Ozhora Miyagi, producteur 2.0
Interview

Ozhora Miyagi, producteur 2.0

Il est pote avec Kid Ink et Devin Cruise. Il a signé le « Génération Assassin » de Booba et « Diego », le hit planétaire de Tory Lanez. Il a collaboré avec le A$AP Mob et même approché T.I ou French Montana. Et tout ça, Ozhora Miyagi a réussi à le faire grâce à Internet, juste en envoyant quelques mails.

Photographie : Jessica Makengo.

Elton a 21 ans et vient de Lièges en Belgique. La journée, il est étudiant en e-business et, le soir venu, il se met dans la peau de son alter ego Ozhora Miyagi. Et s’il y a bien une chose dont il est convaincu c’est qu’il est bien plus qu’un beatmaker. Mais les ambitions de Ozh ne se limitent pas à une simple histoire d’appellation. Il veut aller vite, loin et taper fort. On connait tous trop bien l’histoire, nul n’est prophète en son pays. Alors, avec l’aide de son grand-frère qui est aussi son manager, Ozhora vise l’Amérique, ce territoire fantasmé accélérateur de carrière. Et même si les autres n’y croient pas, même si certains lui disent que ça ne marchera pas, Ozhora Miyagi s’accroche à ses rêves. Il squatte le web, à la recherche d’une porte d’entrée et finit même par la trouver. Voici son histoire en 5 titres.

Devin Cruise & Kid Ink – In The Morning 

Ca s’est vraiment fait au pif. J’avais passé pas mal de temps sur le site HotNewHipHop à écouter ce qui se faisait et je suis tombé sur Devin Cruise. J’avais une seule prod de potable que je pouvais envoyer. C’était vraiment le test, si ça lui plaisait c’est que ça pouvait le faire.

Je le cherche sur Facebook. Je le trouve et je lui envoie un message. Un truc du genre: « Hey, je m’appelle Ozhora, je fais des beats. Est-ce qu’on pourrait travailler ensemble ? ». Cela peut paraître surprenant mais le mec me répond. Derrière ça, je lui envoie mon son. Je l’ai fait sur mon PC avec mon clavier d’ordi sur le logiciel FL studio. Quand je fais de la musique, je n’ai pas une grosse configuration, seulement mon ordinateur relié à deux enceintes. J’ai essayé de faire du son avec un clavier Midi mais c’est trop compliqué et je ne sais pas jouer d’un instrument. Alors je fais tout fait à l’oreille et quand ça sonne bien c’est que tout est ok.

Un jour, après lui avoir envoyé un mail, je me rends compte que le titre est déjà en ligne. Avec mon nom marqué en dessous. Je suis tellement surpris parce que ça s’est fait tellement vite. Quand je l’entends pour la première fois, je me dis immédiatement : « ça y est mon heure de gloire est arrivée ». Après c’est clair, ce titre ne vaut pas un Grammy ! Mais bon, j’ai réussi à atteindre mon but : toucher un Américain et, en plus, du premier coup.

Casey Veggies – Mirror On The Wall 

Dans ma ville, à un moment, je suis passé pour le plus gros menteur de la terre. Les gens étaient là : « parle pas à Ozh. Lui, s’il te raconte un truc, ne le crois pas ». Ouais, pendant un an ou deux, ça s’est passé comme ça.

Au début, quand je parle de mon projet – en gros, placer des prod chez les cainris – les gens me disent : « ouais tu délires. On est en Belgique, tu ne vas jamais y arriver». Mais plus les gens te disent ça et plus ça te donne de la force pour continuer. Je suis dans ma chambre, je fais du son et je me dis : « ils vont voir, je vais leur prouver que je peux y arriver ». Après, ça n’est quand même pas facile tous les jours. Et je me retrouve souvent avec énormément de contraintes. Quand je fais ce titre par exemple, je n’ai plus de casque, plus d’enceintes. Donc je travaille avec le Home Cinéma du salon relié en Bluetooth. Du coup, le son est un peu décalé et dès que j’ajoute un instrument, il faut que je compte dans ma tête. C’est un peu du bricolage mais j’arrive quand même à sortir le truc.

Ici, au départ, ça commence par un mail. Casey Veggies a une marque de fringues. Comme j’aime bien ce qu’il fait, en allant sur son site, je vois qu’il y a le contact de son manager. Je décide de lui envoyer une prod. Et deux ou trois semaines plus tard il me répond : « Casey Veggies a kiffé ton son ». Il est en copie du mail et donc à partir de là on commence même à se parler.

A$AP Ferg & Bone Thugs-N-Harmony – Lord 

Mon contact chez A$AP Mob, c’était A$AP Yams qui est décédé depuis. Yams, c’était vraiment quelqu’un de très cool. Il était hyper ouvert et il te parlait vraiment. Je l’ai rencontré sur une date d’A$AP Rocky à Bruxelles.

A la fin du concert Yams est là, il parle avec les fans. Moi, je veux juste voir Rocky pour lui proposer une instru. Mais comme ce n’est pas possible, je vais voir Yams. Je sais pas trop quoi lui dire. Je veux lui parler de musique alors que, lui, il me parle de la vie. Mais il me file quand même son mail et je lui envoie cette production que j’imagine pour Rocky. Yams ne me répond pas directement. Il revient vers moi 8 mois plus tard. Et là, il m’annonce que c’est Ferg qui la prend et ,en plus, il a déjà posé dessus. Mais il y a un problème : ils n’ont pas réussi à clearer les droits. Le début d’un vrai casse-tête pour moi… Sur la première version, j’ai samplé un jeu vidéo. Et du coup, à cause de ces histoires de droits, je dois tout reprendre. Mais ils n’aiment pas la version suivante et les autres non plus d’ailleurs. A une semaine de la sortie de l’album, mon son n’est toujours pas terminé mais la tracklist est déjà disponible avec mon nom dans les crédits. Je suis vraiment en stress et je ne sais pas du tout dans quelle direction aller. En plus, la seule consigne que j’ai eue d’A$AP Ferg est la suivante : « donne moi un esprit dark ».  Je vais le sortir d’où ton esprit « dark » ? Au total je crois que j’ai dû leur envoyer 16 versions différentes. Finalement, ça l’a fait mais je sais même pas expliquer comment.

Après A$AP Ferg, je me dis que je peux taper plus gros. Je contacte les manageurs des mecs qu’on voit à la télé. Machine Gun Kelly, T.I., des mecs comme ça. J’ai des réponses positives mais sans que ce soit très concluant. Je réussis quand même à placer une prod sur l’album de French Montana. Mais, ici encore à cause d’une histoire de sample, ça ne passe pas. Je décide d’arrêter les samples. Mais ça n’est pas un choix facile puisque je dois tirer un trait sur les 150 sons que j’ai en stock.

Tory Lanez – Diego 

J’étais sorti avec des potes en club et, ce jour-là, ils avaient passé au moins 15 fois le son « Coco » d’O.T. Genasis. J’étais énervé et je me suis dit : « moi aussi il me faut mon club anthem ».

En rentrant chez moi, je ne suis pas bourré mais un peu dans les vapes. Je me mets à faire du son. Je suis porté par la rage que j’ai contre « Coco ». Et, tout de suite, j’imagine les gens bouger dessus. Souvent, quand je suis en club, j’analyse les titres qui sont joués. Les gens s’amusent et moi je pense à comment ça serait de faire ce genre de son avec mon propre style.

Pour l’instru de « Diego », je reprends une prod que Punisher m’a envoyée. Je garde sa boucle avec la nappe et je retravaille tout l’instru. J’étoffe sa composition en ajoutant de nombreux éléments et pas mal d’instruments. Ensuite je l’envoie à Tory Lanez. Lui, c’est un artiste de ma période mixtape avec qui j’ai déjà travaillé. Donc ce n’est pas très compliqué de le contacter. Quelques temps après, le son est lâché sur HotNewHipHop. Le buzz commence sur Twitter. Je vois les gens partager le titre et le nombre de vues qui n’arrête pas de grimper. Je ne m’attendais pas à ce succès-là. Avec ce titre, je voulais avoir mon « Coco » mais je ne pensais pas y arriver.

Mais ce qui est triste dans l’après « Diego » c’est que, dans un premier temps, on a dû batailler pour être crédités puisque seul les noms de Tory Lanez et de son producteur Play Picasso figuraient au départ. Surtout, Punisher a dit que j’avais juste ajouté des cloches sur sa production [Ozh fait ici référence à une interview de Punisher sur le site de Yard où le producteur donne sa version de la création de Diego, NDLR]. Franchement,  je peux te faire écouter ce qu’il ma envoyé et tu verras par toi-même si j’ai juste ajouté des cloches.

Booba – Génération Assassin 

Je suis encore à l’école en première année de e-business donc je fais la plupart de mes productions la nuit. Mais ça peut m’arriver de sécher les cours pour faire du son. C’était le le cas pour « Génération Assassin ». Je ne suis pas allé en anglais et je suis rentré directement chez moi pour bosser. L’inspiration est venue sans prévenir, il fallait que je saute sur le truc. Je ne pouvais pas passer à côté.

Il y avait un événement Ünkut dans une boutique de ma ville. Et je connaissais le patron donc je lui ai demandé si je pouvais faire partie du staff ce jour-là. C’est comme ça que je réussis à me faufiler jusque Booba. Je vais le voir et je lui demande si je peux lui envoyer mes instrus. Là, il me donne son mail mais je ne lui envoie pas de sons tout de suite. Je n’ai pas vraiment d’idées alors je garde son contact pour plus tard.

Quand « Diego » sort, Booba poste une vidéo de lui et sa fille qui écoutent mon son sur Instagram. Les gens commencent à me taguer sur son post et je me souviens que j’ai son adresse mail. Booba, ce n’est pas une personne qui parle beaucoup. Quand je lui envoie ma prod, il me répond juste : « bien reçu ». Ensuite « j’aime bien. » Puis « j’ai fumé ton instru ». Mais je ne lui demande pas de m’envoyer le titre. Je n’aime pas recevoir les sons en avant première. Je préfère les découvrir en même temps que tout le monde. Et si les gens kiffent, je kiffe avec eux. Quand le son de Booba est mis en ligne, je suis à la bibliothèque. Sur mon portable, j’ai déjà trois appels en absence. Mais de là où je suis, je ne peux pas trop répondre. Je me mets à chuchoter : « je suis à la bibli, qu’est-ce qui se passe ? ». Au bout de la ligne, mon pote me raconte que le son est en ligne. Je sors directement parce qu’il n’y a pas de réseau et ça me fait péter les plombs. Je cours vers le McDo pour capter le Wifi et écouter le son. Et là, j’entends cette phrase : « je vais à la chicha pour les beurettes. » Le mec est tellement loin, ça m’a bien fait marrer.


Ozhora Miyagi travaille en ce moment sur le nouveau projet de Dillon Cooper. Il pourrait également de nouveau collaborer avec Booba et vient de passer une semaine en studio avec le montréalais High Klassified.

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