Mehdi YZ, l’enfant seul de Saint-Jean La Puenta
Vannes, gamberges touchantes et récits de bricoles : rencontre avec Mehdi YZ, le guidon levé vers ses rêves.
Mehdi YZ a un naturel touchant : il affirme rapper comme il parle, s’habiller pour les caméras comme pour le quotidien, clippe en Clio 2 et ne va pas chez le coiffeur avant la promo. Avant de tourner un freestyle, il organise un barbecue avenue Saint-Jean du Désert, en plein coeur du quartier coloré de Saint-Pierre (13005) où passent des habitants historiques – qui souhaiteront, depuis leur fenêtre, à son attachée de presse et à l’équipe Booska-p venue filmer, un « bon retour dans le froid » avec un air amusé. Grimpant sur un container, sous le soleil éclatant du printemps marseillais, il rappe en veste Lacoste jaune fluo sous les fleurs mauves d’un arbre de Judée. À vingt-sept ans, il y a en lui un gosse bien vivant, rêveur, promeneur, solitaire. Cette rencontre retrace ses débuts comme geek du rap, avec l’animation d’un site à 13 ans grâce à l’opération « Ordina 13 », lancée par le conseil départemental, distribuant des PC portables à tous les collégiens des Bouches-du-Rhône de 2003 à 2015. Sachant que Jul a commencé à faire de la musique sur ces ordinateurs, il s’agit certainement de la politique publique la plus (involontairement) utile au développement du rap de Saint-Jean du Désert, dit « La Puenta », en référence à une route en pente qui traverse la zone, au sommet de laquelle les jeunes viennent se poser – de moins en moins, paraît-il. Ici, la musique a un côté très artisanal, à l’arrache mais spontanée, pleine de « défauts de fabrication », selon ses termes. Mehdi YZ est le mélange d’un adolescent bousillé au rap des années 2000 (Rohff, Salif, LIM, Sefyu, Black Marché et Puissance Nord) et d’un jeune adulte au plus près du nouveau son local, sorti des machines bariolées de Jul. L’interview aborde ensuite sa mixtape, FPVS – quatre lettres taguées un temps sur la porte d’un garage de l’avenue – et sa conception du rap comme « porte de sortie » vers deux, trois, dix vies supplémentaires.
Abcdr du Son : On raconte que tu as payé ta première séance studio avec un Côte & match.
Mehdi YZ : Pour la première, des amis de La Puenta Records et moi nous étions cotisés. C’était chacun son tour. Au bout de trois ou quatre mois, un collègue a effectivement gagné un pari et il a décidé d’investir dans le rap. Après, dans notre secteur à Saint-Pierre [5ème arrondissement, NDLR] on a grandi dans ça : les bars, les PMU, traîner avec les anciens… C’est comme ça depuis que je suis petit, chez nous. Mon père traînait dans les bars, jouait au Bingo, c’est sa génération, j’y allais parfois petit, je jouais au babyfoot… Les jeux d’argent, ça revient souvent, on est en plein dedans.
A : Tu dis que tu es dans le rap «que» depuis 2018, mais on sent que tu en as beaucoup écouté avant. D’abord, c’est quoi le rap qui te parle le plus et pourquoi?
M : Je ne vais pas te dire la mélodie clairement, même si aujourd’hui ça se fait beaucoup, je n’ai rien contre, mais moi ce que j’aime avant tout c’est l’authenticité dans les textes. J’aime me sentir concerné, que quelqu’un ait vécu des choses que j’ai traversées et me dise : « c’est pas grave. » L’être humain est comme ça, il aime bien se sentir rassuré. Moi, c’était à travers le rap. Je suis surtout concentré sur le texte, il faut que les paroles me parlent. Si je veux de la mélodie, j’écoute du funk – ma mère en écoutait souvent devant moi.
A : Quels sont les artistes qui auraient ce côté « authenticité » qui te parle?
M : Kamelancien, Rohff, Salif, même Sefyu et LIM. Après Puissance Nord et Black Marché ici. Vraiment le côté rap de rue. À Marseille, à cette période, il y a des sons que la population ne connaît pas mais s’ils étaient sortis en 2021…! Puissance Nord, même Kalif, c’était trop, si l’album Carte Blanche [album de PN sorti en 2010, NDLR] ou les titres « Entre dans le 13 », « Compte à rebours » sortaient cette année… Même « Ghettonateur », c’était hard, c’était trop. Je n’ai pas tous les titres en tête, mais je les connais toutes. On parle un peu de la même chose, eux et moi, chacun à notre manière. Ils ont une grosse plume pour moi, en les écoutant je me dis souvent « celle-là il fallait y penser. »
Black Marché - « Entre dans le 13 »
A : Tu as cité Rohff, et c’est vrai que tu as cette expression « mentalité fierté des nôtres », tu dis rapper « pour les petits qui font du vélo sans selle », être partagé par la rue et « pas les riches. » Comment tu fais pour que ton rap parle à ceux à qui tu veux qu’il parle, justement ?
M : En fait, je ne mens pas, je ne rajoute pas. Ce n’est pas difficile, ça sort de ma tête, c’est comme demander à un pompier d’écrire un texte sur les pompiers. Il ne va pas galérer, il va parler de tuyaux, des aides, des appels… Moi c’est pareil, je parle de la rue, on vit dans ça, ça fait plus de treize ans que je traîne dehors. C’est ancré dans ma tête. En première ligne, ma musique parle à des gens qui ont le même vécu que moi. Après je sais qu’il y en a à qui ça parle, même s’ils n’ont connu la rue que de loin, n’ont qu’un pied dedans, ou n’ont jamais fait une garde à vue de leur vie. Il y a aussi tout simplement des gens qui aiment le rap donc qui aiment la vérité, eux aussi. C’est un mental, c’est un esprit. On n’écoute pas du rap en se disant « ouah, elle bouge cette musique. » C’est les paroles, ce qu’elles ont de vrai, qui font qu’on écoute du rap.
A : À propos de ce vécu, dans « Freestyle n°7 » tu dis « j’ai rappé la misère tu t’abonnes c’est un régal », comme si tu avais conscience aussi qu’en parler ça pouvait servir à vendre…
M : C’est que je suis content que ma musique soit écoutée. À la base, je ne pensais pas du tout finir rappeur. Depuis mon premier texte, j’ai toujours la même gamberge : est-ce que ça va plaire aux gens ? En général ça plaît et aujourd’hui, je touche de plus en plus de gens, c’est positif en vrai. C’est important de penser à l’effet que ça peut avoir sur le public: j’essaye de ne pas parler mal, de ne pas trop donner de mauvaises idées aux plus jeunes et faire passer le bon message.
A : Il y a une tension dans toute la mixtape, on sent que tu as vraiment envie de « percer », faire des « singles à la Désolé » comme tu dis, et en même temps tu as un souci de puriste du rap un peu, tu dis dans ce même freestyle: « tu veux faire du rap lâche ton Auto-Tune raconte ta vie et pas celle des autres. » Là dans la mixtape, il y a pas mal d’Auto-Tune et tu as des tentatives de single.
M : Je pense que si quelqu’un veut faire passer un message, d’abord, il faut le faire sans Auto-Tune. Je vois des rappeurs qui transpirent la rue, et pourtant, ils arrivent, ils chantonnent un peu trop, le message n’est pas clair. Je pense qu’il faut d’abord toucher le public de la rue, leur montrer clairement de quoi on veut parler. Une fois que le message est passé, là on passe la deuxième : on fait de la mélodie, pour s’ouvrir à un autre public. En espérant que ceux qui étaient là au début aiment toujours. Après je ne les trahirai jamais, je ferai toujours des sons de rap. Dans ma tête, quand il y a une instru rap, tu ne peux pas mettre d’Auto-Tune. Un texte de rap ne passe pas pareil avec. Il y a un groupe qui arrive à bien gérer rue et Auto-Tune : c’est Djadja et Dinaz. Eux, on ne ressent pas l’effet du logiciel, on dirait qu’ils parlent. Donc ça va. Par contre il y a des rappeurs qui partent trop dans les aigus, c’est fait pour faire mal aux oreilles. Il faut l’utiliser à bon escient. Mais pour être honnête avec toi, aujourd’hui je n’écoute pas trop ce que font les autres. Je n’ai plus de voiture, je n’ai pas d’écouteurs, et si je commençais à trop écouter ce qui se fait, j’aurais trop d’idées, je partirais dans tous les sens.
A : Le fait que tu ne suives pas trop l’actualité du rap français, ça n’a pas toujours été le cas: il paraît que tu avais un site de rap à 13 ans.
M : Oui, Impulsif, pas Rap1pulsif. À l’époque, je kiffais les sites de rap, mais c’est parti d’un truc tout bête : je ne trouvais pas leurs sites très beaux, très bien faits. Je me disais que si je le faisais, ce serait beaucoup mieux. [Sourire] À force de le dire, j’ai fini par le faire. Je suis allé sur Google « comment faire un site », puis sur OVH, je payais vingt euros par mois pour l’hébergement. Je publiais des exclus, ce que les gens sortaient. Puis j’ai commencé à recevoir trop de mails de Sony, tout ça, m’avertissant « si vous continuez comme ça, on va passer à la saisie… » Je ne comprenais plus rien, quand je voyais des mails comme ça, avec les logos de Sony, j’avais peur ! Ma mère ne savait pas ce que je faisais, elle pensait que j’étais un geek, que je jouais aux jeux vidéos. Après j’ai ralenti la cadence sur les sites. Mais j’aimais trop le rap en fait. Je faisais des concours : celui qui a le plus de commentaires sur Skyblog, je le partage sur le site… j’aimais trop l’ordi. Je voulais tout faire.
A : Attends l’ordi, tu l’as eu avec le Conseil Départemental ? [Tous les élèves de collège des Bouches-du-Rhône ont reçu un PC portable de 2003 à 2015, pour « lutter contre la fracture numérique », NDLR]
M : Eh oui, c’était l’ordi du collège! Avec la vieille clé USB et l’ordi qui rame… J’en ai cassé quatre ou cinq en tapant dedans, c’est mes collègues qui me filaient les leurs quand j’en cassais un, eux ils n’avaient même pas Internet, ils s’en foutaient. Mais les PC bugaient, je devenais fou. Ma mère un jour elle m’a séparé avec l’ordi. [Rires] J’étais dingue.
« Il y a tout simplement des gens qui aiment le rap donc qui aiment la vérité, eux aussi. C’est un mental, c’est un esprit. »
A : Tu sais que Jul aussi a commencé à faire de la musique avec ces ordis du Conseil Départemental ?
M : C’est possible hein, parce qu’à l’époque c’était pas du tout à la mode les ordis. C’est arrivé au collège, c’était un truc de malade pour nous d’en avoir un.
A : Et c’était quoi alors l’embrouille avec Alexis de Booska-p ? [Alexis est un des cofondateurs de Booska-p, NDLR]
M : [Rires] C’est enfantin, en vrai. On était sur un forum lui et moi, des forums de pirateurs, « Toxytrip », avec Yaya aussi, qui est chez Rapunchline aujourd’hui mais à l’époque il avait un site qui s’appelait Rap2Tess. Tous les trois, on était sur l’actualité. À côté, tu avais Rap1pulsif et Massilia2007, mais eux, ils étaient droit. Avant, c’était à la mode les forums, et quand tu avais des exclus, tu étais respecté. Il y avait un gars, Popov, il faisait tout fuiter. Des fois l’exclu arrivait à une heure du matin, je mettais tout sur YouTube et je disais aux gens d’aller sur mon site pour les télécharger. À la fin d’un son, celui qui avait une exclu ajoutait le nom de son site avec une voix de robot, soit « Rap1pulsif », soit « Booska-p » soit « Rap2Tess », pour que l’on sache d’où il venait. Et moi, je n’arrivais pas à mettre la voix de robot ! Donc quand je mettais des exclus, je les soupçonnais de me voler. Ça fait que sur MSN on n’arrêtait pas de s’insulter. [Rires] Mais ça s’est bien fini, à la fin on est tous devenus partenaires. En vrai, je réalise, on était juste trois passionnés qui essayaient d’avoir le meilleur site. On n’en dormait pas, j’avais un logiciel qui m’envoyait une notification, même à trois heures du matin. Donc quand je l’entendais, « cling », [il imite le bruit de touches frénétiques sur un clavier de PC] j’envoyais. Puis je redormais. Parce que j’étais seul, eux ils étaient plusieurs, quand je me réveillais à huit heures et que je voyais qu’ils avaient tout sorti avant moi, ça me mettait les nerfs. Je ne voulais plus dormir. Et avec Alexis, c’était la guéguerre de notre site, mais j’en garde un très bon souvenir. D’ailleurs je suis très fier d’eux, ils ont tout cassé maintenant Booska-p, c’est les numéros un. C’est pour ça que quand j’ai vu Fif en direct [sur Mouv Rap Club, NDLR] je lui ai dit que si j’avais été encore là, il aurait eu du souci à se faire. [Rires] J’ai toujours été un récalcitrant moi. Je ne lâchais rien.
A : Tu écoutais tout ce qui sortait à ce moment?
M : Tout ! J’écoutais tout ce qui sortait, même Sinik, tout. Et je n’écoutais pas comme Julien Beats hein, j’écoutais jusqu’à la fin, tout l’album. À tel point que je me permettais de critiquer Rohff dans ma tête ! « Mais non fallait pas faire ça ! » ou « W*llah il m’a régalé là. » Je parlais seul ! J’aimais trop, je me faisais des débriefings seul. C’est pour ça que quand les forums se sont développés, j’étais content de pouvoir parler aux gens de rap: on se donnait des conseils, on partageait ce qu’on avait aimé… En vrai, c’était une passion, ouais, sans que je le réalise. J’avais écrit des textes déjà à ce moment, mais je me sous-estimais à mort. Je pensais que j’étais un fou. Quand je voyais des Rohff, des Salif et des Sefyu, je me disais qu’ils étaient plus ghetto que moi. Quand je voyais « Ghetto Youth » de Salif, je me disais : « et ça va, je mange des céréales moi le matin, le rap c’est pas pour moi il va me clasher. » [Rires]
A : Ton autre côté « geek », c’est que tu as été intéressé à un moment par une carrière d’ingénieur du son…
M : J’étais intéressé par tout, quand j’étais petit, je voulais être pompier, mécano, j’enlevais les roues de voiture et je les remettais, je me prenais pour un mécano. C’est Jul qui m’a proposé un jour de me payer une formation d’ingé son. Il cherchait un ingé à lui, mais pas un inconnu. Et vu qu’on vivait ensemble à cette période, que j’étais tout le temps en studio et que je servais… pas à rien, mais voilà, il m’a payé une formation. Je n’ai pas continué. Tout ce que j’apprenais quand je commençais, c’était trop technique, les micros à trois têtes, deux têtes, il me disait « ça on s’en fout le sang, même moi je ne comprends rien, apprends à faire des instrus. » Mais ça n’arrivait pas dans la formation. J’étais avec Nicoprod, il m’apprenait les bases petit à petit, mais ça m’a saoulé, je n’ai pas accroché, je savais que ça allait encore durer des années, je ne me sentais pas. À la fin, j’ai su comment faire des instrus et comment enregistrer avec Jul : tout ce qu’il voulait que je fasse je l’ai appris sur le tas. Protools, surtout. Déjà petit je savais faire les bannières flashs, sur les sites, et très vite j’ai appris à faire des montages vidéos, avec Windows Movie Maker. Donc je lui ai dit que je savais faire les clips : on en a fait, un, deux, trois, qu’on n’a jamais sortis. Puis on a pu faire « Dans la voiture à Batman », « Le son de la gratte. » En fait, dans mon quartier, on n’est pas professionnels. On ne l’a jamais été. On fait tout au dernier moment et on sort, si ça marche ça marche, si ça marche pas tant pis. « Le son de la gratte », je lui avais envoyé une version en lui précisant que ce n’était pas la définitive. À la fin il y avait un trou noir de quatre minutes. Et eux, ils sont allés poster ça sur YouTube. Aujourd’hui tu vas sur ce titre à la fin tu as des lettres qui font « Jul », des images, une terre qui tourne, un faux générique… C’est moi qui essayais des trucs. J’ai dit « mais vous avez fait bordel ! » Au final : presque quarante millions de vues. Ça, c’est typique cinquième arrondissement, chez nous. Que des défauts de fabrication. [Rires]
A : Le son avec lequel tu « perces », « Arrah », c’est toi qui le tournes aussi. Mais alors que tu es très attaché à Saint-Jean du désert, il est tourné à Félix Pyat, comment ça se fait ?
M : J’avais donné rendez-vous à tout le monde à neuf heures dans mon quartier. Je me rappelle j’étais content, il y avait cinquante personnes, alors que je n’avais encore aucun son à mon actif. Je suis arrivé à dix heures au quartier, il y avait trois camions de CRS. Impossible de tourner, avec les voisins à côté « et gnagnagni on en a marre. » Je pense qu’ils croyaient que c’était un clip de Jul. Bref, je n’ai pas eu de chance. Mais j’avais fait nuit blanche, je voulais trop faire mon clip, je ne voulais pas reporter : je le sentais trop bien, je savais que ça allait marcher, c’était palpable vraiment. À la fin, on a rejoint un collègue d’un de mes amis de La Puenta Records à Félix Pyat. Parce qu’en vrai on peut tourner où on veut à Marseille, mais si tu n’as pas des amis un peu proches, c’est nul. Sur un coup de tête, on a tous déménagé. Et voilà. À la fin mon caméraman s’est fait embarqué, c’était n’importe quoi. Parce qu’on a filmé des gens qui vendaient du shit, des sous, des trucs réels, j’avais peur de ça, que des gens aillent en prison à cause de moi. Mais ça s’est bien passé, ils l’ont laissé sortir. Je me suis quand même embrouillé avec mon caméraman, donc j’ai fait le montage moi, en une ou deux heures, et je l’ai envoyé vite. Le freestyle 2 aussi c’est bien à l’arrache : un collègue sur un coup de tête me dit « viens on prend une Clio et on va à La Valentine. » Je ne le croyais pas : « ça va, bientôt on prend une Ford fiesta volée et on fait le buzz aussi. » À l’arrivée: deux millions de vues. Juste avec un aller-retour à La Valentine. Alors qu’il y a des clips pour lesquels je me suis cassé la tête un mois avant, et ça n’a pas du tout eu le résultat voulu. La réussite c’est un truc de fou, tout peut marcher.
A : Niveau intérêt pour l’image, tu aimes bien le cinéma aussi non?
M : À mort. Déjà quand j’étais petit au quartier, j’étais le premier à savoir comment télécharger, avec eMule et torrent. Je suis un peu dépassé maintenant, et puis il y a Netflix. Mais depuis que j’ai onze ans je regarde tout, j’aime trop les films. J’ai mûri avec les films, je ne pourrais pas te dire lesquelles exactement, mais j’ai vu des actions qui m’ont fait grandir. J’aime autant le cinéma que le rap. D’ailleurs les films français sont pourris. J’aimerais bien leur dire que le jour où je serai réalisateur, ils vont s’affoler.
« Dans mon quartier, on n’est pas professionnels. On ne l’a jamais été. On fait tout au dernier moment et on sort, si ça marche ça marche, si ça marche pas tant pis. »
A : C’est marrant Soso Maness nous disait pareil. Tu penses à quoi?
M : En passant pécho, par exemple, quel dommage… Non mais c’est nous les Marseillais, on est des gros critiqueurs, on n’est jamais contents. Un détail peut nous gâcher le film. Après ils vont toujours dire « le budget, le budget », mais sans budget ça peut tuer. Ce qui compte c’est les idées, les dialogues. Ce qui nous énerve c’est souvent la manière dont ils s’expriment, c’est forcé. Nous on veut du réel, tout simplement. Que les gens soient naturels c’est tout.
A : Ben En passant pécho c’est réalisé par le fils de Ségolène Royal et François Hollande…
M : Voilà, ce n’est pas un hasard. C’est comme la série Marseille, elle ne mérite pas de s’appeler Marseille ! Je pense que s’il y avait eu une manifestation, tu m’aurais vu avec une pancarte [il imite une scansion de slogan] : « supprimez cette série de merde, supprimez ! » C’est quoi ça, il n’y a que des Parisiens dans la série, je n’ai rien contre eux, mais une série marseillaise tu mets des Marseillais. Je me languis de voir Validé saison 2, tournée à Marseille par contre, je trouve qu’elle est plus réaliste. Après, bon, il y a des petits moments que je n’aime pas, mais elle a son petit 8/10. 9 et 10 c’est les trucs anglais, faut pas abuser : Top Boy… Un des seuls films français que je pourrais mettre dans cette catégorie c’est La Mentale. Comme Sifax, il le dit souvent, big up à lui. [Rires] C’est comme Taxi 1, c’était la bombe, Taxi 2, c’était la bombe, après ils ont enlevé Samy Naceri, c’est n’importe quoi, on a tous eu les nerfs à Marseille. C’est pour ça qu’on ne regarde plus Taxi, c’est devenu un truc pourri. Qu’ils remettent des films comme à l’ancienne, comme Raï, Ma 6-té va craquer, La Haine… Ces films me donnaient envie d’être un voyou. [Rires] J’étais passionné par les grands du quartier.
A : Je pense que ce n’était pas le but en plus. [Rires]
M : Non mais j’ai grandi ensuite, j’ai réalisé que j’étais un fou. Quand on est petit on est trop content de voir ça.
A : Pourtant, il n’y a pas trop de références au cinéma dans ta musique, comme si tu voulais coller au plus près de la réalité.
M : En ce moment, je ne regarde que des vieilles séries et des vieux films, je me suis mis à regarder Walking Dead, Game of thrones : je regarde des trucs qui n’ont plus rien à voir avec ma vie. J’ai l’impression que les réalisateurs n’ont plus d’inspiration. En vrai ils prendraient n’importe quel mec de Marseille pour la journée, ils tournent et ça tuerait dans tous les cas. C’est ce que je t’ai dit, à Marseille on est réticent. Donc non, dans ma musique ça n’apparaît pas.
A : Dans une interview tu dis d’ailleurs «mon rap c’est comme une conversation». Tu as pensé comme ça la mixtape?
M : Que ce soit la mixtape ou un freestyle isolé, j’ai toujours la même concentration. Il faut toujours que je mette le paquet, sinon ça ne sert à rien. Et donc oui, dans ma tête, quand je rappe, c’est comme si je voyais des gens en face de moi, et que je leur parlais. Comment cette phrase va être interprétée ? Comme ça, c’est validé ? Allez, je passe à l’autre. C’est rapide. Mais c’est vraiment une conversation, ce que je dis dans mes sons je pourrais te le dire là, a capella.
A : Tu dis que tu as besoin d’adrénaline… On dirait souvent que tu rappes sous tension. Est-ce qu’il y a des gens en studio qui viennent t’énerver avant ?
M : [Rires] Ça me fait penser à un truc que m’avait dit Graya [il imite une grosse voix] : « oh tu la sors d’où cette rage ? » Je lui dis « T’es fou, tu as une voix plus grave, c’est toi qui a plus de rage. » Et lui : « non, toi c’est différent, tu as la hargne. » Je ne saurais pas expliquer pourquoi, je crois que c’est lié à l’instru, quand je veux vraiment appuyer sur la phrase, c’est comme ça que je rappe. C’est vrai que l’adrénaline… Je ne pense jamais à demain, je vis toujours au jour le jour, j’ai besoin de vivre en fait. J’ai tout le temps besoin de me faire de nouveaux souvenirs. Parce que la vie, en ce moment, elle est de moins en moins cool. Pour tout le monde. Là, je regarde l’année qui est passée, je n’ai aucun bon souvenir. Il faut que je réfléchisse quinze minutes pour t’en trouver un.
A : Tu as ce côté « mon rap c’est une conversation » mais en même temps, tes paroles sont clairement écrites : il y a plein d’anaphores (le fait de répéter le même mot en début de phrase) d’assonances, d’allitérations (le fait de répéter les mêmes sons). Tu ne parles pas comme ça dans la vie de tous les jours.
M : Avant d’écrire la phrase, j’ai déjà le charabia dans ma tête. Le début de « Arrah » par exemple, j’avais déjà [il marmonne] « les frissons tututut la mission(…) arrah. » Je comble les trous après, en essayant de dire le moins de merde possible. Je ne fais jamais de topline par contre, ils voudraient que je le fasse, mais, moi, je ne suis pas chanteur. Après je m’améliore de plus en plus. Néné, un de mes ingés son, m’a bien appris comment gérer l’Auto-Tune : il m’a dit de garder ma voix naturelle. J’ai mis du temps à m’adapter, avant je faisais partir ma voix en couilles et je croyais que c’était trop bien. J’oublie que ce logiciel est un embellisseur de voix, pas un trafiqueur de voix. Mais j’essayais de l’exploiter à mort. C’est lié au fait que je voyais comment Jul s’en servait, lui il partait à mort dans les aigus. Mais il a son truc et ça marche bien, moi quand je fais trop d’aigus, ça ne colle pas à mon style. À la base, je n’écrivais pas de refrain, je ne faisais que des freestyles. Au moment où tu crois que c’est le refrain, c’est juste une petite gimmick, une phrase. Mais pour la mixtape, il devait y en avoir, donc je me suis entouré de gens qui savaient le faire, les ingés : Néné, Ladjoint et Bello. J’ai clairement progressé sur ce point. Si tu m’écoutais, il n’y en aurait même pas, sur toute la mixtape. C’est mon entourage qui m’a dit, « mais fais danser les gens un peu ! » J’en avais marre, j’aimais trop mes paroles, je débitais, je ne m’arrêtais plus. Mais j’ai compris qu’il fallait faire des vrais sons, c’est-à-dire structuré, avec couplets, refrains et autour d’un thème.
Mehdi YZ - « Arrah »
A : Pour parler de ton parcours au sein de l’industrie, tu parles d’abord du label fondé avec « Wassim et Amada », La Puenta Records. Tu peux nous en parler ?
M : On est des amis d’enfance, on est allés en prison ensemble, on a fait les quatre cents coups ensemble. Maintenant ils ont une vie de famille, mais à la base ils étaient comme moi, toujours ghetto dans la street. [Rires] Ils ont mûri. Mais le label nous a beaucoup aidés, sans trop le réaliser, c’est un rêve de trois gosses en vrai, tout simplement. Amada sortait de sept ans de prison, Wassim de un ou deux ans quand moi aussi je suis sorti. J’avais un appart où on passait des soirées entières à parler de tout et de rien, on avait des idées toutes les cinq minutes. Un jour on a parlé vraiment sérieux, et ils m’ont dit de rapper. Je pensais qu’ils m’emboucanaient, qu’ils disaient ça parce que j’étais leur collègue. Mais non, ils y croyaient vraiment. J’ai commencé à écrire, je galérais, et un jour où j’étais seul à Paris, j’ai réussi à écrire « Arrah. » On est revenus à Marseille, Jul nous a invités à Skyrock [pour son Planète Rap, NLDR] au dernier moment. Quinze minutes avant. On a roulé à fond jusqu’à Plan de Campagne. J’étais dégueulasse ce jour-là, j’avais des habits pourris, je crois que j’avais fait de la peinture, et heureusement en face il y avait un magasin en train de fermer, j’ai pu acheter l’ensemble de Barcelone. J’ai bu deux verres et je me suis chauffé, j’ai fait mon freestyle. J’avais une boule au ventre incroyable, heureusement que j’avais mes lunettes ce jour-là. Parce que je suis un clasheur à la base, si tu rappes, c’est moi qui te traques. Dans mon quartier on est des gros clasheurs, on s’aime tous, mais si tu rappes on te dit que t’as mal à la tête. On s’aime tous, on est super contents quand quelqu’un réussit mais on traque tout le monde. Quelqu’un qui travaille à Macdo on va le clasher même si c’est mieux qu’il travaille là plutôt qu’il ne fasse rien, ou une bêtise et se tape quatre ou cinq ans de prison. On se clashe pour tout et pour rien, tu pourrais arriver avec du Fendi ou Louis Vuitton, on te trouvera un truc : « et ça va ton bas de plombier. » [Rires]C’est Marseille, c’est ça.
A : Tu as pu participer au Castellival, le gros festival des quartiers nord en 2019, organisé par 13e Art?
M : Un collègue à moi, Amine, connaissait bien 13e art, il m’a dit “viens, ils t’ont invité”. J’ai donc fait mes sons sur scène. [Voir le reportage de Mediapac] Une personne de 13e art, qui n’y est plus aujourd’hui, m’a dit qu’elle était intéressée pour me signer. Sur le coup, je ne savais pas quoi dire, je ne voulais pas me presser et faire le mauvais choix. Mais à force de rendez-vous, on a signé ensemble. C’est une collaboration, Mehdi a signé avec 13e art, et La Puenta Records est toujours là avec moi, dans les coulisses. Après on a cherché à s’épanouir avec des gens plus sérieux, 13e art c’est des anciens, ils ont des ressources, seuls on aurait galéré. Mais on se tient toujours au courant de tout.
A : Pour parler plus de la mixtape: il y a toujours beaucoup de monde dans tes clips, tu tournes dans des villes différentes, mais en écoutant FPVS, on a l’impression que tu es quelqu’un de solitaire.
M : Je n’ai que des sœurs donc déjà petit, je jouais seul. Après, je me suis fait des amis parce que j’avais des petites voitures Hot Wheels, puis j’ai fait du foot, je me suis ouvert… Mais je n’ai jamais eu trop d’amis. En grandissant, c’est dur de trouver des gens qui te ressemblent. J’ai gardé mes associés Wassim et Amada, on traînait toujours ensemble. On restait en scooter, on a tout fait ensemble. Après, comme ils ont des vies de famille, je reste de plus en plus seul. Je ne vais pas rester avec n’importe qui, avec des mauvaises fréquentations, des gens qui ne me font pas aller de l’avant. C’est dur de trouver des gens comme ça, parce que j’aime trop rester dehors, je n’aime pas rester enfermé chez moi ça me rend fou, c’est comme ça, je suis un mec de dehors. Mais ça ne me dérange pas de rester seul. Seul, tu peux te remettre en question, tu fais moins de bêtises tu dis moins de choses… Je m’habitue à rester seul parce que si un jour je deviens une superstar, je sais que je ne pourrais pas rester avec du monde tous les jours. Histoire de ne pas vriller, je passe quand même une, deux heures au quartier, je rigole avec tout le monde.
A : Peut-être que pour écrire, c’est mieux d’être seul aussi.
M : Ça dépend, j’aime beaucoup aussi quand on est plein en studio par exemple, et que tout le monde est motivé. Pas quand tout le monde est à côté et en a rien à foutre, mais quand on m’aide. Parce que l’union fait la force. Il y a des freestyles, honnêtement, je n’aurais pas pu les écrire sans mes collègues. Ça aide d’être plusieurs, ça te donne des idées, te trouve des rimes. L’expression dans le refrain de « La Rue », les «singles à la Désolé» c’était avec Messao. C’est toujours bien d’être à plusieurs à écrire, si tout le monde est motivé. Après, mes meilleurs textes, je les ai effectivement écrits seul. « Freestyle n°5 », « Freestyle n°7 », « Arrah »… Seul, je peux rester tranquille au moins trente minutes sur chaque phase, je sais que je ne vais pas saouler le mec avec moi. Je peux être sur mon balcon jusqu’à sept heures du matin, c’est mon problème, je me rends fou moi-même. Quand je reste longtemps à écrire, je sais que ça va tuer.
A : Ça t’arrive vraiment de rester trente minutes sur une phrase ?
M : Mais oui, je suis un fou je te jure. Des fois je veux vraiment avoir la meilleure rime possible. J’alterne entre des moments perfectionnistes et des moments où j’écris vite. « Freestyle n°10 » par exemple, je restais trente minutes sur chaque phrase. Je voulais vraiment faire un texte construit. C’est quand j’écoute Ninho ça, je vois que c’est structuré. Il fait chier lui il écrit des bons textes. Et quand tu écris vraiment, tu améliores ton rap : je me mets des virgules dans ma tête à certains moments, là je me dis qu’à tel ou tel endroit, il faut que je baisse mon intonation. Tu deviens plus technique en te prenant la tête sur l’écriture. Je ne veux pas faire une rime pour faire une rime, je repasse deux fois sur ce j’écris. Certains peuvent trouver mes paroles simples, faciles, mais quand tu écoutes bien, ça ne l’est pas tant que ça.
« Je pense que le destin d’un rappeur, c’est de finir seul. »
A : Un autre thème qu’il y a souvent sur l’album, c’est le côté trahison. Il y a un moment notamment, quand tu dis « je suis comme mon père, y’en a que deux trois que j’aime ».
M : En fait, je ne te dis pas que les anciens sont tous des exemples, mais je prends exemple sur eux. Je regarde les darons, et ils sont toujours seuls. Comme les rappeurs. Je pense que le destin d’un rappeur, c’est de finir seul. […] Je regarde des gens qui sont passés par là : c’est dur. Rohff est toujours seul, je regarde les snaps à Lacrim, il est toujours seul, Booba, toujours seul. Salif, on m’a dit qu’il avait fini par ouvrir un petit commerce. Puissance Nord ils sont seuls, Kalif aussi. Tous les rappeurs que j’ai aimé sont seuls. Je m’inspire des anciens de la ville, et la plupart des darons sont toujours seuls, ou avec leur femme et leurs enfants. Je sais que je vais finir soit avec ma famille si j’en ai une un jour, soit seul. Quand on me demande comment je serai dans dix ans je me vois déjà avec ma maison dans la forêt, mon petit feu de bois, mon petit chien. [Sourire] Je suis prêt. J’espère que j’aurais encore des contacts avec mes amis, vieillir avec les gens que j’aime. La vie, c’est tout seul de toutes façons. Mais que Dieu ne me les enlève pas.
A : Quelque chose marque chez toi, et rejoint tes filiations, c’est le fait qu’entre deux punchlines de freestyle, tu vas dire un truc très intime. Je pense au « j’ai baisé des gadjis bêtement / sans capuche boule au ventre à l’avortement » au détour d’un couplet de « Arrah »…
M : [Sourire un peu gêné] Parce que… dans nos quartiers n’importe quel quartier, tu parles de tout et n’importe quoi. Parfois même on crie, les voisins entendent, comme s’il n’y avait pas de tabou. Donc au bout d’un moment, quand j’ai pensé à cette phrase, c’était naturel. J’ai juste espéré que les femmes de ma famille ne l’entendent pas. Mais en vrai de vrai, c’est arrivé à tout le monde. C’est une vérité. C’est intime, mais ça arrive à tout le monde. Tout le monde a eu des rapports sexuels, tout le monde a eu des… péripéties. Et je ne pense pas que ce soit la pire que j’ai dite. [Rires]
A : Cette manière d’écrire me fait penser à la phase de Rohff dans « À bout portant » – ah bah d’ailleurs, si tu ne l’as pas vu, Aniki mon frère…
M : [Il coupe] « Comme dans Aniki mon frère on est là pour représenter / Pour te montrer ce que j’ai dans le ventre j’irai jusqu’à m’éventrer. » C’est une vraie phrase. Fallait penser à la dire. Ce film je l’ai vu et revu, pourtant, je n’aurais jamais pensé à cette image.
Rohff - « À Bout portant »
A : Un autre des thèmes fréquents, je ne sais pas si tu as lu ta bio, ils ont écrit que tu as un côté « punk », et j’imagine que ce n’est pas pour tes références musicales, mais peut-être plutôt pour ton côté anti-État…
M : Ah mais c’est pour ça qu’il y a des skateurs qui passent au quartier et qui aiment mes sons ! J’étais là mais les gars vous aimez pas Calvin Harris, vous ? Angèle ? Des gens ouverts d’esprits à mort, des sons de clubs libertins ? [Rires] Incroyable. Tu as vu ceux qui boivent des H, qui écrivent le prénom de leur copine ici, [il montre son avant-bras] des rockeurs en vrai. Ben, ils m’ont dit : « tu nous régales. » Alors que je clashe un peu inconsciemment des gens comme ça, enfin tu as compris ce n’est pas méchant, c’est juste qu’on n’a pas la même dégaine. Si j’étais un skateur je clasherai les mecs habillés comme des cramés. Mais vu que je suis un cramé… Après, en vrai de vrai, les skateurs, rockeurs ils ont un peu la même vie que nous : toujours en équipe, et dehors. C’est juste leur style qui est différent. Et ils sont un peu plus gores. Mais c’est logique que ce que je dis, ça peut les toucher. C’est comme quand je croise des daronnes et darons qui aiment bien mes sons. C’est eux qui m’ont appris la vie et c’est eux qui viennent me dire « ta musique me remonte le moral ! » Ça, c’est comme si je faisais rentrer de l’argent. C’est même mieux, ça fait plaisir à mort quand c’est sincère. Le son « Nique ma vie » les darons l’ont beaucoup aimé. Ça leur rappelle la génération d’avant, leur fait remonter des souvenirs.
A : Sur ce côté anti-État, tu as la phrase « j’ai jamais compris pourquoi l’État nous vole / Dis à la mairie que je tiens les murs je suis bénévole ».
M : En gros je les fais chier, et je vais rester là, encore des murs à tenir, je n’ai pas assez mal au dos je crois. L’idée c’est de demander pourquoi il y a autant d’amendes, de taxes, alors qu’il y a des gens qui crèvent de faim, qui n’ont même pas une couverture. Volez-nous pour quelque chose, pour améliorer la vie des gens au bord du gouffre, des gens qui seraient mieux morts tellement leur vie est… C’est triste de dire ça, mais voilà, en gros je vous emmerde. Il y en a qui pourront penser que je suis un sale gosse, tant pis, c’est ma vie c’est comme ça. Saint-Jean du désert n’est pas une cité chaude, avant oui, jusqu’à 2014-2016 c’était le bordel. On était soixante mais beaucoup ont grandi, on est plus que trente. Mais vu qu’on a des souvenirs d’avant, on est bien là. Tant mieux que ce ne soit pas le ghetto-ghetto, au moins les condés viennent moins. Mais il reste une génération de vieux là, quand ils vont disparaître ça va être trop chaud Saint-Jean. Mais en attendant ils saoulent, alors qu’il n’y a rien dans leur quartier, ils devraient être contents de voir des jeunes! Je ne sais pas comment ils étaient dans leur jeunesse. Peut-être comme dans le Pensionnat de Chavagnes. Punis. Ils devaient boire de l’huile chaude.
A : Toujours sur ce thème, dans « Danger » tu dis « on m’a dit d’aller voter non non » je me suis dit « même dans une tentative de tube, il reste énervé. »
M : Je ne fais même pas exprès, la phrase elle me régale, je la dis. C’est pour ça que je n’aime pas trop les sons à thème, je tourne en rond. Je ne comprends rien à la politique, à leurs débats, je ne sais pas qui est bon, pour qui il faut voter et pour quoi. À chaque élection, on nous dit « lui / elle c’est la meilleure », et quand ils arrivent au pouvoir, je ne vois rien qui change. Il y a toujours autant de pauvres, toujours autant de misère, de problèmes de job, dans mon quartier ça fait douze ans qu’ils ne nous ont pas ouvert un centre aéré, un stade… alors que dans d’autres, il y a des locaux pour les jeunes au moins. À part nous ouvrir un Pôle Emploi, ils n’ont rien fait. J’y suis allé en plus, un pôle emploi sans avenir, le seul truc qu’ils m’ont trouvé c’est un lycée dans les quartiers nord, où il y a 12% de réussite. Et ceux qui réussissent, c’est ceux qui le devaient. Pas ceux qui le pourraient. Donc je ne comprends rien, donc j’en ai rien à foutre, donc ils se débrouillent entre eux, et font passer qui ils veulent, de toutes façons dans ma tête c’est trafiqué tout ça. Je n’irai jamais voter je pense. […] Quoi qu’il arrive, un jour, ils ne me verront plus. J’irai refaire ma vie en Amérique, je me ferai contrôler par des sergents, pas par des anciens plombiers en vélo. [Rires] Vu qu’on a qu’une vie, j’ai envie d’en avoir une deuxième. Recommencer à zéro, rencontrer de nouvelles personnes… Parce qu’en France c’est bien, mais si un jour je suis trop connu, ça va être nul. Les gens vont te parler pour ta notoriété, pas pour ce que tu es. C’est pour ça que j’aime bien parler avec des inconnus, tu ne me connais pas, je ne te connais pas, on fait des débats, c’est cool. C’est ça que j’apprécie avec les anciens, dans les bars et les PMU. Mais je veux partir, je vois le rap comme une porte de sortie, j’espère m’en sortir grâce à ça. Je veux être riche avant que ma mère meure. C’est vrai, pourquoi pas nous ?
A : Tu veux partir mais tu es hyper attaché à Saint-Pierre pourtant…
M : Ah mais je compte déménager et avoir les moyens de revenir. C’est pour ça que je veux être riche. Je veux faire « clac » et être à Marseille. Je kiffe être en hauteur, prendre l’avion. Les nuages c’est beau, c’est Dieu qui a fait tout ça! Les gens des fois disent « oh jsuis fatigué je dois prendre l’avion. » Allez, donne-moi ta vie, je le prends moi l’avion. Je suis trop content quand je bouge, je kiffe bouger même pour rien. Quand j’étais petit, Paris, c’était un rêve, je voyais plein de monde, plein de styles différents, c’était une énigme. Maintenant… Je croyais que Paris c’était mieux que Marseille. En vrai, Marseille c’est la meilleure ville de France. J’ai fait toutes les villes, et c’est la meilleure. Il y a les barbecues, les Goudes, le soleil, on rigole, la plupart on est tous des branleurs… à Paris, les gens sont pressés, ça marche vite… Ils bousculent, ils ne rigolent plus. Je ne parle que de Paris, la banlieue c’est différent hein. Mais je me verrais bien recommencer ailleurs, en Amérique ou je ne sais pas où. On n’a qu’une vie. Ce serait bien d’en avoir dix! J’ai envie de tout voir, l’Himalaya, le Grand Canyon, la maison de Scarface, la chambre d’hôtel où il dit [il imite l’accent de la VF de Tony Montana] «chichi prends la came», le village de Malcolm… Quand j’étais petit, je voulais habiter avec eux, la famille de Malcolm. Dans ma tête c’était mes frères. Je te dis, je suis un grand rêveur. Un fou. [Rires]
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