Le Sept
Imaginez des rappeurs jouant au craps à même le bitume. Eh bien, l’une des combinaisons gagnantes est celle du Sept : voix sépulcrale, cascade d’assonances, textes à multiples facettes, deux albums solos, un petit paquet de mixtapes écumées et quelques opinions bien tranchées.
Cela fait presque 19 ans que les dés sont jetés pour Le Sept. Après des débuts en 1995, c’est avec sa voix hypertrophiée et ses textes embaumés d’assonances que les combinaisons se sont faites. D’abord à travers un petit paquet de mixtapes et de compilations, dont certaines doivent beaucoup à toute l’effervescence qui a secoué le rap français au début des années 2000, alors un temps branché sur un courant qualifié d' »alternatif ». En ce temps, une partie des décharges venaient de Bordeaux, où Le Sept enregistre son premier album solo, Amnésie, avant d’y monter le collectif Olympe Mountain. À ce moment-là, à la table de jeux, d’autres partenaires illustres, tels que Grems ou Le Jouage, bientôt rejoints par Arm, Soklak, Iris, et d’autres, pour le projet Soul’Sodium. Puis revient le temps de l’échappée en solo, ou presque, puisque c’est avec Lartizan que le MC réalise son second album : Le Jeu du Pendu, aujourd’hui réédité. Alors après une pause de deux ans sans faire trembler une capsule et son anti-pop, Le Sept en profite pour remettre le pied à l’étrier, mais « tranquillou » comme il dit. Rencontre.
A : Quasiment cinq ans après sa sortie, ton album avec Lartizan [Le Jeu du Pendu, NDLR] est réédité. Quel sens cela a-t-il à tes yeux ? Est-ce quelque part une victoire ?
Sept : Je suis super content qu’il soit réédité. On en avait pressé mille, et quatre ans plus tard, après avoir tout vendu, on s’est dit qu’il fallait le rééditer. Je ne suis pas super connu, et c’est vraiment le type de disques pour lequel le bruit se fait petit à petit. Des gens débarquent aujourd’hui alors qu’hier ils ne me connaissaient pas. Ils arrivent quand la fête est finie mais ils sont intéressés par l’album, ils aimeraient l’avoir, et moi, ça me fait super plaisir qu’aujourd’hui ils puissent y avoir accès.
Avec LZO, on mise également sur un pressage en vinyle, et pour moi c’est important. Je n’apparais que sur deux pressages en vinyle : le maxi avec Iris et Para One [Ciel Ether/Con Citoyen, NDLR] et le maxi du premier Maximum Boycott. Le vinyle, c’est un objet qui fait sens, en tout cas par rapport à la manière dont j’ai connu le rap et dont je l’aborde. Avec LZO Records [le label sur lequel Le Jeu du Pendu est sorti, NDLR], on a mis en place des souscriptions pour financer ce pressage. Il nous reste encore 40 pré-commandes avant d’avoir le budget pour lancer le pressage ! Rééditer l’album en CD, c’est déjà une victoire, et l’éventualité que ça se fasse en vinyle en sera une autre ! Ce seront des mini-victoires certes, mais on est des mini-guerriers ! [Rires]
A : Comment ça des « mini-guerriers » ?
S : Mes ambitions sont celles d’un mini-guerrier ! Tu ne vas pas retrouver mon clip derrière celui de Seth Gueko, c’est évident ! Ce sont des petites ambitions quelque part : faire sa musique tranquille, réussir à vendre ce que l’on a pressé ; tout ça ce sont nos victoires, mais elles restent à notre hauteur, celles de mini-guerriers. Le combat le plus difficile, c’est celui des gros requins qui veulent bouffer la planète. Les mecs ambitieux ont vraiment un challenge de ouf à remporter. C’est plus difficile d’aller partout, de faire parler de soi, de séduire tout le monde ! Le plus difficile c’est de manger le monde, mais moi je ne veux pas le manger, donc ça va.
« Quand tu fais 19 ans de rap, il y a des moments où tu es gavé, tu fais presque une OD. »
A : Ça fait quasiment 20 ans que tu rappes. Il y a eu Amnésie et Le Jeu du Pendu qui sont tes deux albums solo. Mais à côté, tu as parfois donné l’impression de ne pas réussir à te poser, de papillonner d’une mixtape à une autre, d’alterner les périodes très productives avec celles de mise en retrait, comme si tu avais du mal à te lancer dans des projets solos…
S : Des albums que je considère à moi, il y en a trois en fait : les deux que tu as cités mais aussi Olympe Mountain [Album collectif, sorti en digital, avec Sept, Rodd, Boobaboobsa, Grems, Iraka20001 et le Jouage, NDLR]. Je ne l’ai pas fait tout seul mais je me suis investi dedans à 100%, c’est Le Jouage et moi qui l’avons vraiment porté, donc pour moi, c’est comme un album. Et il y a aussi Soul’Sodium [Compilation des beatmakers de Kamasoundtracks, produite par LZO Records, NDLR], que je ne considère pas comme un album à moi, mais dans lequel je me suis aussi beaucoup investi. J’y ai fait plusieurs morceaux, mais j’ai également ramené pas mal de monde. Une fois qu’Iris – qui était le plus important dans le projet avec Kamasoundtracks – m’a introduit dans le projet, je me suis investi. Tout simplement parce que j’avais les numéros de la plupart des autres et que je les connaissais. Tout ça pour dire que ce n’est pas du tout mon album mais que j’ai passé du temps à bosser dessus.
En dehors de ça, à chaque fois que j’ai fait un album solo, j’ai galéré. Amnésie je l’ai fait à l’arrache, mais j’ai mis deux ans à le faire. Le Jeu du Pendu, c’était déjà moins à l’arrache mais on a mis trois ans à le faire ! Faire un album solo de qualité, ça me prend tu temps et de l’énergie. Certains savent travailler vite et bien, mais moi je ne suis pas aussi productif que certains, tout simplement ! Amnésie c’était en 2003, Le Jeu du Pendu en 2008, là on est en 2013… Ça devrait être le tour du suivant mais il n’est pas prêt [Rires]. Après tout, Laurent Voulzy ne fait qu’un album tous les cinq ans. Si Laurent Voulzy peut se le permettre, je me le permettrais aussi [Rires].
A :Depuis la sortie du Jeu du Pendu, tu as balancé très peu de morceaux. Au regard de ton activité telle qu’elle pouvait être de 2000 à 2008, tu sembles beaucoup plus en retrait. Tu l’imputes à quoi ? L’âge et donc un parcours de vie qui laisse moins de place et d’envie au rap ? Des liens qui se sont distendus ? D’où vient cette parcimonie ?
S : Après Le Jeu du Pendu, j’ai continué pendant un an à faire vivre l’album en faisant des lives. Je répétais beaucoup avec DJ BoolChampion, environ trois ou quatre fois par semaine. Rien que pour faire un concert un peu préparé et potable, il faut beaucoup de travail. Et j’ai fait ça pendant un an, alors que déjà, quand Le Jeu du Pendu est sorti, c’était dans des conditions tendues, c’est-à-dire qu’avec Lartizan, on commençait à ne plus en pouvoir l’un de l’autre ! On a décidé de le sortir quand même, parce qu’on allait pas gâcher trois ans de travail, mais on était gavés. Donc j’ai poussé jusqu’à faire la promo du disque pendant un an encore, et après j’en ai eu marre. En plus, c’est effectivement tombé à un moment où je voulais accorder du temps aux gens que j’aime. Bref, j’ai un peu fait une OD. Après 19 ans de rap, même si c’est vrai que c’était parfois un peu dilettante, il y a des moments où tu es gavé. 19 ans ce n’est pas rien !
Et comme tu l’as sous-entendu dans ta question, le fait de moins voir les autres a aussi eu un rôle. Entre 2000 et 2006, il y a eu une vraie émulation entre nous. Je faisais plein de rencontres, avec les mecs de Bordeaux et de Paris on se tirait les uns les autres vers le haut. Entre temps, les ego de tous ont grossi. Les gens se sont pris la tête, on s’est un peu tous embrouillés. Je constate d’ailleurs que je ne suis pas le seul débile puisque je ne suis pas le seul à m’être embrouillé ! Mais c’est vrai qu’au final, quand tu te retrouves tout seul, ça te donne moins envie de faire des choses, à moins de te masturber devant la glace ! La dynamique n’est pas la même, alors une fois la période des concerts du Jeu du Pendu passée, j’ai arrêté pour toutes ces raisons. Le break a duré deux ans, jusqu’à ce que je me dise que c’était bête d’arrêter complètement. Ça me fait toujours plaisir d’écrire, de faire quelques morceaux, de faire plaisir à des gens qui aiment ce que je fais. Le morceau « Édito » a été mon pseudo-retour, et depuis j’en ai fait quelques autres, mais ils ne sortent pas forcément au moment où ils se font. Je serai par exemple sur l’album de remix des Courants Forts d’Iris & Arm, qui devrait sortir à la fin de l’année, sur le morceau « Et Pourtant ». Il y a aussi un morceau sur l’album de I.N.C.H, avec La Gale et Faro, mais je ne sais pas quand ça va sortir. J’ai également un morceau pour Mr Ogz et un autre qui est sorti pour les compilations Dezordr. Tout ça m’a permis de constater que je pouvais encore faire des titres qui tiennent la route, mais j’y vais doucement, tout doucement ! J’ai aussi eu des propositions de live, plutôt bien payées pour certaines d’ailleurs, mais histoire d’être cohérent et de ne pas être grassement payé pour faire un show au rabais, je n’ai pas accepté. Ce n’est déjà pas évident pour moi puisque je rame, alors pour le moment, c’est tout doucement !
A : En t’écoutant parler de tout ça, j’ai limite l’impression que tu me parles d’une rééducation.
S : Oui, je vois. Moi j’aurais plus parlé d’un sport.
A : Quelques fois, ça va ensemble !
S : Oui, c’est vrai, mais une rééducation ça veut dire que tu es blessé. Remarque quelque part ce n’est pas faux, puisque j’en ai eu marre et que j’ai fait une O.D ! Mais qu’on parle de sport ou de rééducation, dans les deux cas, quand on reprend, ça ne sert à rien de se mentir à soi-même en s’imaginant faire un disque chant-mé en deux mois alors que tu n’as rien fait pendant deux ans. Ça me semble judicieux de prendre ça tranquillou, comme un sport vers lequel on revient. Je rentre dans l’eau et je me mouille la nuque, je n’ai pas envie de faire une hydrocution ! [Rires]
A : A travers Soul’Sodium et Olympe Mountain tu parlais de toute l’époque où il y avait une émulation, entre 2000 et 2006. Avec le recul, comment tu regardes cette époque ? Par rapport à toi d’une part, mais aussi par rapport au rap en général, l’influence ou le sens qu’elle a pu avoir.
S : Je la kiffe cette époque, je suis trop content ! Influencer des gens, je ne sais pas qui ni combien, mais sûrement un peu oui, vu certains retours que j’ai pu avoir. Tant mieux, ça fait plaisir. De toute manière tout le monde a toujours été influencé, donc c’est super ! Et par rapport à ce que je te disais juste avant, ça me paraît même logique qu’on se soit tous un peu pris la tête. C’est ce qui se passe partout : on vit dans une société un peu individualiste et on l’est aussi. En plus il y a le côté ego des artistes… Je constate que sur la plupart des disques qui ont été faits en groupe, ça bouge souvent ensuite. Regarde Psykick Lyrikah qui sort un premier album vraiment génial avec Mr. Teddybear et Arm. A la fin, ils se sont bouffés la gueule et se sont séparés. Beaucoup de personnes se bouffent la gueule à la fin d’un disque en indé car on s’implique beaucoup, on n’est pas toujours d’accord, on passe beaucoup de temps ensemble, les personnalités de chacun ne sont pas toujours faciles… Tout ça fait que ça me paraît logique qu’on ait fini par tous plus ou moins s’embrouiller. Mais l’important, ce ne sont pas les embrouilles, mais d’avoir fait des choses au moment où on était bien ensemble. Un truc comme Olympe Mountain, ça ne pourra plus se faire aujourd’hui parce que certaines personnes ne peuvent plus se recroiser sous peine d’hôpital. Mais c’était vraiment bien que ça existe. Ça représente vraiment une époque, on s’éclatait bien, et je crois que ça se ressent dans le disque. C’est important ça ! Donc je ne regrette rien, il faut profiter des bonnes choses quand elles sont là. C’est comme en amour, les débuts sont toujours magiques puis après on se sépare, c’est fini et tant pis. Il ne faut pas regretter, on s’est amusés, on s’est éclatés.
« Beaucoup de personnes se bouffent à la fin d’un disque en indé. C’est normal, ça demande beaucoup d’énergie, il y a beaucoup de temps passé ensemble, des ego qui s’affirment. Du coup une tension se crée. »
A : On va se débarrasser tout de suite de la question qui pourrait fâcher alors : Dans les remerciements du Jeu du Pendu, tu omets de remercier Grems quand tu cites la clique d’Olympe Mountain.
S : [Il rit] Moi aussi je me suis aperçu que je l’avais oublié ! Mais quand je parlais d’Olympe Mountain, je ne pensais pas à Grems et moi. Effectivement, il y a eu un moment où on s’est pris la tête avec Grems, où ça a été un peu loin à mon goût. J’étais fâché, je ne l’ai pas dédicacé et je l’ai zappé. Lui a continué à faire son chemin.
Quand je suis revenu après Le Jeu du Pendu en me disant que j’allais reprendre la musique, je me suis dit : « quitte à revenir, je vais effacer les ardoises. Je ne vais pas me remettre copain comme cochon avec tout le monde, mais je vais balayer les rancœurs« . Après, les choses ne sont forcément plus comme quand on était tous là avec l’émulation dont je te parlais. Mais au moins, quand on se revoit, c’est détendu. Du coup, Grems m’a invité à quelques-uns de ses concerts. Je suis venu pour le voir en tant qu’auditeur et kiffeur parce que j’aime bien ce qu’il fait – pas tout parce qu’il fait tellement de trucs qu’on ne peut pas tout kiffer, mais il est vachement talentueux. Il m’avait aussi proposé de monter sur scène avec lui, mais ça je n’ai pas voulu car comme je te l’ai dit, je ne veux pas faire de scènes pour le moment. En tout cas, je n’ai pas de rancœur, ça me fait plaisir que les mecs marchent. Je sais aussi que ceux pour qui ça marche le mieux, ce n’est pas pour rien. Ils le doivent à leur travail personnel, à leur personnalité, il ne faut pas être aigri pour ça. Je suis content que ça marche, je suis content de les croiser, mais forcément, ça ne peut pas être comme avant. Grems par exemple, il est sur plein de projets, il travaille avec de « nouvelles » équipes, c’est normal qu’on ne reprenne pas comme en 40. Avec Soklak, on s’était aussi un peu pris la tête, mais désormais on se revoit comme des vieux potes. On ne fait pas de musique ensemble mais on se voit, on discute, on boit une rebié, on fume un oinj’, et c’est cool.
A : Donc rien d’irrémédiable !
S : Non. Il y a certaines personnes que je n’ai plus envie de voir mais sans leur vouer une haine. Parfois ça ne sert à rien d’insister. Mais tranquillou ! Il faut tirer les leçons du passé. Et puis en ce moment il se passe des choses tellement graves dans notre pays et dans le monde que toutes ces embrouilles, et même la musique elle-même, me semblent un peu dérisoires. L’important c’est ce qu’on a fait.
A : Tu dis que la musique est dérisoire. Pourtant, dans la tienne, tu as toujours projeté une certaine observation sociale, tu as souvent une opinion sur des faits qui rythment la société. La dernière fois que tu avais vu l’abcdrduson, tu nous avais dit : « le rap arrive pour rappeler aux gens certaines choses qu’ils oublient ».
S : Je ressens le besoin de parler de ces trucs-là, mais ça ne veut pas dire que ce que je fais n’est pas dérisoire. Ce n’est pas parce que je ressens le besoin d’en parler que je vais changer quelque chose. Pour moi, ce qui est important dans le rap, c’est que chacun exprime sa personnalité, quelle qu’elle soit. Que ce soit quelque chose de délirant ou de truculent comme peut le faire Grems, que ce soit poétique et sombre comme Arm, que ce soit ce que tu veux, ça a lieu d’être et ça a sa place. Mais je pense que le rap français reste dérisoire dans ses répercussions. Ceux qui m’écoutent et qui aiment ce que je fais n’ont pas eu besoin de moi pour se faire les mêmes réflexions. Je ne les ai pas amenés vers une nouvelle réflexion, je crois plutôt qu’ils se sont simplement reconnus dans mon discours. Ces gens ont d’ailleurs souvent une réflexion plus poussée que la mienne !
A : En parlant de tout ça, je suis tombé récemment sur une interview de Kery James où le journaliste lui demandait si c’était vrai qu’il recevait beaucoup de témoignages de jeunes qui avaient arrêter de fumer des joints après avoir écouté « Un Nuage de Fumée ». Kery James confirmait…
S : Des gens m’ont déjà dit que j’avais eu un impact sur eux, mais c’était plus de l’ordre de redonner l’envie d’écrire ou de se remettre à écouter du rap français, et ça reste très anecdotique. Entre Kery James et moi, il y a une énorme différence de notoriété, donc les répercussions ne sont pas les mêmes, c’est-à-dire que si Kery James fait caca, ça sentira dans toute la France alors que si moi je fais caca, ça n’ira pas plus loin que Robespierre [Station de métro à Montreuil près de laquelle Sept vit, NDLR], et encore ! [Rires]. Sinon, tout ce que j’ai à dire à propos de Kery James, c’est qu’il n’y a pas de couleur pour pleurer.
A : [Amusé] Ce n’était pas pour parler de lui spécialement !
S : [Rires] Je sais ! Mais je l’aime bien celle-là ! Y a pas de couleur pour aimer non plus [Rires] ! Mais on ne peut pas comparer Kery James et moi, l’impact ne peut pas être le même vu la différence de notoriété.
A : Récemment, un petit reportage à propos de LZO Records a été diffusé. Tu y as cette formule un peu défiante et amusante où tu dis « le rap c’était mieux maintenant », et tu enchaînes après en te disant qu’il y a des jeunes plein de talent et qu’il faut les soutenir, que les rappeurs plus anciens doivent prendre des risques.
S : Quand je dis « prenez des risques« , c’est un bien grand mot car il n’y a aucun risque à soutenir un jeune talent. Mais je dis ça parce que j’ai l’impression que le public français encense toujours les mêmes, c’est-à-dire des gros rappeurs qui défonçaient dans les années 90 mais qui pour certains ont sorti maximum 2 albums, voire aucun album du tout. Aujourd’hui, on continue de leur sucer la bite à des mecs qui se sont perdus en route ou qui ont fait deux bons disques il y a 15 ans ! C’est quoi ce délire ? Moi aussi j’aime bien comment rappe Ill, mais il y a peut-être d’autres personnes dont on peut parler de nos jours. Ill, c’était le milieu et la fin des années 90, ça fait un bout de temps qu’il n’a rien fait. Donc au lieu de dire, super Ill, Oxmo il tue, AKH il tue – même si AKH il tue encore de nos jours et c’est à noter qu’un mec reste aussi fort durant tout ce temps – il y a d’autres mecs qui arrivent. Moi j’aurais aimé être plus soutenu que je l’ai été, maintenant mon temps est écoulé, il y en a d’autres qui arrivent, je les soutiens ! A mon petit niveau mais je les soutiens. Il y a des mecs de 20 ans que j’adore, j’en citerais un seul : Veerus, même si l’autre [Vîrus, NDLR] est bon aussi. Même au niveau des prods, un mec comme Ikaz avec lequel Veerus a travaillé, je soutiens. Il y a plein de petits mecs de 20 ans qui font des trucs super donc je les soutiens autant que je peux. Au lieu de hurler avec la meute, on peut parfois faire abstraction de tout le politiquement correct et dire : « ce petit gars est bon, on va faire tourner« . C’est ce qui arrive à un mec comme Némir, même s’il est un peu plus vieux. Mon intérêt personnel est que la musique que j’aime soit de bonne qualité, donc plus il y aura d’artistes de qualité, plus je serai content. A chaque fois qu’on voit des trucs tout nuls, ça nous saoule parce que ça donne une mauvaise image de notre musique, donc là il y a une bonne petite génération, il faut en parler.
« J’ai l’impression que le public français encense toujours les mêmes, c’est-à-dire des gros rappeurs qui défonçaient dans les années 90. »
A : Tu as rappé avec beaucoup de monde, mais finalement toujours un peu avec le même cercle et jamais avec des MCs connus ou sur de gros projets. Y a-t-il des MCs avec lesquels tu aurais aimé rapper ?
C : Non. Il y a des artistes que j’adore mais je n’ai aucune envie de rapper avec eux, car pour moi rapper avec quelqu’un ça passe d’abord par une rencontre, par un lien qui va au-delà du consentement artistique. Par contre, il y a des personnes proches de moi avec lesquelles j’aurais aimé faire un peu plus de trucs. Abstract Keal Agram par exemple m’avait proposé un morceau avec Arm. Mais comme à l’époque je me barrais en couille et j’étais injoignable, le morceau s’est fait sans moi, et j’avoue que je le regrette un peu. Ça c’est un exemple. Mais sinon ne pas avoir fait de trucs avec des MCs que j’apprécie, ça ne me dérange pas. Par exemple, un mec comme Gérard Baste [Svinkels, NDLR], je le connais depuis le lycée. On n’a jamais fait de morceau ensemble ? Mais ce n’est pas grave ! A un moment ça a failli se faire, puis ça ne s’est pas fait, c’est la vie. Parfois des choses se font, d’autres ne se font pas, il faut l’accepter. Et en général, à chaque fois qu’il y a eu une vraie rencontre musicale, ça s’est fait. Avec Baste, la rencontre était plus humaine, on ne rappait même pas encore quand on s’est rencontrés, on était dans le graffiti. On n’a pas fréquenté les mêmes milieux également. Mais c’est pas grave, je sais qu’il me soutient, j’aime beaucoup ce qu’il fait, et voilà quoi ! Je ne cherche pas le featuring, je marche aux rencontres. Olympe Mountain, c’est avant tout des gens avec qui j’ai tapé des barres. L’album est l’aboutissement de soirées à Bordeaux à rapper, boire, faire des tags, fumer des joints et aller à la plage !
Cela-dit, je ne me ferme pas complètement, donc je vais faire des morceaux avec des gens que je ne connais pas très bien personnellement, notamment un avec Mr Ogz qui est déjà fait. On ne se connaissait pas très bien, mais j’aime beaucoup ce qu’il fait et lui me soutient depuis longtemps maintenant. Alors je suis allé à sa rencontre, c’est-à-dire qu’il ne m’a pas proposé d’enregistrer un couplet pour son disque depuis Paris, dans mon coin. Non, on s’est vraiment rencontrés, il m’a carrément défrayé pour que je monte dans le Nord le rencontrer, enregistrer le morceau avec lui et participer au tournage du clip. J’ai passé un week-end avec eux et c’est exactement la façon que j’aime de travailler, ça fait toute la différence. Il y a aussi deux autres morceaux avec des gens que je ne connais pas personnellement mais dont j’aime le travail. Je ne veux pas non plus rester sur des principes à la con qui m’empêcheraient de faire des bons morceaux et de rencontrer des gens biens. J’essaie. Mais à la base c’est vrai que je laisse plutôt faire les rencontres. Désormais, je tente le coup quand je le sens en fait, car ça ne sert à rien d’être rigide.
A : Peut-on savoir qui sont les MCs concernés par ces deux autres morceaux ?
S : On peut savoir mais les morceaux ne sont pas encore dans la boîte. Comme je ne veux pas jouer le mec superstitieux… Il y a le groupe LowSchool Monkeyz qui est un groupe de Nantes et qui m’a proposé de faire un truc. J’aime ce qu’ils font, je me sens proche, donc j’ai dit oui. Et il y a également Lucio Bukowski et Nestor Kéa qui m’ont proposé de faire un truc avec eux et Arm. J’aime beaucoup la veine, leur écriture, j’ai l’impression que l’esprit est le bon, donc j’ai envie de le faire.
A : Je sais que tu as un moment participé à des ateliers d’écriture avec de jeunes enfants. Peux-tu en parler un petit peu ?
S : C’était avec une association basée dans le XXème arrondissement, là où aujourd’hui il y a le café Mama Shelter de Starck [Il le dit avec dédain, NDLR]. Avant ce café, il y avait un squat. Et le but de l’association était simplement d’offrir des activités aux enfants du quartier qui traînaient dans la rue, parce que dans le XXème, il y avait pas mal d’enfants qui après l’école traînaient par grappe dans les rues. Je parle vraiment d’enfants, pas d’adolescents. J’ai déjà croisé des enfants de moins de 13 ans en train de transporter un scooter par exemple, avec encore son cadenas, donc en train de le voler, et personne ne semblait les remarquer. L’association proposait différentes activités, dont des cours d’écriture. A ce moment-là j’ai travaillé avec eux, autour de l’écriture et du rap.
La vision des grands frères de ces enfants, c’est que j’étais un zulu, donc un bouffon en fait [Rires], mais ce n’est pas grave, je replace juste comment était perçue la démarche par les grands frères. Les enfants eux me prenaient pas pour un zulu, ils ne savaient pas ce que c’était, ils trouvaient ça juste rigolo. Il y avait notamment un enfant de huit ans qui ne faisait que des impros sexuelles, il racontait avoir touché les seins de la dame par exemple, c’était étonnant et parfois rigolo. Certains avaient un talent pour l’écriture, d’autres voyaient ça d’un aspect ludique comme ce petit qui faisait des impros un petit peu olé-olé. Ce que je trouve, c’est que toutes les activités que tu fais faire à des enfants, que ce soit du tam-tam, de l’écriture ou de la planche à voile, ça leur apporte quelque chose. Ils ont besoin d’être actifs, de côtoyer des adultes et de s’exprimer. Et même s’ils ne deviennent pas rappeurs, s’il y en a un qui un jour s’y met et qu’il obtient sa petite minute de gloire sur scène, si ça peut lui apporter quelque chose, lui donner un peu plus d’estime de lui-même ou lui faire dire que tout ce qu’il fait ce n’est pas de la merde… Je ne sais pas, c’est toujours bien de donner quelque chose aux enfants !
A : Dans le livret du Jeu du Pendu, tu dédicaces des mômes. Il y a également la clôture de l’album, où un enfant balance des dédicaces.
S : Ce ne sont pas ceux de cet atelier, car je ne les connaissais pas assez. Mais les enfants c’est l’avenir et j’avais envie de dédicacer des enfants que je connais, ce sont souvent ceux de proches. Déjà, ça allait leur faire plaisir que je les dédicace et puis les gosses c’est l’avenir ! C’est pour ça qu’on a fini le disque avec le fils de Lartizan qui dédicace tous ces autres enfants. Le Jeu du Pendu se termine tout de même d’une façon assez glauque puisque sur le dernier morceau je me fais tuer. Alors je voulais qu’il y ait une petite touche d’espoir pour relativiser. J’aime bien relativiser ! Par exemple, sur le disque, tu as un morceau sur l’amour raté [« L’Âme Soeur », NDLR], mais juste après, tu as un morceau sur la masturbation [« Le Sexe en K7 », NDLR].
A : A travers certaines de tes phases, par exemple les premiers mots que tu prononces sur Amnésie [« Entre dans le temple des méditations morbides, contemple l’autopsie d’un suicide, trente explications d’exemples sordides… », NDLR], mais également le personnage d’Hadès [Sur le projet Olympe Mountain ainsi que sur d’autres morceaux ayant suivi, NDLR] qui n’est pas un symbole anodin, tu arrives parfois avec des morceaux très sombres, voire morbides. D’où te vient cet aspect de tes textes ?
S : Le côté mythologie grecque ou le côté morbide ?
A : Les deux. Hadès c’est tout de même le dieu des Enfers. Quelque part, est-ce que ce n’est pas proche ?
S : Le côté mythologie grecque, je le tiens de mon enfance. En primaire, mon père m’avait offert un dictionnaire de la mythologie grecque et ça m’avait bien passionné. Quand j’ai eu l’idée de faire le projet Olympe Mountain, c’est qu’à la base, moi et Rodd on a des voix graves et je m’étais dit que ce serait marrant d’utiliser ses voix graves pour en faire les voix qu’on peut imaginer quand on pense aux Dieux grecs. Ça a tellement pris qu’ils se sont tous greffés au projet. Et le choix d’Hadès, c’est juste parce que ça me paraissait plus facile, ça collait avec ce côté sombre qu’il peut y avoir dans mes textes. Mais c’est comme la façon dont Grems a choisi Dionysos ! Quand il a voulu se greffer au projet, il m’a demandé : « Y a un Dieu de la foncedé ?« . J’ai dit oui, il y a Dionysos. « Eh ben c’est parti !« . Donc tu vois, on a tous pris quelqu’un qui nous ressemblait un peu, on n’a pas été faire des recherches pour choisir, surtout que dans le lot, j’étais le seul vraiment intéressé par la mythologie.
« L’image du corbeau dénonciateur, elle pourrait coller quelque part. Il y a des crimes qui sont perpétrés par la société et moi je suis un corbeau qui à travers ses textes envoie des lettres, quasi anonymes vu ma notoriété, pour les dénoncer. »
Pour parler du côté morbide, oui il y a un côté sombre en moi. Mais il y a aussi un côté ludique et débile. J’essaie d’exploiter toutes les facettes de ma personnalité en fait. Donc même si on retrouve des morceaux sombres, tu as aussi un morceau comme « Dialectes » par exemple, où c’est du yaourt. T’as aussi un morceau sur la masturbation où c’est tourné en dérision. Et dernier truc qui me plaît bien, c’est l’énergie, car en fait, il y a plusieurs façons d’être sombre. Il y a la façon « Versant Nord » [Morceau sur la compilation Soul’Sodium, NDLR] et il y a la façon « Diogène ». « Diogène » c’est sombre parce que ça parle d’un mec qui se barre en couilles. « Versant Nord » c’est sombre à cause de l’ambiance et des images, mais le morceau ne parle de rien, ne dénonce rien, il est simplement dans une atmosphère. Ce que j’aime là-dedans, c’est le côté un peu rock, un peu punk, le côté « Aaaaarrrrrrr » [Il imite un hurlement type métal, NDLR], l’énergie pure ! C’est un petit univers qu’on se crée pour instaurer un délire, une ambiance, pour fantasmer. [Avec une grosse voix] Hadès, seigneur des enfers, beuuuuaaar ! Quelque part, dans l’esprit, c’est proche du hard-rock.
A : Tu écoutes du Hard-Rock ?
S : Un petit peu, mais je m’y suis mis tard.
A : Tu écoutes quoi ?
S : Black Sabbath, Metallica, des trucs connus ! Récemment des potes m’ont fait découvrir un truc qui s’appelle Mastodon. Je ne sais même pas si c’est du hard-rock ou autre chose, je ne connais pas bien les termes, les courants, mais c’est des grosses guitares et des mecs qui hurlent à la mort. En fait, même quand je n’en écoutais pas, j’ai toujours bien aimé. Au collège, le délire cheveux longs et jeans serrés… [Il repousse un hurlement et rit] Les mecs qui hurlent ça me fascine. Déjà je trouve ça rigolo et puis des fois, ça fait du bien de gueuler bêtement !
A : Toujours pour parler de ce côté un peu sombre, mais là en partant d’un morceau lumineux qui est « 70’s Team » avec Soklak, pendant que lui reprends son credo du chat, toi tu te qualifies de « corbak ». C’est un prétexte pour creuser ce côté sombre, mais pas seulement, car ça m’a interpellé. Le terme « corbeau » n’est pas anodin, il est même vite connoté, et négativement ! Quelque part, les « corbeaux » c’est plutôt quelque chose que tu aurais tendance à moucher dans tes textes, non ?
S : En même temps, l’image du corbeau dénonciateur, elle pourrait coller quelque part. Il y a des crimes qui sont perpétrés par la société et moi je suis un corbeau qui à travers ses textes envoie des lettres, quasi anonymes vue ma notoriété [Rires], pour les dénoncer. Dans ce texte, je ne sais pas si tu as remarqué, j’ai mis le « gaulois » quand sur le refrain on dit « C’est Sept et Soklak, le gaulois et le polak« . Je suis d’origine espagnole et française, mais je n’ai pas voulu mettre l’espingouin car j’en ai un peu marre que tout le monde veuille mettre en avant ses origines étrangères. Il n’y a pas de raisons d’avoir honte d’être français. Le côté à la AKH à toujours dire métèque, à toujours rappeler qu’on n’est pas vraiment blanc, qu’on a quelque chose d’un immigré, je trouve ça un peu débile donc j’ai préféré revendiquer le côté gaulois. C’est juste un contre-pied en fait et puis c’était aussi pour coller au délire du refrain de Soklak. Et à côté j’aime bien les corbeaux, ils sont marrants, j’aime bien quand je les vois au Bois de Vincennes. Après là-bas, ce sont plus des corneilles, mais j’aime bien cet animal, le côté sombre et noir. Mais ce n’est pas très réfléchi, lui a toujours eu le chat, moi il me fallait un animal, j’ai pris ça plutôt que l’ornithorynque [Rires]. J’aurais peut-être dû prendre l’ornithorynque en fait, et là on m’aurait invité dans les soirées où… [Rires] « On ne te voit plus dans les soirées !« . L’ornithorynque transformiste ! [Rires] Bref, c’était pour coller au délire de Soklak, contrairement à lui avec le chat je n’ai pas vraiment d’animal fétiche.
A : Permets-moi d’insister sur « Diogène » et son clip. Tu te mets dans la peau d’un clodo, il y a ce clip assez ambigu, qui dit plein de choses, qui interpelle, avec le côté forcément un peu choquant où tu te mets vraiment dans le rôle de quelqu’un dans la déchéance avec, au milieu, des insertions d’images de clochards dans le métro.
S : Déjà, ce ne sont pas des clodos, ce sont des SDF. Il me semble qu’à une époque, ceux qu’on disait clodos, c’était parfois des gens marginaux, qui avaient choisi une vie parallèle et qui en payaient le prix. Aujourd’hui, de plus en plus de gens sont dans la rue malgré eux, non plus par marginalité mais à cause d’accidents de la vie, et c’est pour ça que je trouve le terme SDF plus approprié que celui de clodo, même si dans les images qu’on a tourné, il y en a sûrement certains qui ont plus le profil du clodo que du SDF. Les images dont tu parles, on les a en fait tournées bien avant de faire le morceau, elles n’ont pas été tournées pour le clip. On les avait tournées parce que ça faisait super longtemps que je me disais que si je faisais un seul clip, ce serait celui qui montrerait des évidences. Et pour moi qui vit dans la capitale, le truc le plus évident ici c’est ce problème des SDF. Le plus choquant ici, c’est ça. Je suis content d’avoir parlé de ça. Après j’ai eu des reproches, pas vraiment venant des réseaux du rap, mais plutôt en essayant d’étendre la promo au-delà justement. Dans les gens qui n’y connaissent rien et qui sont tombés dessus, j’ai eu des retours du genre « tu utilises les SDF pour faire ton buzz » et tout ça… Bon, je crois que c’est assez clair que je n’utilise pas les SDF pour faire mon buzz, j’avais envie de parler de ce sujet. Par contre c’est vrai qu’on a montré des personnes sans cacher leur visage ni leur demander leur avis, donc là il y a peut-être quelque chose à redire, je ne sais pas… Ce n’est pas évident, et en même temps, ce côté à toujours cacher les visages… Dans les reportages maintenant, on ne voit plus les visages de personne et je trouve que ça déshumanise vachement, que la portée n’est plus la même. En tout cas, quitte à ce qu’on m’accuse de faire mon beurre sur le dos des SDF, moi ça me paraissait important d’en parler.
A : Est-ce que tu fumes encore ? Je t’avais lu dire que tu fumais pas mal et que tu ne le conseillerais à personne…
S : Parce que c’est une drogue ! Je me vois mal conseiller une drogue à quelqu’un ! Je trouve ça nul d’orienter quelqu’un vers une drogue alors qu’il vit très bien sans. Moi je l’utilise comme beaucoup de personnes, c’est-à-dire comme un médicament, une sorte d’antidépresseur, quelque chose qui te tempère, te calme. Mais le shit, il faut savoir que ça rend fainéant, que ça te baise la mémoire et les neurones. Je continue à fumer, je n’ai pas envie d’arrêter, mais je ne conseillerais à personne de commencer, parce que les gars, vous avez besoin de votre mémoire, vous avez besoin de vous bouger le cul, de faire votre vie, et que ce n’est pas le shit qui va vous y aider. Après il y a plusieurs façon de consommer le shit. Tu peux en fumer tous les jours, tout le temps comme font beaucoup de gens et comme je fais moi-même – sauf quand je taffe ! –, et tu peux le consommer juste de temps en temps, en soirée entre amis, ce qui n’a quand même rien à voir. C’est comme l’alcool, ce n’est pas grave, c’est même bien… Du moment qu’on ne devient pas alcoolo ! Une fois que t’es alcoolo, c’est la pire des choses. Alors fumer tous les jours, surtout quand tu es jeune et que tu prépares ton avenir, ce n’est pas une bonne idée. Je suis mal placé pour jeter la pierre à ceux qui le font, mais une chose est sûre : ce n’est pas moi qui fera fumer son premier joint à qui que ce soit.
« Je ne crache pas sur la musique de merde, elle fait même parfois du bien. Ce qui m’ennuie par contre, c’est que la merde prenne toute la place et empêche le reste d’émerger. »
A : Tes textes dégagent beaucoup de réflexion tout en donnant l’impression de ne pas être dans le compromis, d’être un peu têtu peut-être ? Avec 20 ans de recul sur le rap, sur la vie, estimes-tu t’être assoupli ou au contraire être renforcé dans des certitudes ?
S : Je reste dans le non-compromis mais c’est malgré moi en fait, je suis comme ça. Par contre, je relativise plus qu’à une époque. Comme je te le disais en début d’interview, quand tu vois que le monde se barre en couilles, que tout s’écroule autour, tu regardes moins le rap français à la loupe. Les derniers morceaux que j’ai faits, j’ai essayé de parler le moins possible du rap. Il y en a un seul où j’en parle, c’est celui avec Mr Ogz, où d’ailleurs je rentre bien dans le lard, car tant qu’à faire autant y aller à fond. Mais le problème, c’est que le compromis, ce serait quoi ? Ce que m’avait dit Baste à l’époque de la sortie d’Amnésie : » ton album est vachement bien, il y a juste un truc… Il n’est pas assez pute ! Il faut être plus pute ! » [Rires] C’est bien du Baste, mais il n’a pas tort ! Le problème, c’est que je ne sais pas me vendre, je n’y arrive pas. Pareil, aller voir tout le monde, me faire un réseau, copiner à droite et à gauche, ce n’est pas moi, je n’y arrive pas ! Ce n’est même pas par désir de faire ou ne pas faire de compromis, c’est juste que je n’y arrive pas. Je suis obligé de rester moi-même.
Par contre, là où je suis plus près à la compromission que d’autres, dont certains qui m’écoutent, c’est que je trouve que même Céline Dion a une raison d’être. Moi je ne crache pas sur la merde, elle fait même parfois du bien. Ce qui m’ennuie par contre, c’est que la merde prenne toute la place et empêche le reste d’émerger. Par exemple quand Sexion d’Assaut font des morceaux [Il chantonne le titre « Désolé », NDLR], c’est de la variété qui ne me plaît pas, mais ça a une raison d’être, ça fait kiffer plein de gens. Je ne suis pas un dictateur, je ne vais pas leur dire : « vous avez tort de kiffer ça ! C’est de la merde ». Il n’y a aucune raison, ça les fait kiffer ! Et d’un côté même, dans une musique qui a été en partie récupérée par des gens qui ont eu une cuillère en argent dans la bouche, ça me fait plaisir que des mecs qui viennent du bas fasse de l’oseille ! A l’époque où Secteur Ä est rentré dans le business, je préférais que ce soit eux qui fassent de l’oseille avec le rap plutôt que Pascal Nègre ! Eux au moins ont la légitimité. Donc là où je mets de l’eau dans mon vin, c’est que tout a une raison d’être. Même Alizée a une raison d’être si elle fait kiffer les gens. Mon problème, c’est que pour des besoins mercantiles, on écrase le reste. Mon problème, c’est que l’image qu’on projette des jeunes de cité, c’est toujours la même alors qu’il y a de tout dans les cités, même des véliplanchistes ! Mais on ne voit toujours que le stéréotype. C’est ça qui me fait chier ! D’ailleurs, des fois sur Facebook, je poste des morceaux et je me fais presque insulter. Mais si j’aime un morceau de Kylie Minogue, je m’en fous moi, j’assume ! Par contre, la musique que je fais et la façon dont je la fais, je ne peux pas faire autrement que faire quelque chose qui me ressemble et agir à ma façon.
A : Pour finir, « Le Sexe en K7 », t’aimes vraiment ça ?
S : Dans l’album de BoolChampion je dis « élevé aux films érotiques de la 6« . J’ai vraiment été élevé au film érotique de la 6, c’est-à-dire au film où pour cracher, tu attends le moment le plus excitant, mais comme il n’arrive jamais ! C’est vraiment de la merde. Le premier porno que j’ai vu, j’ai dû le voir vers les 17 piges. Effectivement, comme je suis pas mal accroc au sexe – comme tous ceux qui ont commencé doucement et ont envie de se rattraper – j’aime bien regarder du porno. Maintenant, ce que représente l’industrie du porno, je ne vais pas le défendre, mais c’est quelque part pour arrêter l’hypocrisie. Et puis c’est aussi pour faire un peu d’auto-dérision. On peut être assez contradictoire. Je suis pour l’égalité des sexes, dans mes relations avec les femmes, ça a toujours été équitable, dans le couple il n’y en avait pas un qui avait plus de poids de l’autre. Donc voilà, ce n’est pas pour le côté misogyne ni pour encenser l’industrie du porno, c’est plus pour marquer le côté obsédé du cul. Après les fantasmes, c’est autre chose, qui appartient à d’autres sphères de la psychologie de chacun, plus obscures. Mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’il faut rigoler un peu.
Pas de commentaire