Ol Kainry, l’éternel rookie ?
Sorte d’éternel rookie, Ol Kainry vient, mine de rien, de sortir son quatrième projet solo. Vaste cour de récréation dans laquelle le Demolition man croise le micro avec un large échantillon du rap hexagonal, Iron Mic est sans doute son disque le plus abouti. Interview totalement au max.
Statut bizarre que celui d’Ol Kainry, rappeur coincé entre deux générations, qui était encore un rookie plein d’ambitions à une époque où le rap français collectionnait les disques d’ors et qui, dix ans plus tard, ne fait pas tout à fait figure d’ancien. Plus que jamais, Mister Ol est notre Jadakiss national : tonitruant en featurings, capable d’éclipser les rappeurs hexagonaux les plus incisifs sur leurs propres projets, il n’a jamais totalement convaincu en solo. La preuve : son projet le plus respecté à ce jour est sans aucun doute l’album commun sorti avec Dany Dan.
Pour ces raisons, Iron Mic 2.0 et son statut bâtard arrive à point nommé. Comme Jadakiss, Ol kainry n’est jamais aussi bon que quand il s’autorise à rapper sur tout et n’importe quoi 4 minutes durant. Beaucoup plus à l’aise lorsqu’il se permet de laisser exploser sa folie, les morceaux à thèmes l’enferment dans un schéma trop étroit pour ses épaules bodybuildées. Le public réclamait plus de featurings et moins de morceaux à thèmes ? C’est ce que Freddy se propose de leur donner.
Quand Booba et Rohff font tout à l’américaine (du mixage aux featurings), Ol Kainry, le plus Yankee des rappeurs français, sort paradoxalement un projet bien de chez nous. Rappelant une époque qui paraît déjà révolue où bon nombre de streets-CD de qualité sortaient chaque année, Iron Mic 2.0 surprend et fait du bien.
Lorsqu’on avait rencontré le rappeur, son disque s’appelait encore Iron Mic , il devait se limiter à un CD simple et “Sexy legging” figurait sur le tracklisting. Une polémique impliquant Christian Louboutin et un report de projet plus tard, le quatrième projet solo d’Ol Kainry est enfin dans les bacs. L’occasion pour nous de publier l’entretien que nous avions réalisé avec Ol Kainry au mois de septembre dernier.
Abcdr Du Son : Dans quel état d’esprit es-tu avant la sortie de ce nouveau disque ?
Ol Kainry : Je suis content d’avoir fini le projet et assez impatient de voir l’accueil du public. Je suis sûr de moi et de ce que j’ai accompli. Après, je suis dans un délire “à prendre ou à laisser”. Si tu kiffes, tant mieux et si tu n’aimes pas, tu iras écouter quelqu’un d’autre. Tout simplement. Je suis assez tranquille par rapport à tout ça.
A : Est-ce qu’on peut clarifier un peu le statut de ce disque : quatrième album ou street-CD ? Est-ce que tu crois que ça a encore du sens de marquer une différence entre les albums et les streets-CD ?
O : C’est une sorte d’album. En tout cas, l’énergie qui a été mise est celle d’un album. Certes, il ne s’agit pas d’un album solo puisqu’il y a énormément de collaborations mais on peut qualifier ça d’album conceptuel. C’est pas une street-tape, c’est pas un street-album… Tout a été fait au max, comme sur un album. Au départ, j’étais sur un album solo qui m’a vite saoulé. Je l’ai mis en stand-by parce que j’avais envie de faire autre chose. J’ai eu l’idée de faire Iron Mic il y un exactement un an. C’est vers fin août-deput septembre 2009 qu’on a fait le premier feat.
A : Tu disais qu’il y avait un nombre important de featurings sur ce disque. Comment est venu l’envie de croiser le micro avec autant de rappeurs différents ?
O : J’ai aussi fait ce projet pour répondre aux gens qui n’arrêtaient pas de me dire que j’étais enfermé dans mon 9.1 à toujours collaborer avec les mêmes personnes. Je me suis dit que j’allais faire un projet qui allait correspondre aux attentes du public. Je suis ouvert à toutes les critiques et j’écoute les gens quand ils me disent qu’ils aimeraient bien m’entendre avec untel, qu’ils me demandent pourquoi je n’ai pas fait de morceau avec un autre… Au lieu de continuer à jouer le sauvage du 9.1, j’ai voulu sortir un projet qui montrait que je pouvais me mélanger au rap game.
A : Pourtant tu as été présent sur de nombreuses compilations, tu as fait Facteur X, le projet avec Dany Dan…On ne peut pas dire que tu as été avare en collaborations extérieures.
O : Ouais mais il s’agissait toujours de personnes appartenant plus ou moins au même cercle. Là, je voulais vraiment associer mes qualités à celles de tous les autres, ne pas hésiter à aller dans leurs délires etc. C’est pour ça qu’il y a autant de collaborations et ça me plaît de devoir me surpasser, de kicker avec quelqu’un, d’avoir une émulation en studio… Je suis fan des compilations de DJ Khaled qui réunissent toujours plusieurs MC’s qui sont vraiment là pour se dépasser à chaque fois. C’est ce que j’ai voulu faire avec Iron Mic.
« J’ai fait ce projet pour répondre aux gens qui n’arrêtaient pas de me dire que j’étais enfermé dans mon 9.1 à toujours collaborer avec les mêmes personnes. »
A : Est-ce que tu rêves de collaborer avec un artiste en particulier ?
O : Franchement, ça concernerait surtout des chanteuses… Alicia Keys, ce serait pas mal. Ce serait un gros délire de rapper mon couplet et de la voir enchaîner le refrain juste derrière moi… Totalement le zizi dur ! [rires]
A : Sur tes projets, il y a toujours un visuel assez fort et travaillé. Le précédent comportait des références cinématographiques et celui-ci s’inspire directement de Mike Tyson. C’est quelqu’un qui t’inspire ?
O : Ouais, je suis totalement fan. Je me rappelle de ses anciens combats quand j’étais petit et, pour moi, il a dépassé le statut de sportif. C’est un artiste. Même si ça a été plus compliqué sur la fin, je ne garde que le meilleur. J’aime conceptualiser tout ce que je fais et, comme il s’agit un projet plein de pêche, j’ai choisi de l’intituler Iron Mic. En plus, il y avait le jeu de mot “Mike/Mic” qui rajoutait un petit délire. Comme je pratique aussi la boxe en loisirs, c’était un bon moyen de tout mélanger et de donner un bon aperçu de ma personnalité.
A : Aujourd’hui, beaucoup regardent rétrospectivement ton projet avec Dany Dan comme un classique alors que l’accueil n’avait pas été aussi chaleureux à la sortie. Quel regard portes-tu sur ce disque ?
O : Honnêtement, j’ai du mal à avoir du recul sur ce que je fais parce que je fonctionne de manière très spontanée. Quand j’ai envie de faire quelque chose, je ne cherche pas vraiment à rentrer dans la tête des autres pour essayer de savoir ce qu’ils vont en penser. Je le fais et c’est tout. Dany, c’est l’artiste qui m’a mis dans le game. Les premiers textes de rap français que j’ai appris par cœur et que je recouchais ensuite sur papier étaient issus du premier album des Sages Po. Ensuite, j’ai moi-même mis un pied dans le rap français et j’ai rencontré ce type là qui, en plus, m’a renvoyé du respect. Il me propose de faire un titre. On en fait un, deux… Il me dit qu’il aimerait bien partir sur un projet. C’était impensable de refuser !
Après, le public rap français est un peu divisé en plusieurs catégories. Il y a ceux qui connaissent, ceux qui ne connaissent pas, ceux qui sont trop ghetto, ceux qui sont à fond dans le mouvement hip-hop… Quand le projet est sorti, des jeunes m’ont demandé qui était Dany Dan. Je n’aurais jamais imaginé qu’on puisse me poser cette question ! “C’est qui ce Dany Dan ? Pourquoi tu as taffé avec lui ?”…”Comment ça ? Tu ne connais pas Dany Dan ?” [rires] Il y a sûrement des paramètres que je n’avais pas pris en compte quand on a démarré le projet. C’est pas grave du tout parce que j’avais envie de le faire et si ce projet a fait découvrir Dany Dan à des petits jeunes, c’est mission accomplie.
A : Un peu comme Dan, tu as toujours eu beaucoup de gimmicks. C’est aussi quelque chose qui contribue à créer ton propre univers…
O : Ouais et j’avoue que j’aime bien délirer. Je ne m’en cache pas. J’aime vanner, j’aime la bonne humeur et j’essaie de retranscrire ça dans mes textes, dans ce que je dégage, dans mes clips…
On sort d’une période dans le rap français où il fallait être le plus ghetto pour être respecté. Visage masqué, sortir les voitures brûlées dans les clips… Je ne veux pas m’enfermer là-dedans. J’en ai rien à foutre si je suis un artiste qui a le sourire. Dans ce projet, tu verras toutes les facettes de ma personnalité. Je peux faire un rap énervé quand je suis en colère et je vais te faire un rap délire quand je serais en mode Tortue Géniale. [rires]
A : Justement, « Sexy legging », [NDLR : passé depuis à la trappe à cause de la polémique que l’on sait] est un morceau marrant et qui parle de cul, deux choses assez rares dans le rap français.
O : Comme je te l’ai dit, ce sont des choses spontanées. Je ne veux pas me fixer des limites et me frustrer. Demain, je veux pouvoir quitter ce rap game sans aucun regret. Et si j’ai envie de faire un morceau sur les Chips Flodor ou sur mes orteils, je le ferai ! [rires] En réalité, « Sexy legging » est un ovni dans le projet. C’est un morceau réalisé de manière spontanée qui ne représente pas pour autant le projet dans sa globalité. Il faisait chaud, c’était l’été et on a eu envie de faire ça. J’ai envoyé « Au max » juste derrière pour annoncer que l’été était fini, qu’on allait sortir du club, décuver et repartir au taf. [rires]
« Ce qui est compliqué c’est que j’ai commencé à rapper très jeune et, finalement, j’ai aujourd’hui le même âge que les artistes qu’on dit nouveaux. »
A : Quitter le rap français, c’est une chose à laquelle tu penses ?
O : Je ne vais pas rapper indéfiniment et je fais aussi en fonction du public. J’envoie mes projets et si le public adhère, je continue. Le jour où les gens arrêteront de me suivre, j’arrêterai. Je ne vais pas forcer les choses et me ridiculiser. Il ne faut pas faire le combat de trop. Quand les mecs seront fatigués de m’entendre, je m’en irai. Tout simplement.
A : Aujourd’hui, entre Agression verbale, tes projets solo, Facteur X, l’album commun avec Dan, tu as une grosse discographie. Tu te considères comme un ancien ?
O : Ce qui est compliqué c’est que j’ai commencé à rapper très jeune et, finalement, j’ai aujourd’hui le même âge que les artistes qu’on dit “nouveaux”. J’ai le même âge que Sefyu et la Fouine alors que j’ai commencé quelques années avant eux. Quelque part, c’est difficile de trouver le juste milieu parce que le public est scindé en plusieurs catégories. Il y a ceux qui vont kiffer le rap à l’ancienne et le nouveau public qui a d’autres attentes. Tu es au milieu de tout ça et tu dois rassasier les deux côtés. Moi, je ne suis pas fermé dans le passé en ne cherchant à rapper que sur des instrus violon à la Queensbridge et je ne me prends pas non plus pour T.I ou Rick Ross. J’essaye de trouver l’équilibre.
A : Il y a une grande tendance électro dans le rap en ce moment. Tu n’as pas eu envie de t’engouffrer là-dedans ?
O : Nan, pas du tout. C’est pas quelque chose que je me vois faire mais après chacun ramène son truc. Tout le monde a lancé sa dinguerie, j’ai lancé la mienne qui n’était pas de l’électro. Après, je suis ouvert et si David Guetta m’envoie une prod super lourde et que ça m’inspire, je le ferai. Si ça ne m’inspire pas, je ne me forcerai pas. Il faut que ce soit bien fait.
A : Est-ce que tu comptes sur Skyrock pour passer ta musique ou c’est un média que tu regardes de loin aujourd’hui ?
O : Je ne fais rien en pensant à Skyrock. Aujourd’hui, je suis content que mes morceaux aient suivi leurs chemins sans avoir eu à mettre un orteil dans les locaux de Skyrock. Je ne suis pas un artiste Skyrock. Depuis le début, j’ai été suivi par Générations et c’est quelque chose qui continue. Aujourd’hui, mes morceaux tournent beaucoup sur le net et sur Générations.
Je ne fais pas de morceau pour Skyrock tout en sachant également que je ne suis pas leur priorité. Après, quand je sors un projet, j’envoie un mail à tout le monde. Les intéressés se manifestent et on travaille comme ça. Mais quoi qu’il arrive, ça n’influe pas sur la qualité du projet et le choix des morceaux.
A : Tu es justement très présent sur Internet. Autant les rappeurs américains ont très vite compris l’utilité de ce média, autant les rappeurs français ont mis plus de temps à s’y mettre. Tu dois être un des rares à utiliser aussi fréquemment Twitter par exemple.
O : Ca va mettre un peu de temps à venir mais je pense que tout le monde va s’y mettre. Après, c’est quitte ou double. Personnellement, je prends du plaisir à discuter avec mon public parce que ça reste respectueux et que les gens se prêtent au jeu. Si je devais passer mon temps à me justifier et à essuyer des insultes, il est clair que ça ne m’aurait pas plu. Je pense que c’est une histoire de mentalités.
Moi, j’aime bien aller sur Facebook, Twitter, délirer avec mon public, essayer d’intéresser un maximum de personnes qui peuvent se sentir concernées par ma vie parce que je ne suis pas un surhomme. Il n’y a que les projets musicaux que je sors qui nous différencient mais sinon, on a la même vie. Comme eux, je mange des Frosties le matin. [rires]
A : Tu es souvent sur Internet et je ne t’apprends rien si je te dis que c’est de plus en plus compliqué de vendre des disques aujourd’hui. Est-ce que ça a encore du sens de chercher à vendre des CD’s ou est-ce qu’il ne faudrait pas privilégier un nouveau format notamment via le Web ?
O : J’y ai pas mal réfléchi mais je n’ai pas les réponses. Je pense que cette fin d’année nous donnera beaucoup d’informations sur la capacité d’Internet à faire vendre des albums. Aujourd’hui, il n’y a plus beaucoup de structures et les gens regardent de moins en moins les clips en télé. De la même manière, ils écoutent de moins en moins la radio. Il y a quelques années, tu mettais directement la radio quand tu rentrais chez toi. Aujourd’hui, tu ouvres ton PC portable et tu vas sur Internet. On va voir sur cette fin d’année si tout ce réseau peut faire vendre plus d’albums. C’est une question que je me pose.
A : Quelle est ta situation avec Because et quand est-ce que tu as quitté Nouvelle Donne ?
O : J’ai un contrat de distribution avec Because. Avec Nouvelle Donne, ça s’est terminé à la fin 2008-début 2009. J’ai pris le temps de monter ma propre structure pour être mon propre patron et sortir mes projets comme j’en avais envie. Ca s’est terminé à l’amiable mais j’avais besoin de m’en aller.
A : Tu disais récemment que tu avais acheté une caméra et que tu tournais tes clips toi-même. C’est important pour toi de se prendre en main de A à Z ?
O : Totalement et je regrette même de ne pas l’avoir fait avant. En même temps, j’ai appris. J’étais un peu dans un cocon dans lequel l’artiste est le produit et tout est géré autour. Je ne savais absolument pas ce qui se passait autour de moi. Maintenant, je gère tout, y compris mon image et j’aurais bien aimé le faire plus tôt. Je pense que ça m’aurait davantage apporté dans la mesure où je sais exactement ce que j’ai envie de restranscrire. Le fait d’être indépendant rend les choses plus confortables. Aujourd’hui, je suis au courant de tout ce qui se passe. Même s’il faut aussi gérer toute la paperasse, c’est mieux que de vivre dans un monde imaginaire où il n’y a aucune réelle transparence sur ce qui se passe. J’aime bien réaliser des clips et m’occuper des choses en amont donc cette situation me convient.
« Si on était aux States, on aurait des Monsieur R et des Zoxea à des postes importants aujourd’hui. »
A : Après ta carrière de rappeur, tu te vois prendre en main de jeunes artistes ou te consacrer à la réalisation de clips ?
O : En même temps, ça n’est pas comme ça que ça marche dans ce pays. Les maisons de disques n’offrent pas des postes de DA à des artistes confirmés. Si on était aux States, on aurait des Monsieur R et des Zoxea à des postes importants aujourd’hui. A la place, tu as des gens qui ont fait des études mais qui ne connaissent pas le terrain. Donc, je sais très bien qu’on ne m’offrira pas ce genre de poste. [rires]
A : Il y a aussi beaucoup de références footbalistiques dans tes textes. C’est quelque chose que tu suis beaucoup ?
O : Quand je suis chez moi, il y a Infosport qui tourne en boucle. J’aime être au courant de tout ce qui se passe, qu’il s’agisse de foot ou d’autre chose. A partir du moment où tu suis toute l’actualité sportive, spontanément des choses vont ressortir dans les textes. Tu vas lancer un Djokovic, un Lucho… c’est spontané ! [rires] Pour revenir sur le foot, j’ai toujours beaucoup aimé Arsenal.
A : J’imagine qu’on t’a déjà posé la question mais comment as-tu trouvé ton surnom ?
O : C’est très vieux. J’étais dans un quartier où on ne suivait pas vraiment la tendance américaine. Moi, j’étais déjà à fond dans Menace 2 Society, j’avais le bandana sur la tête…”Oh l’américain !” [rires] A l’envers, ça faisait Ol’ Kainry et j’ai pris le blase quand j’ai commencé à rapper.
A : On t’a vu il l’été dernier sur scène avec Dany Dan à la Bellevilloise. Tu as envie de porter ce projet sur scène ?
O : J’aime beaucoup la scène et, même si on n’a encore rien de concret, je devrais faire une bonne scène parisienne. Il y aura sûrement d’autres dates en Province mais c’est compliqué comme il y a beaucoup de rappeurs qui apparaissent sur ce projet. C’est pour ça que j’aimerais faire une scène avec tous les invités. Quelque chose de mémorable.
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