Krisy, à bulles réelles
Interview

Krisy, à bulles réelles

Après cinq années de réflexion et de conception, le rappeur belge Krisy sort aujourd’hui Euphoria, son premier album accompagné d’une bande dessinée. Retour avec lui sur une oeuvre aussi personnelle qu’ambitieuse.

Photographies : Brice Bossavie pour l’Abcdr du Son

Cinq ans. C’est le temps qu’il aura fallu à Krisy pour venir au bout de son idée. Une éternité dans le monde du rap francophone, totalement assumée par son auteur pour une bonne raison : Euphoria devait se donner les moyens de ses ambitions. Véritable film auditif accompagné d’une bande dessinée, le premier album de Krisy devait autant que possible retranscrire – en musique et en images – plusieurs années de gamberge au sein d’un milieu (le monde de la musique) mais aussi de réflexion sur des sujets plus intimes (l’amour et la famille) pour laisser une trace du début de carrière d’un rappeur qui, contrairement à la logique créative et industrielle actuelle, a décidé de prendre son temps pour créer.  De quoi prendre une heure entière pour discuter avec l’intéressé de son album, ses erreurs du passé, son amour de la BD, sa méfiance vis à vis de la machine inarrêtable de l’industrie musicale et, surtout, de sa passion pour Julio Iglesias et Marc Lavoine.


A : Si je ne me trompe pas, Euphoria a pris environ 5 ans à être réalisé. C’est ça ?

K : Non, c’est un peu plus long que ça. Je vais retirer les deux années de la période Covid, parce qu’il était déjà terminé en 2020 en fait. Pour être précis, j’ai commencé vers la fin de l’année 2014 ou le début de 2015. J’ai même retrouvé une vidéo sur Facebook où j’avais de toutes petites locks, et je disais : « J’espère vendre 500 albums avec Euphoria ». [sourire] Donc ça remonte à 2015.

A : J’ai lu que tu as retravaillé l’album plusieurs fois, que tu es revenu sur certains points.

K : Oui, je l’ai retravaillé au moins 4 ou 5 fois je pense. Parce que je voulais m’assurer que les mots que j’utilisais et les propos que je tenais étaient justes. Je les faisais écouter à quelques personnes ici et là, pas à un grand nombre, juste pour voir comment ils ressentaient le tout. Parce qu’il y a quand même une relation homme-femme au cœur de l’histoire de l’album, donc je voulais m’assurer être dans le juste dans ce que j’écrivais.

A : Tu parles de l’histoire de l’album. Est-ce qu’elle était déjà définie quand tu as commencé à travailler sur le disque et la BD en 2015 ?

K : Oui, dès le début, j’avais cette histoire en tête. Elle n’a pas changé, c’est toujours la même. Et c’était important pour moi de raconter cette histoire qui, en gros, englobe ma vie de 2014 à environ 2020.

A : Je vais poser cette question de manière faussement naïve, mais est-ce que c’est un récit autobiographique ?

K : Oui et non. J’ai quand même exagéré certains aspects. Je n’ai jamais eu, par exemple, mon meilleur ami qui couche avec ma go, ça ne m’est jamais arrivé. Mais il fallait que je trouve un moyen de faire comprendre la trahison et d’autres choses. Et aussi le fait que lorsque tu prends quelqu’un pour acquis, tu ne peux pas vraiment lui en vouloir de partir, d’aller voir ailleurs, en quelque sorte. Parce que tu dois entretenir la relation. Donc, il fallait que ça soit clair, et je me suis dit que si je faisais en sorte que la personne avec qui je traîne au quotidien me trahit avec celle que j’aime, je pense que certaines personnes vont immédiatement se dire : « Je me reconnais dans cette situation » ou « je comprends ce qu’il se passe ». En fait e voulais que ce soit simple à comprendre pour les gens, je ne voulais pas me lancer dans quelque chose de compliqué où il faudrait décrypter les choses, c’était direct, tu vois. Comme je l’ai dit, je pense que j’ai écrit ce projet en pensant aux enfants.

A : Dans quel sens ?

K : Dans le sens où je pense que c’est un projet avec lequel j’aurais aimé grandir en entrant dans le monde de la musique. Mais l’histoire que je raconte est valable pour plein d’autres personnes : ça peut aussi parler à quelqu’un qui aspire à devenir peintre, mais son entourage l’encourage à devenir écrivain. Au final, il se retrouve à écrire, mais ce n’est pas sa véritable passion. Et il s’engage dans une aventure compliquée avant de revenir à l’essentiel, qui est : « Je veux devenir peintre ». Et je pense que ça peut aussi parler à des personnes plus âgées, établies, qui pourront se dire : « Peut-être qu’il y a des choses que je voulais faire dans ma vie, que je n’ai jamais osées entreprendre. Tu sais quoi, je vais les réaliser ». Mais pour en revenir aux jeune, quelqu’un de 12-13 ans qui se dit « Moi, je veux devenir rappeur », il ne sait pas forcément ce que cela implique. Tout ce qu’il voit aujourd’hui, ce sont les réseaux sociaux, avec des marques qui lui offrent des vêtements et des filles qui scandent ton nom. En surface, tout semble fantastique, mais on n’aborde jamais la question de ce que les artistes ressentent à l’intérieur, chez eux, avec leur famille, et ainsi de suite. Je trouve que c’est un aspect que l’on néglige un peu.

« Euphoria est vraiment une réflexion sur le temps qu’il faut pour se comprendre et pour savoir ce que l’on veut dans la vie.  »

K : En écoutant l’album et en lisant la BD, on a l’impression que tu n’as pas bien vécu le fait d’être soudainement exposé, notamment quand beaucoup de gens t’ont découvert dans ton passage dans Colors. Tu es devenu un peu comme le personnage d’Euphoria, quand il commence à jouer la star ?

K : J’ai failli m’engager dans cette voie. Mais très rapidement, grâce à mes expériences avec différents artistes, certains devenus très célèbres et d’autres moins, j’ai compris qu’il fallait que je me dise : « Doucement ». C’est bien que les gens t’écoutent et que toutes les maisons de disques te disent « tu es le prochain Stromae, le prochain truc » mais je me suis aussi dit « Personne ne demande comment je vais, si j’ai envie de tout ça ». Moi, ce qui m’importait à la base, c’était d’aider ma mère. C’était purement ça. Je faisais de la musique, et en parallèle je suis devenu ingénieur du son en me disant que c’était peut-être le seul moyen de gagner de l’argent tout en restant dans ce milieu, pour reprendre son crédit pour qu’elle puisse vivre sa vie tranquillement.

A : Il y a eu des moments où toi aussi tu as pu être emporté un peu par le succès ?

K : Pas vraiment, franchement. Il y a eu un moment où je me suis dit : « Ah ouais, là je suis en place ». Mais je crois que ça a duré une semaine. Parce que très vite, ma grand-mère m’appelait et me disait : « Va sortir les poubelles ». Voilà, parfait, direct ça me remettait les pieds sur terre. Il y avait aussi ses copines qui venaient à la maison et qui me demandaient d’aller chercher des bières pour elles. Et là, ça te rappelle que c’est ça la vie. Ce n’est pas quand tu sors dehors et que tout le monde est là à te dire : « Ah, tu veux quoi ? Tu veux ci ? Ça ? Dis moi ». Non.

A : On parlait de la BD. Comment s’est passée la collaboration avec Hoobooh qui l’a dessinée ? La BD a également influencé la musique, ou tu avais déjà tout ton scénario en tête ?

K : En fait, j’avais déjà toute l’histoire, le scénario, les paroles, etc, mais je n’avais pas tout écrit pour la BD, car c’est un travail distinct. J’ai commencé par lui donner l’ensemble du tableau, « Voilà, voici l’histoire, l’ambiance, etc », et lui, en dessinant, créait des planches où il insérait parfois des dialogues et me demandait : « Est-ce que c’est conforme ? » Parfois il me proposait des nouvelles idées et je me disais que je n’avais pas vu les choses comme ça, donc il y a des éléments que j’ai modifiés pour qu’ils correspondent davantage à la BD. Mais au niveau du scénario, on va dire que c’était un travail à 70% moi, 30% lui. En ce qui concerne le dessin, je l’ai par contre laissé faire on était sur du 10% moi, 90% lui. Je voulais vraiment qu’il ait sa propre signature, parce que pour moi, la BD c’était son projet. Et surtout ça pourrait peut-être l’aider à trouver une place dans l’édition ou quelque chose du genre. Parce que il faut savoir que quand il a commencé, il était encore à l’école.

A : Comment vous vous êtes rencontrés d’ailleurs ?

K : Il avait fait une illustration sur Instagram qu’il m’avait envoyée et j’ai trop kiffé. Je lui ai parlé directement du projet, et il m’a dit « viens on y va ». Sauf qu’il a vite compris que ça allait lui prendre du temps, donc il a limite mis un peu son école entre parenthèses pour faire ce projet-là. Et quand j’ai vu ça je me suis dit : « Je me dois de vraiment terminer cet album parce qu’il n’y a pas que moi qui est en jeu ».

A : Pourquoi est-ce que tu as eu envie de faire une bande dessinée d’ailleurs ?

K : Parce que je suis Belge [rires]. Non, plus sérieusement, parce que j’ai grandi avec ça, Boule et Bill, les Schtroumpfs, etc. Donc j’ai d’abord cherché sur Internet pour voir si un album avec une BD qu’on peut lire et écouter en même temps avait déjà été fait et je n’ai pas vraiment trouvé. Donc, l’idée est venue de là. Mais c’est vrai que la bande dessinée fait partie intégrante de ma culture.

A : Les BD belges aussi ?

K : Surtout les BD belges. Pour moi ce sont les meilleures. Que ce soit Ducobu, Les Schtroumpfs, Lucky Luke, ou même Boule et Bill, Benoit Brisefer, c’était incroyable… Donc oui, les BD belges sont vraiment importantes. Et pas seulement en français, mais aussi en néerlandais. Parce qu’il faut savoir que j’ai grandi dans un environnement néerlandophone. J’ai rejoint le milieu francophone très tard, en 2010 environ. Avant ça, je n’étais pas vraiment impliqué dans le rap français. C’était mon petit frère qui m’apportait des morceaux français. C’est lui qui m’a fait découvrir des artistes comme les Sages Po’, et qui me disait : « Ah, Kery James, avant il était dans un groupe qui s’appelait Ideal J », tout ça. Moi, je ne connaissais pas vraiment, j’étais plutôt du côté flamand. Et les Flamands n’écoutent pas de rap français. C’était du rock et du rap hollandais.

A : Il y a un invité surprenant sur ton album, Marc Lavoine. Tu as réussi à l’avoir  grâce à ton agence de management [#NP, agence de Pascal Nègre, ndlr] qui est la même que lui, non ?

K : Oui, comme on a le même management, c’était assez simple. On lui a d’abord fait écouter la chanson « Erotiquement Votre », et il a aimé, donc il était ok pour participer. J’avais déjà la chanson prête, et il m’a appelé en disant : « Envoie-moi la chanson ». Je lui ai envoyé, il était en vacances, et il a travaillé dessus pendant quelques semaines. Je crois que j’ai encore des vidéos où il me montrait qu’il était dans sa salle de bain en train de réciter les paroles avant de venir en studio. Il était vraiment investi, il m’appelait tout le temps pour me demander ce que j’en pensais. Au départ, j’avais même enlevé la rythmique pour ne pas le distraire, je l’ai fait enregistrer sur la mélodie. Mais quand il est arrivé avec sa version, je me suis dit que c’était son truc, son interprétation. J’aurais pu lui dire de l’essayer différemment, mais c’est Marc Lavoine, il maîtrise son art. S’il vous plait !

A : C’est lui qui a eu l’idée de l’enchaînement des mots pour décrire Lucy, ton crush dans l’histoire, tu ne l’as pas dirigé ?

K : Il connaissait à peu près l’ambiance et le thème du morceau, mais je l’ai totalement laissé faire. Au final, il est venu jouer le rôle de la voix dans ma tête qui imagine comment est une fille quand je la vois pour la première fois en soirée : « Peut-être qu’elle est comme ci, peut-être qu’elle est comme ça, c’est peut être une voyageuse, une rêveuse… » Et il est venu enregistrer chez moi à Bruxelles, dans mon petit studio qu’on voit sur la pochette où j’avais enregistré Batterie Faible. J’étais un peu stressé parce que je n’avais pas un studio de qualité…

A : Tu avais encore un manche à balais en guise de pied de micro, comme au début de l’album ?

K : [Rires] Cette fois, j’avais déjà un micro un peu stable. Mais on était vraiment dans ma chambre, j’avais juste mon ordinateur, ma carte son, mon micro, et j’avais essayé de faire un peu de place pour lui à côté de moi avec une chaise un peu bancale. Mais dès qu’il est entré, j’ai compris que tout se passerait bien. C’est vraiment quelqu’un de formidable. Vraiment, je n’ai rien à redire.

A : Il y a deux doubles pages dans la BD qui m’ont marqué, c’est les pages 40 à 43. Je voulais que tu les commentes un peu, parce que je n’avais pas tout de suite compris, mais en revoyant les pages, j’ai saisi qu’elles montraient les deux facettes du succès :  l’aspect positif mais aussi négatif.

K : Sur les deux premières pages, qui représentent l’aspect positif, tu vois qu’il y a un peu d’argent qui rentre, donc ton ego commence à croire que tout est possible, etc. Mais sur les deux autres, qui parlent du négatif, on voulait exprimer ce moment où tu te retrouves dans le  showbiz, tu te déconnectes de la réalité, et tu commences à te dire : « Qu’est-ce que je fais ici ? ». Les gens viennent uniquement te parler du personnage que tu représentes, Krisy, ta musique, ton truc. Sauf que, encore une fois, personne ne te demande comment tu vas. C’est plus cet aspect-là qu’on a essayé de mettre en avant : la différence entre le succès et la réussite. Le succès, c’est se faire voir et faire croire des choses aux gens. On te voit partout, à faire des interviews, etc. Mais cela ne signifie pas nécessairement que tu réussis. En revanche, avec la réussite, peut-être que les gens ne te voient pas, mais tout se passe bien pour toi. Aujourd’hui, j’ai vraiment l’impression que si les gens ne te voient pas, ça signifie que tu ne réussis pas. Alors que même quand on se fait voir, on peut être triste. Donc, est-ce que je suis considéré comme quelqu’un de successful dans ce passage ? Complètement. Mais est-ce que j’ai réussi ? Non. On me ramène des bouteilles, des filles viennent à ma table, etc. Mais sur l’autre double page, tu vois aussi qu’à un moment donné, Lucy, ma copine, essaie de m’envoyer un message. Et je ne réponds pas parce que je suis à table avec des bouteilles, complètement absorbé par mon propre truc. J’avais aussi envie de montrer le contrecoup du succès.

A : Ce qui est intéressant aussi, c’est que tu montres tes défauts dans cet album, notamment dans la période du début du succès. Tu ne parles pas très bien à ta famille, tu ne donnes pas une image idéale dans cet album.

K : Exactement, parce qu’il y avait trop cette image de Krisy le gendre parfait, due à ma musique. Et je peux le comprendre parce que je l’ai aussi un peu cherché : au début j’ai toujours voulu être dans une case au contraire des autres. Parce que quand tu es dans une case, c’est plus facile pour te faire identifier. Donc aujourd’hui, quand je vois les médias rap demander le 14 février « Quel son vous allez écouter ? »…  je suis là. [rires] Donc avec cet album, je me suis dit : « Vous êtes en train de trop attendre quelque chose de précis de moi. Vous savez quoi : tenez, j’ai v’la les défauts. » C’est pour ça que j’ai beaucoup aimé le dernier album de Kendrick, il va aussi un peu dans cette direction.

A : Est-ce que Euphoria, surtout au début, est un album qui parle de masculinité ? Il y a beaucoup de réflexions à ce sujet, je trouve, dans les discussions avec ton manager qui critique tes gouts musicaux pas assez masculins, Mehdi qui te dit : « La preuve qu’on peut être un homme et être fragile », ou quand ça critique ton chihuahua.

K : Oui, parce que le rap c’est un milieu très toxique. Quand je pense aux rappeuses on les critique super vite, on les compare direct entre elles. Et même pour les gars, ils ont toujours les mêmes sujets qui tournent en boucle et des codes qui se ressemblent énormément. Mais c’est surtout le cas en francophonie, aux États-Unis, c’est moins comme ça j’ai l’impression. Tu as des artistes comme Tyler, tous ces gens d’Internet, qui se montrent tels qu’ils sont, ils n’ont pas honte. Mais des remarques comme ça, ouais, j’en ai eu tellement. Quand je fais dire au manager au début de l’album « Pourquoi tu as un chihuahua? » ça m’est vraiment déjà arrivé. Et ma réponse elle est très simple : parce que j’aime bien.

A : On sent que tu veux défendre Julio Iglesias aussi, il revient deux fois dans l’album.

K : Oui, pareil, pourquoi je ne pourrais pas l’écouter ? On me dit : « Fais attention à ton image à cause de ci, ça », alors qu’en réalité, je crois que 80 % des rappeurs connaissent tous Jenifer, la Star Ac. Vous les connaissez tous ! Je suis fier de l’éducation que ma mère m’a donné, elle m’a toujours encouragé à être curieux, à écouter, à voir, tout ce qu’il y a autour de moi. Et ça aurait été très bête de ma part de rester enfermé dans le même truc alors que j’ai vu plein de choses.

« Quand on ne comprend pas son propre état d’euphorie, ça peut nous pousser à faire des mauvais choix. Dans mon cas, ça a été de ne pas m’écouter. »

A : Il y a une qualité sur l’album et dans ta musique en general, c’est ta manière d’écrire sur les relations homme-femme. C’est assez subtil, nuancé. Au début de l’interview, tu disais que tu avais aussi fait écouter le disque à des femmes en le composant. C’est quelque chose auquel tu fais attention ?

K : Oui, toujours. Je me rappelle notamment d’une discussion avec ma mère. On avait commencé à discuter, et là, elle me dit : « Quand je sortais de discothèque plus jeune, j’enlevais mes talons pour rentrer ». Et moi, je ne comprenais pas, je me disais : « Comment ça ? » Et elle me dit : « Parce que quand je marchais avec des talons dehors, quand il n’y avait pas de bruit, ça attirait l’attention des hommes ». Il y a plein de discussions comme ça, où je me suis dit : « Ah ouais ». Donc dans mon écriture, je vais commencer à écrire des choses qui sont inspirées par ce que des femmes m’ont dit, ce n’est pas juste moi qui suis là à me dire : « Je vais écrire ce qu’une femme pense ». Non, je discute.

A : Si tu fais un morceaux sur les relation homme-femme, tu vas essayer de le faire écouter à des amies à toi avant de le finir ?

K : Oui, c’est sûr et certain. pour être sûr que le propos est juste, et compris. Je fais écouter un truc, elles me posent des questions, j’explique, et parfois on me dit : « Je vois ce que tu veux dire mais attention, parce que moi, je l’ai compris différemment ». Et quand j’ai cette même réflexion qui revient sur la même phrase de la part de plusieurs personnes différentes je commence à essayer de tourner différemment ce que j’ai écrit. Ma mère m’a toujours parlé de l’importance des mots : tu peux dire tout ce que tu veux, mais il faut utiliser les bon mots. Donc je fais attention.

A : La dernière phrase d’Euphoria est : « Si tu te reconnais dans mon histoire, c’est que tu t’es déjà fait avoir par ton Euphoria ». Ca m’a surpris parce que la conclusion de ton histoire est un peu amer, ce n’est pas un happy end non plus. Pourquoi ?

K : Quand je parle d’euphoria, je parle d’une sensation de bien-être, d’extase que l’on peut ressentir. Et en discutant avec différentes personnes, j’ai réalisé que l’euphorie ne se limite pas nécessairement à la joie, mais peut aussi concerner la tristesse ou la colère. Certaines personnes se sentent bien dans ces émotions aussi. Sauf que quand on ne comprend pas son propre état d’euphorie, ça peut nous pousser à faire des mauvais choix. Dans mon cas, ça a été de ne pas m’écouter.

A : C’est un peu ce que l’on ressent dans la BD notamment, au lendemain de la soirée,  quand le personnage ne se sent pas bien, et se dit « pourquoi je ne fais que des mauvais choix » et va évacuer sa colère en studio.

K : Son manager lui demande en début d’album de faire des morceaux trap/sale plutôt que ce qu’il aime habituellement faire, et il le fait sur le moment parce c’est ce qu’il ressent. Ils se rendent alors compte tous les deux que ça marche, mais au final ce n’est pas vraiment lui. J’ai déjà vu ce genre de situations dans mon entourage : des personnes qui pètent avec un style de morceaux alors que ce n’est pas vraiment eux. Et c’est très dur d’en revenir une fois que ça a fonctionné, parce que le public attends ça de toi. Par contre, j’ai aussi vu l’inverse. Le meilleur exemple c’est celui de Shay : je l’enregistrais pour son premier album et on la connaissait beaucoup en tant que trappeuse à l’époque. On était au studio et elle me pose une question : « Comment tu me vois en tant qu’artiste ? ». Je lui dis alors que je la verrai bien faire des choses plus à la Rihanna et moins trap. Et elle me répond : « Putain mais moi je rêve de faire un morceau d’amour ». Je la regarde et je me dit « Viens on fait un morceau d’amour ». Elle va voir dans ses mails et là elle me dit : « Ah j’en ai un. Il s’appelle Thibaut Courtois ». On écoute la prod’, je vois les paroles, et on l’a enregistré. Direct son label a dit que c’était incroyable, et c’est parti en clip. Donc quand tu restes toi-même et que ça prends, tu es trop content. Avec Euphoria, je vais vraiment garder les personnes qui m’écoutent et me suivent pour la personne que je suis et pas juste pour la vibe que je dégage. C’est quelque chose d’important pour moi.

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1 commentaire

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  • iza,

    Superbe interview pour un album magnifique et hyper touchant, merci