DJ Pavaul et
Dynamik TRC,
« Chti’chopathes
maniaques »
DJ lillois plutôt dans la funk et la soul, Pavaul a cependant été un personnage important du rap nordiste. En 1995, il produit un maxi étonnant et méconnu, Chronique Funeste de Dynamik TRC.
En 1995, de nombreuses villes jusque-là invisibles sur la carte du rap français y font leur apparition. Souvent, cette émergence se fait par le biais d’œuvres plutôt anecdotiques, dont le principal mérite est d’enclencher une dynamique locale en montrant que, même loin de Paris et de Marseille, on peut sortir des disques. Mais il y eut aussi, cette année-là, quelques projets remarquables et décomplexés arrivant de Province : citons par exemple Plus Français que moi tu meurs des Niçois Cool et Sans Reproche et, à l’opposé en termes de géographie et de style, Chronique Funeste des Lillois Dynamik TRC. Le titre du maxi des Nordistes ne trompe pas sur la marchandise : le disque nous plonge durant un quart d’heure dans un océan de noirceur comme le rap français n’en avait alors peu connu. Avant que ne disparaissent les rares traces laissées par Chronique Funeste vingt-sept ans après sa sortie, nous avons échangé avec DJ Pavaul, beatmaker du groupe pour qui le maxi a été une étape importante dans une carrière plutôt riche.
Abcdrduson : Comment s’est formé Dynamik TRC ?
DJ Pavaul : On ne peut pas dire qu’on était des potes d’enfance, ça s’est fait parce qu’on avait rencontré untel, qui connaissait untel, qui traînait avec untel, et qu’on écoutait tous la même musique. À la base, on n’était pas censés faire du rap ensemble, on était plus un groupe de graffeurs et de tagueurs. On était de plus en plus nombreux et c’est comme ça que j’ai connu Dexter, qui était le rappeur principal de Dynamik TRC. À côté, je faisais des productions. Je prenais des faces B de rap US ou anglais et souvent sur les faces B tu avais des pistes avec juste des rythmiques qui tournaient sans sample. Je prenais des instrus de funk et je les mixais au tempo. Je bricolais des instrus comme ça, à la main. Après j’ai commencé à faire de la production avec un sampleur et d’autres groupes m’ont sollicité, dont Esprits malsains, qui apparaît également sur Chronique funeste.
A : Vous étiez tous de Lille et des alentours ?
P : Oui, de la métropole lilloise. Moi je suis de Lille même. Dexter est de Villeneuve d’Ascq. Moddy et Djaml sont de Fives.
A : J’ai vu que tu étais DJ depuis 1986. Ça a toujours été dans la musique hip-hop ou tu mixais d’autres genres avant ?
P : Non, j’ai commencé avec la funk.
A : Avant Chronique funeste, vous étiez déjà apparus sur un disque ou une mixtape ?
P : Non, on n’avait rien fait. D’ailleurs Chronique funeste c’est la première autoproduction du Nord. Et par la suite, c’est moi qui ferai les premières mixtapes dans le département. En 1995, tu n’avais rien ici. Il y avait bien sûr des mixtapes mais c’était à Paris, mais tu ne pouvais même pas imaginer poser dessus.
A : Dans quelles conditions avez-vous enregistré le disque ?
P : C’était dans un studio semi-pro, chez un mec qui habitait à Roubaix et qui ne connaissait rien à la musique hip-hop. Il était musicien, il sortait des productions house et dance. Il louait son studio, qui en fait était dans une cabane au fond de son jardin. Quand on lui a expliqué qu’on souhaitait enregistrer un trois titres, il nous a dit : « c’est bon, en une journée c’est bouclé. » Pour finir, on a passé une semaine chez lui pour tout faire. [rires] Il était très branché disco. Il avait une table analogique qui datait de la fin des années 1970 ou du début des années 1980. En 1995, ça ne valait plus grand chose mais à l’époque du disco c’était du pur matos.
A : C’était la première fois que vous enregistriez quelque chose ?
P : Oui, la première fois qu’on entrait en studio, qu’on mixait les productions, qu’on posait des voix… C’était une totale découverte, sans aucune base de notre côté ou dans notre entourage. On a appris sur le terrain. Et donc avec un ingé son qui n’était pas du tout issu du hip-hop. Il était dans la house, il jouait du synthé, mais il n’y avait pas de voix sur ce qu’il faisait. C’est pour tout ça qu’on a mis une semaine pour enregistrer trois titres.
« Sur une autoproduction à l’époque si tu rentrais dans tes frais c’était très bien et si tu faisais un peu de bénéfice c’était génial. »
A : À combien d’exemplaires avez-vous sorti le disque ?
P : À 1000 exemplaires. Bien sûr, on l’a distribué nous-mêmes, jusqu’au sud de Paris. Ce n’était pas évident, d’autant que là non plus on n’y connaissait rien. On allait au culot dans les magasins avec des cartons de vinyles, on disait au mec : « vas-y écoute ça et dis-nous si tu en veux. » C’était à l’arrache, on ne pouvait pas s’appuyer sur une base de données ou sur des connaissances.
A : Quels retours avez-vous eu à l’époque ?
P : D’excellents retours. Dans la presse spécialisée et même dans la presse rock. On en a vendu entre 800 et 850. Le reste est surtout parti dans les envois pour la promo et j’en avais gardé une cinquantaine.
A : Le disque sort sur Napalm Produktion, une structure sur laquelle tu vas sortir des mixtapes par la suite. C’est toi qui l’as créée ou c’était tout le groupe ?
P : Non uniquement moi. Par la suite c’est devenu Streetsoul et j’y ai fait des productions plus funk et r’n’b.
A : À l’époque du maxi, par quoi es-tu influencé en termes de production ?
P : J’ai une culture musicale qui n’est pas très large, honnêtement. Ça se limite à ce qui est afro-américain : soul, funk, r’n’b. J’écoutais aussi du hip-hop et de la new jack. Ça tournait autour de ça. Si tu écoutes bien la production sur le maxi, c’est surtout des samples de funk et de soul, des trucs que j’écoutais. Mais j’allais quand même piocher de temps en temps ailleurs. Pour l’intro par exemple. À l’époque, dans le centre-ville de Lille, tu avais un petit disquaire qui vendait tout à deux ou trois francs. Tu ne pouvais pas écouter. Donc soit tu connaissais, soit tu prenais un peu au hasard, au feeling. Ce n’était pas cher, donc le risque était limité. J’étais fan de tout ce qui était comics. Et j’étais tombé sur un disque avec marqué « Flash Gordon » en grand dessus. Mortel, je prends. En fait, c’était une bande originale du film de 1980 faite par Queen. C’est là que j’ai choppé le sample de l’intro.
A : Tu utilises aussi le thème de The Shining, celui de la première séquence avec les vues panoramiques et la voiture qui avance dans la montagne.
P : Oui. [Il fredonne] Dans la funk, les morceaux sont plutôt joyeux et dynamiques. Si tu veux assombrir tes productions, il faut donc trouver des samples un peu plus lugubres mais qui se marieront quand même bien avec la funk. Si tu prends un gros sample de funk bien taillé pour les clubs, c’est mort. Sur l’outro aussi, j’ai utilisé « Marche Funèbre » de Chopin. Il fallait trouver une ambiance qui colle avec les lyrics et les flows.
A : Oui parce que dans l’ensemble, le maxi est quand même sombre et désespéré.
P : Carrément, c’était un peu la tendance de l’époque, l’horrorcore : Gravediggaz, Flatlinerz, tout ça.
A : Ça t’a influencé, Gravediggaz ou Flatlinerz ?
P : Oui. Mais regarde l’époque : tu avais le premier album du Wu-Tang Clan qui était sorti, ce n’était pas très joyeux au niveau de l’ambiance. C’était des samples de soul, mais clairement ça ne donnait pas envie de faire la fête. Puis Rawcotiks, Company Flow, les premiers Non Phixion… C’était hardcore. J’écoutais aussi beaucoup de rap anglais : Gunshot, Silver Bullet, Hijack. C’était aussi une vibe qui n’était pas très joyeuse. Nous on était à fond là-dedans.
« On devait faire la première partie du Wu-Tang Clan à l’Aéronef de Lille. Tu imagines ? »
A : Tu utilises aussi la mélodie de « Drag Rap » de The Showboys. J’ai été très surpris d’entendre ça sur un disque de rap français, en particulier pour cette époque-là.
P : Je crois que le morceau est de 1985 ou 1986. C’est l’époque où j’ai commencé à acheter des disques de funk. En fait, quand des disques de rap sortaient, on ne savait pas vraiment comment les catégoriser. On mettait ça dans la funk. Kurtis Blow, Sugarhill Gang, Grandmaster Flash… Ça sonnait comme de la funk electro, de la funk assez froide, un peu à la Cameo. Mais avec quelqu’un qui rappait dessus, tout simplement. À l’époque, je ne savais pas ce que c’était, j’ai entendu ça chez mon disquaire et je l’ai pris.
A : Au moment où tu le réutilises pour Chronique funeste, est-ce que tu l’as entendu sur des morceaux de rap américain ?
P : Non, pas du tout. À l’époque je ne l’avais jamais entendu samplé. Je faisais en sorte de ne pas prendre des samples déjà utilisés, donc si je l’avais entendu à quelque part je ne l’aurais peut-être pas pris.
A : Après ce maxi, quelle a été la suite pour Dynamik TRC ?
P : Le maxi a été considéré comme un EP, parce qu’avec l’intro et l’outro il comptait cinq titres. Mais après ça, on voulait partir sur un vrai EP, un disque plus long. On a maquetté mais ça n’a pas été plus loin. Ce n’était pas évident : on était encore étudiants, hormis Dexter qui travaillait déjà un peu. Donc il fallait trouver la thune. Même si on avait vendu une bonne partie des disques, on n’avait pas gagné grand-chose. Sur une autoproduction à l’époque si tu rentrais dans tes frais c’était très bien et si tu faisais un peu de bénéfice c’était génial. Le peu de bénéfice qu’on a fait est parti dans notre séjour à Paris. On n’avait pas de distributeur donc on est allés là-bas pour placer les disques nous-mêmes. On est restés une semaine, ce qui a engendré beaucoup de frais. Donc il fallait à nouveau rassembler de l’argent pour enregistrer et forcément ça allait prendre du temps. On s’est aussi dit que si on avait mis une semaine pour faire trois titres, pour en fait huit ça allait nous prendre beaucoup plus. Et puis suite aux bons retours quant au maxi, des plans sont arrivés mais ils nous ont un peu cassé les pattes. Par exemple, on devait faire la première partie du Wu-Tang Clan à l’Aéronef de Lille. Tu imagines ? Tu as sorti un maxi et tu fais la première partie du Wu, au moment où ils explosent. Mortel. Et finalement le concert a été annulé à la dernière minute : certains mecs du Wu ne pouvaient pas voyager à cause de leur casier judiciaire. En plus à l’époque tu n’avais pas beaucoup de concerts de rap, donc une date c’était précieux. C’est tout ça qui nous a un peu démotivés. On avait l’impression de ramer. Puis le temps a passé, chacun a fait ses trucs de son côté et ça s’est essoufflé. On était jeunes aussi, on manquait de maturité et de recul pour pouvoir continuer sereinement.
DJ Pavaul – Mixtape N°10 : Lille, Bobigny, Sarcelles (L’Unité Undaground Tome 3)
A : Et donc par la suite, tu as continué ton parcours en solo en faisant des mixtapes.
P : Oui, en 1996 je me suis mis aux mixtapes, surtout de rap français. J’en ai fait entre dix et quinze. J’ai aussi fait des productions pour un autre groupe du Nord, Coup 2 pression. Il y a eu un EP, un maxi avec Namor de Prodige Namor puis un album. J’ai beaucoup tourné avec eux, on a été jusqu’au Sénégal. Ensuite, je suis retourné à mes premiers amours, la soul et la funk. J’ai fait des mixtapes là-dedans et j’ai aussi pas mal mixé en boîte, surtout du r’n’b et de la musique hip-hop plus crossover.
A : Est-ce que tu produis encore ?
P : Non, j’ai arrêté de produire au moment où j’ai arrêté d’écouter du rap, c’est-à-dire vers 2008 environ. Le rap actuel, ce n’est pas fait pour moi, je n’y arrive pas. Ma base, c’est la funk et la soul. Avant, il y avait beaucoup de samples, je m’y retrouvais pleinement d’un point de vue musical. Je ne dis pas que ce qui se fait actuellement n’est pas bien, c’est juste que ce n’est pas mon truc.
Mise à jour : cette interview a été réalisée en mars 2021. Quelques mois plus tard, Pavaul reprenait – ponctuellement – du service en produisant deux titres pour Epilogue, l’EP de Maleek, son ancien collègue au sein de Coup 2 Pression.
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