, avec les violons. Donc je dis à Crayon que ça serait cool de jouer des violons en intro. C’est comme ça qu’on a fait « BBF ».
Prince Waly - BBF
A : Il y a deux parties distinctes dans l’album, avant et après l’interlude « Moussa (Part II) ». La vie après l’accident, le retour à la réalité.
PW : Exactement, c’est grave ça. En plus, à la base, je voulais prendre le morceau de Julia tel quel et le mettre dans l’album. Mais avec du recul, je trouvais ça trop facile. J’ai donc eu cette idée d’interlude juste après le morceau « Movie ». Dans « Movie », c’est l’histoire d’une vengeance, un mec met un corps dans son coffre de sa voiture. Vient ensuite l’interlude : le mec rentre dans la même voiture, il écoute le son de Julia et ensuite, boum, accident. Et dans la voiture d’en face, le conducteur écoute le morceau suivant « Cra$h ». Donc oui, c’est vraiment comme tu dis, la vie après la maladie, se reconstruire. Le mec est en galère de thunes, il essaie à tout prix de faire de l’argent mais il a un accident de parcours. Ensuite, il y a le titre avec Luidji et Makala, « Problème », un peu plus dansant. C’est toute une partie un peu plus chaude où je parle d’amour, de sentiments. Puis ce sont les morceaux « Broke », « Miroir » et « Mercy », la vraie introspection.
A : C’est comme si on suivait Prince Waly qui sort faire ses affaires le matin puis rentre le soir chez lui, enlève ses habits d’apparat, seul devant son reflet et parle à la première personne.
PW : Exactement. « Miroir », c’est vraiment une mise à nu, je me regarde dans la glace. À cette époque, je me regardais et je ne reconnaissais pas la personne que je voyais dans le reflet. Je n’avais plus mes cheveux, ma moustache, j’étais amaigri : « Mais qu’est-ce que je suis en train de devenir ? » Et tout ce que je dis dans le son est la réalité. Quand je dis : « J’ai l’impression d’être un océan à côté de la flaque », je suis en mode : j’ai plein de capacités, d’opportunités, mais je ne peux même pas en profiter. C’était comme si on me mettait des bâtons dans les roues. Je dis que je suis en train de me noyer et rien ne peut me sauver. À la fin, je réussis à m’en sortir et à voir l’horizon s’éclaircir. Et ça finit avec ma mère. Aujourd’hui, je me regarde dans la glace et je suis fier de la personne que je vois. Je ne fais aucun compromis, tout est sain.
A : « Un esprit sain dans un corps sain, j’entretiens la stamina » (Ali, Le Rassemblement, « Positive énergie »).
PW : Incroyable. [Rires] Je pense qu’en vrai, l’esprit prend le dessus sur la santé. Avant, j’avais beaucoup de stress, chaque matin. Maintenant, je me lève le matin, j’ai le sourire, je suis content d’être là.
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