M24, haute couture musique
Interview

M24, haute couture musique

M24 nous confie quelques petits secrets sur l’enregistrement de Tous les deux, son nouvel EP.

Photographie : Chroniques Automatiques

Abcdr du son : Quel est le point de départ de Tous les deux ?

M24 : L’été dernier, j’étais en studio, j’enregistrais beaucoup, j’accumulais les titres… J’en avais une dizaine de prêts et le studio s’est fait cambrioler. Les mecs ont sauté tout le matériel donc j’ai perdu tous les sons. Partant de là, je me suis remis à écrire d’autres choses. Le projet n’était pas vraiment prévu, je suis reparti à zéro. Les titres que j’ai perdus n’avaient rien à voir, ils étaient davantage trap… C’était la continuité du précédent EP. Ce projet est plus personnel. Je l’ai enregistré à La Caverne, un bon studio dans le XIVe. C’est Lalcko qui me l’a fait découvrir. Nico, l’ingé son est très professionnel, il avance vite. J’ai retravaillé avec Phohat, un gars avec qui j’ai enregistré une grande partie de 24 Saisons, mon premier disque. Il fait de la réalisation, il mixe… Même quand je vais dans d’autres studios, comme pour cet EP en l’occurrence, il m’accompagne. Tout comme Karim, mon manager.

A : C’est important d’avoir un regard extérieur en qui tu as confiance.

M : Exactement. Le mec sait ce que je veux, je n’ai pas besoin de lui expliquer. Il m’aide à m’orienter, à arriver à ma destination. C’est comme si j’avais une autre paire d’oreilles. Quand je vais en studio, j’aime bien qu’il n’y ait pas grand-monde pour être très concentré quand on travaille. J’aime les ambiances studieuses. Il peut n’y avoir qu’un mec avec toi mais s’il est en train de fumer, de discuter, ça t’empêche de rester focus.

A : Comment ça se passe le studio, tu as des plans gratuits ou tu paies ?

M : Je paie tout. Pour ce projet-là par exemple, j’ai pris une journée, de dix heures à vingt heures et j’ai enregistré les six titres dans ce laps de temps. Vu que je paie, il est hors de question de perdre du temps. Ça a un certain coût quand tu travailles dans de bons locaux avec des professionnels mais je le rentabilise bien.

A : Tout est déjà planifié quand tu rentres en studio ?

M : Oui, j’ai tout le délire en tête, je sais où je veux aller. Les textes sont écrits. Au pire, il peut me rester un couplet ou un refrain. Quand je commence à enregistrer, je ne fait pas de pause. Je n’aime pas perdre du temps à écrire, à faire tourner la prod’ pendant une heure…

A : Tu es un diesel ou t’es efficace dès les premières prises ?

M : Généralement, c’est bon dès les premières prises parce que je suis concentré, les textes sont écrits, je sais où sont mes placements… La toute première prise, je me fais la voix. Ensuite, c’est parti. J’évite tout de même de faire du one shot aujourd’hui car j’essaie de m’appliquer sur mon articulation. Je peux poser un seize d’une traite comme ça mais il va souvent il y avoir un mot mal articulé ou un détail du genre qui va me gêner. Donc je préfère huit mesures, puis quatre et encore quatre par exemple.

A : Dans ton style actuel où tout est dans la maîtrise, dans le détail, ce serait plus compliqué de lâcher des one shot à l’énergie comme à l’époque de 24 Saisons où tu offrais le cadeau sans l’emballage.

M : [Sourire] C’est vrai, tu as raison. J’aime bien l’image. Moi-même, je ne me rends pas spécialement compte mais le fait d’avoir un regard extérieur, c’est intéressant. Mes couplets, ce n’est pas juste une balle qui part. Il faut qu’il y ait un peu d’émotion par-ci, un peu de respiration par-là…

A : Parle-moi des producteurs présents sur l’EP.

M : Il y a Jaycee, qui a notamment bossé avec Joke, Matt Houston, 3010… Sa prod’, ça faisait plus d’un an que je l’avais, j’attendais juste le bon moment pour l’utiliser correctement. J’en ai d’autres de lui au chaud. Je l’ai rencontré en studio à Ivry, j’étais avec d’autres artistes, il est venu nous faire écouter des prod’… C’est déjà lui qui avait produit « Capital Gang » sur 1 pour la famille. Il est vraiment efficace, j’aime son univers. Je ne fais pas de commande sur-mesure. Je travaille au feeling. Le mec me fait écouter des prod’ et celle qui provoque un impact particulier, je la prends si elle est libre. Il y a juste avec Phohat, qui a produit « Rêverie », que je fonctionne par commande. Lui va me dire qu’il travaille quelque chose dans tel esprit et moi je vais écrire en prenant en compte cette ligne directrice. Ou alors c’est moi qui lui dis de ce dont j’ai besoin parce ce que j’écris un truc dans tel genre. Et, là, lui me sort un truc de fou. « Avenue Montaigne », ça vient d’un Bruxellois, du moins un Belge, SG. Je dois avoir quatre ou cinq prod’ de lui en réserve. Son manager, c’est un mec du Havre donc ça me faisait plaisir de travailler avec eux. Je l’ai découvert sur Soundcloud. Je traîne beaucoup sur les sites pour écouter des instru’, trouver de bons beatmakers. Les gars font ce qu’ils aiment comme moi, donc généralement le feeling passe. DJ Easy a fait « Des années à donner ». Ça faisait un moment qu’on était en contact par mail et téléphone mais il n’avait pas beaucoup de temps car il travaillait sur D.U.C. de Booba à l’époque. On a pu finalement se voir un après-midi au studio. Il m’a fait écouter une palette d’instru’ de dingue et j’ai sélectionné celle-là car elle n’était pas trop chargée, bon délire.

A : Ça coûte combien une prod’ comme « Avenue Montaigne » par exemple ?

M : Tu sais, c’est difficile à dire. Parce que, par exemple, le gars qui a produit « Avenue Montaigne », je lui en ai pris cinq en tout. Donc je ne peux pas te dire : « Ça vaut deux cents euros ». Entre le prix et la valeur de la prod’, il y a une différence. Elle a une valeur de dingue. Ça dépend, si le mec qui la prend est en maison de disques, il va la payer deux mille euros. La même instru’ peut être vendu deux cents balles à un indé et trois mille à un artiste signé. Une chose est sûre, c’est que tu dois déclarer le mec, que tu aies la prod’ gratuitement ou que tu l’aies payée, sinon c’est lâche. C’est un travail. Je suis fier pour le gars que son travail soit reconnu, que son vrai nom soit écrit dans les papier de la Sacem.

A : Certains titres m’ont fait penser dans leur approche à la mixtape Décollage.

M : Décollage, ça a été mon premier projet qui a été travaillé de façon commerciale. Commerciale dans le sens professionnel, carré. Je me suis inspiré de ce que j’avais appris à cette époque. Mais quelque chose m’avait manqué dans Décollage. J’estimais que ça manquait d’émotion, de personnalité. C’était trop générique. Là, j’essaie d’amener une touche plus carrée tout en gardant l’essence des premiers jours. La 24 Saisons, ça marchait vraiment au feeling.

A : Justement, que penserait le M24 de 24 Saisons du M24 actuel s’il écoutait Tous les deux ?

M : [Rires] A mon avis, si le 24 de l’époque voyageait dans le temps et se retrouvait face à Tous les deux, j’aurais trouvé la même sincérité dans les thèmes abordés. Et je l’aurais trouvé plus adulte, je ne me cache plus derrière des métaphores compliquées. C’est beaucoup plus assumé. J’ai envie de parler d’amour, je le fais. Quand j’ai écrit et enregistré 24 Saisons, j’étais un adolescent, j’avais dix-sept ou dix-huit ans. Je faisais des schémas compliqués, je parlais de philosophie pour évoquer des choses simples en vrai. A l’époque, je ne voulais pas faire un rap conventionnel. Aujourd’hui, j’ai envie de faire ce que j’aime, tout simplement.

« Il n’y a pas de retour de stock avec la rue. »

A : Tu réécoutes tes anciens disques ?

M : Non, jamais. En fait, je passe tellement de temps à écouter des instru’ et à créer que j’ai du mal à réécouter les ancien sons. Le premier truc que tu m’as dit quand on a commencé à parler, c’est : « Toi, t’aimes pas rester dans le passé ». C’est une réalité. Moi, dès que j’ai un projet qui sort, je suis déjà en train de boucler le prochain. Il ne faut pas rester sur le passé, c’est un piège. Là, pour te dire, le projet sort vendredi [NDLR : l’interview a été réalisée le 3 avril, dimanche précédant la sortie] mais hier encore, je recevais des instru’ et aujourd’hui j’écrivais. Ça y est, je suis déjà dans l’après. Je sais plus ou moins vers quoi je vais aller. Tous les deux est mon huitième disque. J’ai envie de travailler autrement, de faire des titres et de les partager. Plutôt que des projets, j’ai envie de travailler des chansons. Je vais voir, là, je te dis ça comme ça à vif. J’ai déjà quelques titres de prêts, je vais voir comment je vais les utiliser. Je suis déjà dans une autre dynamique.

A : Tu l’as enregistré quand celui-là ?

M : C’était la semaine où le nouveau Star Wars est sorti ! [Sourire] En décembre, il me semble. Ensuite, il y eu le mix et tout l’aspect technique. C’est relativement rapide et encore, là je me suis freiné un peu, j’aurais pu le sortir plus tôt. J’avais envie de ne pas précipiter les choses. Il va y avoir un pressage. Tous mes projets l’ont été. Ce que j’aime avec le digital, c’est que ça permet de déployer ta musique universellement. Avec Deezer, Spotify ou Tidal, les gens peuvent écouter gratuitement via leur abonnement… Mais avec le CD, tu as un contact direct. Les mecs t’envoient après des messages sur twitter : « Ouais je viens d’acheter ton CD dans telle ville… »

A : Tu les vends toujours dans la rue ?

M : Pas moi directement mais, oui, tous mes disques se vendent de la main à la main. Via Will Meka, Brow Brown Company. C’est la Fnac de la rue. Chaque disque que je prépare, je sais qu’il y a trois mille exemplaires qui vont partir entre ses mains. Tout est vendu. C’est ça qui est bien avec la rue, il n’y a pas de retour de stock. Il m’achète mon stock et il le revend. C’est comme une distrib’. Il n’y a pas que Will, d’autres le font aussi.

A : Tu m’a dit que ce projet était plus personnel. Ce n’est pas forcément évident à l’écoute de certains titres. Tu peux développer ?

M : C’est quelque chose que je vis dans 90% des cas, dans le sens où j’aime passer du bon temps, bien manger, bien boire… Je suis quelqu’un de posé, je ne suis pas quelqu’un qui traîne en boîte… Après, dans un titre comme « Avenue Montaigne », je dis bien : « Je veux ». C’est une ambition, pas une réalité. Je n’ai pas encore d’immeuble Avenue Montaigne. [Rires] Mais d’une certaine façon, c’est ce que je vis parce que c’est ce que je vise. Dans la vie, peu importe ce que tu fais, il faut que tu sois le meilleur. Je le dis dans le refrain : « Teste pas, je le fais mieux que les autres ». Le mec qui est dans une carrosserie, il faut qu’il soit le meilleur quand il retape des caisses. Le mec qui fait les frites au McDonald’s, il faut que ce soit les meilleures frites ! [Rires] Peu importe ton statut social, il faut que t’excelles dans ce que tu fais. J’ai un autre exemple, le morceau « Rêverie », c’est d’un mec qui tombe amoureux d’une strip-teaseuse. Bah non, je ne le vis pas, je ne traîne pas dans des boîte de strip.

A : Tu aurais des problèmes avec ta femme sinon.

M : Voilà ! [Rires] On s’inspire de tout. Quand je dis qu’il est plus personnel, c’est que j’ai vraiment laissé place à l’émotion. Dans les émotions, c’est sincère. En plus, petite parenthèse, avec les attentats et tout ce qu’il s’est passé… J’en avais des instru’ très sombres mais je n’avais pas l’énergie pour rentrer en studio et raconter des trucs ghetto. Je ne me lève pas pour raconter ces conneries-là. J’ai envie de parler de choses positives, dans lesquelles tout le monde peut se reconnaître. J’écris de façon très spontanée, sur mon portable depuis une dizaine d’années, malheureusement. Je regrette un peu l’époque du papier. Parfois, ça m’arrive de les ressortir sur papier en studio. Tu peux faire un truc bien propre, surligner les mots que tu veux backer… Je ne me prends pas la tête sur mes textes. J’écris en marchant, j’ai une phase qui me passe par la tête, je le note dans mon portable. Je ne m’assois pas à un bureau avec une petite lampe… [Sourire] Si tu commences à te torturer la tête, ça veut dire que c’est pas bon.

A : Tu fais quoi dans la vie ?

M : Je suis grossiste en prêt-à-porter féminin. C’est de la haute couture musique ! [Rires] Le textile, la femme, je suis là-dedans au quotidien. Je pense que ça ressent dans ma musique.

A : A l’époque de notre première interview, tu préparais un album qui n’est finalement pas sorti. On a eu droit à deux EP à la place : 1 pour la famille et 2 pour l’argent. C’était grosso-modo les mêmes titres ?

M : Non, il y avait trois titres issus de l’enregistrement initial mais tout le reste a changé. Un album pour moi, il faut qu’il y ait une structure derrière. Une promotion sérieuse, des clips… Des choses que je ne prends pas le temps de faire pour mes projets. Le jour où M24 sort un album, il faut qu’il y ait un gros label derrière. J’ai eu beaucoup de galères au niveau des contrats. Maintenant, je continue à le faire seul, comme je l’ai toujours fait. On est dans la pure indépendance, dans l’indépendantisme même ! [Rires]

A : Bon sinon, c’est pour quand cet album en commun avec Lalcko ?

M : [Sourire] Ah tu sais… Il faut lui demander ! Là, on dit ça sous forme de rigolade mais tu serais surpris. On a au moins une dizaine de titres qui ne sont jamais sortis. Et il y a de quoi en faire d’autres.

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