Kohndo : « Je ne veux pas surtout pas qu’on m’enferme »
Interview

Kohndo : « Je ne veux pas surtout pas qu’on m’enferme »

Kohndo. Deux pieds sur terre. Quatre ans après une première (très) longue rencontre, il est aujourd’hui question d’évolution, de reconnaissance, de son nouvel album, de diversité musicale, de Dilla ou encore du RER.

Abcdr : Tout est écrit était ton premier album solo. Quel bilan tires-tu aujourd’hui, avec le recul, de ce disque ?

K : Bon, c’est toujours difficile de se regarder. Mais quand j’ai fait ce premier album, j’avais vraiment une idée en tête. Et au final, entre l’idée que je pouvais avoir en tête et la réaction du public, je ne suis pas surpris. L’album a été plutôt bien accueilli. Il a fallu du temps avant que les sons que je proposais fassent leur chemin. Aujourd’hui, je suis content de me rendre compte que cet album aura été le démarrage d’une école. Oui, ça j’en suis particulièrement fier.

Après, le disque…je le réécoute pas souvent. [rires] Mais sur scène, j’ai un immense plaisir à refaire des morceaux de ce premier album.

Pour ce qui est des retombées commerciales et artistiques, cet album a pleinement répondu à mes attentes. On a été plutôt bien surpris par les chiffres de ventes, et c’est ce qui nous a permis d’enchaîner sur le deuxième. Et même s’il nous a fallu attendre pas mal de temps avant que tout s’enclenche pour lancer la suite, ces années passées ont été une forme de passerelle. Aujourd’hui j’ai hâte de voir ce que va donner le nouveau.

Je me souviens qu’à l’époque de la sortie de « Tout est écrit », la scène dite expérimentale avait le vent en poupe. On parlait de renouveau du rap en ajoutant que le Hip-Hop était mort. Aujourd’hui, on voit qu’un certain nombre de groupes sont dans la veine que ce que j’avais pu apporter sur Tout est écrit. Maintenant, le plus important pour moi c’est de veiller à toujours faire la musique que j’ai envie de faire, au moment où j’ai envie de le faire. Tout ça en faisant en sorte que chacun puisse apporter ses idées qui sont le fruit de ses expériences, de son parcours. Voilà, je veux toujours faire de la musique avec sincérité.

A : Ton nouvel album, Deux pieds sur terre, sort trois ans après le précédent. Comment as-tu occupé ton temps pendant cette période ?

K : Trois ans ça passe vraiment très vite. D’abord il y a toute la promotion autour du premier album, ensuite la défense de cet album à travers des scènes, radios et interviews. Je peux te garantir que les six premiers mois et les six autres qui suivent, tu ne manques pas d’occupation. Ensuite, j’ai commencé à réfléchir à l’album suivant au travers de quelques collaborations. Par collaboration je pense notamment à la rencontre avec Rachid Wallas, avec DJ Brasco de Toulon….

Toutes ces expériences et étapes m’ont permis d’envisager la suite et d’en commencer l’écriture.

A : Tu participes à moins de projets collectifs qu’à une époque, et tu ne fais finalement plus du tout de compilations…

K : Oui, en fait, je ne fais plus du tout de compilations pour un certain nombre de raisons. Tout d’abord je trouve qu’il y a trop peu d’échanges dans un format de compilation. Ensuite, j’estime qu’il est particulièrement difficile de se révéler via une compilation. Voilà, pour ces raisons, je préfère me concentrer sur mon travail personnel.

Tu sais, pendant ces trois ans, avec Kalash, DJ Gero, Dee Nasty, DJ Kozi et Enz on a fait pas mal de concerts…et ça a aussi occupé une bonne partie de mon temps.

A : Tu étais aussi satisfait des retours que tu as pu avoir sur scène ? La scène c’est avant tout la rencontre et le partage avec le public…

K : Oui ! [Enthousiaste] Mes derniers concerts étaient mortels, dans le sens où il y a toujours un moment où je pouvais inviter les gens à venir échanger, découvrir de nouveaux morceaux, réécouter et redécouvrir des plus anciens. J’ai un gros répertoire, du coup mes concerts ne sont jamais les mêmes. Toute cette musique prend une autre dimension jouée en live sur scène.

A : Tu me tends une super perche là. Je t’avais vu, il y a plusieurs mois, sur les planches, à la Scène Bastille, avec un groupe de musiciens assez orientés rock. Ce concert c’était un moment de plaisir, une forme d’aparté ou tu aimerais faire plus de morceaux dans ce style ?

K : Je considère que tous ces moment font partie de mon parcours de vie. J’ai parmi mes meilleurs amis des chanteurs de jazz, des bassistes, des batteurs. Ces gens là, je les ai rencontrés, j’avais quatorze ans. Aujourd’hui j’ai un groupe, le Velvet Club Live Band et avec eux, sur scène, forcément on s’éclate. Et tout ce coté rock que je peux aimer, il ressort sur scène.

A : Tu as aussi envie de sortir un album ou des morceaux dans cette teinte musicale, avec une certaine touche de rock ?

K : Avec le Velvet Club Live Band, on fait du rap acoustique, tout simplement. Maintenant quand on fait un morceau comme RER sur scène, on lui donne toute l’énergie qu’il doit avoir. Quand je fais sur scène ‘Hey Papi’ qui sur mon dernier album est un titre assez électro, il prend une autre dimension, bien plus rock, plus vénère. Après, tout dépend de mes envies et inspirations et des échanges que je peux avoir avec les différents musiciens. Rien n’est figé.

A : Et tu aimes toujours piocher dans différentes musiques…

K : ….Oui. La scène et mes disques sont le reflet de mes envies mais aussi de ce que je suis et de ce que j’ai été.

« Pour être complète, ta pensée doit être validée par le public. A mes yeux c’est essentiel. »

A : Pourquoi avoir opté pour un double titre pour ton album avec une partie en français (« Deux pieds sur terre »), et une partie en anglais (« Stick to ground ») ? Pour jouer sur le fait que tu es un rappeur français qui a grandi et continue d’être influencé par une musique américaine, donc anglophone ?

K : Non, en fait c’est très simple. Mon album sort sur la France et l’international. Une sortie américaine et canadienne est notamment prévue, et il sortira dans d’autres pays. C’est la raison pour laquelle j’ai opté pour un double titre comme ça.

Ensuite, ce vécu que tu décris à vrai dire, je l’ai toujours eu et je n’ai pas de raison de l’affirmer d’avantage sur Deux pieds sur terre que sur les albums précédents. Tu sais, je n’ai jamais privilégié le fond à la forme et inversement. En fait, je me dis que lorsque j’avais treize ans, j’aimais des rappeurs que je ne comprenais pas. Alors à partir de là, pour moi, il n’y a pas de raisons pour que les gens qui ne comprennent pas ma langue ne m’apprécient pas. Si je fais bien mon métier, ma musique doit être universelle.

A : On retrouve tout au long de ton album un paquet de références à des classiques de la musique noire américaine, du rap (Nas, Sugar Hill Gang), de la soul (Marvin Gaye). Ces clins d’oeil, récurrents tout au long de ton album, ce sont aussi les pierres semées sur la route de ton propre parcours musical ?

K : Oui, ce sont des clins d’oeil rappelant que je sais d’où je viens. J’ai un certain nombre de références que je partage avec d’autres. Ces clins d’oeil sont aussi des invitations pour se retrouver autour de ces points communs. Partager, transmettre et faire découvrir ma musique, tout ça fait aussi partie de mes objectifs de vie. Même si ces références sont bien présentes, tout n’est pas ultra-calculé, il y également une part de spontanéité dans ma musique.

Après, je pense que j’ai eu également d’avantage l’occasion de m’exprimer sur cet album. Un deuxième album c’est autre chose. On dit souvent que sortir un deuxième album c’est, quelque part, un piège. Soit tu te prends un mur soit tu t’élèves. Dans mon cas, je pense que ce deuxième album m’a permis de faire un pas en avant et de m’affirmer davantage. Quand tu prends de l’assurance, tu réussis à faire un peu plus ce qui te plaît. Réaliser un disque qui te ressemble, se révéler et grandir à travers sa musique, ça me semble quand même l’essentiel.

Je ne considère pas la musique comme une espèce de passion et je n’en fais pas par envie de copier quelque chose ou quelqu’un. Pour moi la musique c’est un principe de vie, une forme de philosophie de vie.

A : C’était aussi l’occasion de te lancer dans de nouvelles expériences ?

K : Oui, bien sûr. A vrai dire chaque disque est une nouvelle expérience. Tu ne peux pas aborder un nouvel album en te disant que tu vas reproduire ce que tu as déjà fait.

A : Débuter ton album en balançant quasi d’entrée ce n’est pas le talent qui fait vendre, tout le monde sait ça, c’est un simple égotrip ? Ou une réflexion plus profonde ?

K : Si tu vas sur mon site Internet, www.kohndo.com tu trouveras différente parties dont une avec des blogs. Dans un de ces blogs, j’explique qu’un jour une DA de BMG m’a sorti très exactement cette phrase. A ce moment là, quand je cherchais des gens pour produire mon premier album, je ne comprenais pas vraiment ce qu’elle voulait dire. Cette personne avait eu le choix entre moi et un autre rappeur. Elle a préféré choisir l’autre rappeur. Et quand je lui ai demandé pourquoi elle m’a répondu que si le talent vendait ça se saurait.

A : Oui, donc tu es un peu résigné sur le fonctionnement de l’industrie du disque….

K : …cette phrase a véritablement pris un sens ce jour-là. Il ne faut pas confondre l’art, la musique et l’industrie du disque. Ce sont deux choses clairement distinctes avec des modes de fonctionnement et de pensée différents. En tant qu’artiste, tu es dans un travail de recherche alors qu’en tant que producteur tu entretiens un rapport commercial avec le public. Les deux n’ont rien à voir mais il faut rassembler les deux vu que de toute façon, d’un point de vue strictement artistique, je pense que pour être complète, ta pensée doit être validée par le public. A mes yeux c’est essentiel.

A : J’ai l’impression que certains morceaux de ton album ont été écrits il y a quelques années, vrai ? Faux ?

K : Oui, celui qui suit ce que je peux faire à dû s’en rendre compte…[s’arrêtant]

En fait, tu peux suivre différentes méthodes pour créer. Tu peux te mettre dans une bulle pendant trois mois et pondre un album. Moi, j’aime que mes albums soient le reflet des expériences que j’ai pu traverser à un moment de ma vie. Alors j’ai utilisé ces bases de conversation et les moments passés ces dernières années pour créer mes morceaux. Quand tu fais ça, ton album vit véritablement avec toi. Voilà, cette approche, c’est ma conception d’un album et de sa création.

Concrètement, à un moment donné j’ai envie d’écrire, j’ai l’inspiration qui donne le point de départ. A partir de là, toutes les expériences qui vont suivre cette première inspiration vont être autant de matière première qui vont alimenter mon idée de base et m’aider à construire mes morceaux.

A : Donc ce dernier album rassemble tes expériences des trois-quatre dernières années ?

K : Entres autres, oui.

A : J’ai le souvenir d’avoir entendu sur scène, au moment de la sortie de Tout est écrit, quelques couplets alors inédits qu’on retrouve aujourd’hui dans ton nouvel album.

K : Oui, j’ai notamment fait plusieurs fois sur scène ‘Une journée fade’. J’adore tester mes nouveaux morceaux sur scène, ça me semble un très bon endroit pour voir si ton morceau va dans la bonne direction ou non.

A : T’entendre dire ça me rappelle justement les concerts qui ont suivi la sortie de « Tout est écrit ». Vu le ton très posé de ce premier album, réussir à transposer cette ambiance sur scène devait représenter un vrai challenge.

K : Oui et non. Si mon parcours s’arrêtait à ce premier album, je pourrais être d’accord avec cette remarque. Mais j’ai un répertoire plus important, tout ce que tu as pu retrouver sur Blind Test, avec des morceaux plus patate. Tout ça se mélange, alors sur scène tu découvres peu à peu le parcours d’un homme. Comme dans un bon resto, tu as une entrée, un plat de résistance et un dessert. Le tout prend des saveurs différentes et c’est là l’intérêt.

A : Oui, c’est vrai qu’on retrouvait toujours ce mélange d’anciens et de nouveaux morceaux dans ces concerts…

K : Bien sûr. En plus, comme je me suis toujours projeté dans une vision musicale de mes morceaux, je me retrouve pas dans le problème que peuvent rencontrer certains rappeurs qui ne peuvent plus ou ne veulent plus faire des morceaux qu’ils considèrent aujourd’hui comme trop vieux. Mes textes s’inscrivent dans le temps et sur scène j’ai autant de plaisir à faire des anciens morceaux que des nouveaux.

« Les morceaux ont un sens, comme un bon vin ils doivent être mariés avec le bon plat dans un bon environnement pour prendre une autre dimension. »

A : Sur ‘So much trouble’ tu dis « Origine polyglotte, parlant toutes les rues adaptables ». Tu sembles avoir fait le tour de la région parisienne, changeant plutôt régulièrement de coin.

K : Oui, je suis né en France, j’ai passé ma petite enfance en Afrique avant de retourner en France, à Montrouge puis Bobigny, et mon adolescence à Boulogne. J’ai passé beaucoup de temps entre Boulogne et Paris, j’ai aussi vécu à Créteil…

A : …Considères-tu que ces changements réguliers ont contribué à ton évolution en tant que personne et donc en tant que rappeur ?

K : Je pense que ces changements fréquents m’ont permis de prendre pas mal de recul sur un certain nombre de situations. J’ai connu pas mal de monde, des pauvres et des plus fortunés. De mon coté également ça n’a pas toujours été simple.

A : Tu évoques cette diversité sur le DVD qui accompagne ton album, notamment quand tu parles du Pont de Sèvres, expliquant qu’il y avait un quartier relativement aisé et un autre plus ouvrier.

K : J’estime que je suis vraiment au centre de tout ça. Je fais partie de la classe moyenne comme la plupart des rappeurs finalement. Maintenant, mon expérience de vie fait que je connais la médaille et le revers de cette même médaille.

A : Certains morceaux de ton album sont particulièrement imagés, décrivant un paquet d’éléments de la réalité urbaine à Paris et dans sa banlieue. Tu te considères plus que jamais comme une forme de chroniqueur urbain ?

K : Effectivement…et j’aime beaucoup ce terme de chroniqueur urbain. Je pense que ça me correspond bien. A mes yeux la ville est un endroit plein de vie, le lieu où différentes populations de divers horizons se croisent. J’aime les grandes villes cosmopolites où les gens marchent et discutent. Je trouve ça beau, tout simplement.

A : ‘RER’ illustre assez bien ton goût pour la ville…

K : Sur ‘RER’ je ne suis pas seulement observateur, je suis avant tout acteur et j’essaie de faire en sorte que l’auditeur soit avec moi.

A : Ce morceau, tu l’as écrit dans les transports en commun ?

K : Non, je n’écris pas dehors, j’écris uniquement chez moi. Après, je me souviens que la première fois que j’ai pensé à écrire un morceau comme ça j’étais Gare St Lazare…[NDLR : quelque part la boucle est bouclée puisque cette interview se passe juste à coté de la Gare St Lazare.]

A : J’ai été assez surpris à l’écoute du premier extrait de ton maxi, ‘Dis-moi ce qu’elles veulent’. Le morceau est plutôt calibré dancefloor, et donc aux antipodes de l’ambiance posée de ton premier album. Quand tu as décidé de sortir d’abord ce morceau c’était par choix de marquer une rupture avec ce que tu avais fait quelques années auparavant ?

K : Quand j’ai sorti Blind Test, je voulais aussi rappeler au public qu’il ne fallait pas se tromper. Moi, je ne suis pas là pour défendre des concepts. Ma vie est faite d’un ensemble d’évènements et d’époques. Tout est écrit correspondait à ce que pouvait être ma vision d’un premier album, à un moment donné. J’ai eu la chance de pouvoir faire cet LP en étant complètement en indépendant. Je n’avais rien à prouver à qui que ce soit et du coup je ne me suis vraiment pas pris la tête. De la même façon, quand j’ai fait Prélude à l’Odysée, j’annonçais clairement ce que je voulais faire.

Maintenant, je n’ai pas fait que ça. Mon histoire est riche, large et variée et j’veux pas surtout pas qu’on m’enferme, à vrai dire je déteste ça. Choisir ce morceau comme premier extrait de mon album c’était aussi un pied de nez à ceux qui voulaient justement m’enfermer dans un style.

Après, je sais relativiser et assumer mes choix. Je suis bien conscient que ce morceau, ‘Dis-moi ce qu’elles veulent’, a reçu des échos assez timides au même titre qu’après mon départ de La Cliqua et la sortie de Tout est écrit, les gens ne voulaient pas forcement m’écouter. Mais au final un certain nombre de personnes ont écouté mon album et l’ont trouvé intéressant. Je pense que si nous, musiciens et artistes, on se laissait constamment dicter notre conduite, on n’avancerait jamais et on ne créerait rien. A partir de là, je pense qu’on doit au moins nous faire confiance et laisser les oreilles du public décider… et pas autre chose. Quand tu aimes vraiment la musique, je pense c’est vraiment le seul truc qui doit compter.

Après, moi aussi je suis auditeur, je suis difficile et parfois je ne comprends pas les choix d’artistes que je peux aimer.

Pour terminer là-dessus, j’ai choisi la vie que je mène actuellement, donc je ferai toujours ce qui me plaira le plus. Toujours. Je m’éclate à faire des morceaux dancefloor. Je m’éclate aussi quand je tombe le masque, c’est autre chose mais ça me fait également du bien. J’aime le partage et les expériences. J’ai une vraie approche de musicien et à ce titre je suis anticonformiste et finalement beaucoup plus hardcore que ceux qui peuvent le clamer haut et fort.

A : En te dévoilant parfois très ouvertement tu considères que ta démarche est finalement la plus hardcore…

K : Oui, avoir la puissance et le pouvoir d’être toi-même c’est vraiment difficile. Beaucoup de gens essaient de te modeler, les directeurs artistiques mais aussi les auditeurs. Je crois que la plus grande force réside dans la capacité à rester soi-même, quitte à se mettre des gens à dos.

A : Aujourd’hui tu sembles bénéficier d’une véritable liberté artistique, j’imagine que c’est un élément essentiel pour toi. D’ailleurs, as-tu essayé de changer un peu de statut pour ce nouvel album ? As-tu démarché d’autres maisons de disques ?

K : Bien sûr. J’ai cherché à rentrer dans de grandes maisons de disques, ça m’a pris du temps et c’est aussi ce qui explique qu’il m’a fallu du temps pour sortir ce nouvel album. Trouver le bon partenaire pour réaliser ton album est une donnée essentielle.

Et à partir de là, tu es amené à rencontrer pas mal de monde et à évoluer. Comme je te disais tout à l’heure, je considère que ma musique n’a de sens que si elle est validée par le public. Sans ces retours des auditeurs, la scène, les émotions partagées avec le public, ces rencontres, je n’ai pas de vraie raison d’être. Je veux faire en sorte que ces sentiments et émotions soient diffusées à un maximum de personnes.

A : L’objectif final de ton disque semble avant tout résider dans le partage avec ton public. Ce partage il est plus évident sur scène…

K : L’un ne va pas sans l’autre, en sachant qu’un morceau n’a pas la même signification sur scène et à la maison. En gros, un morceau comme ‘Hey Papi’ a relativement peu de sens quand tu l’écoutes sur ta chaîne chez toi. Enfin sauf si t’as envie de te mettre la patate le matin. Par contre, si tu vas dans une soirée et que tu l’entends à fond ça devrait te faire un truc.

A : Un peu comme ‘Dis-moi ce qu’elles veulent’…

K : Exactement. Les morceaux ont un sens, comme un bon vin ils doivent être mariés avec le bon plat dans un bon environnement pour prendre une autre dimension. Certains morceaux ont plus de sens sur scène, d’autres en ont moins.

A : C’est aussi pour ça que tu as des morceaux plus posés, plus intimistes dans ton album….

K : Bien sûr. Après je peux faire ce type de morceau également sur scène, tout dépend vraiment de mes envies. Par exemple, j’aime faire ‘Une journée fade’ sur scène, à mon avis ça fait sens. Quand j’aurai la chance d’être un peu plus connu, si ça arrive, j’aimerais énormément faire des titres comme ‘Je serais là’ ou même ‘Amour et peine’ sur scène.

Je ne peux pas faire des morceaux comme ça, il faut que tout fasse sens. On travaille aussi pour ça, pour que chaque scène, chaque jour, chaque moment ne soit pas le même.

A : Toujours sur cette idée des concerts, comment est-ce que tu fonctionnes ? Quand tu pars pour plusieurs dates, tu sais déjà exactement ce que tu vas faire ?

K : En fait j’ai une trame sur laquelle viennent se greffer les envies du moment. Après, il y a une part d’improvisation et parfois on se permet quelques changements. Quand je me trouve sur les planches avec une formation DJ / Rappeur parfois DJ Kozi me balance des instrus et je sais pas sur quoi je vais tomber…

A : Tiens, d’ailleurs dans l’album, tu as repris cette idée là avec un passage où tu prolonges le morceau avec une partie plus freestyle…

K : Oui, c’est sur ‘Faut qu’on leur dise’, le morceau avec Enz. Et tu sais, c’est aussi pour ça que j’aimerais travailler avec plus de moyens. Certains veulent aller en maison de disques juste par principe, moi, j’aimerais avoir cette opportunité pour avoir les moyens d’être pleinement moi. Le jour où tu me passes les clefs d’un studio et que j’ai le temps de me concentrer uniquement sur mon travail d’artiste ça va être dingue. Je pourrais laisser libre cours à mes idées et mes envies. Ça me permettrait, je pense, de prendre une autre dimension.

« Cet album est aussi le fruit des rencontres et d’un certain hasard. J’ai pris des risques pour créer quelque chose de neuf. »

A : ‘Je serais là’ est à mon sens l’une des grosses réussites de cet album. Dwele est vraiment fabuleux dessus. Quel est le morceau qui te plaît le plus sur cet album ?

K : On m’a déjà posé plusieurs fois la question et c’est toujours aussi difficile d’y répondre. A vrai dire je dégage au moins cinq morceaux du lot. Le morceau avec Dwele est mortel…[pensif] Mais parmi mes morceaux préféres il y a ‘Un idéal’. Il me rappelle mon parcours de vie, les étapes par lesquelles j’ai pu passer. Avec cette même phrase qui revient toujours…on est à la recherche d’un idéal. On veut sortir de tout ça et continuer à aller de l’avant. ‘Je serais là’ c’est aussi une prière, une forme de leitmotiv qui me remet les idées en place. Ce morceau me fait aussi penser au rapport que je peux entretenir avec mon cahier, cette espèce de journal intime. [silence]
Oui, ce morceau me touche ! [rires].

A : Dans l’interview qu’on a fait il y a maintenant quatre ans, tu disais que l’écriture était une forme d’exutoire…

K : Oui, comme tous les auteurs. Ce morceau là, ‘Je serais là’, ce n’est pas un exutoire, c’est davantage une contribution. Un certain nombre de gens te disent que tout va mal mais ils ne proposent aucune solution. Ce morceau en propose une et fait un peu office de médicament à mes yeux.

A : Comment s’est présentée la possibilité de faire un morceau avec Slum Village ?

K : Une partie de mon label actuel est basée sur Detroit. Cet album est une co-production entre Ascetic et Green Stone. J’ai donc eu la possibilité de travailler à Detroit avec un ingénieur du son, Joey Powers. En travaillant sur mon album et en le finissant j’avais un certain nombre de morceaux qui étaient ouverts. Au même titre que pour un concert, j’ai toujours une trame avec quelques morceaux qui peuvent évoluer, et je me laisse toujours le dernier moment pour choisir d’apporter ou non des changements. ‘Dis-moi ce qu’elles veulent’ comme ‘Je serais là’ faisaient partie de ces morceaux susceptibles d’être revus en fonction de la vibe du moment.

Pour ‘Je serais là’, Joey écoutait des morceaux en me disant qu’il aimait vraiment bien et voulait faire écouter mes morceaux à son cousin. Son cousin est ingénieur du son pour Dwele et Slum Village. Voilà, donc il leur en a parlé, ils ont écouté les morceaux et ont accepté d’y participer.

A : Justement, puisqu’on parle de Joey Powers, ancien ingénieur du son, notamment d’Aaliyah, j’imagine que ça a du être un sacré kiffe et une belle expérience d’avoir réussi à mener ça…

K : On sait travailler plus que correctement la musique en France avec de bons ingénieurs du son. Je m’entends très bien avec mes ingés sons, mais je me suis posé une question. Je me suis demandé s’il pouvait être intéressant de rencontrer de nouvelles personnes et m’ouvrir éventuellement de nouvelles perspectives musicales. Joey m’a apporté un son qui n’existe même pas dans le rap. C’est un son très atypique, très clair et brillant. L’alliance de mes prods et sa vision a permis de concevoir quelque chose de nouveau.

Voilà, moi, c’est ça que j’aime. Comment un monde qui en rencontre un autre peut permettre d’aboutir à un troisième nouveau monde. J’ai besoin de ça…et c’est aussi pour ça que je n’aime pas les endroits trop balisés. Voilà, cet album est aussi le fruit des rencontres et d’un certain hasard. J’ai pris des risques pour créer quelque chose de neuf.

A : T’entendre évoquer ces rencontres me rappelle que sur cet album tu as fait appel à beaucoup de producteurs différents, ces collaborations font-elles partie intégrante de ces rencontres qui nourrissent ta musique ?

K : Il y a cette envie de partage mais aussi le fait que je n’ai pas encore trouvé le producteur qui soit capable et possède l’envie de créer avec moi une vision. Donc, je suis livré à ma pensée, je prends les choses en main, j’ai des rencontres et je matérialise mes envies.

A : On parlait de Dwele tout à l’heure….Sur un sujet finalement assez proche, j’imagine qu’en bon kiffeur de Soul tu as été touché par le décès de Dilla…

K : Quand j’ai appris son décès j’étais à Detroit avec mon amie de là-bas. Elle était en train de parler avec son manager qui lui a appris que Dilla venait de décéder. Ce jour là, on était en pleine visite du centre ville de Detroit, dans un pur délire, bonne caisse, bon son…Et là on a appris ça.

A : Tu l’avais vu en concert à Paris quelques mois avant son décès….

K : Oui, c’était un concert Hip-Hop Résistance d’ailleurs, big up à eux. A vrai dire, je savais pas trop si je devais y aller. Finalement j’y ai été et j’ai pris conscience qu’en tant que spectateur on a un vrai rôle. Jay Dee était là avec sa mère et ses potes. On savait tous que ces moments étaient ses derniers.

Ce jour-là, le public a rendu hommage à l’artiste, de son vivant. On peut se poser une question dure mais légitime: y a t-il une plus belle mort ? Tu parcours le monde avec la personne qui compte le plus à tes yeux, ici sa mère. Tu lui rappelles tous ces moments passés derrière les machines, où tu lui disais que ça allait marcher pour toi… Là, regarde, on est en France, à Paris, et cette ville a une vraie signification pour les Américains, et tous ces gens sont là pour ma musique.

Il a fait cette tournée dans tous les pays. C’est là que je me suis demandé s’il y avait une plus belle façon de partir. Moi, j’ai eu un rôle au même titre que tous les autres spectateurs ce jour là. Tous les morceaux qu’il mettait étaient de vraies tueries et on se cachait pas pour lui dire.

« Un certain nombre de gens m’ont mis le pied à l’étrier, qui ont passé du temps avec moi et je considère que c’est mon rôle de ne pas les oublier et de le faire savoir. »

A : Ton album est accompagné d’un DVD avec un petit reportage retraçant ton parcours. On y comprend un peu mieux ton évolution. On a également l’impression que les années passées au Pont de Sèvres ont plus ou moins déclenchées tes envies d’expression et de faire du rap ton quotidien.

K : On ne peut pas nier les rencontres que l’on fait à treize ans, surtout quand ces rencontres vous plongent dans un art. Justement, je reproche souvent aux rappeurs et musiciens français de ne pas citer leurs pairs. Ils ne revendiquent pas leur héritage et ça me semble vraiment dommage. Je me suis promis de ne jamais faire ça. Un certain nombre de gens m’ont mis le pied à l’étrier, qui ont passé du temps avec moi et je considère que c’est mon rôle de ne pas les oublier et de le faire savoir.

A : Ton héritage est composé des disques des artistes qui ont compté pour toi mais aussi les gens que tu as rencontré, je pense notamment à Zoxea dont tu parles dans ce DVD…

K : Bien entendu. Comment bâtir son avenir quand on ne connaît même pas son passé ? Quand j’étais à Detroit j’ai vu des mères qui devaient avoir quarante-cinq ans en train de chanter ‘Lodi Dodi’ avec leur fille qui devaient avoir dix-huit ans et d’écouter du Public Enemy enchaîné avec du T.I. je me suis dit qu’un truc n’allait franchement pas chez nous. Il faut créer le lien entre les générations. Je pense qu’en France on ne rend pas assez hommage aux artistes, il y a une espèce d’ingratitude. Il faut citer nos influences et donner ainsi la chance aux gamins, petits frères et potes de découvrir d’autres artistes.

Personnellement, ça me paraît aberrant de ne pas citer La Cliqua dans mes influences fortes. C’est quelque chose de trop fort dans ma vie pour le renier. J’en suis fier, comme je suis fier de Rocca, Daddy Lord C, Raphaël, Lumumba, Chimiste, Egosyst, de tous. Je me dois de les citer, peu importe ce qui s’est passé après entre nous. Ça fait partie de moi.

A : Aujourd’hui tu es encore en contact avec certain d’entre eux ?

K : Non, mais peu importe. Chacun a suivi son parcours et tu sais combien il peut être difficile de rester en contact avec des gens que tu as connu si jeune.

A : Tu es crédité comme producteur exécutif sur cet album. A mes yeux, le terme producteur exécutif est vraiment le rôle le plus fourre-tout au monde. Peux-tu nous préciser quel a été ton rôle concrètement dans la composition musicale ?

K : Producteur exécutif ça signifie avant tout des capitaux et beaucoup de temps investi. Du temps passé à rencontrer, écouter différentes personnes et bien s’entourer.
C’est un gros travail, qui normalement n’incombe pas à l’auteur. Mais voilà, c’est très intéressant, notamment humainement parlant. Pour ce qui est de l’ordre des morceaux, il faut que je le félicite, c’est Jee 2 Tuluz qui l’a déterminé.

A : Ah, notre Jee national ! [rires]

K : Ouais, on a pas mal discuté de tout ça. Moi j’avais un ordre pas très loin du sien. C’est en échangeant qu’on a pu trouver l’ordre parfait. [rires]

A : J’ai eu plusieurs fois le plaisir de voir Insight sur scène, dans des duos toujours très énergiques, avec Edan (Duplexxx) ou avec toi, au Réservoir il y a quelques années de cela, avant même ce morceau commun ‘Stick to ground’. En regardant le clip de ce morceau, on se dit que vous avez du bien kiffer faire ce morceau commun, et tous ces échanges en rafales.

K : C’était vraiment un plaisir. Déjà tu te retrouves à valider ce que tu travailles depuis des années, ton art. Tu maîtrises la forme et derrière tu peux dérouler. Ensuite, au-delà de cet aspect là, il y a le plaisir d’être avec quelqu’un avec qui tu partages le même langage. Ce langage c’est le Hip-Hop. Et avec Insight, on s’est compris.

Je suis venu le voir en lui disant que je voulais écrire un morceau qui s’appellerait ‘Deux pieds sur terre’. J’ai pensé à deux titres. « Stick to the ground » ou « Stick to ground« , en sachant que « Stick to ground » ce n’était pas la bonne forme grammaticale. Mais ça sonnait grave ! [rires] Mon idée c’était vraiment de dire que je reste collé au sol, avec ma vision, les deux pieds sur terre. Déjà, ça, c’était mortel.

Après, je lui ai proposé deux prods, en lui disant qu’on pouvait aller soit dans mon monde, soit dans le sien. Je lui ai fait écouter et là il m’a dit : « J’aime bien, mais je pense qu’on va plus s’éclater si on va dans mon univers ! [rires] »
C’est ce qu’on a fait et là c’était encore un autre travail. On avait une thématique commune, et là on était dans l’échange. Moi je voulais parler de tous les rêves qui peuvent nous animer et parfois aussi nous bouffer.

On a commencé après à structurer le morceau, à écrire nos histoires respectives et surtout à parler Hip-Hop. A expliquer comment on allait faire ça, à balancer nos flows. On a chacun halluciné. J’ai filmé les moments où pendant le clip il reparle de cet échange. On a chacun refait le flow de l’autre. Ah c’était ouf ! [rires]

A : Cette idée des deux pieds sur terre semble t’avoir particulièrement plu vu que tu l’as repris comme titre de ton album.

K : Ce titre résume très bien ma vie, avec ce coté un pied en France, un pied à l’international. Il rappelle aussi que je sais d’où je viens et que j’ai un coté underground. Je devine que ça fait réagir du monde ça ! [rires] Mais surtout, deux pieds sur terre c’est pas uniquement dans le réel. C’est en opposition à six pieds sous terre. C’est la vie. Deux pieds sur terre mais la tête dans les airs.

A : Ah décidément, tu aimes bien ce type de jeu de mot. Déjà le titre de ton premier album pouvait être interprété de façon différente…

K : Oui, j’adore ça. C’est une de mes particularités.

A : Il y a maintenant quatre ans de ça (bordel, déjà !), on s’était déjà vu pour une première interview. Tu nous avais dit que tu envisageais de rapper jusqu’à quarante ans. Tu n’as pas changé d’avis ?

K : Non, je n’ai pas changé d’avis. Mais comme je te disais, j’attends à un moment une validation du public. Toutes proportions gradées, j’ai pas envie d’être un Van Gogh du rap. J’ai pas envie d’attendre de disparaître pour avoir la reconnaissance. Ce n’est pas une question d’âge. Je n’arrêterai que si à un moment donné tout ça n’a plus de sens à mes yeux. Enfin, tu sais que plus tu avances dans la musique, plus tu sais que l’écart se creuse. La découverte dans le domaine de la musique c’est un territoire infini. Énormément de choses ont déjà été faites, mais il en reste autant à faire, même plus. Et j’en ai vraiment envie.

A : Le mot de la fin, quelque chose à ajouter ?

K : Oui, mais tu vas me laisser dix minutes parce que je ne sais pas si tu l’as remarqué mais le mot de la fin tu ne l’as jamais pendant l’interview mais une fois qu’elle est terminée. Tu te dis : merde j’aurais dû dire ça ! [rires]

[NDLR : La discussion suit son cours. Le petit et vieux dictaphone est éteint. Un quart d’heure après, le mot de la fin arrive, comme prévu.]

K : Voilà le mot de la fin ! [rires] Ça va être : à suivre. Tout ça ce n’est que le début de l’aventure.

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