La mécanique de PLK
Paris, 18H30 un jeudi 24 août. Le rendez-vous est donné dans les locaux de Panenka Music, le label de Fonky Flav chez qui PLK est signé. Il arrive à l’heure, sur la pointe des pieds, en compagnie de son petit frère et de son acolyte Ormaz du Panama Bende. Son bonjour est rieur, ses mots pressés. Il s’installe sur une chaise de jardin bleue, enlève sa casquette comme pour mieux laisser respirer l’intérieur de sa tête, cette maison de feu.
Abcdr du Son : Te souviens-tu du premier morceau de rap qui t’as marqué ?
PLK : B.I.G., « Mo Money Mo Problems ». C’est ma mère qui me l’a fait écouter. Elle m’avait acheté un lecteur MP3 et elle m’avait fait une playlist. Il y avait des sons de Rohff et du Jamiroquai aussi. J’étais petit, je ne comprenais rien parce que je ne parlais pas du tout anglais. Mais la vibe de ce morceau, ça m’avait tout de suite frappé.
A : C’est ce morceau qui te donne envie de rapper ?
PLK : Non, ce sont les freestyles. J’étais plus attiré par le côté performance : je voulais être impressionnant en live et je bossais ce truc-là à fond. Faire des morceaux, c’est venu bien plus tard.
A : Dans le premiers freestyles qui t’ont piqué, il y a notamment une session de Lefa.
PLK : Ouais, à Planète Rap. J’avais recopié son texte et pendant deux ou trois mois, je l’ai rappé dans la cour de récré. Je faisais croire à tout le monde que c’était de moi parce que personne ne connaissait. Jusqu’à ce qu’un pote finisse par me cramer.
A : De là, tu t’es décidé à écrire tes premiers textes.
PLK : Exactement. Je suis né en 1997 et ça, c’était vers 2010. Je devais avoir douze ou treize ans et j’ai commencé à m’enregistrer. J’ai téléchargé une version de Cubase et je faisais ça avec le micro tout pourri de mon ordi. Je trouvais ça tellement frais de pouvoir le faire tout seul. Personne ne m’avait montré alors je regardais des tutos. Je le fais toujours en plus. J’ai mon studio et parfois, quand j’ai des questions techniques et que mon ingé Fuentes [Krisy, Aka DeLaFuentes, NDLR] ne répond pas, je vais regarder sur Youtube.
A : Tu rencontres ensuite les gars du Panama Bende.
PLK : Vers l’âge de 14 ans. C’était une sensation très bizarre. Dès les débuts, on a tout de suite senti qu’il allait se passer un truc. On ne savait pas trop où ça nous conduirait, si ça allait péter mais on formait un noyau dur et personne ne pouvait s’immiscer entre nous. Partout dans le monde tu as ces groupes de potes, des frères d’une autre mère qui ont été rassemblé par la vie. Nous, c’est vraiment ça. On est des reufs et ça va au-delà de la musique.
A : Tu rencontres qui en premier ?
PLK : Ormaz à ma gauche.
A : La Confrérie, ça arrive à quel moment ? [Collectif composé de Zeu, Ormaz et PLK, NDLR]
PLK : Trois ou quatre mois avant le Panama. Avec la Confrérie, on a sorti deux morceaux qui ont bien marché mais on n’a pas poursuivi. Je ne saurai pas vraiment expliquer pourquoi ? Mais c’est certain, à un moment on retrouvera le temps.
A : Dans les débuts avec le Panama, ce qui compte c’est de kicker.
PLK : On a fait que ça, on frottait partout, tout le temps pour le rap. En plus quand tu vas à un open-mic tu le sais très bien ! Il va y avoir trois personnes, elles ne vont pas t’écouter ou être à l’ouest mais on l’a fait. Même les open-mics dans la boue, à trois heures du matin. Je me rappelle d’Ormaz et Zeu qui étaient allés jusqu’à Lyon une fois. Ils avaient fraudé, dormi dehors limite. C’était vraiment incroyable cette rage qu’on avait pour rapper.
A : Tu te sentais puissant quand tu montais sur scène ?
PLK : Ça me l’a fait à La Cigale en mai dernier. Quand on est montés sur scène, j’ai regardé tous mes gars et je me suis dis « Putain ! Depuis l’époque des open-mics, on a quand même fait un bout de chemin ensemble. ».On travaille mais on a de la chance en vrai. Cette année, on a déjà fait une vingtaine de dates. Là, c’est reparti pour une trentaine…
A : De la chance, vraiment ?
Ormaz : Le travail amène la chance.
PLK : Oui c’est ça, c’est une belle phrase. Imagine quand même, avec deux morceaux on a commencé à faire des concerts. On a tourné pendant huit mois avant de sortir le premier EP. On faisait des petites salles de 150 à 200 personnes.
A : Ce premier EP c’est Bende Mafia en 2016.
PLK : Sur ce coup-là, on l’a enregistré quasiment en une nuit. On avait « Avé » en stock, on savait que c’était un gros morceau et on l’a gardé pendant quasiment neuf mois. Et puis un jour, on a appelé Keasy « viens on clippe, on a une maison. » Ça a pris incroyablement fort. Sur le moment, on n’a pas trop compris. À partir de là, ça nous a donné de la force et on s’est dit que le projet était peut-être bon. C’était la première fois qu’on faisait un truc abouti.
A : Quelques mois plus tard, en 2017 vous sortez le CD ADN. Et là c’est une consécration.
PLK : Personnelle parce que ce n’est pas un succès commercial énorme. C’était vraiment un rêve de gosse, pouvoir sortir un CD. Le mien il est dans ma chambre, posé dans mon studio. Il me motive tous les jours pour faire mieux.
A : Des projets et une Cigale à guichet fermée en totale indé ! « Ma génération est terrible, Panama le montre le mieux. »
PLK : Tu le vois dans le rap, cette génération, de 92 à 97, elle sait tout faire. Regarde un gars comme Fuentes : il rappe, il produit et il est ingé. On est une génération d’autodidactes. Après, on a aussi eu la chance que la voie nous soit ouverte. On arrive après ceux qui, pour parler vulgairement, se sont faits baiser. Ils sont tous partis en maisons de disques, ils se sont mangés des bananes. Ça s’est su et voilà, maintenant on est un minimum protégés.
A : Quand on se lance dans le rap, on pense à ça ?
PLK : Si tu te dis « je vais faire carrière dans le rap » je ne suis pas certain que ça marche. Il faut trimer et avec la galère, il y a des gens qui arrivent sur ton passage et te guident. Moi par exemple, ça été Fonk chez qui je taffe maintenant. Ça doit faire huit mois que je bosse avec lui même si ça fait cinq ou six ans qu’il me donne des conseils. Il est arrivé au milieu de mon chemin et voilà, on ne s’est jamais quitté.
A : Tu as signé sur son label Panenka Music. En dehors du Panama, tu dirais que cette rencontre a été décisive pour toi ?
PLK : Celle avec tous les gars du 1995. Alpha Wann, Nekfeu… Tous ces mecs-là. Alpha est originaire du 14e comme moi. J’y suis né et j’y ai grandi jusqu’à mes 14 ans. Là-bas, il y avait une MJC où le groupe et lui enregistraient. C’est comme ça qu’on s’est rencontrés. Alpha m’a raconté un souvenir il n’y a pas si longtemps : j’étais vraiment minuscule et je traînais déjà dans les couloirs de la MJC. Ça été une rencontre importante. Ils nous ont invités à leur premier Planète Rap, à leur Bataclan, sur des premières parties. Ils nous ont montré énormément de choses et évité de tomber dans certains pièges aussi.
A : Quand ADN est sorti, tu bossais déjà sur ta mixtape Ténébreux ?
PLK : En fait, ça fait quasiment neuf mois que je l’ai en stock. Sur le moment c’était mieux de faire passer le groupe avant. Donc on s’est focalisé là-dessus et ça m’a permis de retravailler ma mixtape à fond.
A : Entre temps, il y a eu ton deuxième EP, Dedans, aussi !
PLK : Ça c’était vraiment histoire d’occuper le terrain. Avec le Panama on était dans un trou à ce moment-là. Il n’y avait pas énormément de sons qui sortaient. J’avais cinq titres en stock et j’ai sorti l’EP à l’arrache par mes propres moyens, sur un site.
A : Ce site n’existe plus d’ailleurs.
PLK : Je n’ai pas dû payer les frais…Non mais laisse tomber ! J’avais même fait des pulls pour l’occasion et j’ai encore un carton à la maison. J’ai un peu fait n’importe quoi sur ce projet. Mais bon, il faut se casser les dents comme on dit.
A : Sur cet EP, il y avait déjà un titre avec Krisy aka DeLaFuentes. Vous vous êtes rencontrés comment ?
PLK : Sur Internet, il y a plus d’un an. Il avait sorti ce morceau avec Nixon et Myk et j’avais vraiment kiffé donc je lui ai envoyé un message pour leur donner de la force. Au tout début, je l’ai contacté sans savoir qu’il était DeLaFuentes aussi. Pour moi c’était juste Krisy, le rappeur. De là, on a commencé à se parler et il m’a proposé de bosser sur un truc.
Le premier morceau qu’on a taffé ensemble c’est « Pas Ce Soir » qui est sur la mixtape. À la base je lui avais envoyé le son avec mon refrain. Et là, première fois de ma vie : il m’a renvoyé sa version, « je l’ai mixé et j’ai mis ma voix à la place dans le refrain. » Le morceau tuait comme ça et on l’a gardé un peu plus d’un an au chaud.
A : Quand es-tu allé à Bruxelles pour la première fois ?
PLK : Trois mois après. Depuis, j’y vais quasiment tous les mois pour bosser. Je m’enferme là-bas six jours parfois. Il m’héberge et pendant presque une semaine je suis dans ce grenier. Il y a ce petit chien trop marrant qui s’appelle Calvin, il y a une Play aussi ! Et il se passe des trucs de fou. Tu peux croiser beaucoup d’artistes. Cet endroit est incroyable. Fuentes c’est un gros bosseur. Il m’a inculqué ce truc de s’enfermer en studio et rester six heures sur un morceau. C’était impossible pour moi avant. Si au bout de deux heures ça me saoulait, il fallait changer. Pas avec lui. Sur chaque morceau, même si c’est nul, il est là « continue, finis. » Ça a changé pas mal de choses pour moi.
A : Est-ce qu’il y a eu un morceau fait dans la douleur ?
PLK : « Du Mal. » J’ai mis une journée. Il m’a forcé à rester au studio, « finis-le, c’est quelque chose. C’est un gros morceau.» Je suis resté dans le grenier toute la journée et on s’est cassés la tête sur ce titre. Je n’avais pas l’habitude d’écrire sur des instrus aussi lentes. Fuentes m’a forcé et j’ai réussi. Je suis assez content.
A : Ça te fait un flow de plus.
PLK : D’enregistrer dans ma tête, ouais. Je pense que je peux en sortir dix de différents sur une prod en moyenne. Si tu regardes mes couplets, je les découpe en quatre par quatre : quatre rimes comme ça, changement de flow. J’ai toujours écris comme. Je trouve que c’est beaucoup plus impressionnant qu’un mec qui rappe tout le temps pareil.
A : Sur les prods, on sent que vous vous éclatez. Sur celle de « Ténébreux », ça part en House par exemple.
PLK : Pour ce morceau on s’est vraiment cassés le cul. Fonk est carrément venu nous rejoindre à Bruxelles pour ce titre et « All Night. »
A : Qui est à la production ?
PLK : Un américain qui s’appelle Origami Beats. J’avais repéré un type beat et je lui ai acheté. Ensuite, il nous a envoyé la prod piste par piste et Fuentes à mis sa touche, la « Fuentes touch. »
A : Fuentes a un univers bien marqué.
PLK : À fond ! Je le sens de plus en plus. Chaque son, tu peux lui donner une couleur. Je peux te dire « ce son, je le vois plus jaune ou celui-ci plus vert. »
A : C’est marrant parce que j’allais te dire que ton projet, c’est un peu comme un arc-en-ciel
PLK : Bah voilà ! Dès qu’il met sa patte quelque part, ça met des couleurs.
A : Toi aussi avec les mots.
PLK : Je ne sais pas. Je ne me trouve pas extraordinaire. Mais c’est gentil ce truc de l’arc-en-ciel. Parce qu’un arc-en-ciel, c’est beau.
A : « Faut croire », c’est un petit bout de ciel bleu.
PLK : Je suis d’accord avec toi. Je le vois bleu aussi. À la base, j’avais mis ce son sur Youtube avec une photo bleue.
A : Pour l’écriture, à qui demandes-tu conseil ?
PLK : Je prends l’avis de mes gars du Panama, deux ou trois personnes de ma ville dont je suis très proche, Fonk qui est au dessus de moi. Fuentes à fond aussi ! Parfois je fais écouter à Alpha ou même Nekfeu aussi. Ils me disent « ça je le vois pour plus tard » ou « ce n’est pas très bon, essaie de le retravailler. » Ça m’aide beaucoup. Je m’inspire pas mal de ce que l’on me dit et si tu me lâches une remarque comme quoi mon CD n’est pas forcément bon, je peux y penser pendant une semaine. Un commentaire Youtube, ça peut me niquer pendant deux mois.
A : Tu regardes les commentaires ?
PLK : Moins sur les derniers clips parce qu’il commence à y en avoir beaucoup mais avant je regardais tout et ça m’a déjà bloqué pendant trois mois. Le truc c’est que, je me trouve pas fort en fait. Ce n’est pas de la fausse modestie mais je ne suis jamais satisfait à 100% donc un commentaire peut tout remettre en question.
A : Tu as toujours eu un intérêt pour le storytelling. Je pense notamment à l’histoire du Petit Dylan [Référence à un fait-divers ayant fait la une, dont la victime était un enfant prénommé Dylan, NDLR] que tu racontais sur ton tout premier EP Peur de me tromper sorti en 2015.
PLK : Oui, de ouf ! Il y a d’ailleurs un titre dans cette veine sur Ténébreux, ça s’appelle « Casino. » Raconter des histoires, c’est vraiment ce que je préfère. J’ai d’autres titres comme ça que je n’ai jamais sortis dont un qui m’a vraiment marqué. Il faut que je le finisse. Je l’ai écrit il y a maintenant deux ans et vraiment, c’est intemporel. C’est ce que j’aime avec ces titres. « Dylan » je ne l’écrirais peut-être pas avec les même mots aujourd’hui mais je raconterais la même chose.
A : La vie t’a fait gagner en maturité.
PLK : Je travaillais encore jusqu’à l’année dernière et je pense que ça m’a beaucoup apporté. Je ne vais pas trop en dire parce que j’en parlerai certainement dans mon premier album ou dans mon prochain projet. Mais j’ai rencontré une personne qui a changé ma vision des choses. Un mec pour qui j’ai bossé dans un petite garage agréé Mercedes. Il m’a vraiment donné goût au travail. J’étais un petit con tu vois, on m’avait mis en mécanique parce que je n’allais pas à l’école. Je n’en avais rien à foutre, tout ce qui m’intéressait c’était le rap. Lui, il n’est pas venu comme tout le monde me dire « tu n’écoutes rien.» Il m’a montré mes qualités et ça m’a fait grandir. Le pire, c’est qu’il ne s’en doute même pas.
A : Combien de temps as-tu fait entre rap et mécanique ?
PLK : J’ai fait trois ans et demi de garage comme ça. Parfois, je finissais avec le rap à six heures du matin alors que je commençais le taff à huit heures. J’allais me garer devant le travail et j’attendais que mon patron vienne taper à la vitre à 7H30 pour me dire de venir travailler. Sans ça, je n’allais pas me réveiller.
A : Et à un moment, tu lui as dis « je pose ma démission, je vais faire du rap. »
PLK : Exactement et il l’a super bien pris. C’était il y a un an et demi. Je lui ai dit «écoute, on commence à faire beaucoup de concerts avec mon groupe et je vais devoir arrêter le garage. » Ce à quoi il a répondu « ça me fait très plaisir. Enfin. » Il savait que j’allais arrêter. Pourtant on ne parlait jamais de ça.
A : Tu dis souvent que « le rap, c’est comme la mécanique. »
PLK : Je dis ça parce que ce n’est que du travail. En mécanique, tu dois par exemple changer telle pièce. Avec le rap, c’est la même. On te donne une prod et tu dois la réparer.
Pas de commentaire