MC Solaar, tempus rugit
Interview

MC Solaar, tempus rugit

À 55 ans, dont 40 dans le hip hop français, MC Solaar revient avec un nouvel album. Discussion avec un amoureux du rap d’hier et surtout d’aujourd’hui.

Photographies : Clémence Losfeld pour l’Abcdr du Son.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’Abcdr du Son n’avait jamais fait de “vrai” entretien avec MC Solaar sur son site. Une anomalie quand on sait la place qu’a occupé l’artiste dans l’histoire de la rédaction : le 20 janvier 2009, soit il y a quinze ans, JB alias Jean Baptiste Vieille publiait dans nos colonnes une lettre ouverte à MC Solaar. Dans cet article, un texte à la première personne, suite à un mail de refus d’interview de la part de son attaché de presse. Loin du rap français, et parti pour faire une pause de dix années, Claude MC semblait loin du rap, de ses observateurs, et de ses passionnés, pour tendre plus du côté mainstream de la musique française. 

Quelques années plus tard, le mal sera réparé : dans ce qui sera un de ses premiers dossiers du site, l’Abcdr du Son publiera (sous la plume intégrale de JB) une histoire orale de l’album Prose Combat avec onze intervenants, dont Solaar en personne. Pourtant, il manquait encore bien quelque chose : une vraie discussion entre la rédaction et MC Solaar, sur sa carrière, sa musique, et le rap actuel. La sortie d’un nouvel album, qui plus est avec des artistes et producteurs de la nouvelle génération du rap français, nous a alors donné envie de retenter. Cette fois-ci l’attachée de presse a dit oui, et nous nous sommes donc retrouvés pendant une heure à discuter. Un entretien sur sa carrière, mais aussi le rap actuel, qui montre que malgré le temps passant, Claude MC continue d’avoir un œil sur la musique qu’il a vu grandir. Et un moyen aussi de boucler la boucle de cet article publié par JB en 2009. Comme un moyen de finir le job pour un autre rédacteur quinze ans auparavant. 


Abcdr du Son : Quarante ans après tes débuts, est-ce que tu es toujours autant passionné par le rap ?

MC Solaar : Je crois que je suis toujours passionné. [Il réfléchit, ndlr] Oui, je suis toujours passionné. Il faut juste essayer de se renouveler, faire métamorphose comme Goldorak. [sourire] On essaye de se renouveler. Souvent ce que je fais ne ressemble pas à l’idée qu’on se fait du rap, comme il y a beaucoup de monde qui en fait aujourd’hui, j’essaie toujours d’avoir un chemin un peu parallèle pour ne pas ressembler à mon voisin. Mais en réalité, pour aimer le rap, il faut rencontrer les nouvelles générations. Parce que même si beaucoup se tournent vers des choses qui viennent du passé, il y en a d’autres qui ont de l’audace. Et c’est ce que j’ai pu faire avec mon nouvel album : croiser des producteurs et des rappeurs d’aujourd’hui. C’est dans ce genre de contexte que je me reconnecte à des choses qui ressemblent plus au rap par rapport au mainstream.

A : J’ai effectivement trouvé que cette troisième partie était beaucoup plus rap, notamment dans le choix des productions sur certains morceaux.

MS : Je vais avouer quelque chose : avec moi, le producteur est maître à 99% de sa proposition. Donc dans mon fonctionnement j’écoute, ça me plaît, mais ce n’est pas moi qui demande. C’est de notre rencontre que va naître quelque chose. Je n’interviens pas parce que je considère que le producteur est maître de ce qu’il fait. C’est lui qui a passé des heures dans sa chambre, à passer de tel logiciel à celui-là, à avoir la première intention. Je le choisis donc je suis un peu dans la DA. Mais la vibration du gars qui produit est importante.

A : Donc tu ne t’es jamais trop permis d’interférer dans le travail d’un producteur ?

MS : Je l’ai fait trois fois. Dans « Caroline », « La concubine de l’hémoglobine », et dans un troisième morceau. J’avais initié la chose en disant « est-ce qu’on pourrait avoir un truc sur tel BPM, avec telle atmosphère ? ». Mais sinon, non, je n’interviens pas. Tu sais, comme je suis dans le rap depuis toujours, j’ai vu passer toutes les tendances. Et j’aime toutes ces tendances, je n’arrive pas à choisir. Donc si ça ne tient qu’à moi, je ne vais avoir que la couleur du moment. Donc j’aime bien faire confiance à la volonté des producteurs en général.

A : Sur cette nouvelle partie de ton album, tu fais trois feats, notamment avec des artistes de la nouvelle génération. Tu as pourtant souvent dit par le passé en rigolant que tu faisais peu de collaboration car si tu en faisais une, tout le monde allait te demander pareil.

MS : Exact. Mais la vérité, c’est que je ne pouvais pas dire oui parce que j’avais un problème de contrat. [sourire] De 1994 à 2000, il y a eu toute une période où j’aurais pu faire des collaborations, des choses avaient été entamées, mais ça ne s’est pas fait. Sur ce nouvel album, c’était une vraie volonté de ma part. Depuis que c’est plus tranquille au niveau contractuel, j’en profite pour faire des feats. J’en ai fait un avec Bigflo & Oli, je pense toujours à en faire avec Youssoupha mais on n’arrive jamais à se croiser… Mais oui je vais maintenant en profiter pour faire plus de feats.

« Je considère que je fais du rap évolutif. Il faut oser être ouvert à tout, sinon on se conditionne soi-même.  »

A : Par rapport à d’autres artistes de ta génération, tu ne t’es pas fermé à ce qui est ensuite arrivé dans le rap, même si le genre a beaucoup évolué. Comment est-ce que tu l’expliques ?

MS : C’est une discussion que j’ai eu il y a longtemps avec un gars qui s’appelle Akhenaton. Nos premiers albums respectifs n’étaient pas encore sortis et on se disait : « Qu’est-ce qu’on fait ? ». Parce qu’on ne savait pas où on devait aller musicalement et on ne connaissait que ce qui se faisait aux Etats Unis. Au final, j’ai considéré que je faisais du rap évolutif. On ne m’a pas vu faire une musique avec une seule couleur donc j’ai la possibilité d’évoluer. J’ai autant fait « Qui sème le vent récolte le tempo » que « Quartier nord » ou « Victime de la mode » sur mon premier album donc j’ai toujours eu un éventail large. Je ne peux pas être prisonnier d’une image. Il faut oser être ouvert à tout, sinon on se conditionne soi-même. Quand je suis arrivé, j’avais plein de rappeurs autour de moi. Ceux de la pré-génération, Lionel D, Nec Plus Ultra, Timide et Sans Complexe, Destroy Man et Jhonygo, la première génération Deenasty. Ensuite il y a eu la génération qui arrivait avec NTM, Assassin, IAM. Et dès le départ je me suis singularisé en cherchant une voix différente, jazz, slow, ou en faisant des bizarreries soul comme « Armand est mort ». Et j’étais libre parce que je m’étais ouvert à plein de choses dès mes débuts.

A : Certains rappeurs qui ont grandi avec les valeurs du hip hop dans les années 90 n’ont pas forcément pris le virage du rap des années 2000, plus individualiste et peut-être aussi plus dur musicalement. Ils ne se sont aussi peut-être pas reconnus dans celui des années 2010, notamment avec l’utilisation de l’autotune. Ça n’a pas l’air d’être ton cas.

MS : Si des choses nouvelles ou des personnes nouvelles arrivent dans le rap, je n’ai pas à leur dire « Je suis l’authenticité, la vraie nature du rap ». J’ai toujours dit que j’étais trop jeune quand on a commencé à parler de moi entre dix-huit et vingt-deux ans pour que je donne ensuite des conseils sur ce que doit être le rap. C’est ce que je voulais exprimer en disant « L’autodidacte n’est pas didactique » [sur le morceau « Temps Mort », ndlr]. Et puis j’aime bien la musique, tout bêtement. Je peux te faire du ragga, des trucs parlés, j’aime tout. En général, quand je fais un album, je mets au moins quatre styles différents dedans. Parce que je n’ai jamais envie de faire le même morceau d’un jour à l’autre. Et je crois que c’est la constante entre Qui Sème Le Vent, Prose Combat, Cinquième As, Chapitre 7, j’essaye à chaque fois de ne pas faire cinq morceaux similaires dedans. Donc c’est pour ça. Pour les années 2010, je n’ai pas essayé l’autotune, mais je suis vraiment un con, parce que j’écoutais Jay Z et son morceau « Death Of Autotune » [il chantonne les guitares électriques du morceau, ndlr]. Moi comme c’est Jay-Z qui parle, je crois qu’il a raison. Et puis deux minutes après, il est avec Kanye West qui en fait ! Mais pendant des années, ce statement de Jay Z, que ça soit pour moi ou Akhenaton, ça nous a fait nous dire « on n’approche pas de ça ». Quand j’ai écouté T-Pain au début, je me disais « mais qu’est-ce qu’il fait lui ? ». Et puis en fait c’est juste un instrument supplémentaire. Mais c’est vrai que là-dessus, pour nous les anciens de ces années-là, on a pris du retard.

A : Est-ce qu’un groupe comme PNL t’as fait revoir ton avis sur cet outil ?

MC : Ah pas mal oui, ils ne l’ont pas utilisé comme les autres. Ils l’ont totalement intégré dans leur création, ça a été une belle révolution. Surtout que j’ai des gars de là-bas, donc ils me disaient : « on en a très peu dans le 91, faut que t’écoutes ! ». Il y avait plein de trouvailles techniques, un travail sur les voix. Ça a plu à tout le monde, même hors rap, parce que ça ressemble à… je ne vais pas dire des chansons des années 80 mais presque. Tu vois la chanson électronique de ces années-là, Arnold Turboust ? Je suis sur que s’ils écoutaient ça, ça pourrait leur plaire. Mais je n’ai jamais été contre l’autotune. Je n’en fais pas parce que j’ai écouté Jay-Z. Mais ceux qui ne l’ont pas écouté y sont allés et ont fait des super trucs.

A : Est-ce que tu penses que le rap est une musique qui évolue beaucoup plus vite que les autres ?

MS : Oui. Elle a mille et une trouvailles. Si on part juste de la fin des années 2000, on a d’abord la Sexion D’Assaut qui a donné plein de choses. Ensuite arrive 1995 qui vont vers le passé, puis ensuite vers le futurisme américain pour quelqu’un comme Nekfeu. Et la trap de 2010 apparaît après avec pas mal de jeunes producteurs. Ensuite la drill arrive, une nouvelle forme de trap revient. Damso, la montée d’Orelsan… En fait il y a plein de vagues du rap, ce qui est totalement impossible dans le rock et le reggae. La raison de ça, c’est qu’il intègre plusieurs dimensions. Il y a l’image, qui est plus facilement marketable et qui suit la société de consommation. Tu mets une voiture, une bonne paire de chaussures, un t-shirt Céline, et c’est bon. L’essentiel c’est que la personne dégage quelque chose. Et il y a aussi des expressions dans le langage qui changent tout le temps… C’est le genre qui évolue le plus, il y a eu trente styles en quinze ans je pense.

A : Et toi ça t’intéresse toujours de continuer à suivre tout ça ?

MS : La Jersey, c’est dur. [sourire] Parce qu’à un moment j’écoutais et je me disais « Merde où est-ce qu’il respire lui ? ».

A : Certains artistes enregistrent leurs morceaux phrases par phrases aujourd’hui.

MS : Ah ! Ça je l’ai vu avec le rappeur new-yorkais tatoué qu’on appelle « la pookie ». 6ix9ine ! Il arrive au micro, il crie, stop. Il crie, stop. Il crie, stop. Un jour je vais essayer. Mais c’est vrai que la jersey, j’avoue que j’ai du mal. Mais tous les autres styles de rap, j’adore. Tous.

« Quand je suis au contact de la nouvelle génération, je vois qu’ils sont meilleurs que nous, les choses vont beaucoup plus vite. On reste des apprentis.  »

A : Sur le morceau « Maitre de cérémonie » de ton dernier album, tu parles de tes débuts dans le hip hop. Pendant tout le morceau, tu dis que tu étais un apprenti maître de cérémonie, avant de dire en fin de morceau que tu « es » un apprenti MC. Est-ce qu’il y a un sens derrière ça ?

MS : Oui, ça veut dire que je le suis toujours aujourd’hui. On peut toujours progresser et ça met de l’humilité, on reste des apprentis. Quand je suis au contact de la nouvelle génération, j’apprends de leurs techniques de studio, je vois qu’ils sont meilleurs que nous, les choses vont beaucoup plus vite. 

A : Tu as d’ailleurs dit par le passé que s’il y avait eu plus d’albums comme Or Noir de Kaaris, tu serais revenu plus tôt durant ta pause de dix ans.

MS : Oh oui. Un gars est arrivé et m’a dit « Tiens, écoute ça ». J’étais en voiture, j’ai fait un trajet avec l’album. Et j’en ai refait un deuxième. Il y avait de l’énergie, du dynamisme, de la punch, des références. Quand j’ai entendu les mots « Dozo », « 225 » en référence à la Côte d’Ivoire que je connais un peu, tout ça mélangé aux quartiers, Sevran, la culture militaire, ça m’a parlé. En fait j’aime bien tout, c’est équilibré musicalement ce qu’ils ont fait avec Therapy. Et on sent qu’il y a du cœur derrière, que c’est un mec passionné de rap. Ça m’a vraiment fait l’effet que je peux ressentir quand j’écoute quelque chose de nouveau. Gradur aussi, c’était animal. En fait j’aime bien le rap d’aujourd’hui parce que ça ressemble à plein de périodes que j’ai vues avant, des gens que j’ai croisés.

A : Tu veux dire dans les années 90 ?

MS : Oui, même dans les années 80. Des gens qui sont organiques. Par exemple il y avait un mec qui s’appelait M’widi. Et lui me fait penser à Gradur. De l’énergie, quelques touches politiques, fanatique de rap. En fait dans chaque nouveau, je vois souvent une personne que j’ai rencontrée avant que le rap se mette à vraiment sortir des albums. Parce que c’était là qu’on avait des bouts de cassettes, et qu’on se croisait, sur Radio Aligre, Radio Nova, ou Radio Val dans le 91.

A : On parlait de la nouvelle génération, tu as un featuring assez surprenant sur ton album avec Légendes Industries. Comment la rencontre s’est faite ?

MC : On est dans la même maison de disques, et quelqu’un là-bas m’a parlé d’eux. J’ai écouté leur album CacaPipi. [Rires] [ZiziCacaMixtape, ndlr] Et quand on s’est rencontrés j’ai vu qu’ils faisaient de la bonne musique. À ce moment-là ils travaillaient avec Yamê, ils étaient à fond là-dessus [Pandrezz et Kronomuzik ont composé “Bécane” de Yamê, ndlr]. Mais c’est une équipe que je surnomme « les cerveaux en réseaux », parce qu’ils ont un équilibre démocratique dans chacune de leurs décisions. Quand on leur propose quelque chose, il n’y a jamais un non. Il y a toujours un « j’écoute ». Et puis ils ont un truc en plus, c’est qu’ils aiment la guitare, la basse, les instruments. Donc ils ont un potentiel pour aller un peu plus loin. En fait on a un peu la même culture, sauf qu’ils ont vingt ou vingt-cinq ans de moins que moi.

A : Il y a un moment amusant dans la vidéo où l’on voit l’enregistrement de votre morceau ensemble. Lorsque vous écrivez vos textes, Kronomuzik est sur son téléphone, et toi sur ton cahier. Et vous avez un échange là-dessus. On se rend compte que tu trouves ça bien plus pratique et que tu ne serais pas contre faire comme ça. Tu n’as pas l’air de t’enfermer dans tes méthodes. 

MS : Ah oui, moi je perds beaucoup de cahiers… Mais j’ai essayé une fois, je me suis forcé. J’ai croisé Soprano pendant le covid, et il avait invité plein de rappeurs et de producteurs pour faire son album. Et c’est là que je les ai vus la première fois écrire sur leurs téléphones. Pour l’instant je suis au cahier parce que j’ai une routine où j’écris, et je corrige ensuite, notamment pour les cadences et les flows. Mais bien sûr que ça ne me dérangerait pas. D’ailleurs ça y est [il prend son téléphone, ndlr] je suis passé à ça. J’en ai plein là…

A : Tu as des textes sur ton téléphone ?

MS : Oui mais je n’ai pas le réflexe d’aller les revoir ! Mais quand il n’y a pas de stylo, pas de papier, j’ai mon téléphone. 

A : Dans ta manière de faire de la musique, tu essayes aussi d’être toujours en évolution ?

MS : Depuis toujours. J’essaie d’avoir ma stabilité et un peu de recherche dans mes morceaux. Mais le temps que tu réalises qu’il y a des choses que tu aimes, ça peut être trop tard quand tu veux les intégrer. Ça m’a fait ça avec le rap d’Atlanta ou Drake par exemple. À l’avenir, je vais essayer d’être de mon temps. C’est juste que j’essaie toujours d’être un peu à côté. Mais maintenant qu’il y a tellement de nouvelles choses différentes dans le hip hop, on peut choisir. Bon, je ne sais pas si je vais faire de la trap parce que tout a été dit… 

A : Tu as un peu essayé d’en faire sur Géopoétique

MS : Ah oui c’est vrai ! Bon après, c’était une trap qui sonnait un peu 2011. Si j’avais fait de la modernité, j’aurais été sur une trap un peu plus récente à l’époque. 

« Quand j’ai écouté Nero Nemesis, ça m’a fait la même chose que Or Noir. C’était top du début à la fin. »

A : On parlait du morceau « Maitre de cérémonie » où tu racontes tes jeunes années dans le milieu hip hop français. Comment l’idée t’es venue ?

MS : Le morceau a été produit par Dany Synthé et il m’a dit que je connaissais un de ses oncles, et une autre personne de sa famille. Et c’était vraiment des gens qui faisaient partie du mouvement hip hop en France dès 1992 et 1993. Il m’a posé quelques questions et le thème est arrivé comme ça. Quand j’ai pris le stylo, ça a déroulé. Il y a des choses qu’il ne savait pas donc je lui ai raconté.

A : Sur ce morceau, tu utilises une expression de Jul, « Merci la zone ». C’était un clin d’œil pour faire un pont avec les générations ?

MS : Oui c’est ça. Quand je suis allé à Marseille en 2020, que j’ai vu tous ces gens qui étaient encore actifs sur cette scène, les producteurs… j’étais vraiment impressionné. Et Jul il est bon. Attend, quand il te fait des morceaux de kickage de neuf minutes… Mais pour moi le hip hop a toujours été une grande famille. J’aimais autant les gens de Marseille que ceux de Sarcelles. Regarde Soso Maness : il fait le son du confinement avec « So Maness » [il chante le refrain, ndlr] mais si tu lui mets juste un boom bap, il va aussi poser dessus. C’est d’ailleurs comme ça qu’on reconnaît les gens qui font du rap de manière récréative, ou avec quelque chose en plus.

A : Soso Maness a d’ailleurs fait un de ses premiers morceaux à 10 ans avec la Mafia K’1 Fry.

MS : Oh le bâtard ! Bien le petit ! C’est ça qui est intéressant. Quand il fait du boom bap il raconte plein d’expériences de vie, c’est crédible.

A : Tu parlais de grande famille dans le hip hop, il y a quelque chose qui raconte bien ça, c’est la relation qu’a Booba avec toi. En 2008, il te tire dessus sur le morceau « B2OBA » en disant : « NTM, IAM, Solaar, c’est de l’antiquité ». Dix ans plus tard, en 2017, il va pourtant publier sur Instagram la photo du single de « Bouge De Là » en te rendant un vrai hommage (tout en te tirant quand même un peu dessus sur Les Enfoirés). 

MS : Oh B2O ! [rires]. C’est un mec que je connais depuis sa première apparition studio en 1994. Je le connais depuis les Sages Po’. Mais sa punchline par contre, j’avais adoré. Parce que comme j’aime bien le rap, je vois le cheminement. C’est en écho à sa première phrase, « Les négros sont déclassés par Pokora Diam’s et Sinik ». Ça a toujours été un bon rappeur, depuis le premier jour. Depuis les cassettes Cut Killer, depuis Lunatic. Il est bon quand même. J’ai écouté des morceaux qui ne sont jamais sortis en 94-95, ils étaient bien. Et ça m’a fait la même chose que Or Noir quand j’ai écouté Nero Nemesis. J’ai dit « Bon allez je vais rester dans la voiture » [sourire]. C’était top du début à la fin, le feat avec Damso, celui avec Siboy… Mais en tout cas merci B2O !

A : On sait que tu aimes bien le foot. Dans l’histoire du rap français, ta trajectoire est un peu comparable à France 98 : tu es la première grande victoire massive pour le mouvement hip hop en France en touchant le grand public. J’ai remarqué que dans tes interviews, on te reparle d’ailleurs très souvent des années 90 et de tes premiers albums. Comment est-ce que tu appréhendes le fait qu’on te parle autant du passé ? Tu es en paix avec ça ?

MS : Je suis 100% en paix avec ça parce que j’aime bien ces albums. Et quand on les a fait, c’était une victoire pour le mouvement. Il y avait des gens en plus qui arrivaient mais on parlait vraiment du « mouvement ». Tu avais les gars de Vitry, les descendants de Lionel D, ceux des Little, les gars de Sarcelles, les gars de Roissy En Brie. Donc c’est vrai que j’ai vécu la première victoire grand public du genre en France, suivie très rapidement par « Le Mia » et Alliance Ethnik. Mais les 3 DJs de ce groupe, ils étaient là depuis le premier jour, on se connaissait. Donc en fait c’était une victoire de tous, ça a donné du courage à plein de gens. Et surtout plein de maisons de disques se sont mises à y croire et ont donné la possibilité à plein de gens d’aller en studio. On était dans la rue, on se croisait : « tu vas où toi ? » « Je vais chez Delabel ». Je n’entendais que des trucs comme ça. Donc ça a donné des clés aux gens pour qu’ils fassent leurs trucs.

A : Est-ce que tu as bien vécu ou mal vécu le fait que les gens du rap ne comprennent pas ton passage vers la variété, ou au moins la sphère mainstream, dans les années 2000 ? Je pense notamment à ta participation aux Enfoirés.

MS : Non, je l’ai bien vécu en vrai. Pour Les Enfoirés, ça a été bien perçu à 99% selon moi. Je l’avais fait une fois en 98, et je l’ai refait en 2000 ou 2001. Mais pour moi c’est une grande fierté, parce que la cause est noble. Et ça ne te demande pas beaucoup de temps. Certaines personnes refusent d’y participer pour des histoires d’image. Moi on m’a dit directement que j’aurais l’air con. Et j’ai dit ok, de temps en temps, j’aurais l’air con. Mais il faut plusieurs boulons pour fabriquer un paquebot quoi.

A : Pour finir, est-ce que tu as encore envie de faire des choses nouvelles dans le rap aujourd’hui ? 

MS : J’ai encore envie de faire des beaux morceaux ! Et peut être que je vais plus donner une direction sur certains trucs. J’ai un arsenal de trente ans de musique que j’aime bien. Ça va de Koba LaD à Grandmaster Flash, et peut-être que je peux choisir différents trucs là-dedans que je tiens à donner. Je parle surtout musicalement. C’est mon objectif : être encore plus impliqué musicalement dans ce que je fais. 

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