Klub des Loosers, histoire et Fin de l’espèce
De « Baise les gens » à Vive la vie, du début des années 2000 à aujourd’hui, du Klub des 7 à ses projets annexes, le Klub des Loosers revient sur dix années de rap. Toujours masqué et marqué par un parcours semé d’embûches, Fuzati reste un personnage singulier, tranché et tranchant. Son retour promet.
Abcdr Du Son : On ne pensait pas que tu ferais l’interview avec le masque. Apparaître masqué c’est devenu une forme de rituel ?
Fuzati : Sans le masque, ce n’est pas Fuzati.
A : Tu considères Fuzati comme un personnage ? Ou simplement c’est toi, avec un masque blanc ?
F : J’ai écrit Vive la vie j’avais 22, 23 ans. Quand il est sorti j’en avais 25. Je considère que quand tu écris, tu as forcément un certain recul. Et ce même si ce que j’ai écrit pouvait être autobiographique. Tu es toujours plus ou moins un personnage. Plus le temps avance, et plus Fuzati devient un personnage. Même si ce personnage reste assez proche de ce que je suis.
A : Vive la vie est sorti en 2004, soit il y a sept ans. Quand tu le réécoutes aujourd’hui, tu réussis à prendre de la distance dessus ?
F : Quand tu écris, tu as toujours une distance. C’est un album assez suicidaire et quand je l’ai écrit je n’étais pas très loin du suicide. Après, quand tu as fait 150 dates, que tu as mixé l’album, tu as tellement vécu avec les morceaux que tu ne les entends plus.
A : On se posait pas mal de questions sur la perception que les gens pouvaient avoir de ta musique. Notamment le fait qu’à une époque tu as été vu comme un rappeur drôle – comme une forme de parodie de l’image très axée sur la rue du rap – comment tu vivais ça ?
Detect : Il y a eu cette perception à l’époque de « La femme de fer » ou « Baise les gens ». La sortie de Vive la vie a changé cette image d’autodérision.
F : Il y a forcément de l’humour dans ces morceaux. Après, il faut remettre les choses dans leur contexte. On a vraiment grandi dans le hip-hop, depuis 1989 pour ma part. Quand j’ai commencé à rapper, je dirais que ça n’était même pas du rap, plutôt du post-hip-hop. C’était de la musique de gens qui avaient grandi avec le hip-hop et avaient une vraie culture hip-hop mais le faisaient à leur manière.
Ce qu’ont fait des gens comme La Caution, James Delleck ou TTC, on ne fait pas du tout la même chose, mais on fait tous du post-hip-hop. Après j’ai joué avec ce décalage parce que je me sentais assez à l’aise avec ça. Pendant toutes ces années où on était à fond dans le rap, on allait à Châtelet, chez Sound Records, LTD, Tikaret, et le rap c’était vraiment un truc de re-noi. Tu allais acheter tes maxis, tu sentais que c’était tendu, qu’en tant que petit blanc t’avais pas grand chose à foutre ici. J’ai fait des soirées Cut Killer où on était les trois-quatre seuls blancs, c’était chaud. Au début des années 2000, quand on est arrivé, en étant blanc on devait toujours en faire deux fois plus. On me disait toujours « Tu rappes bien pour un babtou ». Nous, on a vraiment fait le parcours hip-hop comme ça se faisait à l’époque, via des mixtapes. Tu devais aller au fin fond du 93 enregistrer une mixtape, poser un couplet.
En 2001-2002, on avait fait tout ce parcours-là. Du coup, je considère qu’on avait la légitimité pour prendre une certaine distance par rapport au hip-hop. En même temps, le milieu du hip-hop était parti complètement en couilles. Le morceau de Gab’1, « J’t’emmerde », est sorti en 2003, et il marque la fin d’une époque. À un moment, tu avais Générations, Radikal, un certain mouvement hip-hop en France. Tout ça a complètement explosé avec Skyrock. Avec un peu de recul, quand tu vois la quantité de mecs qui ont vendu leur cul, tu te dis qu’ils sont très peu à être restés vrai, au sens où on l’entendait.
C’est aussi pour ça que lorsqu’on est arrivé, on était assez décomplexé. On avait vu tous ces mecs qu’on avait adulés vendre leur cul. Du coup, je n’avais pas de problème à me moquer un peu du rap et à prendre mes distances. C’était fait avec respect, c’était fait par des gens qui avaient une culture hip-hop solide. On n’était pas des Kamini.
A : Si Fuzati était noir, son rap serait-il perçu différemment ?
F : Difficile de te répondre. Il faut savoir que j’ai beaucoup accentué le trait sur Versailles. Par exemple, Anne-Charlotte j’aurais pu l’appeler Stéphanie. En sachant que j’assumais totalement le truc, en me décrivant plus bourgeois que je ne l’étais vraiment. Moi venant de Versailles, je passais pour le bourge, quoiqu’il se passe, donc autant jouer un peu avec ça. Mais des bourges tu en as plein dans le rap. Tu as des mecs mille fois plus bourgeois que moi et qui jouent même les caillera. Ce sont toujours des secrets de polichinelle. Tu as des mecs qui ont sorti leur maxi grâce à l’argent de papa.
A : Cette image du rappeur versaillais n’est pas trop lourde à porter ?
F : Pas du tout. Finalement, j’ai pris le contre-pied de tout ça, du coup j’étais blindé contre les critiques. Et c’est juste un morceau [NDLR : « Sous le signe du V« ]. Tu as plein de gens qui habitent Bordeaux ou d’autres villes de province qui se sont reconnus dans ce titre et m’ont dit qu’ils vivaient la même chose. Chaque mec qui s’est un peu fait chier dans sa ville en province peut se reconnaitre là-dedans. Vive la vie, c’est un album d’adolescent. J’ai rencontré pas mal de mecs de 18, 19 ans qui n’étaient pas là à l’époque de la sortie de Vive la vie. Ils découvrent le disque aujourd’hui et ça leur parle. Ça me fait plaisir.
J’ai aussi joué ce côté Versailles parce que j’étais signé sur Record Makers, la boîte de Air. C’était marrant de montrer ça aussi, le côté French Touch . Les gens s’attachent beaucoup à cette ville. Comme quand tu lis une interview de Phoenix aujourd’hui, les journalistes parlent toujours du côté versaillais. Comme s’il y avait un truc magique là-bas.
A : Ce côté Versailles touch, c’est un truc qui te fait marrer ou tu penses qu’il y a un terreau là-bas et une vraie scène ?
F : Pour moi, c’est assez simple. C’est une ville où à l’époque tu t’emmerdais énormément. Tu as des gens de classe moyenne avec un peu d’argent. Ils ont pu faire du solfège, ont accès à des instruments. Mais Reims par exemple c’est le même profil que Versailles. Aujourd’hui, tu as beaucoup de mecs sur la scène électronique qui viennent de là-bas. Quand t’es jeune là-bas, soit tu te drogues, soit tu fais de la musique.
A : On a l’impression qu’à travers le Klub des Loosers vous avez décomplexé une génération de blancs, de classe moyenne-supérieure…
F : On ne va pas se mentir, qui achetait des disques de rap en France ? C’était des blancs de classe moyenne, c’était majoritairement ça le public. C’était la même chose dans les concerts à l’époque, et même pour des trucs un peu racailleux. Après, ça n’a pas forcément été facile pour nous, vu qu’au départ tu avais plein de petits blancs qui étaient aussi super hostiles. Ils avaient tellement vécu en voulant être noirs, en voulant être plus vrais que les vrais, que ça les gênait que des blancs aient enfin les couilles de rapper.
À l’époque, il fallait faire ses preuves. À un moment, TTC a été très critiqué pour la tournure très commerciale qu’ils ont pu prendre. Mais les gens ont la mémoire courte. Ils ont oublié tout leur parcours. Toutes les mixtapes, les maxis, les sets, les paquets de scènes – le Batofar on l’a retourné plein de fois. On n’est pas arrivé de nulle part non plus. Aujourd’hui n’importe quel trou du cul peut faire deux vidéos, les mettre sur YouTube et revendiquer des trucs. C’est différent, après tant mieux pour eux, je veux pas jouer l’ancien aigri, mais faut pas avoir la mémoire trop courte.
A : Quand on t’a contacté, tu nous as dit quelque chose comme « Je ne suis pas OrelSan, donc je suis le vrai Fuzati ». Tu penses vraiment qu’il t’a volé ?
F : On ne va pas en parler trois heures, mais pour moi son premier album c’est un énorme pompage. Si tu y repenses : Seth Gueko il est arrivé avec un délire de forain et de caravanes. Si trois ans après, tu avais un autre mec qui débarquait avec le même délire de forain, tu te dirais quoi ? Je me suis posé pas mal de questions en voyant ça. Le taper ? Faire un clash ? Mais bon, on va finir par se croiser…
A : Il y a une réplique de son album qui, par ricochet, te concerne, quand il dit « Quand tu me compares à des TTC c’est comme si tu me manquais de respect… »
F : Pourquoi il dit ça ? Il vient de nulle part et il veut se positionner avec sa maison de disques sur un créneau où on a déjà tout fait, cinq à dix ans avant lui. À la place de TTC, je l’aurais démonté. C’est un gars qui a été imposé par une maison de disques à base d’achats d’espaces et de couvertures de magazines. C’était marrant le truc « Saint Valentin », c’était drôle comme Kamini. C’est le truc que tu t’envoies entre collègues. Mais il avait fait quoi avant ?
Un autre truc qui n’a semblé choquer personne : tu fais un morceau – « Sale pute » – et une vidéo qui va avec. Ça veut donc dire que ton morceau tu l’assumes à fond. Tu as des gens qui s’énervent un peu, du coup tu la retires direct ? Le rap ça a toujours été une musique de rebelles et toi tu t’écrases parce que ta maison de disques te met un coup de pression ? Et à côté de ça, tu refuses même de faire le morceau en concert ? C’est super triste quand même.
À un moment, tu as des couilles ou tu n’en as pas. C’est devenu ça le rap, des mecs qui assument pas leurs textes ? Moi j’ai fait des concerts où je me suis pris des bières dans la gueule, ça pique bien les yeux d’ailleurs, d’autres où ils voulaient mettre des plantes sur le devant de la scène pour dire que la plante était plus intéressante que moi. Une autre fois les mecs de la sécurité, vu que j’étais de Versailles, pensaient que j’étais un facho [Rires]. Ça fait partie du truc tout ça. Enfin tout ça pour dire que c’est vraiment devenu de la bolosserie.
« Enfin, tout ça pour dire que le rap, c’est vraiment devenu de la bolosserie. »
Fuzati
A : Quel accueil as-tu eu de la part des autres rappeurs ?
F : Le milieu du rap, on s’en est toujours battu les couilles. Ce milieu il est mort début 2000. Générations ne nous a jamais passé, et de toute façon regarde ce que c’est devenu Générations : une espèce de sous-Ado FM. Le rap c’est un truc de trentenaires nostalgiques. Ça n’est pas du cynisme de dire ça. À un moment, les mouvements ils meurent. Le punk a duré une dizaine d’années, après tu as eu des dérivés. C’est la même chose pour le jazz, la soul. Nous, on faisait du post-hip-hop, pas du rap au sens Pete Rockien ou De La Soulien du terme.
A : Tu écoutes encore du rap aujourd’hui ? Tu suis l’actualité ?
F : Grâce à Internet, tu as accès à plein de trucs, notamment des morceaux de 1996-97 que j’avais pu laisser passer. Je me tiens au courant de ce qui sort. Par exemple, j’ai bien aimé l’album de Tyler, The Creator. Je sais que dans dix ans je l’écouterai encore. Il a amené un truc nouveau en intégrant toutes les influences westcoast undergroud type Grouch, Eligh mixé avec un côté Dâm Funk. Il a une approche assumée, cite ses sources, dit qu’il est fan des Neptunes. Par contre, c’est nul sur scène ! [Il éclate de rire] Y a du boulot, en même temps c’est normal, ils sont jeunes.
A : On a beaucoup parlé au début des années 2000 de la scène « alternative ». Comment est-ce que vous expliquez son délitement ?
F : Pour nous, cette scène n’a jamais existé. C’était vraiment une vision de journalistes. La plupart de ces mecs n’ont jamais été mes potes par exemple. L’Atelier, ça a été quatre séances d’enregistrement. Tekila, je n’ai jamais vraiment trainé avec lui. On a dû boire deux bières ensemble, on s’entend bien mais ça s’arrête là. À un moment, des gens se sont juste regroupés, que ce soit au Batofar ou pour Grekfrites [NDLR : émission hip-hop diffusée début 2000 via Canal Web]. Aucune scène n’est faite pour durer.
A : On a l’impression que la nouvelle scène du rap français cultive un certain dogme nostalgique, comme 1995…
F : Mais faut arrêter, c’est mort ! Ça me fout vraiment le cafard 1995 ! J’ai l’impression d’écouter des trucs que je n’aurais pas aimés en 1995. C’est cool d’avoir des jeunes qui ont la passion de rapper mais pourquoi ils ne font pas de la musique d’aujourd’hui ? Ça me fait penser à ces jeunes qui ont une guitare dans le garage et commencent à faire du Téléphone. C’est la même chose sauf qu’eux ils font du Dany Dan. Je comprends qu’on puisse encenser ça quand on a 20 ans, mais encenser ça quand t’en as 30, je ne comprends pas. T’as bien le temps de devenir nostalgique. Tu vas peut-être crever d’un cancer à 45 ans mais il te reste quinze ans !
A : Tu parais très nostalgique pourtant.
F : Je ne suis pas nostalgique au niveau du rap, ou plus généralement sur la musique. J’ai une nostalgie autour de l’enfance et de l’adolescence dans mes textes mais ce sont deux choses différentes. J’ai toujours travaillé sur le thème de l’enfance et de l’adolescence. Quand j’ai sorti Vive la vie, j’avais 25 ans. J’y parlais de ce que j’avais vécu. L’album à venir – en janvier prochain – n’a rien à voir. Il n’est pas du tout nostalgique.
Je trouve ça sain d’avoir attendu aussi longtemps pour sortir ce nouvel album. Je le fais comme si je faisais de nouveau un premier album. Mais à 30 ans. Dans ma vie de tous les jours, personne ne sait que je suis Fuzati. Je suis loin de toutes les soirées et sorties autour de la musique. À vrai dire, j’avais presque oublié que j’avais fait Vive la vie. Je ne rencontre pas forcément le public.
A : Tu t’es déjà retrouvé dans une conversation où on te parlait du Klub des Loosers sans savoir que t’étais Fuzati ?
F : Bien sûr. Et parfois tu le dis. Et là tu vois les gens se décomposer ! [Rires] Je me suis même déjà retrouvé dans le métro avec un mec à côté de moi qui faisait écouter à sa meuf « Poussières d’enfants ». Le masque sert aussi à ça, c’est hyper sain. Tu finis un concert, tu enlèves le masque et tu vas te balader, les mecs ne te reconnaissent pas. Le masque est là pour plusieurs choses. Déjà, il te donne le contrôle. Tu es Fuzati quand tu en as envie d’être Fuzati. Si ça se trouve, on va se recroiser dans la rue, et si j’ai pas envie de te parler, je passerai à côté de toi, et voilà. Ensuite, c’est aussi pour que tout le monde puisse s’identifier à ce personnage.
A : Ce masque, c’est aussi une forme de référence à MF Doom ?
F : Non, en 1999, j’avais déjà écouté ce qu’il faisait mais je ne savais pas qu’il avait un masque. Si je l’avais su, je n’aurais probablement pas mis de masque. Et ça aurait été une connerie. Doom n’a pas le monopole sur le sujet, les Daft Punk en ont aussi, M, lui, va mettre un costume rose. Chacun à son truc pour différencier l’homme de l’artiste. D’ailleurs, ce masque, je n’y fais jamais référence. Après, oui, Doom a été une grande influence, je ne m’en suis jamais caché. Je ne le vois pas comme un rappeur, plus comme un écrivain/poète qui pose ses textes sur des instrus. En France Oxmo était dans ce délire là aussi à ses débuts. Les deux m’ont vraiment décomplexé, poussé à rapper.
A : On a l’impression que le Fuzati 2011 est bien moins triste que le Fuzati des années 2000.
F : La tristesse prend une autre forme en vieillissant. L’album qui arrive est beaucoup plus hardcore. Le postulat est hyper violent. Personne n’a jamais raconté un truc aussi vener’ ! [Rires]
Vive la vie, c’était le récit de quelqu’un qui se sent rejeté et a besoin d’être accepté. Au-delà des filles et des râteaux qu’il peut prendre. Vive la vie c’était un album triste, avec le suicide en fond et le côté lose. Pour revenir brièvement sur Orelsan, j’ai trouvé ça ultra-démagogique le côté sympa qu’il a voulu donner au loser. Quand t’as connu des gens qui se sont suicidés, cette lose tu n’en es pas fier et ça n’est pas marrant. On m’a interviewé là-dessus il y a peu, et j’expliquais que je me sentais plus proche d’un Taxi Driver, de ce mec un peu en marge, que du loser geek qui mange des chips sur son canapé. Il y a une différence entre se complaire dans sa médiocrité et essayer mais se prendre des vents.
A : Ça coïncide aussi avec l’effet de mode autour du geek.
F : Maintenant, on est à fond dans le marketing de niche. On a besoin de mettre des étiquettes sur tout et de tout vider de sa substance. Je pense que l’étiquette de rap alternatif nous a beaucoup desservis, genre « ouais c’est bon on connaît c’est du rap alternatif ». On a regroupé des mecs qui ne font pas du tout la même musique. La Caution n’a rien à voir avec le Klub des Loosers.
A : Tu dis que vous n’aviez rien à voir, et effectivement quand on regarde ta trajectoire aujourd’hui, et qu’on la compare avec celle de Tekilatex ou Orgasmic, c’est encore plus criant. Même d’un point de vue idéologique, vous semblez aux antipodes.
F : Oui, tu comprends aussi mieux pourquoi j’ai arrêté de bosser avec Orgasmic. Lui voulait aller vers un truc très élitiste, mais moi ça n’est pas ma façon d’appréhender la musique. Je n’écoute pas la musique par rapport à un contexte social, à une tendance. Chacun son approche. L’important c’est de se trouver artistiquement et j’ai l’impression que ce que lui et Teki font maintenant leur correspond parfaitement.
D : À une époque, c’était une forme de facilité de se retrouver à un même endroit comme le Batofar. Il y avait tous ces groupes et on s’est simplement connu comme ça, via ces concerts.
A : Pour revenir sur l’abum à venir, c’est un travail que vous avez fait tous les deux ?
D : Fuzati a composé entièrement les morceaux. Moi, j’interviens beaucoup en tant que technicien, je fais toutes les prises de son, je le conseille sur plein de trucs. Mais je ne fais pas de production à proprement parler.
F : En général, je bosse beaucoup seul, sur les instrus, mes couplets, je fais d’abord le truc de mon côté. Detect me donne un point de vue extérieur. Il m’aide beaucoup sur la direction artistique, la manière de poser un couplet par exemple. Il a une oreille hyper précise.Mais j’ai toujours tout produit. Quand je vois Para dire qu’il a produit « Baise les gens »… [Soupir] Ce jour-là, on était dans la même pièce avec Orgasmic et Para. On avait ramené le sample avec Orgasmic. Le « baiser, baiser« , c’est moi qui en avais eu l’idée. On a produit le truc ensemble. A l’époque de Vive la vie je n’avais pas de machines mais j’avais ramené tous les samples, je savais quelles boucles je voulais prendre, je tapais les beats sur le clavier avec James Delleck. J’ai aussi produit toutes les instrus pour le Klub des 7.
A : Quel a été le déclencheur de ce nouvel album ?
D : On ne pouvait pas donner rapidement une suite à Vive la Vie, qui était le fruit d’une époque. On a eu besoin d’un certain espace-temps pour vivre de nouvelles expériences. Il y a eu d’autres projets annexes comme le Klub des 7.
F : Je sais où je veux amener le personnage. Il faut le nourrir, comme un écrivain peut le faire. Je savais que je voulais faire un deuxième album, mais je voulais que ce soit vraiment du Fuzati. J’espère en sortir un autre l’année suivante, un peu annexe. Ce sera un puzzle de mots et de pensées, pour citer un grand poète du 92 [Rires]. Dans deux ans, je vais sortir le dernier volet, ce sera plutôt « Fuzati à 40 ans » et ça viendra boucler la trilogie.
Pour cette suite, je me suis vraiment pris la tête, notamment sur les productions. Sur le premier album, il y avait un côté Doom, des boucles un peu kitchs qui allaient super bien avec le délire adolescent. Là, je voulais ramener un truc nouveau. Je suis allé dans un délire de sons psychés, un truc un peu chaud, un peu sixties. Il y a un gros travail derrière, avec des samples mais aussi des parties rejouées. La difficulté étant de conserver une cohérence sur douze-treize morceaux. Je suis un gros digger, ça me prend énormément de temps. Je me nourris de milliers de disques.
A : Justement, comment tu fonctionnes pour le digging ? Tu voyages beaucoup ? Tu utilises Internet ?
F : Internet a bien tué le digging. Aujourd’hui, tu as des sites avec toutes les cotes. Le moindre magasin en province est sur Internet et il a accès à tout ça. Du coup, c’est difficile de tomber sur la bonne affaire et de trouver le disque très rare. Tu as encore les brocantes, mais il ne faut pas se mentir : si tu veux une grosse pièce, le plus souvent, tu vas devoir la payer ou alors faire des échanges avec d’autres diggers. Le marché sur l’Ile de France est dur. Tu as des mecs ils sont là à six heures du matin le dimanche, avant même que les mecs déballent pour trouver la bonne affaire.
A : Quel est le titre de ce nouvel album ?
F : La fin de l’espèce.
A : Quel bilan tu fais de l’expérience Klub des 7 ?
F : C’était une expérience qui m’a beaucoup appris en termes de business. C’est un disque qu’on a amené entièrement finalisé à la maison de disques. Il était mixé, masterisé et avec la pochette. C’était un cap par rapport à Vive la vie où là tu apprends comment se passe la conception d’un disque, de A à Z. J’ai été producteur et manager sur ce projet, à organiser les rendez-vous, à rassembler tout le monde, à voir avec le graphiste pour la pochette. Après Vive la vie, j’ai été contacté par le label bordelais Vicious Circle. Ils voulaient surfer sur le succès de Vive la vie mais moi je n’étais pas prêt pour un nouvel album du Klub des Loosers. Je voulais me mettre en avant en tant que producteur. Du coup, j’ai invité des mecs à poser sur mes prods. Le Klub des 7 n’a jamais été un groupe. Le premier album a pas mal marché, on nous a proposé de faire une tournée. Du coup on l’a faite.
Il ne devait pas y avoir de deuxième album. Mais un samedi, on s’est retrouvés chez Fredy, j’avais amené des prods et on a posé cinq morceaux. On ne pensait pas en faire quoi que ce soit de ces titres. Il y a eu un grand moment qui s’est passé… On a refait une session tous ensemble et puis trois jours après Fredy est décédé. Sa mort nous a mis un gros coup de pression pour sortir le truc. En même temps, on était super tristes et on ne savait pas trop comment gérer le truc. C’était un moment difficile et je ne me voyais pas faire un nouvel album du Klub des Loosers tant que cette page n’était pas tournée.
A : Le morceau d’hommage à Fredy K – »L’appel » – était particulièrement touchant. Tu peux revenir sur sa genèse ? On peut deviner que ça devait être un moment terrible à vivre.
F : Oui, je ne vais pas te dire qu’on était les meilleurs potes au monde avec Fredy. Ça n’était pas ça. Il était beaucoup plus proche de Cyanure par exemple. Néanmoins, on a fait une tournée ensemble, ça nous avait rapprochés. En fait, dans le Klub des 7 on passait notre temps à se vanner. On se vannait sévère, moi sur le fait qu’il soit noir, lui que je sois geoi-bour. Il n’y avait aucune limite dans les vannes. On n’a pas voulu faire un morceau gnangnan, du coup, on est resté dans la vanne, à l’image de ce qu’était le Klub des 7.
Fredy c’était vraiment le « hip-hop entrepreneur ». Il avait son studio à Stalingrad où il enregistrait toute la journée des mecs pour des mixtapes. Le soir il enregistrait ses trucs. Il avait aussi un magasin de sapes hip-hop, il produisait ses clips. C’était impressionnant, il ne dormait jamais. Il représentait tellement la vie que ça nous a encore plus choqués quand il est décédé.
« Je suis un petit blanc. Pour moi c’est ridicule un petit blanc qui veut être rappeur. »
Fuzati
A : Très tôt, tu as mis en avant le fait que tu faisais des études de droit et que le rap n’était pas le seul truc qui t’intéressait.
F : Mais je ne me considère pas comme un rappeur. Je suis un petit blanc. Pour moi c’est ridicule un petit blanc qui veut être rappeur. Il faut arrêter de s’inventer des histoires.
A: Tu considères toujours, même aujourd’hui, que ça reste une culture noire ?
F : Complètement. Ça n’empêche pas qu’un blanc peut bien rapper mais il ne faut pas réinventer la culture à l’envers. Pour moi, c’est comme si tu voyais un re-noi punk avec une crête et une épingle à nourrice, tu vas trouver ça un petit peu chelou. Ça ne veut pas dire qu’il ne peut pas le faire, il faut juste assumer le fait d’être différent.
Après, il y aussi le fait que je ne me suis jamais pris pour un artiste, au premier degré du terme. En France, on est pas mal là-dedans. Le côté hyper poseur de l’artiste. Je n’ai jamais essayé de vivre de ma musique, j’ai toujours bien séparé les choses.
A : Je me rappelle que vers 2000-2001, un certain Fuzati avait menacé de faire un procès en diffamation aux gens qui l’insultaient sur le forum de LeHipHop.com. C’était vraiment toi ?
F : Pas du tout, je n’ai jamais posté sur un forum. Des mecs qui se sont fait passer pour moi il y en a un paquet. Si ça se trouve il y a des meufs qui pensent qu’elles se sont fait dépuceler par moi sauf que ça n’était pas moi ! [Rires]
A : Tu as sorti pas mal de projets annexes ces dernières années, notamment Spring Tales et les Broadcast Sessions. Tu peux nous les présenter, nous dire quelle était ton intention en les sortant ?
F : Broadcast Sessions ce sont des mixes avec des thématiques. Je vais piocher dans tout ce que je peux écouter. Le dernier volume était dédié à la fusion brésilienne. Le prochain va bientôt sortir. Il s’agit du quatrième, il est autour de l’Europe et comporte quatre plages avec France, Allemagne, Italie et Belgique. J’ai un public qui n’est pas forcément à fond dans le rap. J’essaie aussi de leur montrer d’autres styles musicaux.
Spring Tales est un projet instrumental, assez jazzy et beaucoup plus boom-bap. J’ai un autre album de prêt, beaucoup plus barré et électronique, avec pas mal de synthés et des dialogues détournés. Je me droguais pas mal quand je l’ai fait ce projet. J’ai encore un autre album d’enregistré, il est beaucoup plus boogie et années 1980. J’essaie toujours de sortir des projets cohérents, avec un parti pris donné.
A : Tu dévoiles tes sources ?
F : Non, jamais. Je ne le fais pas, pas pour me la jouer élitiste, mais plutôt en réaction au fait qu’avec Internet les gens sont habitués à tout avoir tout de suite. Quand tu as écouté Fréquence Paris Plurielle, Radio Libertaire, que tu as essayé de comprendre le nom d’un morceau que l’animateur passait, que tu as galéré le lendemain pour trouver le disque parce que t’étais pas sûr d’avoir bien noté le bon nom… Je pense que c’est pas mal de temps en temps de pousser un peu les gens à chercher. Le digging c’est aussi ça, ça demande un minimum d’effort, sinon c’est pas amusant.
A : Tu nous as contactés suite à notre dernière série de Digging Season où on a ressorti des vieux morceaux autour d’une thématique. Quel regard tu portes là-dessus ?
F : Je trouve ça vraiment cool de faire redécouvrir des maxis que plein de mecs de vingt ans n’ont pas eu la chance d’écouter. Tous les trucs où on galérait grave pour les trouver.
A : Sur ton compte Twitter, on peut lire depuis un an maintenant « Allez plutôt lire des livres ». Qu’est-ce que tu voulais dire par là ?
F : Aujourd’hui, et c’est aussi le piège d’Internet, les gens se focalisent beaucoup sur plein de conneries. En tant qu’artiste tu es obligé de poster toutes les heures sur Twitter, de dire que tu es en train de bouffer une pomme, pour que les gens s’intéressent à toi. Parallèlement, les gens n’achètent plus de disques. Du coup tu es obligé de te prostituer. Mon délire là, c’était plutôt de dire que je ne n’ai pas l’intention de tomber là-dedans. Je suis dans la démarche inverse, je préfère donner peu – j’apparais moins souvent que la vierge – et laisser les gens aller vers la musique. Quand j’ai croisé Tekila, qui est à fond sur ces technologies là, il m’a dit « Tu devrais balancer tes punchlines sur Twitter !« . J’ai pas autre chose à foutre que de twitter des punchlines ? [Rires] C’est un cercle vicieux. Il faut arrêter d’essayer de tout donner, tout le temps.
A : Qu’est-ce qui t’a amené à te concentrer ces dernières années sur la production, et du coup à mettre de côté ta carrière de rappeur ?
F : En fait, j’ai enfin pu m’acheter un sampler. J’ai eu une MPC en 2004. Si j’avais pu en avoir un pendant mon adolescence, ma vie aurait été différente. Je m’en suis toujours battu les couilles des rappeurs, ce sont les prods qui m’ont attiré vers le rap. J’achetais les maxis pour écouter les instrus. J’étais déjà plus producteur. Après, tu grandis, tu commences à avoir un peu plus de pouvoir d’achat, tu peux acheter plus de disques et j’ai pu me consacrer à ce truc qui m’a toujours fait kiffer.
A : Tu écoutes de la chanson française ?
F : Pas du tout. Si j’étais allé en major, ils m’auraient demandé de faire de la chanson française. Faire un truc à la Biolay, ça ne m’intéresse pas du tout. Je trouve ça hyper poseur. Par contre, il y a un morceau d’Arnaud Fleurent-Didier que j’ai bien aimé. Arnaud Fleurent-Didier est un grand fan du Klub des Loosers d’ailleurs. L’un des premiers festivals qu’on a pu faire, le festival Chanson Poche c’est grâce à lui. Son morceau « France culture » il est tout à fait dans l’esprit du Klub des Loosers. Je n’ai pas du tout aimé le reste de l’album, il a tous les travers « chanson française » que je n’aime pas, mais « France culture » c’est un morceau qui a des couilles. Dans tous les domaines, la littérature, la peinture, j’ai besoin de gens qui ont des tripes et les posent sur la table. Mais « France Culture », c’est fort. C’est « houellebecquien ». D’ailleurs, l’album de Michel Houellebecq, Présence Humaine, c’est mon chef d’oeuvre. Je le mets au dessus de Mélody Nelson. L’alchimie entre les paroles de Houellebecq et la musique de Bertrand Burgalat est incroyable. Ce disque, je serais même prêt à le presser en vinyle moi-même.
A : Fuzati et les meufs, ça s’est arrangé avec le temps ?
F : Tu verras que sur La fin de l’espèce, Fuzati baise plein de meufs. Mais c’est… autre chose. Après, c’est clair qu’à partir du moment où tu es un peu médiatisé, il y a trop de meufs qui cherchent à te contacter. Mais je n’en ai rien à foutre ! [Rires] Je bois des bières, j’écoute des disques ! [Rires]
A : Tu vas aussi réaliser les clips de ce nouvel album ?
F : Oui, avec Detect. « La femme de fer », j’avais trouvé la plupart des idées un peu marrantes comme la partie de tennis. « Sous le signe du V », je l’avais coréalisé. Ce nouvel album, il va sortir sur mon propre label. Vu l’état du marché du disque, tu ne peux pas détacher la partie artistique de la partie business. Idéalement, il faudrait que je sois sur un gros label indépendant. Sauf que ça n’existe plus les gros labels indépendants. J’ai bien fait quelques rendez-vous mais les mecs ils tiennent des discours de majors. Je ne suis tellement pas dans le compromis que je préfère amener un disque fini à une maison de disques. Moi, je ne vais pas faire un duo avec Jena Lee [Rires].
[…] unique membre du Klub des Loosers décrit son alter-ego. En effet, il a toujours affirmé que Fuzati est toujours plus ou moins un personnage et que cette différenciation s’accentue avec …. Depuis bientôt 20 ans, le versaillais a rappé sa mélancolie, ses pensées suicidaires et la […]